CGV – CGU

PARTIE III – De la consolidation à la pérennisation et à la diversification : la transformation de la société
Titre 1 – Penser à la société pour porter un projet patrimonial
Sous-titre 2 – Une société patrimoniale pour investir et gérer

Chapitre II – Mutualiser et… dissocier !

20651 – Sacraliser et paramétrer la propriété partagée. – La société, constituée pour une durée fixée statutairement (jusqu’à quatre-vingt-dix-neuf années), sera un support naturellement plus durable que l’indivision pour anticiper l’évolution d’un patrimoine sur plusieurs générations. En cas de décès d’un associé, la propriété de droits sociaux d’une société patrimoniale fera tout autant partie de la masse successorale que des droits indivis, tout en étant soumise à des règles de transmission plus organisées qu’un droit direct sur un actif vif.
En effet, les règles statutaires permettront d’ajuster précisément quels membres de la famille pourront obtenir la qualité d’associé, et, partant, participer aux décisions collectives. À défaut d’obtenir cette qualité, les ayants-droit de l’associé décédé bénéficieraient d’un processus d’indemnisation de la valeur de leurs droits sociaux, selon des règles elles aussi paramétrables.
La personnalité morale de la société aboutit à partager en droits sociaux divis la propriété et le rendement d’actifs sociaux, et à maintenir cette propriété sociale au-delà de la vie de ses associés, sans pour autant conférer de droits directs sur les actifs sociaux780.
Bien entendu, il peut être des hypothèses où il existe une indivision d’associés sur les droits sociaux eux-mêmes.
Il en est ainsi en cas de décès d’un associé aux ayants-droit multiples et agréés en qualité d’associés. D’une part, cette indivision est aisément soluble dans la mesure où la multiplicité des droits sociaux facilite la régularisation du partage781. D’autre part, les règles applicables aux droits sociaux aboutissent systématiquement à exiger des indivisaires la désignation d’un mandataire unique chargé de les représenter dans l’exercice des droits politiques782.
20652 – Dissocier, ensemble, la propriété de la gestion de celle-ci. – À l’inverse de la situation d’indivision sur l’actif, la structure sociétaire offrira une palette extrêmement vaste de paramétrage des décisions.
Tel que nous l’avons développé ci-dessus, ce paramétrage s’exprimera d’abord au travers du mandat social ou des organes de gouvernance. Il s’agira de déterminer l’étendue des pouvoirs du(es) mandataire(s) social(aux). Le périmètre des pouvoirs internes est totalement libre, et fixera leur liberté de gestion sur les actifs sociaux.
Cette liberté pourra être soumise à une multiplicité de procédures, parmi lesquelles :

un accord de plusieurs mandataires sociaux quand tel est le cas (à la manière d’un collège de gérance ou d’un comité de direction) ;

une approbation par un organe de gouvernance spécifique (qui peut réunir des personnes associées, et/ou mandataires sociaux, ou ni l’un ni l’autre) ;

la validation préalable par décision collective des associés (avec des droits de vote qui ne sont pas forcément proportionnels à la quote-part de capital détenu) ;

des dispositions uniquement présentes au sein des conventions extrastatutaires (lesquelles permettent de dissocier totalement le pouvoir de la détention du capital, en réservant, par exemple, à seulement certains des associés le pouvoir d’autoriser, ou non, une opération particulière).

L’éventail des formes sociales et des conventions extrastatutaires permet bien entendu au notaire d’adapter très précisément les règles aux besoins et aux souhaits des associés.
Cela sera notamment le cas en présence d’associés incapables ou de personnes vulnérables, dont le mandat pour gérer, administrer, acquérir ou céder des actifs en direct présente des difficultés importantes (procédures, délais, etc.). La personnalité morale aboutit à réaliser toutes ces opérations via le mandataire social (s’il dispose des pouvoirs statutaires nécessaires), primant ainsi le droit des incapacités.
20653 – Dissocier, ensemble, la propriété du financement de celle-ci. – La propriété d’un bien est en principe l’attribut de celui qui l’a acquis, de celui qui l’a financé de ses deniers.
En indivision, chaque indivisaire répond des besoins de financement de l’actif indivis783, tant au moment de son acquisition que pour sa conservation. Chaque indivisaire peut être obligé de financer les dépenses nécessaires à la conservation des biens. Le montant de la contribution est proportionnel, et celui d’entre eux qui aurait eu à avancer plus que sa quote-part pourra se retourner contre les autres pour obtenir remboursement.
Comme nous l’avons évoqué ci-dessus, les mécanismes liés à la personnalité morale de la société permettront de planifier et de sécuriser totalement des apports financiers différenciés des porteurs de droits sociaux.
L’organisation pourra être à géométrie variable, par une libération différenciée des apports en capital, par la modulation des apports en capital et en compte courant d’associés, jusqu’à la mise en place de droits sociaux particuliers.
La dissociation du financement et de la propriété est possible à condition de ne pas omettre que cette dissociation (i) ne sera jamais totale, car faire profiter des associés prioritairement d’une prise de valeur n’est pas synonyme d’exonérer la société du paiement de ses dettes784, et (ii) pourrait conduire à des situations abusives dans l’hypothèse où un enrichissement trop déséquilibré de certains associés par rapport à d’autres pourrait s’assimiler à une clause léonine, ou induirait une donation déguisée.
Une stricte tenue comptable, une cohérence de la rémunération des capitaux apportés avec la prise de risque et les pratiques de marché, ainsi qu’une anticipation du devenir des sommes constituant des dettes sociales (méthodes de remboursement, ou de transmission aux détenteurs du capital) permettront d’apporter un conseil juste et équilibré, en déployant l’ingénierie sociétaire adaptée.
20654 – Permettre le financement bancaire grâce à la mutualisation. – À l’instar de l’acquisition en indivision, la dissociation du financement se révélera lorsque celui-ci est assuré par un emprunt bancaire :

pour lequel certains associés, notamment des parents, auront apporté des garanties personnelles ou réelles aux dettes souscrites par une société majoritairement détenue par d’autres associés, notamment des enfants. Ces garanties peuvent être de toute nature. On observe cependant un recours important aux cautionnements solidaires, mais aussi à une garantie réelle plus efficace (du point de vue du créancier) qui consiste à nantir un placement financier dont le capital correspond, peu ou prou, à celui prêté par l’établissement financier ;

pour lequel certains associés seulement sont assurables, à la différence d’autres. À de rares exceptions, les établissements financiers conditionnent l’octroi d’un financement à la souscription d’une assurance décès, perte totale et irréversible d’autonomie, et perte d’emploi.

Cette exigence n’est d’ailleurs pas toujours totalement justifiée, notamment dans l’hypothèse où l’établissement bénéficie d’une garantie hypothécaire, d’une garantie personnelle (cautionnement), et où l’actif financé est un investissement générateur d’un rendement (lequel couvre, totalement ou partiellement, les échéances de remboursement de l’emprunt).
Dans l’hypothèse où l’établissement exigerait cette assurance et que les investisseurs ne seraient pas en mesure de la fournir (eu égard à leur âge, leur situation de santé ou professionnelle), la société patrimoniale sera tout autant une solution pour assurer le financement et l’acquisition d’un actif, dans la mesure où au moins une partie des associés est éligible à cette assurance. Tel sera notamment le cas de parents âgés souhaitant acquérir avec un apport financier et/ou des revenus limités, qui pourront constituer une société avec leurs enfants plus aisément assurables.
Le recours à l’emprunt bancaire est tout à fait commun lorsqu’il s’agit de constituer un patrimoine, notamment immobilier, puisque les établissements de crédit y trouvent déjà une garantie importante. Il s’est encore développé depuis la création de l’impôt sur la fortune immobilière785. Mais le recours à l’emprunt aboutit nécessairement à une prise de risque financier à défaut de règlement des échéances (baisse de revenus, vacance locative, difficulté de revendre dans un marché qui se serait retourné, etc.).
La société patrimoniale peut alors, si elle revêt la forme d’une société à risque limité (principalement SARL ou SAS), permettre aux associés détenteurs de droits sociaux de se protéger contre ce risque. Dans certaines circonstances, tout ou partie des associés devra parfois consentir des garanties complémentaires (personnelles ou réelles), mais il s’agira d’une négociation avec l’établissement prêteur.
Si la société patrimoniale revêt la forme d’une société civile, il est également possible statutairement de ne faire peser contractuellement le risque financier que sur certains associés (les associés majeurs en présence d’associés mineurs), en aménageant tant le régime de l’obligation à la dette que celui de la contribution à la dette.
Comme le rappelle Me Vincent Prado786, il est possible d’aménager, entre associés787 :

les rapports des associés vis-à-vis des créanciers, en limitant ou supprimant la responsabilité d’un associé. Le mandataire social peut être contraint statutairement de requérir la renonciation d’un créancier à poursuivre un associé préalablement à la signature d’un contrat ;

les rapports entre associés, en modulant le principe de la répartition des pertes proportionnellement à la participation au capital. Une répartition des pertes décorrélée de la détention du capital, voire une responsabilité limitée aux apports au bénéfice d’un associé serait donc envisageable, dans la limite de la prohibition des clauses léonines.

Loger l’actif dans une structure sociale, à risque limité, aboutira aussi à le protéger beaucoup plus efficacement. Dans cette hypothèse, la personnalité morale constituera un bouclier à deux sens, tant des créanciers sociaux (sur le patrimoine personnel des associés) que des créanciers personnels (sur le patrimoine social).
Bien entendu, les créanciers personnels pourraient également saisir les droits sociaux de l’associé impécunieux. Mais ils seront soumis dans ce cas à l’agrément des autres associés pour devenir associés, et, surtout, devant un agrément « subi »788, ils seront soumis aux règles statutaires (droits financiers et politiques qui ne permettent pas toujours d’avoir le contrôle de la structure ni d’en obtenir un rendement significatif, règles particulières de gouvernance, quasi-impossibilité de trouver un acquéreur aux droits sociaux, entraves conventionnelles au droit de disposer des droits sociaux, etc.).
20655 – Dissocier, ensemble, la propriété des revenus qu’elle génère. – Les fruits et revenus des biens indivis accroissent l’indivision sauf partage provisionnel (C. civ., art. 815-10, al. 2) et chaque indivisaire a droit aux bénéfices proportionnellement à ses droits (al. 4). Par ailleurs, l’indivisaire qui jouit privativement de l’actif indivis est redevable d’une indemnité (C. civ., art. 815-9, al. 2), sauf conclusion d’une convention d’indivision.
On mesure de ces règles le peu de souplesse qu’offre également l’indivision lorsqu’il s’agit de gérer les revenus et la jouissance de l’actif. Un cadre sociétaire permettra, à nouveau, d’opérer une dissociation très significative de la propriété des droits sociaux et du flux de revenus que ces derniers sont susceptibles de générer.
À l’instar de la dissociation du financement évoquée ci-dessus, de nombreuses techniques seront disponibles dans ce type d’opération :

la réalisation d’apports en compte courant d’associés non proportionnels aux apports en capital, qui, en présence d’une convention de compte courant, permettra de rémunérer les apports en capital par une distribution de résultat (en présence de trésorerie disponible), avant remboursement des comptes courants ;

l’émission de droits sociaux particuliers attribuant le résultat social à certains droits sociaux, ou à une catégorie spécifique, décorrélés des apports financiers qui ont été réalisés lors de l’investissement ;

la capacité des sociétés civiles translucides789 de conférer un droit direct sur les actifs sociaux, et notamment l’instauration d’un droit de jouissance gratuite de l’immeuble social au profit d’un ou plusieurs associés ou gérants. La notion d’abus de bien social n’est pas applicable aux sociétés civiles790, ce qui leur confère une particularité unique, et l’article 15, II du Code général des impôts n’impose pas les revenus (non perçus) des immeubles dont la jouissance est réservée.

Ces principes de base permettront, par exemple, de loger une résidence secondaire à l’actif d’une société civile791, et de répartir ainsi librement des périodes d’occupation des différents associés, le financement de l’acquisition et des charges. À l’inverse, une détention indivise d’un actif dont la jouissance gratuite est réservée à un seul des indivisaires pourrait s’assimiler à une donation déguisée à son profit792.
20656 – Consolider, ensemble, l’influence et la capacité de l’accroître. – À l’inverse de l’indivision, loger les droits sociaux d’une entreprise au sein d’une société patrimoniale permettra durablement au mandataire social de celle-ci d’exercer les droits politiques, au nom de l’ensemble des associés.
Il consolidera ainsi sur son seul vote l’ensemble des voix détenues par la société patrimoniale, quand bien même il ne détiendrait qu’une quote-part minoritaire de celle-ci. La constitution d’une société patrimoniale répondra alors à un objectif de consolidation du pouvoir, qui pourra aboutir à atteindre une minorité de blocage, voire une majorité (simple ou qualifiée) au sein de l’entreprise détenue.
Dans cette hypothèse, le mandataire social a véritablement le mandat de voter au sein de la filiale. Celui-ci peut être encadré, par exemple, par la réunion obligatoire d’une assemblée de la société patrimoniale en cas de réunion d’assemblée dans une filiale. Le sens du vote à émettre peut même faire l’objet d’une résolution spécifique habilitant le mandataire social.
Au-delà de ces droits politiques, la société patrimoniale détentrice de droits sociaux d’une entreprise percevra naturellement l’ensemble des dividendes que ses associés auraient dû recevoir personnellement. C’est par décision collective de cette société patrimoniale que les associés décideront s’ils souhaitent, en tout ou partie ou pas, se « redistribuer » le dividende encaissé par la société patrimoniale.
L’intérêt de la société patrimoniale, au-delà des considérations fiscales très significatives évoquées ci-dessous793, sera de disposer de moyens financiers très supérieurs à ce que chacun de ses associés aurait eu individuellement.
Ces moyens pourront permettre à la société patrimoniale de consolider sa position capitalistique en achetant des nouveaux droits sociaux de l’entreprise, de conserver une trésorerie de sécurité pour renflouer au besoin l’entreprise, ou encore d’assurer une liquidité à ses propres associés par voie de distribution (notamment les années où l’entreprise n’est elle-même pas en mesure de distribuer) ou de réduction de capital.

780) Ce qui sera également de nature à protéger cette propriété. À l’exception de certains types de sociétés (d’attribution, de copropriété, de jouissance à temps partagé).
781) Chaque indivisaire peut recevoir un même nombre de parts sociales divises.
782) Les statuts de SAS peuvent toutefois y déroger.
783) Avec parfois une solidarité, notamment au sein des couples séparés de biens.
784) En cas de décès des apporteurs en compte courant notamment, la créance de compte courant fera partie de l’actif successoral taxable (laquelle est parfois égale au capital de l’emprunt bancaire remboursé par la société majoré des intérêts).
785) Utiliser des fonds personnels pour acquérir un immeuble aboutit à inclure cette valeur dans le calcul de l’IFI, alors que le recours à l’endettement permet, grâce à la déduction de la dette d’acquisition, de ne l’intégrer qu’au fur et à mesure. En outre, détenir un actif immobilier à titre de résidence principale au sein d’une société patrimoniale privera le contribuable de l’abattement de 30 % de valeur prévu en cas de détention directe (CGI, art. 973, I, 2e al.).
787) Ces dispositions étant inopposables aux tiers.
788) Faute de moyens financiers des autres associés pour acquérir les droits sociaux en question.
789) Sociétés civiles dites « de l’article 8 » du Code général des impôts, qui n’auraient pas opté pour l’impôt sur les sociétés, et qui constituent la catégorie de société la plus usitée à ce jour pour investir.
790) À la différence des SARL, SAS et SA.
791) Étant ici précisé que le mobilier garnissant cette résidence ne pourra être détenu par la société, au risque d’un assujettissement à l’IS, aux lourdes conséquences fiscales.
792) Il est possible de considérer que les indivisaires qui ne jouissent pas du bien font « cadeau » de la valeur locative du bien à celui qui en jouit gratuitement.
793) V. infra, nos 20657 et s.
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