La procédure de contrôle de l'efficacité des jugements étrangers

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La procédure de contrôle de l'efficacité des jugements étrangers

En présence d'un jugement étranger, le notaire ou le juge peut-il l'appliquer directement ? L'article 509 du Code de procédure civile dispose : « Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers sont exécutoires sur le territoire de la République de la manière et dans les cas prévus par la loi ». Cet article ne vise que l'exécution et pas la reconnaissance.
Un jugement étranger, dès lors qu'il remplit les conditions de régularité, est reconnu de plein droit et a autorité de la chose jugée, à l'exception des jugements patrimoniaux déclaratifs émanant d'États non membres pour lesquels un doute subsiste (§ I). La mise à exécution d'un jugement étranger nécessite, par application des articles 509 du Code de procédure civile et 2412, alinéa 2 du Code civil, la mise en œuvre d'une procédure d'exequatur (§ II).
Il convient ici de préciser que l'expression « le jugement étranger a autorité de chose jugée en France » est impropre, car une norme ne peut avoir d'autorité qu'à l'égard des organes de l'État dont elle émane. Le juge français ne lui confère aucune autorité. Il fait produire des effets à un jugement étranger qui consacre un état de droit.

La reconnaissance de plein droit, ou l'effet de plano des décisions étrangères

Le jugement étranger n'est soumis à aucune formalité préalable pour être reconnu. Néanmoins, il doit remplir les conditions de régularité internationale (V. supra, et s.). La Cour de cassation a admis, à partir de 1860, que les jugements en matière d'état des personnes produisent effet de plein droit. Ce principe a été posé par l'arrêt Bulkley 1545651465552 : une personne régulièrement divorcée à l'étranger peut se remarier en France sans exequatur. La loi interdisait alors le divorce en France 1545651557521et la reconnaissance des divorces étrangers, qui étaient considérés comme contraires à l'ordre public. Cet arrêt pose le principe d'effet de plein droit des jugements étrangers constitutifs de droits, et ce à l'égard même des Français, puisque Mme Bulkley se remariait avec un Français. Cette solution a été étendue à la nullité du mariage dans un arrêt De Wrède du 9 mai 1900, puis à la filiation dans un arrêt des 11 avril et 1er mai 1945.
La Cour de cassation a posé une limite à l'effet de plein droit desdits jugements, dans un arrêt Hainard rendu le 3 mars 1930 1543328408510, lorsque «  les jugements doivent donner lieu à des actes d'exécution matérielle sur les biens ou de coercition sur les personnes ».
Puis la Cour de cassation a reconnu de plein droit les jugements constitutifs de droits, par exemple un jugement conférant une qualité ou un titre en matière patrimoniale, la nomination d'un administrateur dans une succession 1543328796959, un tuteur, un liquidateur en matière de procédures collectives.
S'agissant des jugements patrimoniaux et déclaratifs, ceux-ci ne bénéficiaient pas de la reconnaissance de plein droit, ainsi en avait décidé la Cour de cassation dans un arrêt Negretto rendu le 26 juin 1905 1545651738800. Mais la cour, évoluant dans sa position, a reconnu dans une affaire Locautra 1545651661256le jugement allemand qui annulait une vente et sur le fondement duquel le vendeur réclamait les biens vendus se trouvant en France.
Dans un arrêt de principe Société Miniera du Fragne 1545651775391, la Cour de cassation a jugé recevable l'exception de litispendance internationale en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compétent dès lors que la décision à intervenir à l'étranger était susceptible d'être reconnue en France. Si l'on accepte d'arrêter une procédure en France pour tenir compte d'une future décision qui serait applicable, il n'est plus acceptable de ne pas prendre en compte les décisions étrangères existantes 1534614631623.

Les procédures indépendantes d'un exequatur

Le jugement étranger (constitutif ou relatif à l'état ou la capacité des personnes) bénéficie d'une reconnaissance de plein droit. Ce jugement peut donc être invoqué lors d'une instance au fond, et s'il est jugé régulier, il aura autorité par incidence (A). Il pourrait également être contesté, et pour empêcher qu'il ne soit produit en cours d'instance, une action peut être introduite en amont pour que le juge statue sur sa non-reconnaissance. Les parties peuvent, pour mettre fin à l'incertitude sur sa reconnaissance, introduire une action déclaratoire en opposabilité ou inopposabilité (B).

La reconnaissance incidente

La question de la reconnaissance peut être posée dans types de procédures :
  • soit une nouvelle instance a lieu en France avec le même objet qu'à l'étranger ;
  • soit une instance a lieu en France avec un objet différent de celui tranché par le juge étranger.
Dans tous les cas, le juge saisi de l'action principale vérifiera incidemment la régularité du jugement étranger pour lui donner l'effet demandé.
Lorsque l'instance concerne le même objet que celui du jugement étranger, le défendeur pourra soulever l'exception de chose jugée. Le juge peut également relever d'office 1545652042488la fin de non-recevoir de la chose jugée 1534663309873.
Pour que cette exception soit recevable, encore faut-il que la décision étrangère ait autorité de chose jugée dans son état d'origine. Pour vérifier l'autorité de la chose jugée, il faut se référer à la loi étrangère.
Lorsque l'instance porte sur une chose distincte de celle jugée à l'étranger, l'une des parties peut invoquer le jugement étranger.
Le demandeur peut l'invoquer pour soutenir ses prétentions, par exemple une réclamation d'aliments fondée sur le jugement de filiation obtenu à l'étranger 1534666187989.
Le défendeur peut l'invoquer pour faire échec à la demande. Par exemple, le défendeur à l'action en divorce peut invoquer un jugement étranger prononçant la nullité dudit mariage.
Il reviendra à celui qui conteste la reconnaissance demandée de prouver l'irrégularité. Ainsi en ont décidé les juges dans un arrêt rendu au sujet de la régularité d'une décision de divorce obtenue à l'étranger 1534668064407.
De la même manière, l'étendue de l'autorité de la chose jugée est déterminée par la loi étrangère.
Une difficulté apparaît lorsque la reconnaissance du jugement étranger est faite devant une personne autre qu'un juge, une personne qui n'a pas le pouvoir de contrôler la régularité, comme l'officier d'état civil. L'officier d'état civil chargé de célébrer un mariage auquel on présente un jugement de divorce rendu à l'étranger doit-il vérifier ou attendre une vérification de la régularité de ce jugement ? La réponse est négative, il doit célébrer le mariage conformément à l'instruction générale relative à l'état civil et à la jurisprudence de l'arrêt Bulkley précité, même si la validité du mariage qu'il célèbre pourra être contestée devant un juge 1534668953887.
Une fois le jugement reconnu, la solution étrangère sera également consacrée en France. Il ne s'agit pas d'un nouveau jugement. L'état de droit remonte bien au moment arrêté par le jugement étranger, à savoir pour un jugement déclaratif au jour où est survenu le fait qui l'a instauré, et pour un jugement constitutif au jour il a acquis autorité positive de chose jugée à l'étranger, ou à une date indiquée par le jugement lui-même.

L'action déclaratoire en opposabilité ou inopposabilité

Une personne qui ne souhaite pas qu'un jugement rendu à l'étranger puisse un jour lui être opposé peut introduire, à titre préventif, une action déclaratoire en inopposabilité. Cette action a été admise pour la première fois dans l'arrêt Weiller rendu par la Cour de cassation le 22 janvier 1951 1534684678698, aux termes duquel le mari s'est vu déclarer inopposable le jugement de divorce obtenu frauduleusement par son épouse au Nevada.
Cette action tend au résultat opposé à l'exequatur et suit le même régime procédural.
Puis, dans un arrêt le 3 janvier 1980 1534685559748, la Cour de cassation a reconnu l'action déclaratoire en opposabilité. Le demandeur met ainsi fin à une incertitude quant à la reconnaissance du jugement étranger.
L'action déclaratoire est ouverte à toute personne qui a un intérêt et peut donc être introduite tant par la personne en faveur de qui le jugement a été prononcé que contre la personne condamnée. La jurisprudence ne distingue pas les catégories de jugements étrangers à cet égard.
Cette action, bien qu'utile, présente dans certaines situations une incohérence. Lorsque l'exequatur est demandé simplement à des fins d'opposabilité par une personne autre que la personne victorieuse à l'étranger, l'instance aboutit à l'octroi de l'effet exécutoire, ce qui est illogique.
Lorsque le juge français constate l'irrégularité du jugement qui est invoqué lors d'une instance ou lors d'une action déclaratoire et décide qu'il ne peut pas faire l'objet de reconnaissance, cette décision a autorité de chose jugée à l'égard des parties qui ne pourront plus en demander l'exequatur.

La procédure d'exequatur

L'exequatur est une autorisation judiciaire d'exécuter un acte juridictionnel ou gracieux dépourvu de force exécutoire dans l'ordre juridique du juge requis, soit en raison de son extranéité (jugement ou acte public étranger), soit en raison de son caractère privé (sentence arbitrale).
Il sera étudié dans un premier temps les conditions de sa recevabilité (A), puis la procédure elle-même (B).
L'exequatur est demandé par voie d'assignation de la partie adversaire au jugement étranger.
Le juge peut accorder ou refuser l'exequatur, ou ne l'accorder que partiellement. Le juge refusera de connaître d'une demande distincte qui accompagnerait la demande d'exequatur. Seules les demandes connexes sont admises.
Le juge ne peut, depuis la fin de la révision, modifier le jugement étranger.
Le jugement d'exequatur est exécutoire, et les voies d'exécution sont celles du droit français. L'exécution provisoire peut être demandée. La prescription de la condamnation est soumise aux règles du droit français.
Le jugement d'exequatur a autorité de chose jugée. Si la décision soumise à exequatur avait un effet de plano , l'exequatur confirme la régularité du jugement et a de ce fait un effet similaire à l'action déclaratoire en inopposabilité ou en reconnaissance incidente. Dans le cas contraire, l'exequatur confère l'autorité de chose jugée, et consacre ainsi l'état de droit créé par le jugement français. Le point de départ de l'état de droit étant celui du jugement étranger et non la date d'exequatur.
Il y a lieu de rappeler que le juge doit, avant d'accorder ou refuser l'exequatur, vérifier que les conditions de l'exequatur sont remplies conformément aux arrêts Munzer et Cornelissen rendus par la Cour de cassation.
Le juge doit, en présence d'un jugement irrégulier dont l'irrégularité n'est pas soulevée par les parties, procéder d'office à ce contrôle et refuser l'exequatur en cas d'irrégularité. Lorsque le juge a un doute sur le jugement étranger et notamment lorsqu'il n'est pas suffisamment motivé, il doit refuser l'exequatur.
La règle fixée par le Code de procédure civile impose une requête en exequatur par application de son article 509. Cette procédure existe également pour les jugements étrangers.
La juridiction française compétente est le tribunal de grande instance 1546264506946, statuant à juge unique 1546264513888. Le tribunal de grande instance compétent est celui du lieu de résidence du débiteur ou du lieu de situation du bien qui fait l'objet d'une demande d'exécution forcée.
La vérification effectuée par le juge est moindre en matière d'acte notarié qu'en matière d'exequatur portant sur une décision étrangère. Le juge n'effectue pas de contrôle de la compétence internationale de l'autorité publique étrangère ayant reçu l'acte. Il y a une équivalence de compétence de l'autorité publique 1546264525657.
Le juge français s'assure qu'il n'existe aucune compétence exclusive au profit des notaires français, telle la constitution d'une hypothèque sur un bien immobilier situé sur le territoire français, ainsi qu'il résulte de l'article 2417 du Code civil.
Une analyse préalable s'impose : il faut que l'acte soit authentique. Il est nécessaire de définir ce qui est qualifiable d'acte authentique. Le droit européen, dans son arrêt Unibank du 17 juin 1999 1546264533305, a défini la notion d'acte authentique de façon plus restrictive que la Cour de cassation.
Les trois conditions posées par l'arrêt Unibank sont cumulatives.
Il doit s'agir :
  • d'un acte établi par une autorité publique ;
  • dont l'authenticité porte sur la signature et le contenu de l'acte ;
  • et qui est exécutoire dans son État d'origine.
Il faut penser qu'aujourd'hui la Cour de cassation définirait l'acte authentique à l'identique du droit européen. Lequel, dans les différents règlements, donne une définition de l'acte authentique.
L'acte doit-il être légalisé avant d'être exécutoire ? Une réponse positive doit être donnée depuis l'abrogation 1546264559218de l'ordonnance royale de la marine d'août 1681. La Cour de cassation, dans un arrêt du 4 juin 2009 1546264568180, impose cette légalisation à titre de coutume internationale sauf dispense bien entendu 1546264575428.
L'acte présenté au juge est traduit et n'est pas frappé d'une irrégularité intrinsèque 1546264595787.
Le magistrat contrôle que l'acte est conforme à l'ordre public international français, sans procéder à la recherche d'une éventuelle fraude à la loi 1546264605992.
À ce principe d'exequatur, il existe bien entendu des tempéraments, voire des exceptions.
Celles-ci relèvent de la confiance mutuelle qui existe au sein des États membres de l'Union européenne.

Les conditions de recevabilité de l'exequatur

Seule la partie victorieuse à l'étranger a en principe intérêt à agir et demander l'exequatur. Pour qu'il y ait exécution forcée sur des biens, il faut de plus établir l'existence de ces biens en France.
L'action doit être introduite devant le tribunal de grande instance statuant à juge unique, conformément à l'article R. 212-8, alinéa 2 du Code de l'organisation judiciaire, qui dispose que : « Le tribunal de grande instance connaît à juge unique : (…) 2° Des demandes en reconnaissance et en exequatur des décisions judiciaires et actes publics étrangers ainsi que des sentences arbitrales françaises ou étrangères ». Les tribunaux français sont compétents internationalement pour connaître de l'exequatur.
Le tribunal compétent est celui du domicile du défendeur. Le demandeur à l'exequatur peut également saisir le tribunal du lieu où il sera procédé à l'exécution forcée. À défaut de domicile, et en l'absence de volonté ou de possibilité de procéder à une exécution forcée, le choix du tribunal est fondé sur une question de bonne administration de la justice.
Pour que la demande d'exequatur puisse être recevable, le jugement étranger doit être exécutoire dans son pays d'origine.Mais la demande d'exequatur peut également avoir pour objectif de vérifier la régularité du jugement étranger et de reconnaître son autorité en France ; cet exequatur aura la même fonction que l'instance en opposabilité ou l'instance en reconnaissance ; le jugement doit avoir un caractère définitif.
Si le jugement étranger est annulé, l'exequatur devient caduc de plein droit.

La procédure d'exequatur