CGV – CGU

PARTIE I – De la création au développement : la naissance de l’entreprise
Titre 1 – Le choix cornélien du mode d’exploitation
Sous-titre 1 – Passer à l’acte d’entreprendre : principaux enjeux

Chapitre II – Permettre le réinvestissement de la valeur produite

20023 Une fois l’entreprise créée et productrice de valeur ajoutée, le premier enjeu sera de permettre et d’inciter cette entreprise à réinvestir tout ou partie de ses bénéfices dans sa propre activité, sur tout type de support qu’elle jugera opportun. Des questions de justice sociale, ainsi que la situation des finances publiques19, incitent pourtant à amputer, par prélèvement20, une partie de la valeur ajoutée, considérant que celle-ci doit directement être remise à la disposition de la collectivité, qui en ferait supposément un meilleur usage, ou un usage plus vertueux pour la collectivité que l’entreprise elle-même. Nous rappellerons comment va se décomposer la création de valeur (Section I) avant d’évoquer l’interdépendance de l’entreprise avec les services et valeurs de l’État (Section II).

Section I – Comprendre le cycle économique de l’entreprise

20024 Passer du simple projet au projet créateur de valeur ajoutée est en soi un immense défi pour tout entrepreneur. Si son modèle économique est validé par le marché, il est impérieux pour l’entreprise qu’elle soit durable. Cette évidence s’accommode souvent assez mal des prélèvements opérés par la collectivité.
20025 – La création de valeur n’est pas égale à la création de trésorerie. – Comme nous l’avons évoqué ci-dessus21, l’entreprise se bâtit grâce à de multiples sources de financement dont l’essentiel se concrétise sous forme de dettes (fournisseurs, banques, etc.), et qui ont pour caractéristique de s’amortir progressivement par des paiements réguliers. Ainsi, une entreprise pourra tout à fait créer une immense valeur sans disposer de réserves de trésorerie importantes. Mais si l’entreprise ne réinvestit pas cette valeur ajoutée de manière permanente, elle se confrontera nécessairement à des difficultés pouvant aller jusqu’à la cessation de son activité.
La métaphore du vélo sur lequel on arrêterait de pédaler est parfaitement adaptée. La cessation de l’activité est un événement qui entraîne une cohorte de conséquences néfastes, pour l’entrepreneur lui-même, dont le projet sera stoppé, mais aussi pour l’ensemble des parties prenantes et de la société (clients dont les besoins ne seront plus satisfaits, salariés dont l’emploi sera détruit, fournisseurs et prestataires dont le client aura disparu, financeurs dont la créance sera d’un recouvrement très incertain).
En bon gestionnaire, l’entrepreneur veillera bien entendu à consacrer une partie de la création de richesses au financement du besoin en fonds de roulement (BFR) de l’entreprise. Ce besoin correspond précisément aux décalages de flux de trésorerie entre ses décaissements et encaissements à court terme.
Pour la consultation du Baromètre trimestriel de trésorerie, investissement et croissance des TPE/PME (Très Petites Entreprises/Petites et Moyennes Entreprises) en mai 2021 (Bpifrance) :
20026 – Une obligation permanente d’investissement. – Deux paramètres, qui sont des aléas naturels de l’entreprise, viennent souvent perturber ces précautions et font varier significativement ce besoin. Tout d’abord, il est impératif d’investir continuellement dans la production afin de maintenir les biens et services à un niveau cohérent avec les besoins évolutifs de la clientèle. Ces investissements se traduisent par l’acquisition d’autres biens et services nécessaires à l’exploitation (ressources humaines, matériel d’exploitation, recherche et développement, communication, prises de participation, etc.).
Pour financer ces investissements, il ne sera ni possible ni sain d’en appeler systématiquement au secteur bancaire, mais plus vertueux d’utiliser la capacité d’autofinancement (CAF) de l’entreprise22. Ainsi, une entreprise qui ne dégagerait pas une valeur ajoutée supérieure à son BFR ne serait pas viable sur le long terme.
Ensuite, il faut constater que de nombreuses entreprises (voire toutes !) ne disposent pas d’un cycle de trésorerie linéaire se traduisant par un BFR parfaitement constant au cours de leur exercice social, ou sur plusieurs exercices. Les entreprises liées au secteur touristique (hôtellerie, restauration, station de vacances, etc.) ou à des événements spécifiques (jouet, fleuriste, agence événementielle, etc.) en sont de parfaits exemples et, en réalité, aucune entreprise ne peut ignorer cela durablement.
La trésorerie résulte naturellement de la variation des soldes d’encaissements et décaissements23 :
Graphique de variation de solde
Cela implique qu’à plusieurs périodes charnières de l’année, le chiffre d’affaires va connaître des variations erratiques, ayant un impact direct sur la trésorerie. De nombreuses entreprises vont donc connaître des périodes avec des besoins très importants en fonds de roulement, qui ne seront couverts que par d’autres périodes, parfois lointaines et incertaines, au cours desquelles un flux massif de trésorerie sera crédité sur leur compte.
Négliger cette donnée structurante poserait deux difficultés majeures. La première est celle qui aboutirait à ne réserver l’entrepreneuriat qu’aux activités viables à court/moyen terme, et à priver la clientèle de réponse à certains besoins nécessitant des investissements à long/très long terme24. La seconde serait de renvoyer au secteur public la couverture de ces besoins, en occultant le fait que ce n’est pas sa vocation première et qu’il n’en a ni la compétence ni les moyens.
20027 – Des prélèvements externes éminemment stratégiques. – Une fois ces difficultés posées et partiellement résolues grâce aux pratiques de gestion financière des entreprises, s’ajoute un paramètre totalement externe : celui des prélèvements. Il est évident que rien ne pourrait remettre en cause leur principe dans notre pacte social. Ils soulèvent pourtant deux problématiques lourdes à assumer pour l’entreprise : leur niveau et leur caractère hautement instable.
20028 – Une périodicité perfectible. – Pour synthétiser le propos, qui pourrait être dupliqué à loisir sur tout type de prélèvement fiscal ou social, nous nous baserons sur les développements ci-dessus concernant les prélèvements sur la valeur ajoutée produite. L’annualité de l’impôt permet sa détermination à l’échelle d’un exercice entier ; cependant, la logique fiscale aboutit à des prélèvements réguliers au cours de l’exercice de l’entreprise25. Ces prélèvements vont inévitablement grever la trésorerie sociale.
Ainsi, pour être en mesure de créer et développer l’entreprise, il est fondamental de dégager un flux régulier et positif de trésorerie. Cette affirmation n’est pas aussi neutre qu’elle y paraît puisque certaines entreprises très rentables, qui constatent un résultat comptable taxable, ne sont pas toujours en mesure de dégager une trésorerie suffisante du fait de leur caractère cyclique ou de la nécessité qu’elles éprouvent à financer leur BFR ou leurs investissements.
20029

20030 – Une instabilité difficilement admissible. – Enfin, l’instabilité des règles fiscales constitue en elle-même un frein majeur à la création et au développement de l’entreprise. Pour comprendre cela, il est simplement nécessaire d’imaginer la diversité et le niveau des risques engendrés par l’acte de créer une entreprise. Le niveau peut paraître simple à exprimer : c’est celui de « tout » perdre, non seulement son investissement financier mais aussi ses biens personnels, même si les techniques évoquées ci-dessous permettront un cantonnement relatif28.
La diversité provient des multiples aléas économiques classiques : celui de trouver un marché pour ses produits et services, de maintenir et développer sa présence sur ce marché, de maîtriser le coût de la production et des moyens de production. Légion sont les entreprises qui n’ont pas rencontré leur clientèle, s’en sont éloignées jusqu’à la perdre, ou qui ont subi des évolutions de coût d’acquisition de matières premières ou de nouveaux investissements insoutenables ayant provoqué leur perte29.
Dans une réaction logique et naturelle, l’entrepreneur souhaitera minorer au maximum le nombre et le niveau des aléas que son projet pourrait subir. À ce titre, on trouvera notamment les prélèvements à destination de la collectivité, dont le principe n’est pas contesté puisque les infrastructures publiques sont une condition sine qua non au projet d’entreprise.
La prévisibilité de ces prélèvements sera alors un élément déclencheur, ou au contraire un obstacle majeur à la création d’entreprise. Considérer qu’il est possible de bâtir un projet, de prévoir un plan d’affaires comportant le financement du BFR ou des investissements, sans avoir d’espoir durable sur la stabilité des prélèvements obligatoires, relève alors d’une méconnaissance profonde de ce que constitue l’acte d’entreprendre lui-même. Comme on pourra le constater, la France n’a pas été en mesure à ce jour d’apporter cette dimension de confiance pourtant essentielle :
Graphique représentant le taux d'impôt sur les sociétés, par pays
20031 – Le notaire, vecteur de lisibilité. – Apporter des informations précises sur la situation actuelle de ces prélèvements, voire inscrire ceux-ci dans une dimension prospective en fonction du contexte économique et politique, constituera une aide extrêmement précieuse que le notaire pourra apporter au porteur de projet.
20032


21) V. supra, nos 20008 et s.
22) Définition Vernimmen : « La CAF ou Capacité d’autofinancement mesure l’ensemble des Ressources internes sécrétées par l’entreprise. Elle se calcule en ajoutant au Résultat net l’ensemble des charges nettes calculées (Dotation aux amortissements, variation de provisions pour risques et charges) sans impact pour la Trésorerie. Bien qu’elle soit calculée avant rémunération de certaines Ressources (les Capitaux propres) mais après rémunération de certaines autres (les dettes), il s’agit d’une variable-clé de tout tableau de flux ».
23) Graphique réalisé par la société « SBA Compta ».
24) Par ex., de l’idée d’un nouveau modèle automobile à sa livraison (en passant par son cahier des charges, son stylisme, son architecture, son prototypage et son industrialisation) s’écoulent généralement entre cinq et dix années.
26) Institut Montaigne, Meti, Taxes de production : préservons les entreprises dans les territoires, oct. 2019.
27) Insee Esane, Ratios comptables des entreprises en 2017, 18 oct. 2019.
28) V. infra, nos 20042 et s., et 20139 et s.
29) Ces dix faillites retentissantes liées à la crise du Covid : Challenges, 30 oct. 2020, citant notamment La Halle, Serare (Courtepaille), Orchestra Prémaman, Kidiliz (magasin Z), Bio C’Bon, Phildar.
30) Conseil d’État, Exercice d’une activité économique par les personnes publiques, 2020-2021.
32) La loi de nationalisation du 13 février 1982 a, par exemple, soumis certaines activités bancaires aux décisions politiques, et a eu des conséquences négatives sur les comptes des banques concernées.
33) Global Entrepreneurship Monitor (GEM), Global Report 2020/2021.
34) Des entreprises comme Pappers, QuiDitMiam !, Menmotix.
35) La société Menlook a levé 35 M€ avant d’être liquidée en 2017, L’usine à Design (5,4 M€ levés) est liquidée en 2013, New Wind (2,4 M€ levés) est liquidée en 2017.
36) V. supra, nos 20005 et s.
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