Le rattachement objectif

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Le rattachement objectif

L'analyse peut être faite au cas par cas, pour trouver le maximum d'indices en lien avec un ordre juridique. L'analyse peut aussi être faite par classification des rapports de droit dans des ordres juridiques, lesquels ordres juridiques indiqueront les facteurs de rattachement.
Pour Savigny, aucune de ces méthodes n'était envisagée, et selon lui, « le droit local applicable à chaque rapport de droit se trouve sous l'influence de la volonté libre des personnes intéressées qui se soumettent volontairement à l'emprise d'un droit déterminé, bien que cette influence ne soit pas illimitée » 1541076632394.
Le rattachement à une loi se ferait par une soumission libre et volontaire par les parties à ladite loi. En réalité cette soumission volontaire est purement objective pour Savigny qui localise objectivement les rapports de droit en fonction de leur « nature » afin d'en déterminer le « siège ». Le rattachement est donc une « localisation objective des relations de droit privé ». Cette localisation peut se faire soit par le sujet, soit par l'objet, soit par la source en fonction de la nature de la relation 1541077578526.
Alors que la première méthode d'analyse aboutira de toute évidence à un manque d'homogénéité et de prévisibilité au niveau international, la seconde permettra une universalisation des règles et participera à la libre circulation des individus et à une sécurisation du statut de ces derniers.
De surcroît, la première méthode nécessitera obligatoirement l'intervention d'un juge qui « interprétera » les « signes » au cas par cas.
Cette première méthode présentera d'autres désavantages : celui de donner lieu à des interprétations qui pourront varier d'un juge à l'autre, mais aussi celui de ne pas être adéquate à des matières qui ne nécessitent pas l'intervention d'un juge. On peut citer en ce sens les régimes matrimoniaux ou les successions qui sont réglés généralement uniquement par le notaire. Dans le même esprit, la matière contractuelle permet aux parties de déterminer la ou les lois applicables à leur contrat ; le recours à un juge pour déterminer la loi applicable par appréciation au cas par cas ne serait pas acceptable et serait une entrave à la bonne marche de l'économie.
S'agissant de la responsabilité civile délictuelle en matière d'accident de la circulation, pour éviter les difficultés qui seraient engendrées par la méthode de localisation concrète, la Convention de La Haye sur la loi applicable aux accidents de la circulation a prévu un système de règles de conflit de lois avec des points de rattachement abstraitement définis, et des règles hiérarchisées.
En matière de statut personnel, le critère de rattachement doit permettre au statut personnel de rester permanent. Pour une continuité dans le traitement, une même loi doit suivre la personne, peu importe où elle se trouve. Cette permanence a pour but que l'état de la personne n'est pas modifié lorsque la personne change de pays, citons sa capacité juridique pour exemple.
Le statut personnel ne doit pas pouvoir être changé volontairement pour se soustraire à une disposition que notre loi nous interdit, c'est l'idée de l'autorité des lois. Un Français ne pourrait pas aller dans un pays musulman pour bénéficier du statut de la polygamie alors que la loi française le lui interdit.
Les critères traditionnellement retenus en cette matière sont la nationalité ou le domicile (ou la résidence). La cour de Paris avait, dès 1814, décidé que la capacité relevait de la loi nationale 1545550722546. L'article 3, alinéa 3 du Code civil dispose que : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ». Le critère de nationalité présente aujourd'hui plus de fixité que celui du domicile compte tenu des mouvements de population.
Il n'y a toujours pas aujourd'hui un seul et même critère de rattachement retenu pour le statut personnel. Les deux critères n'ont pas la même raison d'être. Le rattachement par la nationalité a une « vocation recognitive » de la spécificité de l'autre. On accepte l'étranger avec son identité culturelle, alors que le rattachement par le domicile a une « vocation intégrative », on privilégie l'immersion de l'individu dans le milieu social effectif où il vit 1545550813714.
Il faut rappeler que le rattachement à la nationalité appliqué aux relations familiales a montré ses limites. À une époque où la femme en se mariant perdait sa nationalité et acquérait celle de son époux, Mme Gensoul, de nationalité française, épouse en 1893 M. Ferrari, de nationalité italienne. Le couple se sépare en 1899, mais l'Italie ne connaissant pas le divorce une séparation de corps est prononcée. Puis Mme Gensoul rentre en France et demande dans un premier temps sa réintégration dans sa nationalité française, puis dans un second temps la conversion de sa séparation en divorce. Une application des lois nationales de chacun des époux aboutit à une solution 1544012541436illogique : monsieur est toujours marié alors que madame ne l'est plus.
D'où le rattachement des effets du mariage à une loi unique : celle de la nationalité commune des époux, à défaut de nationalité commune celle de leur domicile commun, et à défaut de ces deux critères celle de la loi du for 1541150159468.
Les deux critères deviennent ainsi subsidiaires et complémentaires.
Alors qu'une permanence du critère de rattachement pour le statut personnel est nécessaire, le critère de rattachement des biens doit être homogène dans l'espace. Tous les biens situés sur un même territoire doivent être soumis à la même loi, peu importe l'identité ou la nationalité du titulaire des droits. Savigny écrivait à ce propos : « L'objet des droits réels tombant sous nos sens et occupant une place dans l'espace, le lieu où ils se trouvent est en même temps le siège du rapport de droit dont ils fournissent la matière ». La localisation concrète du bien permet de situer le siège du rapport de droit. Selon Battifol : « La meilleure localisation d'un rapport juridique est celle qu'indique son objet matériel, s'il en a un » 1545550965052.
Ainsi, la localisation d'un bien immeuble ne pose pas de problème particulier et une règle, que l'on peut considérer comme universelle, soumet ledit immeuble à la lex rei sitae. Il serait inenvisageable d'ailleurs que d'autres États viennent régir avec leur loi les règles applicables au sol, ou au sous-sol d'un autre État. Portalis disait qu'il « est de l'essence même des choses, que les immeubles dont l'ensemble forme le territoire public d'un peuple soient exclusivement réglés par la loi de ce peuple quoiqu'une partie de ces immeubles puisse être possédée par les étrangers ». L'article 6 du Code civil interdit de déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs.
Il en va également de la sécurité des transactions immobilières de soumettre les biens à la loi de l'État de situation. Peu importe leur nationalité ou leur domicile, les propriétaires doivent pouvoir s'assurer de la sécurité juridique de leur transaction. Sécurité assurée dès lors que les règles sont prévisibles par tous et dès lors que les règles locales impératives, notamment celle de la publicité foncière, vont s'appliquer aux biens.
On peut rappeler que le règlement européen n° 650/2012 sur les successions vient modifier cette règle en mettant fin au morcellement des successions immobilières, appliquant désormais une seule et même loi à l'ensemble du patrimoine du défunt, peu importe sa localisation.
Pour les biens meubles, plusieurs difficultés se posent pour localiser le siège du rapport de droit : leur mobilité ou leur caractère incorporel.
Le bien meuble est, tout comme l'immeuble, localisable matériellement, mais il peut, compte tenu de sa nature, changer de place. Ainsi dans un premier temps le bien meuble a été rattaché à la loi du domicile du propriétaire pour finalement être rattaché, comme l'immeuble, à la loi de sa situation, ce critère de rattachement présentant plus de sécurité juridique pour les transactions que la loi personnelle du propriétaire. En effet, le choix de la loi personnelle comme critère de rattachement aurait trouvé ses limites en présence de plusieurs personnes de statut différent revendiquant le même bien. Mais le choix de la loi de situation du bien mobilier peut perdre de sa pertinence en cas de franchissement par celui-ci des frontières. Le statut du bien meuble sera soumis à la localisation actuelle du bien ; or, si une garantie a été prise dans un pays et que le bien a changé de pays, sauf publicité particulière, les créanciers perdront leur garantie ; seule la situation actuelle du bien, la seule à être connue, est opposable aux tiers 1541166955400.
La localisation devient métaphorique lorsqu'il s'agit d'un bien meuble incorporel. La localisation d'une créance ou d'un droit de propriété intellectuel sera alors fictive 1541169971507.
En ce qui concerne l'obligation, comment trouver le siège de droit ? Comme le meuble incorporel, l'objet de l'obligation est immatériel, et n'occupe pas de place dans l'espace. Il faudrait alors lui donner corps « en cherchant dans son développement naturel des apparences visibles auxquelles [rattacher] la réalité invisible de l'obligation » 1541173979314.
L'obligation contractuelle est rattachée à une loi par les parties elles-mêmes puisqu'elles ont toute latitude pour choisir la loi applicable à leur contrat 1545551222826. Mais en cas d'absence de choix ou d'incertitude sur ce choix, se posera alors la question de la localisation du siège du rapport de droit.
Parmi les solutions, la nationalité commune des parties avait été envisagée. Dans un contexte international, les différences de nationalité étant très fréquentes, ce critère ne pouvait être pertinent.
Le droit international privé des contrats suisse connaissait deux règles : « la petite coupure » (kleine Spaltung) qui soumettait chaque obligation à la loi du lieu de son exécution et la « grande coupure » (grosse Spaltung) qui soumettait la formation à la loi du lieu de conclusion du contrat, et ses effets à la loi de chaque obligation. Cette méthode posait encore plus de difficultés 1545551294916. Le droit suisse posa alors le principe d'une loi unique dans un arrêt Chevalley rendu le 12 février 1952, en énonçant que le rattachement se fait par l'obligation caractéristique du rapport de droit et abandonne le système de la coupure 1541178146557. La Convention de Rome du 19 juin 1980 et le règlement Rome I du 17 juin 2008 1545551381364soumettent, en l'absence de choix, le contrat à une loi unique : la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle. La prestation caractéristique une fois déterminée, il convient de la localiser ; c'est la résidence habituelle de la personne qui fournit la prestation caractéristique qui sera retenue. S'il fallait trouver une justification à ce choix plutôt qu'à celui de la résidence habituelle du créancier de la prestation caractéristique, il faudrait regarder la situation sous un angle économique. La volonté du législateur européen est d'avantager le commerce international en privilégiant celui qui exerce cette activité même au-delà de ses frontières, ainsi toutes ses activités seront soumises à la même loi, celle de sa résidence habituelle, peu importe le domicile de ses cocontractants.
En matière d'obligations non contractuelles, le règlement Rome II 1544015265000est venu harmoniser les règles de conflit en fixant une règle de rattachement unique : la lex loci damni. En l'absence de choix exprimé par les parties, le rattachement sera déterminé par le « lieu de survenance du dommage ».
L'article 4 de la convention précise qu'à défaut de choix de loi, le régime est par principe soumis à la loi interne de l'État sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage. Il existe des dérogations assez complexes en faveur de la loi de l'État de la nationalité commune des époux et développées dans l'article 4, 1 à 3. Cette loi sera notamment retenue lorsque les époux n'établissent pas sur le territoire du même État leur première résidence habituelle après le mariage. Enfin, si les époux n'ont pas de nationalité commune ni de même résidence après le mariage, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l'État avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits.

La définition du facteur de rattachement

Cette définition trouve sa source dans le système juridique de l'auteur de la règle de droit. Il faut bien distinguer ce travail de celui de la qualification. Il s'agit ici de chercher la définition du critère de rattachement et non de la catégorie de rattachement.
Si la règle trouve sa source dans le droit interne, il faut regarder la définition du facteur de rattachement dans le droit interne.
Si le domicile est le facteur de rattachement, il convient de se référer à l'article 102, alinéa 1 du Code civil : « Le domicile de tout Français, quant à l'exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ». Si la personne est mineure, elle est domiciliée chez ses père, mère ou tuteur 1545551459165.
Si la règle trouve sa source dans une loi étrangère, le facteur de rattachement doit être défini au regard de cette loi étrangère.
Si la règle trouve sa source dans une convention internationale ou européenne, il y a lieu de se référer à ces textes pour la définition.
La Convention de La Haye du 15 juin 1955 sur la loi applicable aux ventes à caractère international d'objets mobiliers corporels (non entrée en vigueur) pour régler les conflits entre la loi nationale et la loi du domicile, définit dans son article 5 le domicile comme le lieu où une personne réside habituellement.
Le règlement européen du 4 juillet 2012 en matière de successions fixe le rattachement des successions à une loi unique, celle de la résidence habituelle du défunt au jour de son décès (art. 4). Pour déterminer la résiduelle habituelle, il faut se référer aux indications données par les considérants 23 et 24 : « L'autorité chargée de la succession devrait procéder à une évaluation d'ensemble des circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès, prenant en compte tous les éléments de fait pertinents, notamment la durée et la régularité de la présence du défunt dans l'État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence. Lorsque, pour des raisons professionnelles ou économiques, le défunt était parti vivre dans un autre État pour y travailler (…) le défunt pourrait, en fonction des circonstances de l'espèce, être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d'origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale ».
Le règlement « Régimes matrimoniaux » du 24 juin 2016 prévoit qu'à défaut de convention sur le choix de la loi applicable, le critère de rattachement premier de la loi applicable au régime matrimonial est la loi de l'État de la première résidence habituelle commune des époux après la célébration du mariage (art. 26).
Il faut remarquer que c'est la notion de résidence et non de domicile qui est utilisée ; la première est une appréciation de fait alors que la seconde est une notion juridique. En l'absence de définition, la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne vient apporter des réponses 1541239677654.

Le cas de pluralité de facteurs de rattachement

La pluralité de facteurs de rattachement se trouve en présence de deux domiciles ou de deux ou plusieurs nationalités. Dans ces cas, à quelle loi rattache-t-on le conflit de lois ?
En présence de deux domiciles, la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires précise dans son article 9 que : « Chaque État contractant peut se réserver (…) le droit de déterminer selon la loi du for le lieu dans lequel le testateur avait son domicile ». Ici la convention renvoie à la loi nationale pour la définition du critère de rattachement.
En présence de plusieurs nationalités, la solution consacrée par la Convention de La Haye du 12 avril 1930 concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité était la suivante :
  • soit l'individu possédait la nationalité de l'État du juge ou du notaire ; le juge ou le notaire appliquait la loi du for conformément à l'article 3 qui stipulait : « Un individu possédant deux ou plusieurs nationalités pourra être considéré, par chacun des États dont il a la nationalité, comme son ressortissant » ;
  • soit l'individu résidait dans un État tiers à l'une de ses nationalités ; le juge ou le notaire devait le traiter comme s'il n'avait qu'une nationalité, et pouvait reconnaître exclusivement, parmi les nationalités que possédait cet individu, soit la nationalité du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle et principale, soit la nationalité la plus effective (art. 5).
Des solutions récentes préconisent de prendre, même lorsque la nationalité du for est en question, la nationalité selon les finalités propres de la règle applicable. Dans l'arrêt Dujacque rendu le 22 juillet 1987 1540881851230, les juges de la Cour de cassation, en présence d'un couple et de leur enfant tous binationaux français et polonais, ont appliqué une convention franco-polonaise à la question du droit de garde de l'enfant franco-polonais, « bien qu'au regard de la loi française, toutes les parties en cause fussent françaises ».
La jurisprudence européenne est venue condamner à plusieurs reprises le choix de la loi du for lorsque les deux nationalités en cause sont celles d'États membres de l'Union. En effet la Cour décide, sur le fondement de la liberté de circulation, que les individus peuvent choisir la loi de l'une de leurs nationalités même si ce n'est pas la loi du for ni celle la plus effective 1540882374905.

Le cas d'absence de facteur de rattachement

Cette absence de facteur de rattachement peut avoir trois causes :
  • soit le rattachement n'existe pas : par exemple la règle de conflit dite « loi de nationalité commune » ; or, celle-ci n'existe pas ;
  • soit le rattachement existe mais n'est pas connu : par exemple s'agissant d'un bien meuble corporel, la règle est celle de la localisation ; or, la situation géographique du bien n'est pas connue ;
  • soit le rattachement ne permet pas de désigner un ordre juridique : citons pour exemple un bien se trouvant dans un espace non soumis à la souveraineté d'un État (haute mer) ou un bien disputé par deux États 1541240844046.
La solution sera alors d'appliquer soit le rattachement subsidiaire s'il existe, soit la règle substantielle du for. En France, le rattachement est la nationalité commune à défaut le domicile commun, à défaut la loi du for.