CGV – CGU

PARTIE II – Du développement à la consolidation : la maturité de la société
Titre 2 – Les risques qui pourraient faire vaciller l’entreprise ont-ils été bien identifiés ?
Sous-titre 1 – Les pactes statutaires et extrastatutaires

Chapitre III – L’intérêt de faire figurer dans les statuts les clauses relatives à la gouvernance et à la détention capitalistique

20341 – Le contexte. – Si le pacte extrastatutaire a pour lui la force de sa diversité, de sa souplesse et une certaine confidentialité, les statuts vont pouvoir organiser les relations entre associés, en toute transparence et en se basant sur des dispositifs dont la validité juridique ne pourra pas être discutée.
20342 – Plan. – Nous allons donc examiner dans une première section l’avantage des statuts par rapport au pacte extrastatutaire, avant d’étudier dans une seconde section les dispositifs statutaires.

Section I – Les avantages des statuts par rapport au pacte extrastatutaire

Sous-section I – Les statuts, pacte qui lie l’ensemble des associés
20343 – La force du pacte statutaire. – Si le pacte extrastatutaire ne lie que ses signataires, les statuts engagent l’ensemble des associés de la société ainsi que les dirigeants. L’acquisition de titres de la société vaudra adhésion, de plein droit, à toutes les règles des statuts, y compris celles réservées à une catégorie d’actions ou à une action préférentielle.
20344 – La responsabilité civile des dirigeants. – En vertu de l’article L. 225-251 du Code de commerce, les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement, ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers :

des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes ;

des violations des statuts ;

des fautes commises dans leur gestion.

Conformément à l’article 1240 du Code civil, la mise en cause de cette responsabilité nécessitera, en outre, la preuve d’un dommage et d’un lien de causalité entre la violation des statuts et ce dommage. Il est donc important que les statuts contiennent des dispositions suffisamment précises sur l’étendue des pouvoirs des dirigeants.
20345 – Le statut des délibérations. – Selon l’article L. 235-1, alinéa 2 du Code de commerce, « la nullité d’actes ou délibérations [ne modifiant pas les statuts] ne peut résulter que de la violation d’une disposition impérative du présent livre (…) ou des lois qui régissent les contrats (…) ».
Cet article a amené la doctrine et la jurisprudence à s’interroger sur la validité des délibérations contraires aux statuts. Certains auteurs s’étaient prononcés en faveur de la nullité de telles délibérations485 en se fondant sur l’article 1103 du Code civil qui dispose que : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits ».
Dans un premier temps, la jurisprudence a semblé suivre ce courant doctrinal au travers d’une décision de la Cour de cassation qui avait admis implicitement la nullité d’une délibération prise en violation des statuts486.
La jurisprudence a depuis tranché la question en rendant ces dernières années des décisions aux termes desquelles elle a admis que l’inobservation d’une clause des statuts n’est pas sanctionnée par la nullité de la délibération litigieuse487.
Par une dernière décision importante du 13 janvier 2021488, la Cour de cassation a même refusé la nullité d’une délibération qui contrarie l’intérêt social de la société. La Cour de cassation considère qu’en dehors des cas de fraude ou d’abus de majorité, il n’y a pas lieu à annuler une délibération sociétaire.
Sous-section II – Les statuts, support pour des droits sur-mesure
20346 – L’adaptabilité des statuts. – Parce que les statuts sont opposables à tous les associés qui y ont adhéré, ils vont pouvoir organiser des droits sur-mesure489.
20347 – Au regard des droits politiques. – Toutes les formes sociales n’ont pas la même souplesse en la matière. En effet si, dans les sociétés anonymes, le principe est que les droits de vote accordés aux associés sont proportionnels à leur part dans le capital social490, il n’en est pas de même dans les sociétés par actions simplifiées ou l’égalité des droits de vote n’apparaît pas comme un principe d’ordre public.
Dans les sociétés par actions simplifiées, les associés sont libres de prévoir des droits de vote multiples, un plafonnement général ou par catégorie.
20348 – Au regard des droits financiers. – Le principe d’égalité entre les associés n’est jamais d’ordre public ; les statuts peuvent donc y déroger. Il n’existe qu’une limite : ce sont les clauses dites « léonines » prévues à l’article 1844-1 du Code civil.

Section II – Les dispositifs statutaires

20349 Comme nous l’avons vu lors de l’étude des clauses des pactes extrastatutaires, un certain nombre de dispositions pourront trouver leur place soit dans un tel pacte, soit directement dans les statuts, le choix étant bien souvent guidé par des préoccupations de confidentialité.
En dehors des mentions obligatoires491, les statuts vont pouvoir contenir des dispositions en matière de droits politiques, économiques et financiers, notamment au travers des actions de préférence (V. supra, no a20304), mais aussi en matière de contrôle des organes de gestion et de décision (Sous-section I) et de contrôle de la géographie du capital (Sous-section II).
Sous-section I – Un contrôle des organes de gestion et de décision
20350 – Le contrôle des organes de la société. – S’il est bien un domaine qui relève des statuts, c’est le contrôle des organes de la société.
L’objet social, tout d’abord, va donner une image de l’étendue des engagements possibles de la société. Rappelons qu’une société sera engagée par les actes accomplis par son dirigeant dès lors qu’ils rentrent dans l’objet social, quand bien même les statuts contiendraient des clauses limitatives des pouvoirs du dirigeant.
Les statuts vont également organiser les modalités de nomination, de renouvellement ou de révocation des organes de direction. Les statuts vont donc déterminer les personnes habilitées à engager la société.
20351

Sous-section II – Un contrôle de la géographie du capital
20352 La géographie du capital pourra être organisée dans les statuts sous différentes formes.
20353 – La clause d’agrément. – Tout d’abord il s’agira de la classique clause d’agrément qui empêche un associé de céder ses titres à un tiers que la société n’a pas agréé, à charge pour elle de faire acquérir ces titres par quelqu’un d’autre ou de les acquérir elle-même.
Elle devra être rédigée avec une grande attention afin de bien définir les personnes visées par celle-ci sachant que, pour les sociétés anonymes, la nouvelle rédaction de l’article L. 228-23 du Code de commerce autorise depuis 2004 les clauses d’agrément même pour les cessions d’actions entre actionnaires492.
20354 – La clause de préemption. – Cette clause, qui va permettre à tous les actionnaires ou à certains d’entre eux d’acheter par priorité les actions dont la cession est envisagée par l’un d’entre eux, a été reconnue valable par un arrêt de la cour d’appel de Paris493.
Cette clause peut s’appliquer à toutes les cessions, y compris entre actionnaires. Elle peut également ne s’appliquer qu’à certains actionnaires.
20355 – La clause d’exclusion forcée494. – Comme nous l’avons fait pour la partie consacrée aux pactes extrastatutaires, nous allons conclure la partie consacrée aux règles statutaires par la clause d’exclusion forcée.
Si nous avons vu qu’une telle clause, incluse dans un pacte extrastatutaire, peut interroger, il faut maintenant étudier la portée de cette clause lorsqu’elle est incluse dans les statuts.
20356 – Une reconnaissance jurisprudentielle. – Si la validité d’une clause d’exclusion contenue dans les statuts a été débattue en doctrine, elle a été reconnue valable par la jurisprudence495. Cette position se justifie par le fait que l’associé sait dès l’origine qu’il s’expose à une exclusion dans certaines hypothèses. En revanche, l’insertion d’une clause d’exclusion en cours de vie sociale est plus délicate. Pour le moins, ne faut-il l’admettre que dans l’hypothèse où elle a été votée à l’unanimité des associés496.
Depuis, la jurisprudence a eu l’occasion de se prononcer à de nombreuses reprises sur cette clause. Trois arrêts de la Cour de cassation ont été rendus en octobre et novembre 2018 à propos de l’application de la clause d’exclusion.
20357 – L’associé exclu peut être exclu du vote. – Dans la première affaire, nous étions en présence d’une société civile dans laquelle il était stipulé que « lorsque la société comprend au moins trois associés, l’assemblée générale, statuant à l’unanimité moins les voix de l’associé mis en cause, peut, sur proposition d’un associé, exclure tout membre de la société » pour divers motifs énumérés.
Un associé demande l’annulation de son exclusion, prononcée par application de cette clause, dont il prétend qu’elle serait contraire aux dispositions impératives du Code civil selon lesquelles, nonobstant toute disposition contraire des statuts, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives.
La Cour de cassation rejette la demande de l’associé exclu au motif que la clause ne contrevient pas aux dispositions du Code civil dans la mesure où l’associé exclu a été convoqué à l’assemblée générale et a pu prendre part au vote497.
20358 – La procédure d’exclusion doit être appliquée. – Dans la deuxième affaire, une clause des statuts d’une société civile stipulait qu’un associé peut être exclu par l’assemblée générale « statuant à l’unanimité des voix moins celles de l’associé mis en cause ».
Menacé d’exclusion, un associé de cette société saisit le juge des référés pour être autorisé à prendre part à la décision de l’assemblée générale et demande que soit déclarée non valable toute décision prise sans sa participation qui aboutirait à son exclusion.
Le juge des référés valide la demande de l’associé mais la Cour de cassation498, saisie du litige, casse pour le motif suivant : même pour prévenir un dommage imminent, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des référés d’ordonner que l’assemblée générale des associés prenne ses décisions selon des modalités différentes de celles fixées par les statuts, seraient-elles illicites.
Par sa généralité, cet arrêt a vocation à s’appliquer à l’ensemble des sociétés, civiles et commerciales.
20359 – Un motif grave. – Dans la troisième et dernière affaire, les statuts d’une société civile à capital variable donnaient à l’assemblée générale le droit de décider l’exclusion d’un associé pour tout motif souverainement apprécié par elle.
Une délibération d’associé a décidé d’exclure un associé, lequel a contesté cette décision sur le fondement d’une absence de motif grave.
La Cour de cassation499 a donné droit à l’arrêt de la cour d’appel en considérant l’exclusion comme abusive dans la mesure où il n’existait aucun motif grave justifiant l’exclusion de l’associé.
20360 – Synthèse. – Pour être reconnue valable, une clause d’exclusion forcée doit préalablement définir les hypothèses et les modalités dans lesquelles l’exclusion s’opérera. Les motifs justifiant une exclusion doivent être objectifs et légitimes afin de parer à tout arbitraire. Il pourra s’agir de la violation d’obligations à la charge de l’associé comme, par exemple, le non-respect des statuts, la transgression d’une obligation de non-concurrence, la perte d’une qualité jugée indispensable, ou encore d’un changement des organes de direction d’une société actionnaire ou du contrôle500. En revanche, l’invocation de motifs vagues, telle la perte de confiance de l’associé ou la commission d’un acte susceptible de nuire aux intérêts de la société, ne saurait être admise, et moins encore une exclusion ad nutum.
Enfin, la clause doit prévoir la procédure d’exclusion et notamment l’entité chargée de la mettre en œuvre. Ce peut être l’organe de direction ou l’assemblée générale, sachant qu’en tout état de cause les droits de la défense de l’associé et le principe du contradictoire devront être respectés. Enfin, l’indemnisation de l’exclusion, c’est-à-dire les modalités de rachat des titres, doit être clairement définie.
20361 – Une reconnaissance légale. – À côté de la consécration par la jurisprudence, la loi envisage aujourd’hui des cas d’exclusion principalement lorsque l’associé a failli à ses obligations. C’est en particulier le cas de la libération des actions501, du défaut de conservation de titres au porteur en titre nominatifs502, du défaut de présentation des titres à l’échange en cas de fusion, de réduction de capital503. Dans le cas d’une entreprise en difficulté, le tribunal peut ordonner la cession des parts ou actions d’un ou de plusieurs dirigeants lorsque la survie de la société l’implique ou en cas de faillite personnelle des intéressés504.
20362 – L’exclusion possible en fonction de la forme sociale. – Certaines formes sociales prévoient expressément des hypothèses d’exclusion, comme les sociétés coopératives505, les sociétés à capital variable506, les sociétés d’exercice libéral507, les sociétés européennes n’offrant pas leurs titres au public508.
20363 – La clause d’exclusion au sein d’une SAS. – Le législateur a prévu deux hypothèses d’exclusion. La première, résultant de l’article L. 227-16 du Code de commerce509, prévoit une faculté générale d’exclusion d’un associé, sans restriction de telle sorte que les statuts en définissent librement le contour. La seconde prévoit une exclusion ciblée tenant au changement de contrôle d’une société associée dont le départ peut être requis pour préserver la stabilité de la société.
20364 – Articulation entre pacte d’associés et clause statutaire. – Le pacte extrastatutaire peut être très utile pour préciser les conditions d’une exclusion que l’on ne souhaiterait pas voir figurer dans les statuts. C’est ainsi qu’un arrêt de cour d’appel a estimé qu’un associé pouvait être valablement exclu d’une société sur le fondement d’une clause d’exclusion incluse dans les statuts et renvoyant aux motifs d’éviction contenus dans un pacte extrastatutaire510.

485) J. Mestre et D. Velardocchio, Lamy Sociétés commerciales, 2009, no 2698.
486) Cass. com., 20 nov. 1990, no 89-18.156 : Dr. sociétés janv. 1991, no 17.
487) Cass. 3e civ., 19 juill. 2000, no 98-17.258. – Cass. com., 14 juin 2005, no 02-18.864 : Bull. civ. 2005, IV, no 129, p. 139. – Cass. com., 18 mai 2010, no 09-14.855 : Bull. civ. 2010, IV, no 93. – Cass. com., 30 mai 2012, no 11-16.272 : RTD fin. 2012, no 3, p. 96, obs. D. Poracchia.
488) Cass. com., 13 janv. 2021, no 18-21.860.
489) À titre d’exemple, l’article 1844 in fine du Code civil prévoit que les statuts peuvent contenir des dispositions dérogatoires sur la répartition du droit de vote entre un usufruitier et un nu-propriétaire. Par ailleurs, l’article 1844-1 du Code civil dispose que « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se déterminent à proportion de sa part dans le capital social (…) le tout sauf clause contraire ».
490) Pour les sociétés dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé, le principe d’un droit de vote double est admis au profit des actions entièrement libérées inscrites depuis deux ans au nom du même actionnaire (C. com., art. L. 225-123, al. 3).
491) Les statuts doivent impérativement indiquer la dénomination sociale, la forme juridique, l’adresse du siège social, les apports de chaque associé, le montant du capital social, l’objet social, les modalités de fonctionnement de la société. En fonction de la forme sociale, d’autres mentions obligatoires devront figurer. C’est ainsi que dans une société anonyme, il faudra l’indication de chaque catégorie ou forme d’actions émises, leur nombre et la fraction que cela représente du capital social – cf. C. com., art. L. 225-14 et s., L. 227-5 et s. et R. 224-2.
492) Elle est écartée en revanche pour les successions, liquidation de régime matrimonial, cession au conjoint, à un ascendant ou à un descendant.
493) CA Paris, 14 mars 1990 : Bull. Joly Sociétés 1990, p. 353.
494) Pour un développement plus complet sur la question, le lecteur pourra se référer à l’art. de D. Gibirila, L’associé exclu : l’exclusion statutaire d’un associé d’une SAS : Dr. et patrimoine nov. 2021, no 318.
495) CA Rouen, 8 févr. 1974 : Rev. sociétés 1974, p. 507, obs. Rodier.
496) Un arrêt de la cour d’appel de Paris du 27 mars 2001 admet la validité de la clause sous réserve de son vote à l’unanimité ; Bull. Joly Sociétés 2002, p. 89, note H. Le Nabasque ; JCP G 2002, 1237, note F.-X. Lucas.
497) Cass. com., 24 oct. 2018, no 17-26.402.
498) Cass. com., 24 oct. 2018, no 15-27.911.
499) Cass. com., 14 nov. 2018, no 16-24.532.
500) Cass. com., 13 déc. 1994 : RJDA 3/1995, p. 200, note H. Le Nabasque.
501) C. com., art. L. 228-27, al. 2.
502) C. monét. fin., art. L. 212-3, III.
503) C. com., art. L. 228-6.
504) La cession forcée des droits sociaux du dirigeant peut être prononcée par le tribunal au nom de la sauvegarde de l’entreprise, comme condition d’un plan de redressement (C. com., art. L. 631-19-1, al. 2), ou depuis la loi du 6 août 2015, en cas de blocage d’une augmentation de capital nécessaire de la société en difficulté (C. com., art. L. 631-19-2).
505) L. no 47-1775, 10 sept. 1947, art. 7.
506) C. com., art. L. 231-6, al. 2.
507) L. no 90-1258, 31 déc. 1990, art. 21, al. 2.
508) C. com., art. L. 229-12.
509) « Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions. ».
510) CA Paris, 20 juin 2013, no 13/03892 : Dr. sociétés 2013, comm. 203, note D. Gallois-Cochet.
Aller au contenu principal