La création jurisprudentielle

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La création jurisprudentielle

La Cour de justice de l'Union européenne assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application du droit de l'Union européenne. Cette mission s'étend au droit primaire, au droit dérivé, qu'il soit écrit ou non, et comprend également l'interprétation des accords internationaux conclus par l'Union ou la liant 1545740687862.
Le juge de l'Union dispose en principe de trois compétences : compétences contentieuses, compétences préjudicielles, mais aussi consultatives.
Les compétences contentieuses comprennent le recours en annulation des actes adoptés par les organes communautaires (il permet un contrôle de légalité), le recours en manquement d'États qui vise à sanctionner la transgression par ces derniers des règles communautaires, et le recours en carence des institutions qui sanctionne leur inaction ou leur abstention de prendre une décision prévue par le traité ou dont le besoin se fait sentir.
Les compétences préjudicielles comprennent les questions d'interprétation posées par les juges nationaux.
Et les compétences consultatives comprennent les décisions obligatoires destinées notamment à vérifier la compatibilité d'un accord envisagé par la Communauté et des tiers, avec les traités CEE ou Euratom.
Aucun texte ne prévoit un pouvoir normatif du juge. Néanmoins, le juge, dans le cadre de la mission qui lui est confiée, se révèle créateur de droit 1544181851160par ses méthodes d'interprétation des textes (Sous-section I) et par le recours aux principes généraux du droit (Sous-section II).

Les méthodes d'interprétation

Le juge doit interpréter le droit de l'Union européenne. Il dispose pour cela de quatre méthodes d'interprétation : une méthode subjective (§ I), une méthode textuelle (§ II), une méthode téléologique (§ III) et un raisonnement systémique (§ IV).

La méthode subjective

Le juge va se référer à l'intention de l'auteur des textes. Pour ce faire, il analysera bien évidemment les textes eux-mêmes, mais également tous documents y afférents.
Pour interpréter les traités, le juge n'avait initialement pas accès aux travaux préparatoires qui étaient tenus secrets jusqu'en 1995. Le juge analysait l'intention sous le prisme des objectifs poursuivis, ce qui pouvait conduire à un dépassement des intentions. Les conférences préalables aux traités de révision sont également un outil d'interprétation pour le juge.
Pour interpréter les actes issus du droit dérivé, le juge se réfère, à défaut de documents préparatoires, à la portée du texte tel qu'il a été établi et lui donne le sens qui ressort de son interprétation logique 1544190126836. Pour cela, le juge interprète l'acte à la lumière des motifs qui ont conduit à son adoption, et il incorpore à cette occasion les avis ayant servi de base à la motivation 1545740835431.
La Cour a jugé de manière constante qu'une déclaration inscrite au procès-verbal du Conseil lors de l'adoption d'un texte ne saurait être retenue pour l'interprétation d'une disposition de droit dérivé lorsque le contenu de la déclaration ne trouve aucune expression dans le texte de la disposition en cause et n'a, dès lors, pas de portée juridique 1544191653259.
Il en va de même des déclarations unilatérales d'un État membre 1544192859980.

La méthode textuelle

Le juge raisonne dans cette méthode sur l'utilité des textes. L'interprétation littérale du texte ne doit pas lui faire perdre son utilité 1545741095494et le choix en cas de pluralités d'interprétation doit porter sur celle qui sauvegarde l'effet utile de la disposition 1544193800361.
Le juge a dû connaître également de très nombreux cas de divergences entre les versions linguistiques d'un texte communautaire. La Cour interprète la disposition non pas isolément dans l'une de ses versions, mais en fonction tant de la volonté réelle de son auteur que du but poursuivi par ce dernier, à la lumière notamment des versions établies dans toutes les langues de l'Union 1544195193754.
Le juge doit interpréter le texte, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions du traité et les principes généraux du droit de l'Union. Ainsi le juge refuse d'interpréter une disposition dont le sens est clair et dépourvu d'ambiguïté 1544197205047.

La méthode téléologique

Le juge doit interpréter un texte à la lumière du but qu'il vise ou qu'on lui assigne. Cette méthode complète la méthode littérale quand celle-ci ne suffit pas, ou vient la confirmer, ou s'y substitue dès que nécessaire.
Le juge a considéré que : « Dès lors que les interprétations littérale et historique d'un règlement, et en particulier de l'une de ses dispositions, ne permettent pas d'en apprécier la portée exacte, il y a lieu d'interpréter la réglementation en cause en se fondant tant sur sa finalité que sur son économie générale » 1544198133641.

La méthode systémique

Le juge interprète un texte de l'Union à la lumière de son concept, pour retenir l'interprétation la plus cohérente. Des objectifs des traités comme l'intégration, la Cour a dégagé des principes de libre circulation, de non-discrimination et d'unité. Du système institutionnel prévu dans les traités, la Cour a dégagé des principes, présentés comme des conséquences dudit système, à savoir l'effet direct du droit communautaire 1544200812244, la primauté du droit de l'Union 1544200893226, l'alignement des compétences externes sur les compétences internes de l'union 1544200952030. La Cour a par ailleurs créé le principe de coopération loyale entre les États et les institutions en se fondant, d'une part, sur l'article 10 TCE et, d'autre part, sur la règle imposant aux États et aux institutions un devoir réciproque de coopération et d'assistance loyale.
Elle a admis des recours non prévus par les textes en s'appuyant sur la notion de communauté de droit ou au nom de la sauvegarde de l'équilibre institutionnel.
La Cour est allée jusqu'à l'interprétation contra legem à plusieurs reprises. Dans un arrêt Rosneft rendu le 28 mars 2017 1544202587020, du nom de l'entreprise russe à l'encontre de laquelle certaines mesures restrictives ont été adoptées par l'Union européenne, la Cour reconnaît sa propre compétence pour apprécier la validité de dispositions de la décision 2014/512 dans le cadre d'un renvoi préjudiciel en appréciation de validité alors que ni le TUE ni le TFUE ne prévoient explicitement cette compétence. La Cour avait déjà pris cette position dans un arrêt Foto Frost plus ancien 1544203018463.
Le juge interprète les accords internationaux en fonction des termes dans lesquels il est rédigé ainsi qu'à la lumière de ses objectifs. La Cour rappelle la règle exprimée par les articles 31 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités et de la Convention de Vienne du 21 mars 1986 sur le droit des traités entre États et organisations internationales ou entre organisations internationales, selon lesquels : « Un traité doit être interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but ».
Le juge doit également interpréter de manière conforme à un accord international une règle européenne qui est comprise dans un domaine concerné par celui-ci 1544205389017.

Le recours aux principes généraux du droit

Le juge de l'Union doit appliquer le droit de l'Union européenne. Il recherche à ce titre les principes généraux qui colorent le droit de l'Union et en constituent ses règles tellement essentielles qu'elles s'appliqueraient même en l'absence d'écrit. Ces principes sont au sommet de la hiérarchie au même titre que les traités, et tout manquement à ces principes par des actes des institutions devient illégal. Ces principes peuvent, dès lors qu'ils sont précis et inconditionnels, être invoqués pour écarter une disposition nationale contraire devant le juge national et le juge de l'Union et pour des litiges entre particuliers. Ces principes généraux, dont les sources sont variées (§ I), ont servi à protéger les droits fondamentaux des personnes dans le droit de l'Union (§ II).

Les sources des principes généraux du droit

Le juge envisage trois sources aux principes généraux : les traités (A), l'ordre juridique international (B) et les droits des États membres (C).

Les traités, source des principes généraux du droit

Les traités fondateurs ne précisaient pas les droits applicables à l'Union. Seul l'article 215, alinéa 2 TCE liait le régime de la responsabilité non contractuelle applicable à la Communauté aux « principes généraux communs aux droits des États membres ». L'article 6, § 3 TFUE consacre désormais les principes généraux du droit communautaire.
Mais les traités fondateurs ne comprennent pas de dispositions entérinant les droits fondamentaux de la personne que protègent les principes généraux du droit. De leur côté, les traités entérinant ces droits fondamentaux leur reconnaissent une portée très large de sorte que cela rend inutile le recours aux principes généraux. Ainsi le juge peut se référer, dans tout le domaine d'application du TFUE, à l'article 12, alinéa 1er pour condamner toute discrimination fondée sur la nationalité 1545741512853. Les libertés de circulation et d'établissement, de protection des services constituent aujourd'hui des principes fondamentaux du droit de l'Union au même titre que les principes généraux du droit, et pourront être invoquées en tant que principes généraux 1545741565814. Le nombre des principes généraux du droit communautaire s'est accru. En atteste le principe de l'équilibre institutionnel, de coopération loyale, de primauté, d'effet direct…

L'ordre juridique international, source des principes généraux du droit

Le droit de l'Union étant fondé sur les traités, il est également attaché au droit international. La Cour fait donc appel aux principes généraux du droit international lorsque l'affaire concerne les relations internationales de l'Union et des États membres. Ainsi, dans un arrêt Racke en date du 16 juin 1998 1544286188875, le juge rappelle que les parties doivent respecter le principe Pacta sunt serva, principe qui oblige les parties à un traité à l'exécuter de bonne foi.
Lorsque l'affaire concerne des relations entre l'Union et les États membres ou le juge et les États membres, la Cour opère une distinction en acceptant les principes généraux du droit international qui favorisent l'intégration ou qui sécurisent la protection des droits fondamentaux et rejette ceux qui affaiblissent l'unité au sein de l'Union. À titre d'exemple, le juge a accepté le principe du droit international selon lequel « la caducité des traités ne se présume pas » comme principe général du droit communautaire 1545741603805et a rejeté à de maintes reprises l'exception d'inexécution 1545741627541en refusant d'intégrer en droit communautaire le principe de droit international de recours possible à des contre-mesures par un État en cas inexécution d'une obligation par l'autre partie. La Cour a refusé également de reconnaître comme principe général du droit communautaire le principe de bien-être des animaux, dans une affaire à propos de la validité des actes adoptés par la Communauté pour lutter contre la fièvre aphteuse 1544291680952.

Les droits des États membres, source des principes généraux du droit

Dans sa mission d'éviter tout non liquet, le juge va chercher des principes généraux du droit dans les différents systèmes juridiques des États membres 1545741759509. Dans un arrêt Algera 1544294239009, la Cour de justice explique le raisonnement à adopter : « La Cour est donc obligée de le résoudre en s'inspirant des règles reconnues par les lois, la doctrine et la jurisprudence des États membres ». En l'espèce, il s'agissait du régime de retrait de décisions irrégulières. La Cour reconnaît par cette méthode l'importance des principes reconnus par les États membres dans le droit de l'Union, mais affirme son autonomie par rapport au droit interne.
Le juge doit rechercher des « principes communs » ou « traditions juridiques communes » entre les États pour dégager des principes généraux du droit de l'Union. Ces principes ne doivent pas nécessairement être communs à l'ensemble des États membres, dès lors que les autres États ne s'y opposent pas. Tel a été le cas du principe de proportionnalité et de confiance légitime transposé du droit allemand. Les principes communs une fois établis ont permis au juge de les élever et d'unifier la protection des droits fondamentaux à un niveau européen.

Les droits fondamentaux de la personne

Les traités fondateurs ne mentionnaient pas les « droits fondamentaux » ou « droits de l'homme ». Dans le cadre de la construction du marché commun, seuls les droits nécessaires à celui-ci sont protégés : la liberté de circulation (biens, capitaux, services, personnes) et l'interdiction de la discrimination fondée sur la nationalité et le sexe. Aussi la Cour, pour combler le silence des traités et protéger d'une manière plus large ces droits, s'est référée aux principes généraux du droit, système qui perdure (A). Aujourd'hui tant les traités que la Charte des droits fondamentaux de l'Union qui les complète leur attribuent de nombreuses dispositions ; la Cour les élève au niveau des principes constitutionnels (B).

Les principes généraux du droit, source des droits fondamentaux

En l'absence de dispositions dans les traités fondateurs, le juge a fait appel aux principes généraux du droit pour protéger les droits fondamentaux. La Cour s'est prononcée suite à des décisions rendues par les juridictions allemandes, et notamment l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle allemande le 18 octobre 1967 par lequel la Cour consacrait la possibilité de contrôler des actes communautaires qui risqueraient de porter atteinte aux droits fondamentaux reconnus par la Constitution allemande 1544302244917.
La Cour avait déjà à de maintes reprises affirmé la primauté du droit communautaire sur le droit des États membres. Dans un arrêt Stauder du 12 novembre 1969, la Cour affirme pour la première fois qu'elle assure le respect des droits fondamentaux de la personne compris dans les principes généraux du droit communautaire et, allant plus loin, dans l'arrêt Internationale Handelsgesellschaft du 17 décembre 1970, elle déclare que le droit né des traités communautaires ne peut se voir opposer par les cours nationales des règles de droit interne, quelle que soit leur nature. Le droit communautaire prévaut par conséquent même sur les constitutions des États membres. La Cour décline le contrôle de la validité d'un acte communautaire par les juridictions nationales et se reconnaît compétente pour assurer le respect des droits fondamentaux. Elle précise que le respect de ces droits fait partie intégrante des principes généraux du droit dont elle assume le respect, et la sauvegarde de ces droits doit être inspirée par les traditions constitutionnelles communes aux États membres et assurée par la Communauté et eu égard aux objectifs de celle-ci.
Dans l'arrêt Nold rendu le 14 mai 1974 1544304383332, le juge complète les sources des principes généraux par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l'homme auxquels les États membres ont coopéré ou adhéré, notamment la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950.
Les droits fondamentaux garantis par la Convention sont protégés par les principes généraux du droit de l'Union 1545741941589. Ce principe avait été posé par le traité de Maastricht (art. F, § 2) qui stipule que l'Union européenne « respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu'ils résultent des traditions communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire ».

Les droits fondamentaux consacrés principes généraux du droit par le traité de Lisbonne

Le Parlement européen, le Conseil et la Commission ont proclamé, en décembre 2000 à Nice, la Charte des droits fondamentaux qui a vocation à regrouper et consacrer tous les droits fondamentaux.
Le traité de Lisbonne reconnaît à la Charte des droits fondamentaux une valeur de droit primaire par les dispositions prévues à l'article 6, § 1 : « L'Union reconnaît les droits, les libertés et les principes énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 7 décembre 2000, telle qu'adaptée le 12 décembre 2007 à Strasbourg, laquelle a la même valeur juridique que les traités ». La Charte énonce, d'une part, des droits et libertés et, d'autre part, des principes qui doivent être mis en œuvre pour produire des effets devant une juridiction, conformément à l'article 52, § 5, de la Charte.
Par ailleurs, l'article 6, § 2 et § 3 du traité de Lisbonne précise que : « L'Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales… Les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l'Union en tant que principes généraux ».
L'article 6 du Traité sur l'Union européenne ne précise pas quelle est la valeur des droits fondamentaux consacrés en tant que principes généraux.
Dans deux arrêts Schmidberger 1544343651886et Omega 1544343572789, la Cour met en balance les libertés fondamentales de circulation reconnues par les traités constitutifs et les droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit, les mettant ainsi au même niveau. Puis, dans l'arrêt Kadi 1544343963742, elle rattache explicitement les « principes généraux dont font partie les droits fondamentaux » au « droit primaire », leur consacrant de facto une valeur constitutionnelle.
Principes généraux et Charte ont la même valeur, aucune hiérarchie n'est prévue. Mais « il n'en demeure pas moins qu'une certaine prééminence fonctionnelle de la Charte apparaît progressivement. Se traduisant par une substitution progressive de la Charte aux principes généraux du droit et par une référence accrue au cadre d'interprétation fixé par les dispositions finales de la Charte, ce phénomène ne devrait toutefois pas empêcher les principes généraux du droit de continuer à jouer un rôle dans la jurisprudence de la Cour » 1544344406187.