La position des différents juges sur la hiérarchie des normes est décrite, d'abord pour le juge constitutionnel (§ I), puis pour le juge judiciaire (§ II), et enfin pour le juge administratif (§ III).
Devant les juges
Devant les juges
La position du juge constitutionnel sur le contrôle de conventionnalité
Le Conseil constitutionnel a posé comme principe qu'il ne contrôlait pas la conformité de la loi au regard des traités, mais seulement au regard de la Constitution, dans une décision du 15 janvier 1975 relative à la loi sur l'interruption volontaire de grossesse
1518882455652.
Il s'agissait en l'espèce de trancher la question de la conformité de cette loi avec la Convention européenne des droits de l'homme. Il ne s'agissait pas directement d'un traité, mais de principes généraux régissant les différents États.
Le Conseil a justifié sa position par le fait que la primauté des traités sur les lois posée par l'article 55 de la Constitution présente un caractère relatif car subordonné au respect de la clause de réciprocité. Le contrôle de constitutionnalité est assuré par le Conseil constitutionnel. La question du contrôle de conventionnalité s'est donc posée devant les juges ordinaires.
En refusant d'opérer le contrôle de la conformité des lois aux traités internationaux, le Conseil constitutionnel a refusé de les faire pénétrer dans le bloc de constitutionnalité. Il a néanmoins accepté de trancher cette question lorsqu'une révision constitutionnelle a incorporé la substance du Traité sur l'Union européenne dans la Constitution. Ce fut le cas de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a permis de ratifier le traité de Maastricht. Cette révision a donné aux citoyens européens le droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes et municipales. L'article 88-3 a été ajouté à la Constitution. Dans une décision du 20 mai 1998
1544345606481, le Conseil constitutionnel a accepté d'examiner directement la conformité de la loi française à cette disposition.
Il faut noter que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008
1533449254818a mis en place un nouveau dispositif dénommé question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel peut être saisi sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation. Il doit se prononcer dans un délai imparti, pour savoir si une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Pour le juge constitutionnel, la QPC permet de se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi par rapport à la Constitution, mais le contrôle de conventionnalité reste acquis aux juridictions ordinaires sur la base de l'article 55 de la Constitution.
La position du juge judiciaire sur le contrôle de conventionnalité
La Cour de cassation a tiré les conséquences du refus de la position du Conseil constitutionnel et s'est rapidement reconnue compétente pour traiter les conflits entre traités internationaux et lois internes. La Cour a fait rapidement prévaloir les exigences de primauté, d'effectivité et d'immédiateté du droit de l'Union européenne. L'arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975
1544346048256a écarté une loi française imposant une taxe, comme contraire au traité de Rome, alors même que cette loi était postérieure à l'entrée en vigueur du traité. Mais la Cour de cassation s'est fondée non seulement sur le principe de la primauté du droit de l'Union, sur son caractère propre, absolu et illimité, mais aussi sur l'article 55 de la Constitution, norme interne au droit français.
Par ailleurs, la Cour ne se reconnaît pas le pouvoir de contrôler le respect du principe de la réciprocité, car « il appartient au seul gouvernement de dénoncer un traité ou d'en suspendre son application »
1521377944937.
Une autre norme internationale exerce une influence grandissante sur notre droit interne : la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l'homme), signée par les États membres du Conseil de l'Europe le 4 novembre 1950, ratifiée par la France le 3 mai 1974 et son instrument de contrôle, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) mise en place en 1959 et qui siège à Strasbourg. Tous les États signataires se sont engagés à se conformer à ses arrêts. Cette convention pose un socle démocratique commun à tous les États membres. Il en résulte des obligations à la charge de chaque État, non soumises au principe de réciprocité.
Les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme peuvent conduire les juridictions françaises à modifier leur jurisprudence. C'est ainsi que la Cour a renoncé à sa jurisprudence s'opposant à ce que la France transcrive l'acte de naissance d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui
1532185669250.
Face à la protection offerte par la Convention, la nature même du contrôle de la Cour de cassation est en cours d'évolution. Dépassant son rôle traditionnel de contrôle de la conventionnalité d'une norme nationale, la Cour accepte désormais de s'assurer que l'application d'une norme interne n'a pas, au regard des circonstances de l'espèce, des conséquences excessives heurtant un droit fondamental. Elle procède à un contrôle de proportionnalité qui l'oblige à peser les intérêts en présence pour déterminer si un juste équilibre est ménagé entre les droits fondamentaux des parties
1532186194294.
La position du juge administratif
Le juge administratif a toujours été plus prudent.
Dans la célèbre affaire des Semoules
1521378789365, le Conseil d'État a écarté les dispositions du traité de Rome et a donné la priorité au texte français, plus récent.
Dans cette affaire, il existait un règlement n° 19 de la CEE qui prévoyait le remplacement des droits de douane par un prélèvement communautaire pour les importations communautaires et extracommunautaires. En France, un décret est pris en ce sens le 28 juillet 1962. Le 19 septembre 1962, la France signe avec l'Algérie, devenue indépendante, une ordonnance relative à leur régime douanier, qui prévoit que durant une certaine durée, la France et l'Algérie continueront de faire partie du même territoire douanier. Le 24 janvier 1964, le ministre de l'Agriculture français décide de ne pas soumettre au prélèvement communautaire une importante importation de semoules de blé provenant d'Algérie. Le syndicat général des fabricants de semoules de France saisit le Conseil d'État. Celui-ci écarte les dispositions du traité de Rome comme antérieures au texte français et donne la priorité à la norme la plus récente.
Un revirement s'opère bien plus tard, en 1989, avec l'arrêt Nicolo
1518882618372sous la pression des internationalistes et des européanistes. Avec cet arrêt, le Conseil d'État se rallie à la primauté des traités sur la loi interne française, même s'ils sont postérieurs à la loi. Là encore, le juge administratif ne met pas en avant le caractère propre au droit de l'Union, mais fonde la primauté de ce droit sur la seule injonction constitutionnelle de l'article 55 de la Constitution.
L'argumentaire évolue encore dans une affaire Société Arcelor
1521380085821. Le Conseil d'État ne fait plus référence à l'article 55, mais à l'article 88-1 de la Constitution, issu de la révision liée au traité de Maastricht, qui a intégré officiellement le droit de l'Union dans la Constitution.
Il a reconnu la primauté des traités sur les lois, mais aussi des règlements et des directives, dans son arrêt Perreux
1521380618189.
De façon générale, le Conseil d'État reconnaît aujourd'hui la primauté des traités, du droit de l'Union, des règlements et directives qui constituent des développements naturels des traités européens, mais aussi des principes généraux du droit de l'Union comme la Charte des droits fondamentaux ou la jurisprudence de la Cour de justice, qui feraient ainsi partie du droit primaire de l'Union
1521381045545.
Ce principe de supériorité des traités sur les lois s'applique uniquement si le traité ne crée pas d'obligations à la seule charge des États. Il faut que les particuliers puissent donc les invoquer.
Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 1993
1521292956835, a refusé d'appliquer la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989 au motif qu'elle ne créait des obligations qu'à la seule charge des États. Elle a depuis changé sa position en 2005
1521293118913.
Le Conseil d'État également a pris position en décidant qu'il appartenait au juge français de vérifier la régularité de la ratification des traités internationaux
1521293270011.