Le juge de l'Union doit appliquer le droit de l'Union européenne. Il recherche à ce titre les principes généraux qui colorent le droit de l'Union et en constituent ses règles tellement essentielles qu'elles s'appliqueraient même en l'absence d'écrit. Ces principes sont au sommet de la hiérarchie au même titre que les traités, et tout manquement à ces principes par des actes des institutions devient illégal. Ces principes peuvent, dès lors qu'ils sont précis et inconditionnels, être invoqués pour écarter une disposition nationale contraire devant le juge national et le juge de l'Union et pour des litiges entre particuliers. Ces principes généraux, dont les sources sont variées (§ I), ont servi à protéger les droits fondamentaux des personnes dans le droit de l'Union (§ II).
Le recours aux principes généraux du droit
Le recours aux principes généraux du droit
Les sources des principes généraux du droit
Le juge envisage trois sources aux principes généraux : les traités (A), l'ordre juridique international (B) et les droits des États membres (C).
Les traités, source des principes généraux du droit
Les traités fondateurs ne précisaient pas les droits applicables à l'Union. Seul l'article 215, alinéa 2 TCE liait le régime de la responsabilité non contractuelle applicable à la Communauté aux « principes généraux communs aux droits des États membres ». L'article 6, § 3 TFUE consacre désormais les principes généraux du droit communautaire.
Mais les traités fondateurs ne comprennent pas de dispositions entérinant les droits fondamentaux de la personne que protègent les principes généraux du droit. De leur côté, les traités entérinant ces droits fondamentaux leur reconnaissent une portée très large de sorte que cela rend inutile le recours aux principes généraux. Ainsi le juge peut se référer, dans tout le domaine d'application du TFUE, à l'article 12, alinéa 1er pour condamner toute discrimination fondée sur la nationalité
1545741512853. Les libertés de circulation et d'établissement, de protection des services constituent aujourd'hui des principes fondamentaux du droit de l'Union au même titre que les principes généraux du droit, et pourront être invoquées en tant que principes généraux
1545741565814. Le nombre des principes généraux du droit communautaire s'est accru. En atteste le principe de l'équilibre institutionnel, de coopération loyale, de primauté, d'effet direct…
L'ordre juridique international, source des principes généraux du droit
Le droit de l'Union étant fondé sur les traités, il est également attaché au droit international. La Cour fait donc appel aux principes généraux du droit international lorsque l'affaire concerne les relations internationales de l'Union et des États membres. Ainsi, dans un arrêt Racke en date du 16 juin 1998
1544286188875, le juge rappelle que les parties doivent respecter le principe Pacta sunt serva, principe qui oblige les parties à un traité à l'exécuter de bonne foi.
Lorsque l'affaire concerne des relations entre l'Union et les États membres ou le juge et les États membres, la Cour opère une distinction en acceptant les principes généraux du droit international qui favorisent l'intégration ou qui sécurisent la protection des droits fondamentaux et rejette ceux qui affaiblissent l'unité au sein de l'Union. À titre d'exemple, le juge a accepté le principe du droit international selon lequel « la caducité des traités ne se présume pas » comme principe général du droit communautaire
1545741603805et a rejeté à de maintes reprises l'exception d'inexécution
1545741627541en refusant d'intégrer en droit communautaire le principe de droit international de recours possible à des contre-mesures par un État en cas inexécution d'une obligation par l'autre partie. La Cour a refusé également de reconnaître comme principe général du droit communautaire le principe de bien-être des animaux, dans une affaire à propos de la validité des actes adoptés par la Communauté pour lutter contre la fièvre aphteuse
1544291680952.
Les droits des États membres, source des principes généraux du droit
Dans sa mission d'éviter tout non liquet, le juge va chercher des principes généraux du droit dans les différents systèmes juridiques des États membres
1545741759509. Dans un arrêt Algera
1544294239009, la Cour de justice explique le raisonnement à adopter : « La Cour est donc obligée de le résoudre en s'inspirant des règles reconnues par les lois, la doctrine et la jurisprudence des États membres ». En l'espèce, il s'agissait du régime de retrait de décisions irrégulières. La Cour reconnaît par cette méthode l'importance des principes reconnus par les États membres dans le droit de l'Union, mais affirme son autonomie par rapport au droit interne.
Le juge doit rechercher des « principes communs » ou « traditions juridiques communes » entre les États pour dégager des principes généraux du droit de l'Union. Ces principes ne doivent pas nécessairement être communs à l'ensemble des États membres, dès lors que les autres États ne s'y opposent pas. Tel a été le cas du principe de proportionnalité et de confiance légitime transposé du droit allemand. Les principes communs une fois établis ont permis au juge de les élever et d'unifier la protection des droits fondamentaux à un niveau européen.
Les droits fondamentaux de la personne
Les traités fondateurs ne mentionnaient pas les « droits fondamentaux » ou « droits de l'homme ». Dans le cadre de la construction du marché commun, seuls les droits nécessaires à celui-ci sont protégés : la liberté de circulation (biens, capitaux, services, personnes) et l'interdiction de la discrimination fondée sur la nationalité et le sexe. Aussi la Cour, pour combler le silence des traités et protéger d'une manière plus large ces droits, s'est référée aux principes généraux du droit, système qui perdure (A). Aujourd'hui tant les traités que la Charte des droits fondamentaux de l'Union qui les complète leur attribuent de nombreuses dispositions ; la Cour les élève au niveau des principes constitutionnels (B).
Les principes généraux du droit, source des droits fondamentaux
En l'absence de dispositions dans les traités fondateurs, le juge a fait appel aux principes généraux du droit pour protéger les droits fondamentaux. La Cour s'est prononcée suite à des décisions rendues par les juridictions allemandes, et notamment l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle allemande le 18 octobre 1967 par lequel la Cour consacrait la possibilité de contrôler des actes communautaires qui risqueraient de porter atteinte aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution allemande
1544302244917.
La Cour avait déjà à de maintes reprises affirmé la primauté du droit communautaire sur le droit des États membres. Dans un arrêt Stauder du 12 novembre 1969, la Cour affirme pour la première fois qu'elle assure le respect des droits fondamentaux de la personne compris dans les principes généraux du droit communautaire et, allant plus loin, dans l'arrêt Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, elle déclare que le droit né des traités communautaires ne peut se voir opposer par les cours nationales des règles de droit interne, quelle que soit leur nature. Le droit communautaire prévaut par conséquent même sur les constitutions des États membres. La Cour décline le contrôle de la validité d'un acte communautaire par les juridictions nationales et se reconnaît compétente pour assurer le respect des droits fondamentaux. Elle précise que le respect de ces droits fait partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assume le respect, et la sauvegarde de ces droits doit être inspirée par les traditions constitutionnelles communes aux États membres et assurée par la Communauté et eu égard aux objectifs de celle-ci.
Dans l'arrêt Nold rendu le 14 mai 1974
1544304383332, le juge complète les sources des principes généraux par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, notamment la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
Les droits fondamentaux garantis par la Convention sont protégés par les principes généraux du droit de l'Union
1545741941589. Ce principe avait été posé par le traité de Maastricht (art. F, § 2) qui stipule que l'Union européenne « respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».
Les droits fondamentaux consacrés principes généraux du droit par le traité de Lisbonne
Le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont proclamé, en décembre 2000 à Nice, la Charte des droits fondamentaux qui a vocation à regrouper et consacrer tous les droits fondamentaux.
Le traité de Lisbonne reconnaît à la Charte des droits fondamentaux une valeur de droit primaire par les dispositions prévues à l'article 6, § 1 : « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ». La Charte énonce, d'une part, des droits et libertés et, d'autre part, des principes qui doivent être mis en œuvre pour produire des effets devant une juridiction, conformément à l'article 52, § 5, de la Charte.
Par ailleurs, l'article 6, § 2 et § 3 du traité de Lisbonne précise que : « L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales… Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux ».
L'article 6 du Traité sur l'Union européenne ne précise pas quelle est la valeur des droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux.
Dans deux arrêts Schmidberger
1544343651886et Omega
1544343572789, la Cour met en balance les libertés fondamentales de circulation reconnues par les traités constitutifs et les droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit, les mettant ainsi au même niveau. Puis, dans l'arrêt Kadi
1544343963742, elle rattache explicitement les « principes généraux dont font partie les droits fondamentaux » au « droit primaire », leur consacrant de facto une valeur constitutionnelle.
Principes généraux et Charte ont la même valeur, aucune hiérarchie n'est prévue. Mais « il n'en demeure pas moins qu'une certaine prééminence fonctionnelle de la Charte apparaît progressivement. Se traduisant par une substitution progressive de la Charte aux principes généraux du droit et par une référence accrue au cadre d'interprétation fixé par les dispositions finales de la Charte, ce phénomène ne devrait toutefois pas empêcher les principes généraux du droit de continuer à jouer un rôle dans la jurisprudence de la Cour »
1544344406187.