Les privilèges de juridiction

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Les privilèges de juridiction

L'immunité juridictionnelle

L'immunité de juridiction est un privilège qui fait échapper une personne physique (I), un État (II) ou une organisation internationale (III) à la compétence des tribunaux étrangers. Lorsqu'une personne bénéficiant de cette immunité est poursuivie devant les tribunaux du for, les juridictions de celui-ci ne peuvent en principe pas la juger sauf si la personne renonce elle-même à son immunité. Ce privilège n'a pas été considéré comme contraire au principe du procès équitable consacré à l'article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. La Cour de Strasbourg a estimé que le demandeur garde la possibilité de poursuivre cette personne devant ses propres juridictions.
La Cour de cassation a d'ailleurs confirmé cette immunité en statuant ainsi : « Le crime dénoncé, quelle qu'en soit la gravité, ne relève pas des exceptions au principe de l'immunité de juridiction des chefs d'État étrangers en exercice » 1530868634243.
Cette immunité est fondée sur une coutume de courtoisie internationale et sur la nécessité de maintenir des relations diplomatiques entre les États.

Les personnes bénéficiant d'une immunité

Les souverains et les chefs d'État ne peuvent être traduits devant les juridictions étrangères tant qu'ils sont en fonction.
Dans un arrêt du 19 janvier 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation confirme l'annulation des mandats d'arrêt délivrés à l'encontre du Premier ministre et du ministre des Forces armées du Sénégal tous deux en fonction, au moment du naufrage du navire Joola au large des côtes gambiennes, ledit navire battant pavillon sénégalais, jugeant que la mission du navire était une mission de service public non commercial, que le navire avait le statut de navire militaire et que « la coutume internationale qui s'oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d'un État étranger s'étend aux organes et entités qui constituent l'émanation de l'État ainsi qu'à leurs agents en raison d'actes qui (...) relèvent de la souveraineté de l'État concerné ».
Il en est de même des agents diplomatiques, lesquels bénéficient également de l'immunité juridictionnelle. La Convention de Vienne du 18 avril 1961 1529756535492, entrée en vigueur en 1971, fixe les principes des immunités des missions diplomatiques. Cette immunité s'étend au conjoint ainsi qu'aux enfants mineurs de l'agent diplomatique, sous réserve que l'État l'ayant accrédité n'ait pas renoncé à l'immunité.
Toute personne accréditée par l'État est protégée par cette immunité. Ces personnes sont les ambassadeurs, les conseillers et les attachés d'ambassade.

Les États

Les immunités de juridiction

Un État bénéficie d'une immunité de juridiction devant les juridictions étrangères, lesquelles ne pourront ainsi prendre ni jugement ni acte d'exécution sur leurs biens.
Jusqu'au début du XX e siècle, l'immunité des États était absolue 1529768401313. Alors qu'un particulier ne pouvait pas poursuivre un État étranger devant les juridictions françaises, l'État étranger pouvait toujours poursuivre une personne privée. Cette immunité est fondée sur le principe de souveraineté d'un État : un souverain ne peut pas juger un autre souverain. Il faut rappeler que pour qu'il y ait un État souverain selon les règles du droit international public, il faut la réunion de trois conditions : un territoire, une population et un gouvernement. La non-reconnaissance n'est pas en elle-même un obstacle à l'immunité, une reconnaissance de fait est suffisante. Chaque État fixera donc sous quelles conditions cette immunité va pouvoir être soulevée. En France, l'immunité est consacrée par la jurisprudence.
Dans un arrêt aujourd'hui ancien, la Cour de cassation a admis la saisie-arrêt contre la Représentation commerciale des Soviets, organisme représentant l'Union soviétique au motif que cet organisme « faisait des actes de commerce auxquels le principe de souveraineté des États demeure étranger »1529763296626. Les tribunaux, qui avaient une appréciation subjective de l'immunité comme fondée, ont désormais une appréciation objective comme fondée sur l'activité exercée par la personne mise en cause. L'immunité juridictionnelle devient donc relative. Les tribunaux pourront, si les actes concernés ne sont pas des actes de puissance publique, juger l'état ou son émanation.
Ainsi, dans un arrêt en date du 25 février 1969 1530617656271qui oppose l'administration des chemins de fer du gouvernement iranien à la société Levant Express Transport, la Cour de cassation délimite les contours de cette immunité : « Les États étrangers et les organismes agissant pour leur ordre ou pour leur compte ne bénéficient de l'immunité de juridiction qu'autant que l'acte qui donne lieu au litige constitue un acte de puissance publique ou a été accompli dans l'intérêt d'un service public » et que par conséquent l'activité de transport même ferroviaire pouvait donc constituer un acte de commerce qui n'est pas subordonné à un acte de souveraineté ; cette administration pouvait donc être jugée. Cette solution a été reprise de multiples fois 1529770608111.
Les deux critères de cet arrêt, à savoir acte de puissance publique ou accompli dans l'intérêt d'un service public, a été maintes fois rappelé en droit du travail.
Ainsi, dans un arrêt rendu le 20 juin 2003 1529771596008, la Cour a considéré que l'État saoudien ne pouvait bénéficier de cette immunité, n'ayant pas déclaré une enseignante de l'école saoudienne de Paris au régime français de protection sociale. Cette déclaration constituait un acte de gestion administrative non couvert par l'immunité.
L'État algérien a été condamné de la même manière dans un arrêt en date du 21 janvier 2016 1531047613572. Deux salariés du consulat d'Algérie à Montpellier ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir des rappels de salaire et une résiliation judiciaire de leur contrat de travail. L'État algérien ayant soulevé alors l'incompétence des tribunaux français pour immunité, la cour a considéré que les tâches effectuées « ne conféraient aux salariés aucune responsabilité particulière dans l'exercice du service public consulaire ni prérogative de puissance publique, de sorte que les actes litigieux relatifs aux conditions de travail et à l'exécution du contrat constituaient des actes de gestion excluant l'application du principe d'immunité de juridiction ».
La Cour de cassation confirme de nouveau sa position sur le même fondement en condamnant l'État italien 1530873606457.
Les règles d'immunités juridictionnelles des États et de leurs biens ont été codifiées par une convention en date du 2 décembre 2004 adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies. Celle-ci n'est pas encore entrée en vigueur 1530616385881.

Les immunités d'exécution

Les États bénéficient non seulement d'une immunité de juridiction, mais également d'exécution. Les biens appartenant aux États ne peuvent être saisis, car cela porterait atteinte à l'indépendance matérielle de l'État. En France, cette immunité peut être levée si les biens saisis sont affectés à l'activité économique ou commerciale de droit privé et si la créance doit tenir son origine de la même activité économique ou commerciale 1529772425077. Dans un arrêt en date du 1er octobre 1985 1529775736868, la Cour de cassation pose une présomption d'affectation à une activité de souveraineté pour les biens appartenant à un État. Ces biens sont en principe insaisissables sauf à prouver qu'ils ont été affectés à une activité économique ou commerciale de droit privé. La cour opère une distinction de régime avec les biens appartenant à des organismes publics. S'agissant des biens appartenant aux organismes publics et affectés à une activité relevant du droit privé, le créancier n'aura pas l'obligation de prouver que l'origine de la créance qui fonde la saisie est la même activité de droit privé que celle à laquelle est affecté le patrimoine dans lequel se trouve le bien saisi.
L'immunité d'exécution a été codifiée par la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 (loi « Sapin 2 ») aux termes des articles L. 111-1-1 à L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d'exécution.
Avant toute mesure conservatoire ou mesure d'exécution forcée sur un bien appartenant à un État étranger, il faut une autorisation préalable du juge 1545570100960.
L'article L. 111-1-2 du même code fixe les conditions dans lesquelles le juge pourra autoriser la mesure conservatoire ou l'exécution forcée sur un bien d'un État étranger :
  • lorsque l'État concerné a expressément consenti à l'application d'une telle mesure ;
  • lorsque l'État concerné a réservé ou affecté ce bien à la satisfaction de la demande qui fait l'objet de la procédure ;
  • lorsqu'un jugement ou une sentence arbitrale a été rendu contre l'État concerné et que le bien en question est spécifiquement utilisé ou destiné à être utilisé par ledit État autrement qu'à des fins de service public non commerciales et entretient un lien avec l'entité contre laquelle la procédure a été intentée. Sont notamment considérés comme spécifiquement utilisés ou destinés à être utilisés par l'État à des fins de service public non commerciales, les biens suivants :

La renonciation à l'immunité

Qu'il s'agisse d'une immunité de juridiction ou d'exécution, l'État peut y renoncer. La renonciation à l'immunité doit non seulement être expresse, mais aussi spéciale 1545570196057, ainsi qu'il résulte de l'article L. 111-1-3 du Code des procédures civiles d'exécution. Cet article, qui ne concerne en principe que les seules mesures d'exécution mises en œuvre après l'entrée en vigueur de la loi, va être appliqué par les juges au litige existant, pour reprendre les termes de la décision citée : « compte tenu de l'impérieuse nécessité, dans un domaine touchant à la souveraineté des États et à la préservation de leurs représentations diplomatiques, de traiter de manière identique des situations similaires ».

L'immunité des organisations internationales

Une organisation internationale (OI) est une personne morale de droit public fondée par un traité international par des États ou des organisations internationales afin de coordonner une action sur un sujet déterminé dans les statuts. Elle bénéficie à ce titre d'une immunité de juridiction et d'exécution. En effet, cette immunité est nécessaire pour le bon fonctionnement de la mission qui lui est confiée, et évite l'ingérence des États.
Cette immunité figure soit dans l'acte constitutif de l'organisation 1531065443255, soit dans une convention générale sur les privilèges et immunités de l'organisation 1531065515742, soit dans un accord de siège conclu entre l'organisation internationale et un État 1531065728741.
Comment concilier cette immunité avec le droit pour toute personne à un procès équitable, public et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial prévu par la Convention européenne des droits de l'homme (art. 6, § 1) et par le Pacte relatif aux droits civils et politiques adopté par les Nations unies (art. 14, § 1) ?
Pour bénéficier de l'immunité juridictionnelle, l'organisation internationale doit avoir prévu un mécanisme de recours spécifique pour ses salariés. Si tel est le cas, les salariés ne pourront saisir les juridictions françaises.

Les articles 14 et 15 du Code civil

Ainsi qu'il a été rappelé ci-dessus, l'article 14 du Code civil énonce que l'étranger, même non-résident en France, pourra être cité devant les tribunaux français pour l'exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français. Il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français, et l'article 15 du Code civil énonce qu'un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger.
Ce privilège, fondé sur la nationalité, permet à un demandeur ou à un défendeur français, en l'absence de tout lien avec la France, de saisir les tribunaux français. Ce principe a été consacré par l'arrêt Société Cognac and Brandies rendu en 1985 par la Cour de cassation 1534860084333.

Le domaine d'application des articles 14 et 15 du Code civil

Le domaine d'application ratione personae

Les articles 14 et 15 du Code civil s'appliquent dès lors que l'un des plaideurs a la nationalité française. La compétence des tribunaux français est fondée sur ce seul critère juridique : la nationalité française, et non sur les droits nés des faits litigieux, ainsi qu'en ont décidé les juges dans un arrêt La Métropole en date du 21 mars 1966 1545570309498. Lorsque la cour a décidé que c'est la nationalité des ayants cause et non de leur auteur qui doit être prise en considération pour l'application de ces textes.
Le plaideur peut être une personne physique ou morale. Dès lors qu'elle possède la nationalité française, les tribunaux français pourront être saisis.
Cette nationalité doit être existante lors de l'introduction de l'instance, à la date de l'assignation 1545570342520.
La saisie des tribunaux français fondée sur ce critère de nationalité ne doit pas résulter de la cession d'une créance faisant l'objet d'un litige devant un tribunal étranger, tribunal déjà saisi par le cédant ou dont le cédant a déjà accepté la compétence. Par cette décision rendue dans une affaire Garrett, les juges condamnent la saisine frauduleuse des tribunaux français par collusion entre le cédant et le cessionnaire 1534868174826.

Le domaine d'application ratione materiae

Les articles 14 et 15 du Code civil visent les obligations contractées par ou envers des Français. Mais la jurisprudence a généralisé, dans un arrêt rendu en 1970 Weiss 1545570400001, le privilège de juridiction aux actions patrimoniales et extrapatrimoniales. Par ce même arrêt, les juges ont exclu de l'application de ce privilège de juridiction les actions réelles immobilières et demandes en partage portant sur des immeubles situés à l'étranger, ainsi que les demandes relatives à des voies d'exécution pratiquées hors de France 1534874145854. Ces deux exclusions sont fondées sur le critère de la souveraineté de l'État de situation du bien et de la procédure à exécuter.

Les caractéristiques du privilège des articles 14 et 15 du Code civil

Un caractère subsidiaire

Le privilège de nationalité ne peut être invoqué que si la compétence des tribunaux français ne peut résulter d'aucun autre texte. Ce caractère subsidiaire a été consacré par l'arrêt Cognac and Brandies susvisé. Il convient, en premier lieu, d'appliquer les règles de compétence de droit commun, puis, en second lieu, les privilèges des articles 14 et 15 du Code civil.
Ces articles s'effacent devant des clauses d'attribution de compétence.

Un caractère facultatif

Les articles 14 et 15 du Code civil laissent une possibilité (une dernière) de saisir les tribunaux français, et non une obligation. Cette faculté est consacrée par les arrêts Prieur du 23 mai 2006 et Fercométal du 22 mai 2007. La personne bénéficiaire de ce privilège pourra saisir le tribunal de son choix. Néanmoins, la jurisprudence a posé des contours à cette liberté : le choix doit correspondre soit à l'existence d'un lien de rattachement de l'instance au territoire français, soit aux exigences de bonne administration de la justice. Ce tribunal pourra être celui de son domicile, celui proche d'une frontière, soit un tribunal parisien.
Le plaideur français, demandeur ou défendeur, pourra renoncer respectivement à l'application des articles 14 ou 15 du Code civil, ces textes n'étant pas reconnus d'ordre public. Cette renonciation peut être expresse (clause contractuelle, clause attributive de juridiction, clause compromissoire) ou tacite (action introduite à l'étranger par ses soins, ou acceptée par lui).
Le caractère facultatif exclut l'obligation pour le juge d'appliquer ces textes d'office.
Lorsque le juge est saisi, il doit vérifier que le plaideur a bien la nationalité française. Sa compétence ne peut pas faire obstacle à la compétence du juge étranger si le litige se rattache de manière caractérisée à l'État du juge étranger saisi, et que ce dernier a été saisi sans fraude. Le privilège de juridiction (C. civ., art. 15 en l'espèce) pose un principe de compétence directe, sans incidence sur la compétence indirecte. Ainsi en ont décidé les juges dans l'arrêt Prieur. Ce principe a été étendu à l'article 14 dans l'arrêt Fercométal. En dehors de cette hypothèse, le juge français saisi ne peut refuser sa compétence 1534878951572.
En présence d'un litige pour lequel aucun tribunal ne reconnaît sa compétence, le juge français peut, afin d'éviter le déni de justice 1545570512736, accepter sa compétence à titre exceptionnel et subsidiaire.
Il faut rappeler qu'en tout état de cause, le règlement Bruxelles I bis autorise un demandeur domicilié sur le territoire de l'Union européenne à invoquer à l'encontre d'un défendeur domicilié hors de l'Union européenne les règles de compétence exorbitantes prévues par la législation du pays de son domicile, quelle que soit sa nationalité. Les ressortissants des États tiers domiciliés sur le territoire de l'Union européenne bénéficient également de ce privilège lié au domicile. La convention de Lugano de 2007 prévoit une règle similaire (art. 4-2). Le règlement Bruxelles II bis renvoie au droit commun des États membres lorsqu'aucune juridiction d'un État membre n'est compétente, et donne ainsi la possibilité aux privilèges de juridiction de s'exercer.