Mise en œuvre du rattachement : les correctifs

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Mise en œuvre du rattachement : les correctifs

Plusieurs correctifs peuvent venir modifier l'application des règles découlant de l'ordre juridique désigné par le rattachement mis en place par la règle de conflit française.
Il s'agit de la fraude à la loi (§ I), du renvoi (§ II) et de l'ordre public (§ III).

La fraude à la loi

Le renvoi

Le renvoi dans le cadre d'un décès intervenu avant le 17 août 2015

Lorsque le renvoi intervient dans le cadre d'une succession faisant suite à un décès intervenu avant le 17 août 2015, il faut distinguer deux cas.

Le renvoi au premier degré

L'État désigné comme compétent par la règle de conflits française (par ex., lex rei sitae) renvoie, par le jeu de la mise en œuvre de l'élément de rattachement de sa règle de conflit locale (par ex. : loi de nationalité, ou loi de dernier domicile), au droit français.
Le droit français accepte alors sa compétence, car le jeu des règles de conflits des États intéressés par la situation aboutit à l'unicité de la succession. Il convient de noter que l'application de la loi du for facilite de surcroît le règlement de la succession.
Cette construction est d'origine doctrinale et jurisprudentielle.
Depuis l'arrêt Riley du 11 février 2009 1539611909959, le renvoi est admis en matière successorale par le droit français lorsqu'il aboutit à éviter le morcellement et qu'il assure ainsi une unicité de loi applicable.
Cette solution concernait une succession immobilière, elle a été étendue aux successions mobilières dans un arrêt du 23 juin 2010 1539611889810et confirmée encore récemment le 15 mai 2018 1539611897984.

Le renvoi au second degré

L'État désigné comme compétent par la règle de conflit française renvoie, par le jeu de la règle de conflit locale, à l'ordre juridique d'un troisième État.
Le renvoi au second degré trouve son origine dans l'arrêt de Marchi Della Costa 1539612023023.
Il convient alors d'envisager deux cas de figure :
Acceptation de l'offre de compétence
Le troisième État, ainsi désigné, accepte sa compétence. Si ce renvoi facilite le règlement de la succession du défunt en ce qu'il tend vers une unicité de la loi applicable à la succession de ce dernier, il serait possible de penser que le droit français accepte alors ce renvoi et décline ainsi sa compétence du for. Il n'existe pas à ce jour de jurisprudence concernant cette hypothèse.
Refus de l'offre de compétence
Pour le cas où ce renvoi au second degré n'est pas accepté par le troisième État désigné, il y aura lieu de constater l'échec du raisonnement conflictuel.
On se trouve alors dans l'hypothèse du « cercle vicieux ».
Le droit international du troisième État renvoie :
  • soit au droit international privé du second État, il en ressort un phénomène de va-et-vient incessant ;
  • soit au droit international privé d'un quatrième État.
De tels cas sont jusqu'alors purement théoriques en ce qu'ils n'ont, à ce jour, jamais donné lieu à des décisions jurisprudentielles.
Plusieurs solutions sont envisageables pour résoudre la difficulté ainsi soulevée. Il sera possible :
  • d'appliquer la loi matérielle du for, en invoquant la théorie du forum necessitatis qui donne une vocation subsidiaire de la loi du for. Il sera alors fait application de la loi matérielle française à l'ensemble de la succession. L'objectif d'unicité de la succession est ainsi assuré. Certains reprochent cependant à cette solution d'être teintée d'unilatéralisme ;
  • de forcer la règle de conflit, et d'appliquer ainsi la loi successorale matérielle de l'État désigné par la règle de conflit du deuxième État, lui-même désigné par la règle de conflit française. Dans cette hypothèse, le droit international privé du troisième État n'est pas appliqué. Il peut être opposé à cette solution une certaine automaticité et objectivité qui peuvent contrevenir au principe de recherche de la proximité de rattachement ;
  • de « s'en remettre au système de droit international privé de la loi désignée par la règle de conflit du for. Si celui-ci écarte le renvoi, on appliquera la loi qu'il désigne. S'il accepte au contraire le renvoi qui lui est fait par la loi tierce, on appliquera sa propre loi » 1539612073663. Cette solution est préconisée par les professeurs Henri Batiffol et Paul Lagarde, elle présente l'intérêt d'être plus modérée ;
  • d'appliquer la loi matérielle de l'État désignée par la règle de conflit française. Cette solution est fondée sur le principe que l'essence même du renvoi est de poursuivre un objectif de coordination. Si le jeu du renvoi n'assure pas celui-ci, il convient de l'écarter et d'appliquer ainsi la loi matérielle désignée par la règle de conflit française.
Dans un tel contexte et face à ces différentes options n'ayant fait l'objet d'aucune prise de position jurisprudentielle, il semble prudent de considérer que le praticien devra appliquer l'analyse permettant d'aboutir à l'unicité de la loi applicable.
La solution ainsi dégagée devra faire l'objet d'un exposé dans les actes que dressera le praticien, afin d'attirer l'attention des parties sur le fait qu'en cas de contentieux, il existe un aléa sur la détermination de la loi applicable ainsi retenue du fait de l'absence actuelle de jurisprudence.

Le renvoi dans le cadre d'un décès intervenu après le 17 août 2015

Le règlement (UE) n° 650/2012 assure une convergence des règles de conflit de lois. Il ne peut donc pas y avoir de cas de renvoi entre les États membres.
Le renvoi ne peut plus se présenter qu'en présence d'un État tiers.
Le règlement encadre ces cas de renvoi. Son article 34 dispose en effet :
« 1. Lorsque le présent règlement prescrit l'application de la loi d'un État tiers, il vise l'application des règles de droit en vigueur dans cet État, y compris ses règles de droit international privé, pour autant que ces règles renvoient :
  • à la loi d'un État membre ; ou
  • à la loi d'un autre État tiers qui appliquerait sa propre loi ».
Le règlement prévoit deux hypothèses :
  • celle du renvoi à la loi d'un État membre.Dans ce cas, le renvoi peut être appliqué jusqu'au deuxième degré. Le jeu du renvoi peut ainsi aboutir à une application tant de la loi matérielle du for que de celle d'un autre État membre ;
  • celle du renvoi à la loi d'un État tiers qui accepte sa compétence.
Il n'y a alors pas de difficulté. C'est la loi matérielle de cet État tiers qui est appliquée.
Il existe cependant plusieurs exceptions à ce principe, visées par le 2 : « 2. Aucun renvoi n'est applicable pour les lois visées à l'article 21, paragraphe 2, à l'article 22, à l'article 27, à l'article 28, point b), et à l'article 30 ».
Il résulte des termes l'article 34 du règlement n° 650/2012, et plus généralement de l'analyse qui précède dans ce rapport que le renvoi ne trouvera pas application dans cinq cas :
  • en présence d'une loi de police 1539612122565 ;
  • lorsque la loi désignée est celle d'un État tiers, et que celui-ci n'accepte pas sa compétence 1539612130649 ;
  • en matière de validité des actes juridiques 1539612135181 ;
  • lorsque la loi désignée l'a été au moyen de l'utilisation de la clause d'exception 1539612139550 ;
  • quand le défunt a réalisé un choix de loi 1539612149149.
Lorsque l'État tiers n'accepte pas sa compétence, une analyse plus approfondie s'impose. En effet, la réaction de l'État qui subit le rejet du renvoi doit être prise en compte.
Deux cas de figure sont alors à envisager :
  • l'État qui subit le rejet du renvoi prévu par l'article 34 du règlement accepte sa compétence de manière subsidiaire.À titre d'exemple, la Grande-Bretagne renvoie la compétence à la loi française pour les immeubles, la France rejette le renvoi du fait de l'application de l'article 34, pour le cas où le défunt a réalisé une professio juris. La Grande-Bretagne acceptera de traiter l'intégralité de la succession du défunt du fait qu'elle accepte sa compétence de manière subsidiaire dans les situations de blocage.Il n'y a alors pas de problème. On notera que l'article 34 assure ainsi son objectif d'unicité de la succession ;
  • l'État qui subit le rejet du renvoi prévu par l'article 34 du règlement rejette sa compétence, car il n'est pas prévu de compétence subsidiaire dans son ordre juridique.Sur le fondement de la théorie du forum necessitatis, il sera alors permis à la loi française de trouver application en vertu de la compétence subsidiaire du for que prévoit le règlement.
Cette analyse invite à considérer que le renvoi n'est pas un mécanisme obligatoire. Il doit être écarté lorsqu'il aboutit à une rupture du principe d'unité dont dispose le règlement (UE) n° 650/2012.
Le professeur Johanna Guillaumé estime que « de la même façon que le juge français ne fait jouer le renvoi que s'il parvient à atteindre un certain résultat matériel, le juge ou le notaire qui applique le règlement ne devrait le faire jouer que s'il permet de respecter l'unité juridictionnelle et législative, d'une part, et l'unité de la loi applicable, d'autre part » 1539612233041. Il y a lieu de noter que le considérant 57 du règlement poursuit l'objectif d'éviter le dépeçage de la succession et précise qu'il y a lieu « d'accepter ce renvoi, afin de garantir une cohérence au niveau international ».

Le renvoi en matière successorale : droit comparé

Mme Mariel Revillard précise qu'il ressort soit de la législation interne, soit de la jurisprudence locale des États concernés, que le renvoi est :
  • exclu par les États suivants : Algérie, Brésil, Canada, Québec, Chine, Danemark, Égypte, Émirats arabes unis, Grèce*, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Norvège, Pays-Bas*, Pérou, République dominicaine, Somalie, Soudan, Suède*, Syrie, Tunisie ;
  • admis au premier degré dans les États suivants : Albanie, Argentine, Belgique*, Congo, Cuba, Espagne*, Estonie*, Hongrie*, Japon, Liechtenstein, Lituanie*, Luxembourg*, Mexique, Pologne*, Portugal*, Roumanie*, Russie, Sénégal, Suisse, Thaïlande, Togo, Vietnam ;
  • admis au premier et au second degré dans les États suivants : les États membres** adhérant au règlement (UE) n° 650/2012, l'Allemagne*, l'Autriche*, le Burkina Faso, la Finlande*, la France*, l'Italie*, le Royaume-Uni, la Turquie, le Venezuela.
* Avant l'entrée en application du règlement  (UE) n° 650/2012.
** Depuis l'entrée en application du règlement  (UE) n° 650/2012.
Pour certains États, le renvoi n'est admis que dans certaines conditions uniquement, il convient donc par prudence de se reporter à son ouvrage 1539612264730.
C'est au moyen de l'ensemble des règles de qualification et de conflit qui viennent d'être exposées que la loi matérielle applicable à la succession peut être déterminée.
Si le raisonnement aboutit à l'application de la loi française, le notaire, après avoir fait l'exposé de la détermination de la loi applicable ayant conduit à l'application de la loi française, devra utiliser les règles successorales bien connues de la pratique notariale pour déterminer qui sont les héritiers du défunt. Il n'y a alors aucune difficulté dans cette situation.
En revanche, lorsque le raisonnement conflictuel mené à son terme aboutit à la désignation d'une loi matérielle étrangère, il conviendra de vérifier la compatibilité de celle-ci avec l'ordre public du for.

L'application de la loi matérielle étrangère : la question de l'ordre public international

Dans l'hypothèse où la loi matérielle devant s'appliquer à la succession du défunt est une loi étrangère, le notaire sera confronté à la recherche du contenu de celle-ci.
Une fois le contenu de celle-ci appréhendé, le notaire français devra s'assurer que ce contenu ne heurte pas l'ordre public du for.
Il est ici primordial de rappeler que l'ordre public international ne doit pas être confondu avec l'ordre public de droit interne. En droit interne, l'expression « règles d'ordre public » vise des règles d'application impérative, auxquelles les parties ne peuvent pas se soustraire conventionnellement.
L'article 35 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose : « L'application d'une disposition de la loi d'un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for ».
Le considérant 50 du présent règlement apporte la précision suivante : « La loi qui, en vertu du présent règlement, régira la recevabilité et la validité au fond d'une disposition à cause de mort ainsi que, en ce qui concerne les pactes successoraux, les effets contraignants d'un tel pacte entre les parties, devrait être sans préjudice des droits de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut prétendre à une réserve héréditaire ou jouit d'un autre droit dont elle ne peut être privée par la personne dont la succession est concernée ».
Il convient de noter que le règlement vise indifféremment les dispositions de toutes lois étrangères, qu'il s'agisse de celles d'un État membre ou celles d'un État tiers. Il est également possible d'en déduire que l'application de la loi étrangère doit être appréciée au regard du respect de l'ordre public international du for indifféremment selon qu'elle ait été choisie par le défunt (dans le cadre d'un choix de loi) ou qu'elle résulte de l'application de l'élément de rattachement s'appliquant en l'absence de choix.
Dans une opération d'estate planning, l'opportunité de l'utilisation de la professio juris au profit d'une loi étrangère devra donc être appréciée notamment au regard de l'ordre public international du pays dans lequel cette loi a vocation à produire des effets.
En pratique, il sera rare que la loi d'un État membre heurte l'ordre public international d'un autre État membre.
En effet, d'une part, les États membres, parce qu'ils sont membres de l'Union européenne, bien que présentant de nombreuses différences, sont régis par les mêmes grands principes qui assurent de fait une certaine harmonisation des concepts culturels, politiques et sociologiques au sein de ce groupe. Ils ont notamment tous adhéré à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et sont tous parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
D'autre part, le règlement (UE) n° 650/2012 assure une convergence entre le for et le jus, en ce qu'il réalise une unité entre la compétence de juridiction et la loi applicable. Ce qui par là même réduit considérablement le jeu de l'exception de l'ordre public entre États membres.
La réaction de l'ordre public est plus fréquente lorsque la loi matérielle applicable s'avère être celle d'un État tiers. Plus les valeurs fondamentales dont dispose la loi applicable sont éloignées de celles du for, plus le seuil de réaction de l'ordre public international du for est bas.
En matière successorale, dans les cas où la loi étrangère semble faire réagir l'ordre public international français, le notaire peut avoir à mener plusieurs analyses.

Rejet d'une loi matérielle qui viendrait contrarier l'ordre juridique du for

Lorsque la loi étrangère est reconnue compétente, et que son contenu contrarie l'ordre public international français, elle peut être écartée.
C'est l'exception d'ordre public international.
Ce mécanisme d'éviction ne peut jouer :
  • qu'à l'issue du raisonnement conflictuel ;
  • qu'au profit de l'application de la loi matérielle française ;
  • que de façon exceptionnelle après qu'une appréciation in concreto du résultat découlant de l'application de la loi matérielle étrangère a été réalisée ;
  • et par voie de conséquence, elle ne joue que contre le résultat qui découle de la loi matérielle étrangère applicable et non contre la loi étrangère elle-même.
L'exception d'ordre public international est une construction jurisprudentielle ; elle impose aux juges et, par voie de conséquence, selon l'esprit du règlement (UE) n° 650/2012, à la juridiction saisie ou au notaire 1539612302790en charge du règlement de la succession, un travail d'évaluation de l'atteinte à l'ordre public que provoquerait l'application de la loi étrangère.
Il faut rappeler que, selon l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
Ainsi, le droit français reconnaît :
  • le principe d'égalité des époux 1539612405608 ;
  • le principe d'égalité des parents 1539612410541 ;
  • le principe du droit à une filiation 1539612415926 ;
  • le principe d'ordre public alimentaire 1539612421126 ;
  • le principe d'indisponibilité de l'état des personnes 1539612425095.
Également, comme à l'occasion de l'arrêt Mazurek 1539612436381rendu en matière successorale, il peut être retenu pour fondement l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit toute distinction fondée notamment sur « le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
Est également admise à faire jouer l'exception d'ordre public l'application de lois étrangères aboutissant à des situations faisant état de discriminations liées à la race, au sexe 1539612459767, ou à la religion 1539612465951.
Parfois le notaire peut avoir à mener une analyse différente.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il semble prudent d'utiliser le mécanisme de l'exception d'ordre public international dans les cas suivants :
  • succession dans laquelle le défunt est musulman, si la loi matérielle étrangère aboutit à exhéréder les héritiers non-musulmans par application du privilège de religion applicable dans cet État ;
  • succession dans laquelle le défunt est musulman, si la loi matérielle étrangère aboutit à allotir dans une moindre proportion les héritiers de sexe féminin, sauf prise en compte de l'atténuation de l'ordre public international dont il sera question ci-après ;
  • succession appliquant le droit d'aînesse : idem.

Accueil dans certaines circonstances des effets d'une loi matérielle jugée habituellement contraire à l'ordre public international du for : l'ordre public atténué

Dans certaines circonstances fondées sur le principe de la continuité du statut juridique des personnes dont la situation a déjà été tranchée, le résultat de la loi applicable pourtant contraire à l'ordre public international du for ne sera pas écarté.
C'est l'ordre public atténué ou l'ordre public de proximité.
Cet effet atténué consiste à dire que l'ordre public peut ne pas s'opposer à l'effet en France de situations créées à l'étranger alors qu'il s'opposerait à la création de ces situations en France.
Cet effet atténué revient à considérer que l'ordre public français peut ne pas s'opposer à l'effet de situations ayant régulièrement pris naissance à l'étranger, bien qu'il s'opposerait à la création de ces situations sur le territoire français.
Cet effet atténué est consacré par l'arrêt Rivière 1539612680766dans l'un de ses attendus : « La réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».
L'ordre public atténué ne peut jouer qu'exceptionnellement et à trois conditions :
  • il s'agit d'un droit acquis sans fraude ;
  • à l'étranger ;
  • et en conformité par rapport à la loi applicable selon le droit français.
Dans une autre matière, la Cour de cassation a accepté que la seconde épouse d'un mariage polygame obtienne une pension alimentaire alors que le mariage polygamique est interdit en France : « Lorsqu'il s'agit de reconnaître des droits acquis à l'étranger, l'effet de la situation qui y a déjà produit ses effets est moins perturbateur pour l'ordre juridique français. Dans ce cas, seul un degré élevé de contrariété de la loi étrangère aux conceptions françaises justifie une intervention de l'ordre public. Celui-ci produit alors un effet atténué, cette moindre réaction étant, notamment, fonction du temps passé entre la situation juridique cristallisée à l'étranger et la reconnaissance en France de ses effets ».
L'intervention de l'ordre public international nécessite des liens de rattachement suffisants entre le for et la situation juridique en présence. Lorsque la première chambre civile se réfère à la nationalité française ou à la résidence habituelle sur le territoire français de l'une des parties, elle pose le principe d'une exigence de proximité.
La Cour de cassation a ainsi jugé 1539612738404que l'ordre public international ne s'oppose pas à l'acquisition de droits en France à l'occasion d'un mariage polygamique valablement célébré à l'étranger, alors qu'un tel mariage serait interdit en France, alors même que la conception française de l'ordre public international « s'oppose à ce que le mariage polygamique contracté à l'étranger par celui qui est encore l'époux d'une Française produise ses effets à l'encontre de celle-ci » 1539612772132.
À la lumière de ce qui vient d'être développé, il semble qu'il puisse être préconisé de façon innovante, en matière successorale, d'utiliser de l'ordre public international atténué, dans le cas suivant :
– succession dans laquelle le défunt est musulman, la loi matérielle étrangère aboutit à allotir dans une moindre proportion les héritiers de sexe féminin, à la condition qu'il n'y ait pas eu rupture des liens patrimoniaux et familiaux de l'héritier de sexe féminin avec le pays musulman.
Les critères pris en compte pour mesurer le caractère acceptable de l'application de loi étrangère en France seront :
  • la géolocalisation du centre des intérêts de vie de la personne en cause ;
  • la densité des liens avec la France ;
  • et les mesures prises à l'intérieur du système juridique étranger pour corriger l'inégalité successorale (dot, donations, vocation successorale supplémentaire inconnue du droit français…).
L'analyse de l'ensemble de ces situations, notions et grands principes induit que l'ordre public international, s'il permet d'accueillir un effet d'une loi étrangère dans sa version atténuée, ou d'évincer celui-ci lorsqu'il est fait utilisation de l'exception dont il dispose, est amené à évoluer au fil du temps, notamment parce que la société et les mœurs changent.
Au cœur de ces changements, en matière successorale, la position de l'ordre public international vis-à-vis de la réserve héréditaire fut récemment sujet d'actualité.

Ordre public international et réserve héréditaire

À l'occasion de deux décisions du 27 septembre 2017 1539612801378, la Cour de cassation affirme, mettant fin à une controverse doctrinale, que la réserve héréditaire ne fait pas partie de l'ordre public international français.
Dans une situation internationale, le résultat d'une loi étrangère applicable à une succession ne saurait donc être écarté au seul motif que cette loi ne connaît pas la réserve.
Cette décision s'inscrit dans le prolongement de la brèche qu'avait ouverte en France la réforme du droit des successions du 23 juin 2006, instituant la possibilité pour les futurs héritiers de formuler une action en renonciation anticipée à l'action en réduction.
Le règlement (UE) n° 650/2012, quant à lui, prévoit dans son article 35 que la loi étrangère déterminée à l'issue du conflit de lois ne peut être écartée que si elle est « manifestement » incompatible avec l'ordre public international de l'État dans lequel cette loi doit être appliquée.
Cette disposition du règlement traduit clairement la volonté du législateur européen d'éviter l'éviction de la loi étrangère au seul motif qu'elle ignore la réserve héréditaire.
Ainsi, il semble possible de déduire des ces décisions que :
  • les étrangers qui vivent en France ou les Français qui s'installent à l'étranger ont potentiellement plus de liberté testamentaire que les Français résidant sur notre territoire ;
  • qu'à l'avenir, la professio juris, dans le cadre d'une succession soumise à la loi française, pourra être utilisée par les binationaux ou les étrangers comme un moyen de contournement de la réserve héréditaire.
Il convient néanmoins d'analyser ces deux décisions, pour y apporter prudence et tempérament.
Les deux décisions traitent de cas similaires :
Il s'agit d'un Français installé depuis plusieurs dizaines d'années aux États-Unis, en Californie, ayant constitué un trust dans lequel il loge l'intégralité de son patrimoine composé de biens situés en France et aux États-Unis, et dont il désigne pour bénéficiaire sa dernière épouse, qui s'avère ne pas être la mère de ses enfants qui sont majeurs au moment de son décès.
Au décès de ce dernier, les enfants sont privés de tous droits successoraux du fait de l'application de la loi californienne. Ils contestent de ce fait les dispositions prises par le défunt, s'estimant lésés.
Dans leur pourvoi, les enfants soutiennent notamment que la loi désignée par la règle française de conflit de lois, à savoir la loi successorale de Californie, loi du dernier domicile du défunt, est contraire à l'ordre public international français car elle ignore la réserve.
La Cour de cassation écarte cet argument pour le motif suivant : « Attendu qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », et la cour d'ajouter que : « Les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ».
Appliquant un raisonnement qui semble se rattacher à la notion d'ordre public atténué, la Cour de cassation encadre l'application d'une loi étrangère ayant pour résultat une atteinte à la réserve héréditaire :
  • l'atteinte à la réserve ne doit pas s'accompagner de la violation d'un principe du droit français considéré comme essentiel ;
  • les juges motivent leur décision en indiquant que l'installation du défunt en Californie était « ancienne et durable », et par là même excluent le cas de l'application d'une loi étrangère résultant d'une fraude ;
  • la privation de l'application de la réserve doit mettre les héritiers « dans une situation de précarité ou de besoin ».
Il semble alors légitime de devoir se poser un certain nombre de questions :
  • la Cour de cassation rend une décision en présence d'héritiers majeurs, celle-ci aurait-elle été identique en présence d'héritiers mineurs ?
  • qu'est-ce qu'une situation précaire ? Comment apprécie-t-on le niveau de besoin ? Quelle est la conséquence s'il y a apparition d'une situation précaire : réinstaure-t-on la réserve ?
  • comment devient-on en état de dépendance économique ? Celle-ci doit-elle être une conséquence directe de la succession, ou peut-elle lui préexister ?
  • à qui incombent la recherche et l'appréciation de cet état de dépendance ? Le notaire doit-il se livrer à l'exercice périlleux que représente cette appréciation ?
Dans l'affirmative, il appartiendrait à ce dernier de devoir rechercher dans la loi étrangère désignée s'il existe un seuil financier défini en deçà duquel une personne est considérée dans le besoin ou dans une situation précaire.
Certains États disposent d'éléments de référence pouvant servir d'indices (par ex., loi californienne : family provisions ; loi britannique : provision for dependents, etc.)
En l'absence de telles références, une solution pourrait consister à demander un affidavit à un professionnel étranger dans lequel il serait établi que, dans tel ou tel cas qui a été jugé, il a été décidé par la cour que le seuil était de tel ou tel montant.
Pour conclure, en matière de réserve héréditaire, lorsque la loi matérielle française successorale est applicable, les héritiers spoliés par un legs auront une action en réduction.
Lorsque la loi étrangère est applicable, les héritiers auront une action en aliments contre les légataires.

Illustration

M. A est britannique. Il laisse un testament (que l'on supposera valable en la forme) dans lequel il institue M<sup>lle</sup> B, sa concubine, comme légataire universelle. Il a deux enfants d'un premier lit. Il est propriétaire d'un immeuble en France. Il réside habituellement à Londres lors de son décès intervenu le 4 août 2018.

<strong>Hypothèse 1</strong>

M. A n'a pas fait de <em>professio juris</em>. À l'issue du raisonnement conflictuel, il y a aura lieu d'appliquer à l'immeuble français la loi française.

Le notaire devra donc dans ses actes faire un exposé relatant le raisonnement ayant abouti à la détermination des lois applicables à la succession de M. A. Il donnera application au legs de M. A au profit de M<sup>lle</sup>  B et avertira la veuve du risque d'action en réduction du legs par les enfants de M. A privés de leur réserve héréditaire.

L'application de la loi française aboutit à une potentielle action en réduction du legs pour atteinte à la réserve.

<strong>Hypothèse 2</strong>

M. A a fait une <em>professio juris</em> au profit de la loi britannique. À l'issue du raisonnement conflictuel, il y a aura lieu d'appliquer à l'immeuble français la loi britannique.

Le notaire devra donc dans ses actes faire un exposé relatant le raisonnement ayant abouti à la détermination de la loi applicable à la succession de M. A. Il donnera application au legs de M. A au profit de M<sup>lle</sup>  B et avertira la veuve du risque « d'action en aliments » par les enfants de M. A dans l'hypothèse où la privation de leur réserve héréditaire les mettrait dans « une situation de précarité ou de besoin ».