Décès intervenu après l'entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012 (17 août 2015)

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Décès intervenu après l'entrée en application du règlement (UE) n° 650/2012 (17 août 2015)

Pour les décès intervenus à compter du 17 août 2015, il conviendra de déterminer la loi applicable (Sous-section I), puis le cas échéant d'appliquer un certain nombre de correctifs (Sous-section II).

Déterminer la loi applicable

De façon liminaire, il est ici rappelé que le domaine de la loi successorale, que cette méthode de traitement d'une succession s'attache à déterminer, est délimité par l'article 23 du règlement (UE) n° 650/2012.
L'article 23 dispose que :
  • « La loi désignée en vertu de l'article 21 ou 22 régit l'ensemble d'une succession.
  • Cette loi régit notamment :
  • les causes, le moment et le lieu d'ouverture de la succession ; ».Paul Lagarde précise : « L'exclusion du domaine du règlement des questions relatives à la disparition, à l'absence ou à la mort présumée d'une personne physique se limite aux conditions d'établissement de ces situations et non à leurs conséquences successorales » 1539340519653 ;
  • « la vocation successorale des bénéficiaires, la détermination de leurs parts respectives et des charges qui peuvent leur être imposées par le défunt, ainsi que la détermination d'autres droits sur la succession, y compris les droits successoraux du conjoint ou du partenaire survivant ;
  • la capacité de succéder ;
  • l'exhérédation et l'indignité successorale ;
  • le transfert des biens, des droits et des obligations composant la succession aux héritiers et, selon le cas, aux légataires, y compris les conditions et les effets de l'acceptation de la succession ou du legs ou de la renonciation à ceux-ci ;
  • les pouvoirs des héritiers, des exécuteurs testamentaires et autres administrateurs de la succession, notamment en ce qui concerne la vente des biens et le paiement des créanciers, sans préjudice des pouvoirs visés à l'article 29, paragraphes 2 et 3 ;
  • la responsabilité à l'égard des dettes de la succession ;
  • la quotité disponible, les réserves héréditaires et les autres restrictions à la liberté de disposer à cause de mort ainsi que les droits que les personnes proches du défunt peuvent faire valoir à l'égard de la succession ou des héritiers ;
  • le rapport et la réduction des libéralités lors du calcul des parts des différents bénéficiaires ;
  • le partage successoral ».
Il convient de signaler que Mme Mariel Révillard précise l'ensemble de ces points dans son ouvrage Droit international privé et européen : pratique notariale 1539340747241.
Le domaine de la loi successorale ainsi déterminé, il convient d'envisager quelle peut être celle-ci.
Il faudra comme au préalable vérifier l'existence d'une loi de police.
Et ce n'est, là encore, qu'en son absence (§ I) qu'il faudra mettre en place le raisonnement conflictuel (§ II).

Recherche de l'existence d'une loi de police

En présence d'un choix de loi : la professio juris

La loi applicable à la succession du défunt peut résulter d'une manifestation de volonté de celui-ci antérieure ou postérieure au 17 août 2015. Le défunt peut avoir désigné comme loi applicable à sa succession la loi de sa nationalité. Il est dit qu'il réalise une professio juris.
Cette place donnée à l'autonomie de la volonté au sein de la matière successorale par le règlement poursuit l'objectif sous-jacent de garantir la prévisibilité et la stabilité de la loi successorale résultant du choix du disposant.
La professio juris va également permettre de régler la problématique du conflit mobile. En cas de déplacements transfrontaliers successifs, l'anticipation successorale devient en effet délicate du fait du nouvel élément de rattachement que retient le règlement en l'absence de choix 1532946227829. La professio juris va permettre de figer la loi qui sera applicable à la succession au moment du choix. À noter que le disposant conservera la possibilité de révoquer son choix s'il l'estime opportun.
Il convient dans un premier temps de vérifier la validité de la forme du choix (A), avant d'envisager la validité au fond de celui-ci (B).

Validité en la forme du choix de loi

En cas de disposition antérieure au 17 août 2015, il convient de se référer à l'article 83, paragraphe 3 du règlement qui prévoit qu'« une disposition à cause de mort prise avant le 17 août 2015 est recevable et valable quant au fond et à la forme si elle remplit les conditions prévues au chapitre III ou si est recevable sur le fond et en la forme en application des règles de droit international privé qui étaient en vigueur, au moment où la disposition a été prise, dans l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle, dans tout État dont il possédait la nationalité ou dans l'État membre de l'autorité chargée de régler la succession ».
En cas de disposition postérieure au 17 août 2015, l'article 22-2 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose que « le choix est formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d'une disposition à cause de mort ou résulte des termes d'une telle disposition ».
Il convient de souligner que le même article, dans son 4, précise que « la modification ou la révocation du choix de loi satisfait aux exigences de forme applicables à la modification ou à la révocation d'une disposition à cause de mort ».
Comme le soulignent Mes Jean Gasté et Xavier Ricard 1539610665054, le règlement ne donne pas de définition précise de la disposition à cause de mort, il se contente d'énumérer le type d'acte dont il s'agit. Selon l'article 3-1, d) il peut s'agir « d'un testament, d'un testament conjonctif ou d'un pacte successoral ».
L' instrumentum du choix
Une disposition testamentaire autre qu'un pacte successoral
Lorsque le choix de loi a pour instrumentum une disposition testamentaire, il convient de s'assurer de la validité formelle de celle-ci.
En la matière il faut, dans un premier temps, s'intéresser à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires.
Le texte de cette convention est un des points clés du droit international privé positif français.
la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 a été ratifiée par la République d'Afrique du Sud, l'Albanie, Antigua et la Barbade, l'Arménie, l'Allemagne, l'Australie, l'Autriche, la Belgique, la Bosnie-Herzégovine, le Botswana, le Brunei, la République populaire de Chine, la Croatie, le Danemark, l'Espagne, l'Estonie, l'ex-Yougoslavie, Fidji, la Finlande, la France, la Grèce, Grenade, l'Irlande, Israël, l'Italie 1539610711802, le Japon, le Lesotho, le Monténégro, le Luxembourg, l'île Maurice, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal 1539610718797, la Moldavie, le Royaume-Uni, la Serbie, la Slovénie, la Suède, la Suisse, le Swaziland, le Tonga, la Turquie et l'Ukraine.
La convention de La Haye a adopté une position dont l'objectif est la reconnaissance in favorem des dispositions testamentaires laissées par le défunt.
L'article 1er de la convention de La Haye dispose d'un véritable catalogue de cas dans lesquels le testament devra être considéré comme valable en la forme.
« Article premier
Une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi interne :
  • du lieu où le testateur a disposé, ou
  • d'une nationalité possédée par le testateur, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou
  • d'un lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou
  • du lieu dans lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou
  • pour les immeubles, du lieu de leur situation.
Aux fins de la présente Convention, si la loi nationale consiste en un système non unifié, la loi applicable est déterminée par les règles en vigueur dans ce système et, à défaut de telles règles, par le lien le plus effectif qu'avait le testateur avec l'une des législations composant ce système.
La question de savoir si le testateur avait un domicile dans un lieu déterminé est régie par la loi de ce même lieu. »
L'article 4 de la convention de La Haye, précise : « La présente Convention s'applique également aux formes des dispositions testamentaires faites dans un même acte par deux ou plusieurs personnes ». Elle s'applique donc aussi aux testaments conjonctifs.
L'article 27 du règlement (UE) n° 650/2012 intègre les dispositions de la convention de La Haye.
L'article 3 du règlement (UE) n° 650/2012 définit les termes utilisés dans le corps du texte qui le constitue.
Le c) du 1 de cet article 3 définit le testament conjonctif comme « un testament établi par deux ou plusieurs personnes dans le même acte ».
Pour l'appréciation de la validité de la forme, le testament conjonctif est donc assimilé au testament.
Il convient donc de retenir que :
  • la France et les pays ayant ratifié la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 considéreront comme valable en la forme la disposition testamentaire (testament et testament conjonctif) rédigée par le défunt si elle l'a été conformément à une des dispositions alternatives ci-dessus relatées à l'article premier de la convention de La Haye ci-dessus littéralement rapporté ;
  • les autres États membres non parties à la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 considéreront comme valable une telle disposition si elle a été rédigée conformément à une des dispositions alternatives relatées à l'article 27 du règlement.

Le testament conjonctif

En droit interne français, le testament rédigé par plusieurs personnes sur un seul et même support en France n'est pas valide.
L'article 968 du Code civil dispose de la prohibition de cet instrument en stipulant que : « Un testament ne pourra être fait dans le même acte par deux ou plusieurs personnes soit au profit d'un tiers, soit à titre de disposition réciproque ou mutuelle ».
En France, cette prohibition trouve sa justification dans le fait que la liberté individuelle d'établir un testament ne doit souffrir d'aucune influence extérieure.
La Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 31 mars 2016, réaffirme ce principe et entache un tel testament de nullité. Elle précise également que les écrits postérieurs ne peuvent faire revivre le premier testament, car ils ne le reprennent pas en termes exprès.
En revanche, un testament conjonctif rédigé à l'étranger, selon les formes du droit interne, sera considéré comme valable en la forme (sans préjuger de la validité au fond) par la législation française, conformément à la convention de La Haye à laquelle elle est soumise.
Le pacte successoral
L'article 27 du règlement (UE) n° 650/2012 étend l'esprit de la convention de La Haye aux pactes successoraux.
« Article 27 – Validité quant à la forme des dispositions à cause de mort établies par écrit
1. Une disposition à cause de mort établie par écrit est valable quant à la forme si celle-ci est conforme à la loi :
a) de l'État dans lequel la disposition a été prise ou le pacte successoral a été conclu ;
b) d'un État dont le testateur ou au moins une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral possédait la nationalité, soit au moment où la disposition a été prise ou le pacte conclu, soit au moment de son décès ;
c) d'un État dans lequel le testateur ou au moins une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral avait son domicile, soit au moment où la disposition a été prise ou le pacte conclu, soit au moment de son décès ;
d) de l'État dans lequel le testateur ou au moins une des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral avait sa résidence habituelle, soit au moment de l'établissement de la disposition ou de la conclusion du pacte, soit au moment de son décès ; ou
e) pour les biens immobiliers, de l'État dans lequel les biens immobiliers sont situés.
Pour déterminer si le testateur ou toute personne dont la succession est concernée par un pacte successoral avait son domicile dans un État particulier, c'est la loi de cet État qui s'applique.
2. Le paragraphe 1 s'applique également aux dispositions à cause de mort modifiant ou révoquant une disposition antérieure. La modification ou la révocation est également valable quant à la forme si elle est conforme à l'une des lois en vertu desquelles, conformément au paragraphe 1, la disposition à cause de mort modifiée ou révoquée était valable.
3. Aux fins du présent article, toute disposition légale qui limite les formes admises pour les dispositions à cause de mort en faisant référence à l'âge, à la nationalité ou à d'autres qualités personnelles du testateur ou des personnes dont la succession est concernée par un pacte successoral, est considérée comme relevant du domaine de la forme. Il en est de même des qualités que doit posséder tout témoin requis pour la validité d'une disposition à cause de mort. »
Selon l'article 3-1, b), le pacte successoral est « un accord, y compris un accord résultant de testaments mutuels, qui confère, modifie, ou retire, avec ou sans contre-prestation, des droits dans la succession future d'une ou plusieurs personnes partie au pacte ».
Il convient donc de retenir que pour la validité formelle des pactes successoraux, le texte applicable dans les États membres est l'article 27 du règlement (UE) n° 650/2012.
L'expression du choix
Le règlement prévoit que le choix peut être formulé de manière expresse (a) ou de façon implicite (b).
Le choix exprès
Il y a lieu de distinguer selon que la disposition a été prise par le défunt avant (ii) ou après (i) le 17 août 2015.
Disposition prise à compter du 17 août 2015
L'article 22-2 du règlement (UE) n° 650/2012 dispose : « Le choix est formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d'une disposition à cause de mort…) ».
Le choix de loi peut donc être formulé de manière expresse dans une disposition à cause de mort.
L'article 3 du règlement (UE) n° 650/2012 dans son d) précise qu'il faut entendre par « disposition à cause de mort : un testament, un testament conjonctif, ou un pacte successoral ».
Il convient de signaler que la validité formelle du choix ne s'apprécie que dans le respect des conditions de validité de la disposition à cause de mort, et non dans son intitulé « testament », « testament conjonctif » ou « pacte successoral ». Par ailleurs, le choix peut être valablement exprimé de manière autonome sans être compris dans un testament, un testament conjonctif ou un pacte successoral comprenant d'autres dispositions d'ordre dévolutif.
Selon l'article 22-2 in fine du règlement (UE) n° 650/2012, le choix de loi implicite peut résulter des termes d'une disposition à cause de mort.
Force est de constater que les articles du règlement ne donnent pas de précisions sur ce qu'il faut entendre par un choix de loi implicite.
En revanche, le considérant 39 précise que : « Le choix de la loi devrait être formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d'une disposition à cause de mort ou résulter des termes d'une telle disposition. Le choix de la loi pourrait être considéré comme résultant d'une disposition à cause de mort dans le cas où, par exemple, dans sa disposition, le défunt avait fait référence à des dispositions spécifiques de la loi de l'État de sa nationalité ou dans le cas où il avait mentionné cette loi d'une autre manière ».
Le manque de clarté du choix ou le caractère équivoque de celui-ci peut entraîner un aléa quant à la reconnaissance de la validité en la forme de celui-ci.
Il semble évident que, bien que l'esprit du règlement dispose d'une reconnaissance in favorem des dispositions à cause de mort, il faille, pour éviter toute dérive et divergence d'interprétation, ne pas pour autant laisser cours à des interprétations extensives de la volonté implicite du défunt.
À ce titre, plusieurs questions peuvent émerger :
  • le choix implicite doit-il être admis par toute autorité saisie d'une succession ?Il semble cohérent de penser qu'une autorité saisie d'une succession, dépendant d'un État qui ne reconnaît pas la professio juris dans son droit interne, ne doit pas pouvoir reconnaître la validité d'un choix de loi. Seules les autorités d'un État membre ou d'un État tiers dont le droit interne autorise la professio juris doivent pouvoir valider un tel choix 1539610818608 ;
  • le choix de loi implicite peut-il découler de la simple utilisation de la langue utilisée par le disposant ?Certains praticiens arguent du fait que la langue choisie par le défunt pour disposer vaudrait professio juris implicite pour la loi de sa nationalité si elle correspond à cette langue.Cette position ne paraît pas être admissible. En effet, un tel postulat risquerait d'aboutir à des résultats inattendus, incohérents par rapport à la situation d'espèce, voire à des situations insolubles. Dans le cas d'un testament rédigé en anglais par exemple, la langue anglaise correspond-elle à la nationalité britannique ou bahamienne du défunt binational ?Le 115e Congrès des notaires de France invite à ne pas valider cette analyse visant à déduire un seul choix de loi de la langue de rédaction de la disposition, en ce qu'elle risque d'aboutir à des incohérences, voire à des dérives de l'institution de la professio juris telle qu'elle a été mise en place par le règlement (UE) n° 650/2012.La langue ne peut constituer qu'un indice permettant avec d'autres de valider le choix de loi ;
  • l'utilisation d'un outil, un instrument, une institution propre à la loi interne d'un État peut-elle être assimilée à une professio juris implicite ?
Par exemple, en dehors des considérations de validité, l'utilisation d'une donation entre époux, bien connue du droit français, ou d'un trust bien connu du droit anglo-saxon, peut-elle être assimilée à une désignation de loi applicable ?
Là encore, la prudence impose de ne considérer l'instrumentum que comme un indice, qui, s'il converge avec d'autres, permet de reconnaître un choix de loi implicite.
Également, il faudra de surcroît vérifier que l'autorité saisie, qui aura à apprécier la validité de la professio juris implicite, est une autorité d'un État membre ou d'un État tiers dont le droit interne reconnaît la possibilité pour le défunt d'avoir opéré préalablement à son décès une désignation de loi applicable.
L'autorité saisie d'une succession internationale comportant un choix de loi implicite devra donc apprécier in concreto, au vu de l'ensemble de ces éléments, la disposition à cause de mort dont il pourrait être déduit un choix de loi implicite pour se prononcer cas par cas. Le faisceau d'indices aboutissant à une validation de la professio juris implicite devra faire l'objet d'un exposé détaillé dans l'acte que le praticien dressera.
Disposition prise antérieurement au 17 août 2015
L'article 83-2 du règlement (UE) n° 650/2012 dispose : « Lorsque le défunt avait, avant le 17 août 2015, choisi la loi applicable à sa succession, ce choix est valable s'il remplit les conditions fixées au chapitre III ou s'il est valable en application des règles de droit international privé qui étaient en vigueur, au moment où le choix a été fait, dans l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle ou dans tout État dont il possédait la nationalité ».
Cet article permet donc une validation rétroactive d'un choix de loi antérieur au 17 août 2015.
L'article 83-4 du règlement (UE) n° 650/2012 dispose : « Si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du présent règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession ».
Cet article invite à s'interroger sur la problématique suivante : le défunt doit-il avoir eu conscience qu'il avait le choix entre plusieurs lois au moment où il a régularisé la disposition à cause de mort, pour que la professio juris implicite puisse être validée ?
Il n'existe pas à ce jour de position uniforme de la doctrine et de la pratique internationale sur ce point.
Dans un contexte particulier, celui d'une disposition à cause de mort qui serait invalide conformément à la loi objectivement applicable, et, au contraire, valide et efficace si c'est le cas conformément à la loi qui serait choisie implicitement, certains pays comme la Suisse et l'Allemagne reconnaissent la validité de la professio juris implicite en l'absence de conscience du disposant de la faculté de choisir qui lui était offerte, en fondant leur argumentation sur la théorie de la favour validatis 1539610860548.
Encore, comme le soulignent très justement Me Jean Gasté et Xavier Ricard, il ne semble pas possible de considérer qu'une donation entre époux régularisée en France avant le 4 juillet 2012 puisse induire un choix implicite pour la loi française, puisqu'à l'époque, la professio juris n'était pas un mécanisme reconnu par le droit français.
Il semble en outre prudent de retenir que la forme britannique d'un testament ne permet pas d'appliquer la présomption édictée par l'article 83-4 du règlement. Par analogie, l'expression « ou résulte des termes d'une telle disposition » employée dans l'article 22 du règlement laisse entendre que le choix de loi applicable doit résulter directement et seulement du contenu même de l'acte. Toute référence à des éléments extrinsèques doit être écartée 1542790452092.
L'établissement du testament en langue anglaise ou encore la forme dactylographiée constituent des éléments extrinsèques qui ne présument pas de la volonté du défunt de soumettre sa succession à la loi anglaise.
Encore, la constitution d'un trust ou une référence aux dispositions de la Society of trust and estate practionners ne semble également pas suffisante pour induire l'existence d'un choix de loi en faveur de la loi anglaise. Il n'existe à ce jour pas de jurisprudence en la matière, mais cette analyse ne semble pas pouvoir emporter la conviction du praticien.
En effet, il convient de noter que, notamment pour les dispositions antérieures au 4 juillet 2012, le texte du règlement « Successions » était loin d'être finalisé et, comme aujourd'hui, le droit britannique n'offrait pas la possibilité d'option au défunt en faveur de la loi successorale de l'État de sa nationalité. Il est possible de noter de surcroît que la possibilité d'un choix de loi tacite prévu à l'actuel article 22 du règlement ne figurait pas dans la proposition de règlement de 2009. Dans ces conditions, il paraît inconcevable de présumer un choix tacite en faveur de la loi nationale du défunt alors que le droit positif en vigueur lors de la rédaction du testament n'offrait pas cette option.
Le choix implicite
Là encore, il y a lieu de distinguer selon que la disposition a été prise par le défunt avant (ii) ou après (i) le 17 août 2015.
Disposition prise à compter du 17 août 2015
Disposition prise antérieurement au 17 août 2015
Position conseillée
Par mesure de prudence, le 115e Congrès des notaires invite à ne retenir la validité du choix implicite que dans les cas suivants :
  • le choix implicite doit découler uniquement des termes de la disposition à cause de mort ;
  • il ne peut être validé que par une autorité (dont le notaire) dont le système juridique reconnaît le choix de loi ;
  • il doit être apprécié au vu d'un faisceau de plusieurs indices concordants et convergents qui permettront de conclure qu'il est clair et univoque ;
  • le choix de loi implicite ne doit être retenu que s'il permet une unicité de loi applicable à la succession, ou tout au moins s'il facilite le règlement de celle-ci conformément au principe de prévisibilité et de stabilité de la loi successorale dont dispose le règlement ;
  • la personne qui effectue le choix doit avoir eu conscience de l'existence d'un potentiel conflit de lois, et de la possibilité qui lui est offerte d'opter pour une d'entre elles. Ainsi pour les États ne reconnaissant pas le choix de loi dans leur droit interne, il faudra proscrire la professio juris implicite si l'instrumentum est antérieur à la date de ratification du règlement (UE) n° 650/2012.

Validité au fond du choix de loi

La validité au fond du choix de loi applicable doit être appréciée au regard de trois aspects.
Reconnaissance de la professio juris par l'autorité saisie
Le praticien saisi du règlement d'une succession internationale devra appartenir à un ordre juridique reconnaissant le principe même de la professio juris.
Il est possible de dénombrer trois groupes d'États :
  • les États membres : pour lesquels le règlement « Successions » prévoit la reconnaissance de la professio juris à l'article 22 ;
  • les États tiers dont le droit interne prévoit la possibilité de réaliser une professio juris.Les États prévoyant le choix de loi en faveur de la loi nationale en matière successorale sont les suivants : Arménie, Bénin, Biélorussie, Burkina Faso, Canada (Ontario et Québec), Corée du Sud, Kazakhstan, Kirghizistan, Liechtenstein, Monaco, République dominicaine, Suisse et Ukraine (certains États des États-Unis reconnaissent la professio juris : New York [en faveur de la loi new-yorkaise], l'État du Delaware) ;
  • les États tiers dont le droit interne ne prévoit pas cette possibilité.
En présence d'un État du troisième groupe, dans le cadre d'un estate planning international, l'utilisation de la professio juris sera déconseillée.
Le choix ne peut viser que la loi de la nationalité de la personne l'ayant effectué
Le choix de loi contenu dans une disposition à cause de mort ne peut porter que sur la loi de la nationalité du disposant.
La détermination de la nationalité du disposant, au moment de la rédaction de la professio juris ou lors de l'ouverture de la succession du disposant, doit impérativement faire l'objet d'une vérification préliminaire.
Selon l'article 22-1 du règlement (UE) n° 650/2012, « une personne peut choisir comme loi régissant sa succession, la loi de l'État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès ».
Il n'est pas possible de faire porter ce choix sur un autre élément de rattachement.
Ainsi, un choix de loi réalisé en faveur de ce que le disposant identifierait comme être sa résidence habituelle ne pourra pas recevoir une quelconque validité. La « confirmation de résidence habituelle » n'est donc pas valable.
Il en est de même pour un choix de loi qui viserait à soumettre certains biens à leur lieu de situation.
Si le choix de loi doit porter sur la nationalité, force est de constater qu'il ne peut porter que sur une nationalité :
  • que « possède » le disposant.Ce qui induit que si le disposant est un plurinational, une option lui est offerte.Il n'existe dans ce cas pas de hiérarchie entre les différentes nationalités. Le choix est indifféremment alternatif, il n'y a pas lieu de rechercher la nationalité la plus effective.Par suite, un choix de loi réalisé au profit d'une nationalité non effectivement acquise doit être considéré comme invalide.Lorsqu'un individu choisit la nationalité d'un État doté d'un système plurilégislatif, il est fortement conseillé, pour plus de pertinence, que celui-ci précise notamment le système législatif qu'il entend désigner (par ex. : la loi de l'État de Floride, et non la loi américaine) ;
  • « au moment où [le disposant] fait ce choix ou au moment du décès ».
Cette préposition implique que le choix au profit d'une nationalité reste valable quand bien même la situation du disposant évoluerait du fait d'un changement, d'une perte ou d'une déchéance de nationalité 1539610919070.
Validité au fond de la disposition contenant le choix
Il convient d'opérer une distinction entre les dispositions contenant le choix de loi consistant en une disposition testamentaire (regroupant les testaments et les testaments conjonctifs), et celles ayant pour support un pacte successoral.
Dans les deux cas, il conviendra de procéder à une lecture combinée de l'article 26 du règlement (UE) n° 650/2012 avec l'article dédié à l'instrumentum retenu pour opérer le choix de loi.
« Article 26 – Validité au fond des dispositions à cause de mort
1. Aux fins des articles 24 et 25, les éléments ci-après relèvent de la validité au fond :
  • la capacité de la personne qui dispose à cause de mort de prendre une telle disposition ;
  • les causes particulières qui empêchent la personne qui prend la disposition de disposer en faveur de certaines personnes ou qui empêchent une personne de recevoir des biens successoraux de la personne qui dispose ;
  • l'admissibilité de la représentation aux fins de l'établissement d'une disposition à cause de mort ;
  • l'interprétation de la disposition ;
  • la fraude, la contrainte, l'erreur ou toute autre question relative au consentement ou à l'intention de la personne qui dispose.
2. Lorsqu'une personne a la capacité de disposer à cause de mort en vertu de la loi applicable conformément à l'article 24 ou 25, une modification ultérieure de la loi applicable n'affecte pas sa capacité de modifier ou de révoquer une telle disposition. »
L'article 24 a trait aux dispositions testamentaires, l'article 25 quant à lui traite des pactes successoraux.
Validité au fond des dispositions autres que les pactes successoraux
En la matière, c'est une lecture combinée des articles 24 et 26 du règlement (UE) n° 650/2012 qui permet d'appréhender la règle.
Il convient ici, par dérogation au plan choisi, d'analyser la recevabilité au fond des dispositions à cause de mort d'une façon globale (en présence ou en l'absence d'un choix de loi).
L'article 24 précise :
« 1. La recevabilité et la validité au fond d'une disposition à cause de mort autre qu'un pacte successoral sont régies par la loi qui, en vertu du présent règlement, aurait été applicable à la succession de la personne ayant pris la disposition si elle était décédée le jour de l'établissement de la disposition.
2. Nonobstant le paragraphe 1, une personne peut choisir comme loi régissant sa disposition à cause de mort, quant à sa recevabilité et à sa validité au fond, la loi que cette personne aurait pu choisir en vertu de l'article 22, selon les conditions qui y sont fixées.
3. Le paragraphe 1 s'applique, selon le cas, à la modification ou à la révocation d'une disposition à cause de mort autre qu'un pacte successoral. En cas de choix de loi effectué conformément au paragraphe 2, la modification ou la révocation est régie par la loi choisie ».
En présence d'un choix de loi, c'est donc à la loi choisie par le défunt que devra répondre le fond de la disposition testamentaire.
En l'absence d'un choix de loi, c'est la loi découlant de l'application de l'élément de rattachement prévu par l'article 21, celle de la résidence habituelle 1539610982039ou exceptionnellement celle de l'État avec lequel le défunt entretenait des liens manifestement plus étroits 1539610995357, qui s'appliquerait pour préjuger de la validité au fond de la disposition. Dans un tel cas, la recherche de la loi applicable doit être fictivement effectuée comme si le disposant était décédé le jour où il a établi la disposition à cause de mort.
Validité au fond des dispositions constituant un pacte successoral
En droit français interne, un pacte successoral est une convention portant sur la totalité ou une partie des biens qui dépendront de la masse successorale d'une personne vivante.
Le pacte sur succession future est caractérisé s'il réunit quatre éléments :
  • il doit être irrévocable ;
  • il doit porter sur tout ou partie d'une succession ;
  • la succession ne doit pas être encore ouverte, en ce que le décès n'est pas encore intervenu ;
  • il confère un droit éventuel à une personne.
Les pactes successoraux étaient de principe prohibés en France 1539611020286, et ce dans l'objectif de garantir aux individus la possibilité de déterminer jusqu'à leur mort les personnes qui recueilleront leur patrimoine.
Au fil du temps, le législateur a concédé un certain nombre d'exceptions à la règle de la prohibition. On retiendra parmi elles certains pactes autorisés par le droit des sociétés 1539611049217, et d'autres permettant d'organiser sa succession, comme l'action en renonciation anticipée à l'action en réduction, la donation-partage, la donation entre époux de biens à venir, la convention d'indivision prévoyant une faculté de rachat de la part d'un indivisaire par ses coïndivisaires 1539611095245, la libéralité graduelle 1539611103684, la libéralité résiduelle 1539611146498.
L'article 25 du règlement (UE) n° 650/2012 est consacré aux pactes successoraux.
Pour appréhender la validité au fond d'un choix de loi contenu dans un pacte successoral, il convient de combiner l'article 25 avec l'article 26 sus-relaté.
Là encore, par dérogation au plan choisi, pour une meilleure compréhension il convient d'analyser la recevabilité au fond du pacte successoral dans globalité (en présence ou en l'absence d'un choix de loi).
« Article 25 – Pacte successoral
1. Un pacte successoral qui concerne la succession d'une seule personne est régi, quant à sa recevabilité, sa validité au fond et ses effets contraignants entre les parties, y compris en ce qui concerne les conditions de sa dissolution, par la loi qui, en vertu du présent règlement, aurait été applicable à la succession de cette personne si elle était décédée le jour où le pacte a été conclu.
2. Un pacte successoral qui concerne la succession de plusieurs personnes n'est recevable que s'il l'est en vertu de chacune des lois qui, conformément au présent règlement, aurait régi la succession de chacune des personnes concernées si elles étaient décédées le jour où le pacte a été conclu.
Un pacte successoral qui est recevable en vertu du premier alinéa est régi, quant à sa validité au fond et à ses effets contraignants entre les parties, y compris en ce qui concerne les conditions de sa dissolution, par celle des lois visées au premier alinéa avec laquelle il présente les liens les plus étroits.
3. Nonobstant les paragraphes 1 et 2, les parties peuvent choisir comme loi régissant leur pacte successoral, quant à sa recevabilité, sa validité au fond et ses effets contraignants entre les parties, y compris en ce qui concerne les conditions de sa dissolution, la loi que la personne ou l'une des personnes dont la succession est concernée aurait pu choisir en vertu de l'article 22, selon les conditions qui y sont fixées. »
En présence d'un choix de loi, c'est donc au regard de la loi choisie par le défunt que sera analysée la validité au fond du pacte successoral.
En l'absence de choix de loi, il convient de distinguer selon que le praticien est en présence d'un pacte successoral concernant la succession d'une personne ou de plusieurs personnes.
Si le pacte a trait à la succession d'un seul individu, la validité au fond de celui-ci sera appréciée au regard de la loi qui découlerait de l'application des éléments de rattachement prévus à l'article 21 du règlement (résidence habituelle, ou exceptionnellement loi du pays avec lequel le défunt entretenait des liens manifestement plus étroits), si le disposant était décédé le jour de la conclusion du pacte.
Si le pacte gouverne la succession de plusieurs personnes, la validité au fond de celui-ci sera appréciée au regard de chacune des lois qui auraient régi la succession de chacun des disposants s'ils étaient décédés le jour de la conclusion du pacte. Dans ce cas, le cumul des lois applicables aboutit à reconnaître la validité du pacte au fond uniquement si toutes les lois en présence s'y accordent.
Il convient de signaler que ces règles sont applicables à la validité au fond des pactes, mais aussi à leur recevabilité et leurs effets contraignants, en ce compris les conditions de leur dissolution.
L'étude de la validité au fond des dispositions à cause de mort, qui aurait dû être uniquement présentée conformément au plan retenu, sous l'angle du choix de loi, mais qui pour des raisons de meilleure compréhension a été appréhendée dans son ensemble, permet en fait l'introduction de la règle d'application de l'élément de rattachement subsidiaire dont dispose le règlement (UE) n° 650/2012 à défaut de choix de loi : il s'agit de la résidence habituelle du défunt.

En l'absence d'un choix de loi : loi de la résidence habituelle

L'article 21 du règlement (UE) n° 650/2012, énonce : « 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l'ensemble d'une succession est celle de l'État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (…) ».
À défaut de choix, la loi applicable à la succession du défunt sera celle de la résidence habituelle de ce dernier.
Il convient de remarquer que la nationalité du défunt est indifférente. Elle n'est absolument pas prise en considération.
L'élément unique à retenir est la résidence habituelle.
La notion de résidence habituelle n'est pas définie par le règlement et est par conséquent difficile à appréhender.
Il est intéressant de noter que les considérants 23 1539611213284, 24 1539611265744et 25 1539611312824apportent des informations qui permettent de mieux l'appréhender.
Ceux-ci préconisent une approche in concreto, devant permettre de mettre en exergue l'existence d'un « lien étroit et stable avec l'État concerné », en privilégiant la méthode du faisceau d'indices. Ils préconisent également, dans certains cas complexes mettant en jeu des déplacements fréquents et des liens étroits avec au moins deux États, que certains critères (telle la nationalité par exemple) puissent revêtir un caractère prépondérant, susceptible d'emporter l'adhésion du choix du praticien.
On notera que la Convention de La Haye du 1er août 1989 sur la loi applicable aux successions, texte précurseur du règlement (UE) n° 650/2012, prévoyait une utilisation combinée de la nationalité et d'une notion de durée pour déterminer la résidence habituelle 1539611392613. Ces critères n'ont pas été repris stricto sensu par le règlement. Les considérants susvisés commandent néanmoins de garder à l'esprit ces notions pour parvenir à la détermination de la résidence habituelle.
Il est important de rappeler qu'en droit international privé, la notion de résidence habituelle 1539611377084n'est pas transposable d'une matière à une autre 1539611372735.
Il en découle alors la nécessité de rechercher les éléments permettant d'établir un lien étroit et stable avec un État.
Mes Jean Gasté et Xavier Ricard 1539611504139ont dressé un tableau d'indices objectifs permettant de comparer les liens existant entre les différents États en cause et le défunt, et de procéder ainsi à une comparaison.
Il convient de noter que la liste des indices y figurant n'est qu'une proposition d'éléments pouvant être pris en compte, elle ne constitue aucunement une liste exhaustive.
Il existe des cas dans lesquels il sera difficile de déterminer la résidence habituelle du défunt, notamment en présence de travailleurs frontaliers, d'étudiants réalisant des études à l'étranger, de personnes placées en maisons de retraite à l'étranger, etc.
Des décisions de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour de cassation sont attendues à ce sujet.
Si, après cette analyse, la détermination de la résidence habituelle demeure impossible ou si elle aboutit à l'application d'une loi inadéquate, au regard de la situation d'espèce du défunt, il conviendra d'appliquer la clause d'exception prévue au 2 de l'article 21 du règlement.

Détermination de la loi applicable par le jeu de la clause d'exception

L'article 21-2 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose : « 2. Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet État ».
Aussi baptisée « clause de sauvegarde », cette clause d'exception est fondée sur la théorie anglo-saxonne du forum non conveniens 1539611568287.
Elle ne peut jouer que lorsque le défunt n'aura pas effectué de choix de loi.
Cette clause de sauvegarde ne doit pas être utilisée comme « un facteur de rattachement subsidiaire dès que la détermination de la résidence habituelle du défunt au moment de son décès s'avère complexe » ainsi que le précise le considérant 25.
Elle présente l'intérêt de permettre d'éviter l'application de la loi de résidence habituelle lorsqu'il résulte de celle-ci un résultat manifestement inapproprié.
Cependant, il convient de garder à l'esprit que cette clause d'exception peut avoir l'effet pervers d'anéantir la planification successorale qui avait été mise en place, et donc devenir source d'insécurité.
Plus généralement, il peut lui être fait le reproche de s'avérer contraire au principe de prévisibilité de la loi successorale sur lequel se fonde le règlement.
Il en découle que l'utilisation de cette clause doit donc être absolument exceptionnelle.
Elle ne sera possible que :
  • parce que le praticien se trouve dans l'impossibilité de déterminer la résidence habituelle ;
  • ou parce que le rattachement à la résidence habituelle du défunt conduit à des résultats non satisfaisants eu égard au contexte en présence. Là encore, le praticien devra appliquer la méthode du faisceau d'indices pour déterminer que l'ensemble des circonstances de la cause implique la désignation d'une loi applicable plus adéquate que celle qui découlerait de l'application de la loi de résidence habituelle du défunt.
Le notaire choisissant d'avoir recours à la clause d'exception prévue à l'article 21-2 du règlement (UE) n° 650/2012 devra motiver sa décision de manière étayée et exhaustive.
L'application de l'ensemble des règles de conflit du for (qualification et éléments de rattachement) qui vient d'être exposé, auquel sera lié le notaire français, permet de déterminer l'ordre juridique d'un État. Cette désignation d'un ordre juridique peut faire apparaître l'utilisation de correctifs par le praticien.

Attention

Un accord unanime des héritiers au terme duquel le notaire serait requis d'appliquer la clause d'exception ne pourrait être validé s'il n'existe pas de circonstances exceptionnelles permettant son application.

Mise en œuvre du rattachement : les correctifs

Plusieurs correctifs peuvent venir modifier l'application des règles découlant de l'ordre juridique désigné par le rattachement mis en place par la règle de conflit française.
Il s'agit de la fraude à la loi (§ I), du renvoi (§ II) et de l'ordre public (§ III).

La fraude à la loi

Le renvoi

Le renvoi dans le cadre d'un décès intervenu avant le 17 août 2015

Lorsque le renvoi intervient dans le cadre d'une succession faisant suite à un décès intervenu avant le 17 août 2015, il faut distinguer deux cas.
Le renvoi au premier degré
L'État désigné comme compétent par la règle de conflits française (par ex., lex rei sitae) renvoie, par le jeu de la mise en œuvre de l'élément de rattachement de sa règle de conflit locale (par ex. : loi de nationalité, ou loi de dernier domicile), au droit français.
Le droit français accepte alors sa compétence, car le jeu des règles de conflits des États intéressés par la situation aboutit à l'unicité de la succession. Il convient de noter que l'application de la loi du for facilite de surcroît le règlement de la succession.
Cette construction est d'origine doctrinale et jurisprudentielle.
Depuis l'arrêt Riley du 11 février 2009 1539611909959, le renvoi est admis en matière successorale par le droit français lorsqu'il aboutit à éviter le morcellement et qu'il assure ainsi une unicité de loi applicable.
Cette solution concernait une succession immobilière, elle a été étendue aux successions mobilières dans un arrêt du 23 juin 2010 1539611889810et confirmée encore récemment le 15 mai 2018 1539611897984.
Le renvoi au second degré
L'État désigné comme compétent par la règle de conflit française renvoie, par le jeu de la règle de conflit locale, à l'ordre juridique d'un troisième État.
Le renvoi au second degré trouve son origine dans l'arrêt de Marchi Della Costa 1539612023023.
Il convient alors d'envisager deux cas de figure :
Acceptation de l'offre de compétence
Le troisième État, ainsi désigné, accepte sa compétence. Si ce renvoi facilite le règlement de la succession du défunt en ce qu'il tend vers une unicité de la loi applicable à la succession de ce dernier, il serait possible de penser que le droit français accepte alors ce renvoi et décline ainsi sa compétence du for. Il n'existe pas à ce jour de jurisprudence concernant cette hypothèse.
Refus de l'offre de compétence
Pour le cas où ce renvoi au second degré n'est pas accepté par le troisième État désigné, il y aura lieu de constater l'échec du raisonnement conflictuel.
On se trouve alors dans l'hypothèse du « cercle vicieux ».
Le droit international du troisième État renvoie :
  • soit au droit international privé du second État, il en ressort un phénomène de va-et-vient incessant ;
  • soit au droit international privé d'un quatrième État.
De tels cas sont jusqu'alors purement théoriques en ce qu'ils n'ont, à ce jour, jamais donné lieu à des décisions jurisprudentielles.
Plusieurs solutions sont envisageables pour résoudre la difficulté ainsi soulevée. Il sera possible :
  • d'appliquer la loi matérielle du for, en invoquant la théorie du forum necessitatis qui donne une vocation subsidiaire de la loi du for. Il sera alors fait application de la loi matérielle française à l'ensemble de la succession. L'objectif d'unicité de la succession est ainsi assuré. Certains reprochent cependant à cette solution d'être teintée d'unilatéralisme ;
  • de forcer la règle de conflit, et d'appliquer ainsi la loi successorale matérielle de l'État désigné par la règle de conflit du deuxième État, lui-même désigné par la règle de conflit française. Dans cette hypothèse, le droit international privé du troisième État n'est pas appliqué. Il peut être opposé à cette solution une certaine automaticité et objectivité qui peuvent contrevenir au principe de recherche de la proximité de rattachement ;
  • de « s'en remettre au système de droit international privé de la loi désignée par la règle de conflit du for. Si celui-ci écarte le renvoi, on appliquera la loi qu'il désigne. S'il accepte au contraire le renvoi qui lui est fait par la loi tierce, on appliquera sa propre loi » 1539612073663. Cette solution est préconisée par les professeurs Henri Batiffol et Paul Lagarde, elle présente l'intérêt d'être plus modérée ;
  • d'appliquer la loi matérielle de l'État désignée par la règle de conflit française. Cette solution est fondée sur le principe que l'essence même du renvoi est de poursuivre un objectif de coordination. Si le jeu du renvoi n'assure pas celui-ci, il convient de l'écarter et d'appliquer ainsi la loi matérielle désignée par la règle de conflit française.
Dans un tel contexte et face à ces différentes options n'ayant fait l'objet d'aucune prise de position jurisprudentielle, il semble prudent de considérer que le praticien devra appliquer l'analyse permettant d'aboutir à l'unicité de la loi applicable.
La solution ainsi dégagée devra faire l'objet d'un exposé dans les actes que dressera le praticien, afin d'attirer l'attention des parties sur le fait qu'en cas de contentieux, il existe un aléa sur la détermination de la loi applicable ainsi retenue du fait de l'absence actuelle de jurisprudence.

Le renvoi dans le cadre d'un décès intervenu après le 17 août 2015

Le règlement (UE) n° 650/2012 assure une convergence des règles de conflit de lois. Il ne peut donc pas y avoir de cas de renvoi entre les États membres.
Le renvoi ne peut plus se présenter qu'en présence d'un État tiers.
Le règlement encadre ces cas de renvoi. Son article 34 dispose en effet :
« 1. Lorsque le présent règlement prescrit l'application de la loi d'un État tiers, il vise l'application des règles de droit en vigueur dans cet État, y compris ses règles de droit international privé, pour autant que ces règles renvoient :
  • à la loi d'un État membre ; ou
  • à la loi d'un autre État tiers qui appliquerait sa propre loi ».
Le règlement prévoit deux hypothèses :
  • celle du renvoi à la loi d'un État membre.Dans ce cas, le renvoi peut être appliqué jusqu'au deuxième degré. Le jeu du renvoi peut ainsi aboutir à une application tant de la loi matérielle du for que de celle d'un autre État membre ;
  • celle du renvoi à la loi d'un État tiers qui accepte sa compétence.
Il n'y a alors pas de difficulté. C'est la loi matérielle de cet État tiers qui est appliquée.
Il existe cependant plusieurs exceptions à ce principe, visées par le 2 : « 2. Aucun renvoi n'est applicable pour les lois visées à l'article 21, paragraphe 2, à l'article 22, à l'article 27, à l'article 28, point b), et à l'article 30 ».
Il résulte des termes l'article 34 du règlement n° 650/2012, et plus généralement de l'analyse qui précède dans ce rapport que le renvoi ne trouvera pas application dans cinq cas :
  • en présence d'une loi de police 1539612122565 ;
  • lorsque la loi désignée est celle d'un État tiers, et que celui-ci n'accepte pas sa compétence 1539612130649 ;
  • en matière de validité des actes juridiques 1539612135181 ;
  • lorsque la loi désignée l'a été au moyen de l'utilisation de la clause d'exception 1539612139550 ;
  • quand le défunt a réalisé un choix de loi 1539612149149.
Lorsque l'État tiers n'accepte pas sa compétence, une analyse plus approfondie s'impose. En effet, la réaction de l'État qui subit le rejet du renvoi doit être prise en compte.
Deux cas de figure sont alors à envisager :
  • l'État qui subit le rejet du renvoi prévu par l'article 34 du règlement accepte sa compétence de manière subsidiaire.À titre d'exemple, la Grande-Bretagne renvoie la compétence à la loi française pour les immeubles, la France rejette le renvoi du fait de l'application de l'article 34, pour le cas où le défunt a réalisé une professio juris. La Grande-Bretagne acceptera de traiter l'intégralité de la succession du défunt du fait qu'elle accepte sa compétence de manière subsidiaire dans les situations de blocage.Il n'y a alors pas de problème. On notera que l'article 34 assure ainsi son objectif d'unicité de la succession ;
  • l'État qui subit le rejet du renvoi prévu par l'article 34 du règlement rejette sa compétence, car il n'est pas prévu de compétence subsidiaire dans son ordre juridique.Sur le fondement de la théorie du forum necessitatis, il sera alors permis à la loi française de trouver application en vertu de la compétence subsidiaire du for que prévoit le règlement.
Cette analyse invite à considérer que le renvoi n'est pas un mécanisme obligatoire. Il doit être écarté lorsqu'il aboutit à une rupture du principe d'unité dont dispose le règlement (UE) n° 650/2012.
Le professeur Johanna Guillaumé estime que « de la même façon que le juge français ne fait jouer le renvoi que s'il parvient à atteindre un certain résultat matériel, le juge ou le notaire qui applique le règlement ne devrait le faire jouer que s'il permet de respecter l'unité juridictionnelle et législative, d'une part, et l'unité de la loi applicable, d'autre part » 1539612233041. Il y a lieu de noter que le considérant 57 du règlement poursuit l'objectif d'éviter le dépeçage de la succession et précise qu'il y a lieu « d'accepter ce renvoi, afin de garantir une cohérence au niveau international ».

Le renvoi en matière successorale : droit comparé

Mme Mariel Revillard précise qu'il ressort soit de la législation interne, soit de la jurisprudence locale des États concernés, que le renvoi est :
  • exclu par les États suivants : Algérie, Brésil, Canada, Québec, Chine, Danemark, Égypte, Émirats arabes unis, Grèce*, Irak, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Maroc, Norvège, Pays-Bas*, Pérou, République dominicaine, Somalie, Soudan, Suède*, Syrie, Tunisie ;
  • admis au premier degré dans les États suivants : Albanie, Argentine, Belgique*, Congo, Cuba, Espagne*, Estonie*, Hongrie*, Japon, Liechtenstein, Lituanie*, Luxembourg*, Mexique, Pologne*, Portugal*, Roumanie*, Russie, Sénégal, Suisse, Thaïlande, Togo, Vietnam ;
  • admis au premier et au second degré dans les États suivants : les États membres** adhérant au règlement (UE) n° 650/2012, l'Allemagne*, l'Autriche*, le Burkina Faso, la Finlande*, la France*, l'Italie*, le Royaume-Uni, la Turquie, le Venezuela.
* Avant l'entrée en application du règlement  (UE) n° 650/2012.
** Depuis l'entrée en application du règlement  (UE) n° 650/2012.
Pour certains États, le renvoi n'est admis que dans certaines conditions uniquement, il convient donc par prudence de se reporter à son ouvrage 1539612264730.
C'est au moyen de l'ensemble des règles de qualification et de conflit qui viennent d'être exposées que la loi matérielle applicable à la succession peut être déterminée.
Si le raisonnement aboutit à l'application de la loi française, le notaire, après avoir fait l'exposé de la détermination de la loi applicable ayant conduit à l'application de la loi française, devra utiliser les règles successorales bien connues de la pratique notariale pour déterminer qui sont les héritiers du défunt. Il n'y a alors aucune difficulté dans cette situation.
En revanche, lorsque le raisonnement conflictuel mené à son terme aboutit à la désignation d'une loi matérielle étrangère, il conviendra de vérifier la compatibilité de celle-ci avec l'ordre public du for.

L'application de la loi matérielle étrangère : la question de l'ordre public international

Dans l'hypothèse où la loi matérielle devant s'appliquer à la succession du défunt est une loi étrangère, le notaire sera confronté à la recherche du contenu de celle-ci.
Une fois le contenu de celle-ci appréhendé, le notaire français devra s'assurer que ce contenu ne heurte pas l'ordre public du for.
Il est ici primordial de rappeler que l'ordre public international ne doit pas être confondu avec l'ordre public de droit interne. En droit interne, l'expression « règles d'ordre public » vise des règles d'application impérative, auxquelles les parties ne peuvent pas se soustraire conventionnellement.
L'article 35 du règlement (UE) n° 650/2012, dispose : « L'application d'une disposition de la loi d'un État désignée par le présent règlement ne peut être écartée que si cette application est manifestement incompatible avec l'ordre public du for ».
Le considérant 50 du présent règlement apporte la précision suivante : « La loi qui, en vertu du présent règlement, régira la recevabilité et la validité au fond d'une disposition à cause de mort ainsi que, en ce qui concerne les pactes successoraux, les effets contraignants d'un tel pacte entre les parties, devrait être sans préjudice des droits de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut prétendre à une réserve héréditaire ou jouit d'un autre droit dont elle ne peut être privée par la personne dont la succession est concernée ».
Il convient de noter que le règlement vise indifféremment les dispositions de toutes lois étrangères, qu'il s'agisse de celles d'un État membre ou celles d'un État tiers. Il est également possible d'en déduire que l'application de la loi étrangère doit être appréciée au regard du respect de l'ordre public international du for indifféremment selon qu'elle ait été choisie par le défunt (dans le cadre d'un choix de loi) ou qu'elle résulte de l'application de l'élément de rattachement s'appliquant en l'absence de choix.
Dans une opération d'estate planning, l'opportunité de l'utilisation de la professio juris au profit d'une loi étrangère devra donc être appréciée notamment au regard de l'ordre public international du pays dans lequel cette loi a vocation à produire des effets.
En pratique, il sera rare que la loi d'un État membre heurte l'ordre public international d'un autre État membre.
En effet, d'une part, les États membres, parce qu'ils sont membres de l'Union européenne, bien que présentant de nombreuses différences, sont régis par les mêmes grands principes qui assurent de fait une certaine harmonisation des concepts culturels, politiques et sociologiques au sein de ce groupe. Ils ont notamment tous adhéré à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et sont tous parties à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
D'autre part, le règlement (UE) n° 650/2012 assure une convergence entre le for et le jus, en ce qu'il réalise une unité entre la compétence de juridiction et la loi applicable. Ce qui par là même réduit considérablement le jeu de l'exception de l'ordre public entre États membres.
La réaction de l'ordre public est plus fréquente lorsque la loi matérielle applicable s'avère être celle d'un État tiers. Plus les valeurs fondamentales dont dispose la loi applicable sont éloignées de celles du for, plus le seuil de réaction de l'ordre public international du for est bas.
En matière successorale, dans les cas où la loi étrangère semble faire réagir l'ordre public international français, le notaire peut avoir à mener plusieurs analyses.

Rejet d'une loi matérielle qui viendrait contrarier l'ordre juridique du for

Lorsque la loi étrangère est reconnue compétente, et que son contenu contrarie l'ordre public international français, elle peut être écartée.
C'est l'exception d'ordre public international.
Ce mécanisme d'éviction ne peut jouer :
  • qu'à l'issue du raisonnement conflictuel ;
  • qu'au profit de l'application de la loi matérielle française ;
  • que de façon exceptionnelle après qu'une appréciation in concreto du résultat découlant de l'application de la loi matérielle étrangère a été réalisée ;
  • et par voie de conséquence, elle ne joue que contre le résultat qui découle de la loi matérielle étrangère applicable et non contre la loi étrangère elle-même.
L'exception d'ordre public international est une construction jurisprudentielle ; elle impose aux juges et, par voie de conséquence, selon l'esprit du règlement (UE) n° 650/2012, à la juridiction saisie ou au notaire 1539612302790en charge du règlement de la succession, un travail d'évaluation de l'atteinte à l'ordre public que provoquerait l'application de la loi étrangère.
Il faut rappeler que, selon l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
Ainsi, le droit français reconnaît :
  • le principe d'égalité des époux 1539612405608 ;
  • le principe d'égalité des parents 1539612410541 ;
  • le principe du droit à une filiation 1539612415926 ;
  • le principe d'ordre public alimentaire 1539612421126 ;
  • le principe d'indisponibilité de l'état des personnes 1539612425095.
Également, comme à l'occasion de l'arrêt Mazurek 1539612436381rendu en matière successorale, il peut être retenu pour fondement l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui interdit toute distinction fondée notamment sur « le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
Est également admise à faire jouer l'exception d'ordre public l'application de lois étrangères aboutissant à des situations faisant état de discriminations liées à la race, au sexe 1539612459767, ou à la religion 1539612465951.
Parfois le notaire peut avoir à mener une analyse différente.
Au vu de l'ensemble de ces éléments, il semble prudent d'utiliser le mécanisme de l'exception d'ordre public international dans les cas suivants :
  • succession dans laquelle le défunt est musulman, si la loi matérielle étrangère aboutit à exhéréder les héritiers non-musulmans par application du privilège de religion applicable dans cet État ;
  • succession dans laquelle le défunt est musulman, si la loi matérielle étrangère aboutit à allotir dans une moindre proportion les héritiers de sexe féminin, sauf prise en compte de l'atténuation de l'ordre public international dont il sera question ci-après ;
  • succession appliquant le droit d'aînesse : idem.

Accueil dans certaines circonstances des effets d'une loi matérielle jugée habituellement contraire à l'ordre public international du for : l'ordre public atténué

Dans certaines circonstances fondées sur le principe de la continuité du statut juridique des personnes dont la situation a déjà été tranchée, le résultat de la loi applicable pourtant contraire à l'ordre public international du for ne sera pas écarté.
C'est l'ordre public atténué ou l'ordre public de proximité.
Cet effet atténué consiste à dire que l'ordre public peut ne pas s'opposer à l'effet en France de situations créées à l'étranger alors qu'il s'opposerait à la création de ces situations en France.
Cet effet atténué revient à considérer que l'ordre public français peut ne pas s'opposer à l'effet de situations ayant régulièrement pris naissance à l'étranger, bien qu'il s'opposerait à la création de ces situations sur le territoire français.
Cet effet atténué est consacré par l'arrêt Rivière 1539612680766dans l'un de ses attendus : « La réaction à l'encontre d'une disposition contraire à l'ordre public n'est pas la même suivant qu'elle met obstacle à l'acquisition d'un droit en France ou suivant qu'il s'agit de laisser produire en France les effets d'un droit acquis, sans fraude, à l'étranger et en conformité de la loi ayant compétence en vertu du droit international privé français ».
L'ordre public atténué ne peut jouer qu'exceptionnellement et à trois conditions :
  • il s'agit d'un droit acquis sans fraude ;
  • à l'étranger ;
  • et en conformité par rapport à la loi applicable selon le droit français.
Dans une autre matière, la Cour de cassation a accepté que la seconde épouse d'un mariage polygame obtienne une pension alimentaire alors que le mariage polygamique est interdit en France : « Lorsqu'il s'agit de reconnaître des droits acquis à l'étranger, l'effet de la situation qui y a déjà produit ses effets est moins perturbateur pour l'ordre juridique français. Dans ce cas, seul un degré élevé de contrariété de la loi étrangère aux conceptions françaises justifie une intervention de l'ordre public. Celui-ci produit alors un effet atténué, cette moindre réaction étant, notamment, fonction du temps passé entre la situation juridique cristallisée à l'étranger et la reconnaissance en France de ses effets ».
L'intervention de l'ordre public international nécessite des liens de rattachement suffisants entre le for et la situation juridique en présence. Lorsque la première chambre civile se réfère à la nationalité française ou à la résidence habituelle sur le territoire français de l'une des parties, elle pose le principe d'une exigence de proximité.
La Cour de cassation a ainsi jugé 1539612738404que l'ordre public international ne s'oppose pas à l'acquisition de droits en France à l'occasion d'un mariage polygamique valablement célébré à l'étranger, alors qu'un tel mariage serait interdit en France, alors même que la conception française de l'ordre public international « s'oppose à ce que le mariage polygamique contracté à l'étranger par celui qui est encore l'époux d'une Française produise ses effets à l'encontre de celle-ci » 1539612772132.
À la lumière de ce qui vient d'être développé, il semble qu'il puisse être préconisé de façon innovante, en matière successorale, d'utiliser de l'ordre public international atténué, dans le cas suivant :
– succession dans laquelle le défunt est musulman, la loi matérielle étrangère aboutit à allotir dans une moindre proportion les héritiers de sexe féminin, à la condition qu'il n'y ait pas eu rupture des liens patrimoniaux et familiaux de l'héritier de sexe féminin avec le pays musulman.
Les critères pris en compte pour mesurer le caractère acceptable de l'application de loi étrangère en France seront :
  • la géolocalisation du centre des intérêts de vie de la personne en cause ;
  • la densité des liens avec la France ;
  • et les mesures prises à l'intérieur du système juridique étranger pour corriger l'inégalité successorale (dot, donations, vocation successorale supplémentaire inconnue du droit français…).
L'analyse de l'ensemble de ces situations, notions et grands principes induit que l'ordre public international, s'il permet d'accueillir un effet d'une loi étrangère dans sa version atténuée, ou d'évincer celui-ci lorsqu'il est fait utilisation de l'exception dont il dispose, est amené à évoluer au fil du temps, notamment parce que la société et les mœurs changent.
Au cœur de ces changements, en matière successorale, la position de l'ordre public international vis-à-vis de la réserve héréditaire fut récemment sujet d'actualité.

Ordre public international et réserve héréditaire

À l'occasion de deux décisions du 27 septembre 2017 1539612801378, la Cour de cassation affirme, mettant fin à une controverse doctrinale, que la réserve héréditaire ne fait pas partie de l'ordre public international français.
Dans une situation internationale, le résultat d'une loi étrangère applicable à une succession ne saurait donc être écarté au seul motif que cette loi ne connaît pas la réserve.
Cette décision s'inscrit dans le prolongement de la brèche qu'avait ouverte en France la réforme du droit des successions du 23 juin 2006, instituant la possibilité pour les futurs héritiers de formuler une action en renonciation anticipée à l'action en réduction.
Le règlement (UE) n° 650/2012, quant à lui, prévoit dans son article 35 que la loi étrangère déterminée à l'issue du conflit de lois ne peut être écartée que si elle est « manifestement » incompatible avec l'ordre public international de l'État dans lequel cette loi doit être appliquée.
Cette disposition du règlement traduit clairement la volonté du législateur européen d'éviter l'éviction de la loi étrangère au seul motif qu'elle ignore la réserve héréditaire.
Ainsi, il semble possible de déduire des ces décisions que :
  • les étrangers qui vivent en France ou les Français qui s'installent à l'étranger ont potentiellement plus de liberté testamentaire que les Français résidant sur notre territoire ;
  • qu'à l'avenir, la professio juris, dans le cadre d'une succession soumise à la loi française, pourra être utilisée par les binationaux ou les étrangers comme un moyen de contournement de la réserve héréditaire.
Il convient néanmoins d'analyser ces deux décisions, pour y apporter prudence et tempérament.
Les deux décisions traitent de cas similaires :
Il s'agit d'un Français installé depuis plusieurs dizaines d'années aux États-Unis, en Californie, ayant constitué un trust dans lequel il loge l'intégralité de son patrimoine composé de biens situés en France et aux États-Unis, et dont il désigne pour bénéficiaire sa dernière épouse, qui s'avère ne pas être la mère de ses enfants qui sont majeurs au moment de son décès.
Au décès de ce dernier, les enfants sont privés de tous droits successoraux du fait de l'application de la loi californienne. Ils contestent de ce fait les dispositions prises par le défunt, s'estimant lésés.
Dans leur pourvoi, les enfants soutiennent notamment que la loi désignée par la règle française de conflit de lois, à savoir la loi successorale de Californie, loi du dernier domicile du défunt, est contraire à l'ordre public international français car elle ignore la réserve.
La Cour de cassation écarte cet argument pour le motif suivant : « Attendu qu'une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n'est pas en soi contraire à l'ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d'espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels », et la cour d'ajouter que : « Les parties ne soutiennent pas se trouver dans une situation de précarité économique ou de besoin ».
Appliquant un raisonnement qui semble se rattacher à la notion d'ordre public atténué, la Cour de cassation encadre l'application d'une loi étrangère ayant pour résultat une atteinte à la réserve héréditaire :
  • l'atteinte à la réserve ne doit pas s'accompagner de la violation d'un principe du droit français considéré comme essentiel ;
  • les juges motivent leur décision en indiquant que l'installation du défunt en Californie était « ancienne et durable », et par là même excluent le cas de l'application d'une loi étrangère résultant d'une fraude ;
  • la privation de l'application de la réserve doit mettre les héritiers « dans une situation de précarité ou de besoin ».
Il semble alors légitime de devoir se poser un certain nombre de questions :
  • la Cour de cassation rend une décision en présence d'héritiers majeurs, celle-ci aurait-elle été identique en présence d'héritiers mineurs ?
  • qu'est-ce qu'une situation précaire ? Comment apprécie-t-on le niveau de besoin ? Quelle est la conséquence s'il y a apparition d'une situation précaire : réinstaure-t-on la réserve ?
  • comment devient-on en état de dépendance économique ? Celle-ci doit-elle être une conséquence directe de la succession, ou peut-elle lui préexister ?
  • à qui incombent la recherche et l'appréciation de cet état de dépendance ? Le notaire doit-il se livrer à l'exercice périlleux que représente cette appréciation ?
Dans l'affirmative, il appartiendrait à ce dernier de devoir rechercher dans la loi étrangère désignée s'il existe un seuil financier défini en deçà duquel une personne est considérée dans le besoin ou dans une situation précaire.
Certains États disposent d'éléments de référence pouvant servir d'indices (par ex., loi californienne : family provisions ; loi britannique : provision for dependents, etc.)
En l'absence de telles références, une solution pourrait consister à demander un affidavit à un professionnel étranger dans lequel il serait établi que, dans tel ou tel cas qui a été jugé, il a été décidé par la cour que le seuil était de tel ou tel montant.
Pour conclure, en matière de réserve héréditaire, lorsque la loi matérielle française successorale est applicable, les héritiers spoliés par un legs auront une action en réduction.
Lorsque la loi étrangère est applicable, les héritiers auront une action en aliments contre les légataires.

Illustration

M. A est britannique. Il laisse un testament (que l'on supposera valable en la forme) dans lequel il institue M<sup>lle</sup> B, sa concubine, comme légataire universelle. Il a deux enfants d'un premier lit. Il est propriétaire d'un immeuble en France. Il réside habituellement à Londres lors de son décès intervenu le 4 août 2018.

<strong>Hypothèse 1</strong>

M. A n'a pas fait de <em>professio juris</em>. À l'issue du raisonnement conflictuel, il y a aura lieu d'appliquer à l'immeuble français la loi française.

Le notaire devra donc dans ses actes faire un exposé relatant le raisonnement ayant abouti à la détermination des lois applicables à la succession de M. A. Il donnera application au legs de M. A au profit de M<sup>lle</sup>  B et avertira la veuve du risque d'action en réduction du legs par les enfants de M. A privés de leur réserve héréditaire.

L'application de la loi française aboutit à une potentielle action en réduction du legs pour atteinte à la réserve.

<strong>Hypothèse 2</strong>

M. A a fait une <em>professio juris</em> au profit de la loi britannique. À l'issue du raisonnement conflictuel, il y a aura lieu d'appliquer à l'immeuble français la loi britannique.

Le notaire devra donc dans ses actes faire un exposé relatant le raisonnement ayant abouti à la détermination de la loi applicable à la succession de M. A. Il donnera application au legs de M. A au profit de M<sup>lle</sup>  B et avertira la veuve du risque « d'action en aliments » par les enfants de M. A dans l'hypothèse où la privation de leur réserve héréditaire les mettrait dans « une situation de précarité ou de besoin ».