CGV – CGU

PARTIE I – De la création au développement : la naissance de l’entreprise
Titre 2 – Les impacts sur la personne et sur le patrimoine du chef d’entreprise
Sous-titre 2 – Les préventions possibles

Chapitre I – Le statut matrimonial du chef d’entreprise au soutien de la protection de son patrimoine

20140 Les inconvénients majeurs de l’entreprise individuelle, rappelés ci-dessus, ont fatalement généré des problématiques lourdes pour les entrepreneurs, risquant d’éloigner les citoyens de l’initiative d’entreprendre. Au fil du temps, ces problématiques consubstantielles au statut ont donc été amoindries par des dissociations patrimoniales issues notamment de techniques relevant du conseil et du contrat relatif au couple.
20141 – Des unions protectrices. – La vie de l’entrepreneur est évidemment, comme pour tout un chacun, ponctuée de rencontres. L’installation en couple aboutit à bâtir des projets de couple, et parfois à une union (pacte civil de solidarité ou mariage). Le statut d’entreprise individuelle aura nécessairement des répercussions importantes sur cette union, tant sur le plan personnel, puisque partager la vie d’un entrepreneur est évidemment un grand défi, que sur le plan patrimonial, pour toutes les raisons exposées plus haut.
Sur ce dernier point, et aussi cocasse que cela puisse paraître, les aspects patrimoniaux de l’union pourront apporter une aide significative pour amoindrir les risques financiers pris par l’entrepreneur. Pour autant, bien entendu, qu’il puisse bénéficier de conseils en amont. Conseils pour lesquels le notaire demeure, et se doit de demeurer l’interlocuteur de référence.
À une rarissime exception près (le mariage sous le régime de la communauté universelle avec apport de l’ensemble des biens propres existants), l’union, qu’elle soit régie par un pacte civil de solidarité (Section I) ou un mariage (Section II), va aboutir pour le couple à devoir gérer plusieurs masses patrimoniales distinctes. Cette gestion peut être vue comme une opportunité unique de protéger des biens et droits, en principe partie intégrante du gage général des créanciers de l’entrepreneur individuel.

Section I – Le couple partenaire

20142 – Une séparation « par défaut » bienvenue. – Le pacte civil de solidarité (Pacs), dont le nombre annuel est désormais quasiment équivalent à celui des mariages, peut être conclu sous deux régimes patrimoniaux, étant rappelé que l’alinéa 2 de l’article 515-4 du Code civil dispose sans distinction que « les partenaires sont tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante et pour les dépenses relatives au logement commun ».
La loi du 23 juin 2006 a opportunément modifié le régime primaire du pacte. Désormais, le défaut de convention entraîne l’application du régime séparatiste, à l’inverse de la solution retenue lors de l’adoption de la loi du 15 novembre 1999 instituant ce type d’union.
20143 – Placer l’entreprise dans un contexte séparatiste. – Le premier régime, dit « séparatiste », aboutit à ce que deux ou trois masses patrimoniales prennent naissance au sein du couple : le patrimoine personnel divis de chacun, et potentiellement un patrimoine indivis que les partenaires auront volontairement choisi de constituer entre eux. Dans cette configuration, les créanciers de l’entreprise disposeront d’un seul, deux ou trois patrimoines saisissables : le patrimoine divis de l’entrepreneur si son entreprise y figure, le patrimoine divis de l’entrepreneur et le patrimoine indivis s’il existe, les patrimoines des deux partenaires si l’entreprise a été placée en indivision.
Bien entendu, le conseil qui peut être apporté dans ce type de situation serait de placer l’entreprise dans le patrimoine divis de l’entrepreneur puisque cela permettrait de protéger, à tout le moins, le patrimoine divis de l’autre partenaire. En n’omettant pas de rappeler que, dans ce contexte, le patrimoine créé indivisément pourra lui aussi être indirectement appréhendé à hauteur de la quote-part indivise détenue par l’entrepreneur.
20144 – Une relative souplesse de preuve. – Bien entendu, le partenaire ayant placé l’entreprise au sein de son propre patrimoine devra continuellement s’en ménager la preuve. L’article 515-5, alinéa 2 du Code civil dispose que : « Chacun des partenaires peut prouver par tous les moyens, tant à l’égard de son partenaire que des tiers, qu’il a la propriété exclusive d’un bien. Les biens sur lesquels aucun des partenaires ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié ». Du point de vue de l’entreprise, ces dispositions sont à conserver précautionneusement en tête. En effet, l’entreprise individuelle n’est pas un actif patrimonial monolithique, à l’instar d’un fonds de commerce. Elle est composée d’une diversité de biens et droits, corporels et incorporels, meubles ou immeubles. La souplesse de cette preuve « par tous moyens » (renvoyant, cela est notable, au mode de preuve en matière commerciale) est opportune dans le sens où le législateur n’a pas souhaité apporter de frein matériel. Cependant, les dispositions in fine de l’article suscité peuvent emporter un certain nombre de complexités dans la mesure où, tel que rappelé, la preuve de propriété n’est pas du tout uniforme sur l’ensemble des biens qui peuvent composer une entreprise individuelle. Elle peut paraître aisée à concevoir en ce qui concerne les biens et droits immobiliers, ou les biens meubles corporels acquis et facturés au nom de l’entrepreneur individuel. Mais la propriété d’autres biens ou droits est beaucoup plus délicate à rapporter. On peut notamment penser aux droits de propriété intellectuelle. Une idée pourrait être de considérer que les biens et droits affectés à l’entreprise individuelle inscrits à son bilan sont de facto la propriété exclusive de l’entrepreneur. Cependant, cette solution serait lacunaire dans la mesure où (i) cette inscription est réalisée à l’initiative de l’entrepreneur lui-même et qu’à ce titre il serait parfaitement illusoire d’accorder une confiance aveugle à ces données financières, (ii) un certain nombre d’actifs n’apparaissent pas systématiquement dans un bilan à une date donnée (immobilisations totalement amorties, stocks dépréciés, créances provisionnées, etc.), et (iii) tous les entrepreneurs ne sont pas astreints à la tenue d’un bilan.
20145 – L’indivision plus risquée. – Le second régime, dit d’« indivision d’acquêts », consiste à réputer conventionnellement certains biens et droits acquis, à compter de l’enregistrement du pacte, automatiquement « indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale »183. Ainsi trois masses patrimoniales coexisteront nécessairement dans ce type de contexte : le patrimoine personnel divis de chacun des partenaires, et un patrimoine égalitairement indivis au sein duquel figureront ces acquêts.
En matière d’entreprise, loger les actifs sociaux au sein d’un des patrimoines personnels pourra limiter le droit de gage des créanciers, tel que rappelé ci-dessus. Contrairement au régime précédent, la loi apporte une précision qui peut s’avérer différenciante puisque l’article 515-5-2, 2o du Code civil prévoit que les biens créés et leurs accessoires demeurent la propriété exclusive de chaque partenaire. À défaut d’autre précision, l’on pourrait donc considérer que l’entreprise individuelle créée restera la propriété exclusive de son fondateur. Il ne semble cependant pas évident de circonscrire la notion « d’accessoires » :

puisque la terminologie relative au Pacs diffère sensiblement, et est moins large que celle reprise pour le contrat de mariage en séparation de biens184, peut-on considérer que l’ensemble des moyens d’exploitation accessoires de l’entreprise créée sont de facto concernés ?

et surtout, dans la mesure où ces accessoires ne sont pas créés mais sont souvent acquis postérieurement à la conclusion du pacte, ne sont-ils donc pas avant tout des acquêts ?

Le défaut de précision sur ces points pourrait s’avérer une source de contentieux, en lien avec les modalités, délicates, de preuve évoquées ci-dessus.
20146 – En synthèse. – Il faudra convenir, pour conclure, que le régime primaire « séparatiste » se révèle finalement plus adapté à la création d’entreprise pour au moins trois raisons :

il prévoit un régime de preuve de propriété assez favorable, et moins sujet à interprétation que celui du régime d’indivision d’acquêts ;

il permet d’éviter la constitution automatique d’une masse patrimoniale indivise que le second régime garnit largement du fait de sa présomption étendue, et sans recours possible ;

« placer » l’entreprise dans le patrimoine divis présente aussi de nombreux autres avantages : liberté totale de gestion par l’entrepreneur, liberté totale de disposition de l’entreprise et de ses actifs (au premier rang desquels son fonds de commerce), protection de l’entreprise et de l’entrepreneur en cas de désunion.

Placer opportunément dans l’une des masses patrimoniales tant l’entreprise que les autres biens et droits du couple pourra permettre de limiter le risque financier de la première sur les autres. Le notaire pourra ainsi utilement conseiller les couples lors de leurs projets d’investissement, en tenant compte bien entendu du régime adopté, des contributions respectives faisant naître, ou non, des créances entre partenaires.

Section II – Le couple marié

20147 – Deux questions fondamentales. – Le mariage emporte, comme l’existence même de l’entreprise, une multitude de conséquences sur le patrimoine du couple. Ce patrimoine influera à plusieurs titres sur l’entreprise, et inversement, notamment :

dans quelle masse patrimoniale présente au sein du couple se trouvera l’entreprise ?

comment ces masses patrimoniales vont-elles être affectées par l’éventuelle fragilité financière de l’entreprise ?

Ne prétendant pas à l’analyse exhaustive des différents régimes matrimoniaux, nous exposerons les réponses à ces questions sous l’angle de la scission traditionnelle entre régimes communautaires (communauté – légale ou contractuelle – réduite aux acquêts, communauté universelle) et régimes séparatistes (séparation de biens pure et simple, séparation de biens avec adjonction d’une société d’acquêts, participation aux acquêts). Nous renverrons aussi aux développements ci-dessus concernant le Pacs, dans la mesure où ces développements présentent d’évidentes similitudes.
20148 – Une illusion de choix. – En régimes communautaires non universels, coexistent souvent trois masses patrimoniales au sein du couple : la communauté créée par l’effet du mariage, et les masses constituées des biens propres à chacun des époux (biens présents avant le mariage, ou reçus au cours de celui-ci par donation ou succession, acquis en remploi de ces derniers, et biens propres par nature).
L’entreprise pourra alors figurer dans l’une ou l’autre de ces masses, et cette situation emportera des conséquences très différentes en cas de problème financier :

l’entreprise pourra être commune si elle a été créée postérieurement au mariage, acquise avec des deniers communs, voire apportée par un époux à la communauté. L’article 1404, alinéa 2 du Code civil répute propres par nature les instruments de travail, « à moins qu’ils ne soient l’accessoire d’un fonds de commerce ou d’une exploitation faisant partie de la communauté ». Ainsi, le droit de gage des créanciers s’exercera sur la totalité des masses patrimoniales du couple, y compris celles constituées de biens propres ;

l’entreprise pourra figurer en tant que bien propre d’un des époux, si elle a été créée avant mariage, acquise en remploi de biens propres, ou reçue dans le cadre d’une transmission patrimoniale à titre gratuit. Dans cette situation, ces difficultés engageront l’ensemble desdits biens propres de l’époux, ainsi que la totalité des biens communs.

20149 – Les solutions conventionnelles notariales. – On peut ainsi constater que, quel que soit « l’emplacement » de l’entreprise, plus d’une masse patrimoniale est touchée car l’actif commun des époux l’est en toute hypothèse. La « contamination » du risque se réalise de manière bilatérale : soit parce que l’entreprise est commune et son risque contamine les deux patrimoines propres, soit parce que l’entreprise est propre à l’un des époux et son risque contamine le patrimoine commun. Cet « emplacement » est pourtant modulable. C’est d’ailleurs un point sur lequel le notaire peut démontrer toute sa valeur ajoutée dans la délivrance de conseils ou la rédaction de ses actes. En effet, les régimes communautaires institués par convention (contrat de mariage / aménagement de régime) permettent une liberté totale de choix pour situer l’entreprise dans la masse la plus opportune (exclusion conventionnelle de communauté des biens professionnels et de l’outil de travail), tenant compte bien entendu de son financement (via des fonds communs ou des fonds propres), mais également pour situer les revenus dégagés par l’entreprise (exclusion conventionnelle de communauté des revenus de biens propres).
Cette catégorie de régime se révélera en tout état de cause peu adaptée pour des conjoints qui envisagent de créer leur entreprise, ou disposant d’une entreprise dont la solidité financière est incertaine.
Une analyse détaillée des masses patrimoniales, ainsi que des projets patrimoniaux du couple, est impérative avant tout projet entrepreneurial, ou avant tout mariage si l’entreprise est déjà créée.
20150 – Une analyse proche de celle du Pacs en régime séparatiste. – Au sein des régimes séparatistes, les problématiques sont évidemment différentes. L’absence de communauté les rapproche significativement de ce qui a été détaillé supra concernant le Pacs. Trois masses patrimoniales vont se détacher : les masses constituées des biens propres entièrement à la disposition de chacun des époux, et une masse éventuelle de biens qui seront soit indivis, soit intégrés à une société d’acquêts.
Dans l’hypothèse où l’entreprise est localisée au sein d’un patrimoine propre décrit ci-dessus, le risque entrepreneurial ne s’exercera qu’exclusivement sur celui-ci. Cette stratégie est évidemment très intéressante dans la mesure où le patrimoine propre de l’autre époux ne pourra pas subir le droit de gage général des créanciers, et ce quelle que soit sa composition. Cette affirmation est par ailleurs renforcée par le fait que les créances éventuelles entre époux (hypothèse dans laquelle l’époux entrepreneur finance un bien acquis par son conjoint) ne seront pas saisissables puisqu’elles ne sont qu’éventuelles, et n’auront d’existence juridique qu’en cas de liquidation du régime (par suite de divorce ou de décès).
Dans la seconde hypothèse, où l’entreprise est indivise ou partie intégrante d’une société d’acquêts, la solution sera identique à celle du Pacs puisque les créanciers auront donc accès à la totalité des patrimoines des époux, chacun de ces derniers disposant d’une quote-part de propriété de l’entreprise. Choisir cette solution emportera ainsi de lourdes conséquences. La pratique l’évite donc assez systématiquement, d’autant qu’elle peut poser question sur la logique intrinsèque du choix d’un régime séparatiste en partageant, dans le même temps, les bénéfices et risques de l’entreprise.
20151 – En synthèse. – Fort de ces constats, le notaire pourra utilement privilégier l’adoption d’un régime séparatiste, qui présente indéniablement un niveau supérieur de sécurité.
De toute évidence, cantonner le risque à un seul patrimoine sera la meilleure défense contre l’expansion non maîtrisée du droit de gage des créanciers. Cette stratégie devra cependant nécessairement prendre en compte la volonté légitime de chaque époux de gérer, d’administrer, de disposer des actifs, certains pouvant être d’origine familiale, de leur capacité respective de financement, et aura en tout état de cause des répercussions en cas de divorce.

183) C. civ., art. 515-5-1 in fine.
184) C. civ., art. 1406, al. 1 : « les biens acquis à titre d’accessoires d’un bien propre ainsi que les valeurs nouvelles et autres accroissements à des valeurs mobilières propres ».
Aller au contenu principal