La hiérarchie des normes

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La hiérarchie des normes

L'article 55 de la Constitution française édicte que : « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».
Il est donc évident que les traités sont supérieurs aux lois françaises et, par là, doivent s'appliquer même s'il existe une norme interne sur le sujet.
De même, les traités l'emportent sur toutes les lois, même les lois postérieures aux traités. La jurisprudence a quelque peu hésité, mais aujourd'hui ce principe est clairement établi.
Si la solution semble aujourd'hui arrêtée, elle n'a été mise en place que progressivement. En effet, lors de l'entrée en vigueur des textes communautaires, la Constitution de 1946 ne contenait aucune disposition particulière pouvant conclure à l'intégration de la dimension européenne. Si certains pays, comme le Luxembourg ou les Pays-Bas, ont choisi très rapidement de modifier leur Constitution afin d'intégrer le principe de la supériorité du droit communautaire, ce ne fut pas le cas de la France. Les justiciables ne pouvaient se prévaloir des traités devant les juridictions nationales en l'absence de dispositions législatives les intégrant au sein de l'ordre juridique national. Quelques années plus tard, la Constitution de 1958 a même entendu marquer un retour aux principes d'indépendance et de souveraineté nationale. Son article 11 introduit la possibilité pour le président de la République de soumettre au référendum tout projet de loi autorisant la ratification d'un traité. De façon générale, la tradition juridique française accepte peu la supériorité d'une norme extra-nationale, mais la supériorité des traités ou des textes européens a fini par s'imposer.
L'article 55 de la Constitution pose comme principe l'autorité supérieure des traités à celle des lois, « sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ». Cette clause, dite « de réciprocité », vient atténuer le principe.
Par ailleurs, la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE), devenue la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en 2009 précise :
  • les traités donnent naissance à un « nouvel ordre juridique de droit international au profit duquel les États ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains, et dont les sujets sont non seulement les États membres, mais également leurs représentants » 1532247643924 ;
  • « l'ordre juridique ainsi institué s'intègre à l'ordre juridique de chacun des États membres et l'emporte sur l'ordre juridique des États membres sans distinction » 1532247628314 ; l'intégration vaut également pour les règles du droit dérivé qui font partie intégrante, avec rang de priorité, de l'ordre juridique applicable sur le territoire de chacun des États membres 1532247614064.
L'application de cette hiérarchie des normes est évoquée dans un premier temps par les juges (Sous-section I), puis pour le notaire (Sous-section II).

Devant les juges

La position des différents juges sur la hiérarchie des normes est décrite, d'abord pour le juge constitutionnel (§ I), puis pour le juge judiciaire (§ II), et enfin pour le juge administratif (§ III).

La position du juge constitutionnel sur le contrôle de conventionnalité

Le Conseil constitutionnel a posé comme principe qu'il ne contrôlait pas la conformité de la loi au regard des traités, mais seulement au regard de la Constitution, dans une décision du 15 janvier 1975 relative à la loi sur l'interruption volontaire de grossesse 1518882455652.
Il s'agissait en l'espèce de trancher la question de la conformité de cette loi avec la Convention européenne des droits de l'homme. Il ne s'agissait pas directement d'un traité, mais de principes généraux régissant les différents États.
Le Conseil a justifié sa position par le fait que la primauté des traités sur les lois posée par l'article 55 de la Constitution présente un caractère relatif car subordonné au respect de la clause de réciprocité. Le contrôle de constitutionnalité est assuré par le Conseil constitutionnel. La question du contrôle de conventionnalité s'est donc posée devant les juges ordinaires.
En refusant d'opérer le contrôle de la conformité des lois aux traités internationaux, le Conseil constitutionnel a refusé de les faire pénétrer dans le bloc de constitutionnalité. Il a néanmoins accepté de trancher cette question lorsqu'une révision constitutionnelle a incorporé la substance du Traité sur l'Union européenne dans la Constitution. Ce fut le cas de la révision constitutionnelle du 25 juin 1992, qui a permis de ratifier le traité de Maastricht. Cette révision a donné aux citoyens européens le droit de vote et d'éligibilité aux élections européennes et municipales. L'article 88-3 a été ajouté à la Constitution. Dans une décision du 20 mai 1998 1544345606481, le Conseil constitutionnel a accepté d'examiner directement la conformité de la loi française à cette disposition.
Il faut noter que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 1533449254818a mis en place un nouveau dispositif dénommé question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Le Conseil constitutionnel peut être saisi sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation. Il doit se prononcer dans un délai imparti, pour savoir si une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution. Pour le juge constitutionnel, la QPC permet de se prononcer sur la constitutionnalité d'une loi par rapport à la Constitution, mais le contrôle de conventionnalité reste acquis aux juridictions ordinaires sur la base de l'article 55 de la Constitution.

La position du juge judiciaire sur le contrôle de conventionnalité

La Cour de cassation a tiré les conséquences du refus de la position du Conseil constitutionnel et s'est rapidement reconnue compétente pour traiter les conflits entre traités internationaux et lois internes. La Cour a fait rapidement prévaloir les exigences de primauté, d'effectivité et d'immédiateté du droit de l'Union européenne. L'arrêt Jacques Vabre du 24 mai 1975 1544346048256a écarté une loi française imposant une taxe, comme contraire au traité de Rome, alors même que cette loi était postérieure à l'entrée en vigueur du traité. Mais la Cour de cassation s'est fondée non seulement sur le principe de la primauté du droit de l'Union, sur son caractère propre, absolu et illimité, mais aussi sur l'article 55 de la Constitution, norme interne au droit français.
Par ailleurs, la Cour ne se reconnaît pas le pouvoir de contrôler le respect du principe de la réciprocité, car « il appartient au seul gouvernement de dénoncer un traité ou d'en suspendre son application » 1521377944937.
Une autre norme internationale exerce une influence grandissante sur notre droit interne : la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l'homme), signée par les États membres du Conseil de l'Europe le 4 novembre 1950, ratifiée par la France le 3 mai 1974 et son instrument de contrôle, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) mise en place en 1959 et qui siège à Strasbourg. Tous les États signataires se sont engagés à se conformer à ses arrêts. Cette convention pose un socle démocratique commun à tous les États membres. Il en résulte des obligations à la charge de chaque État, non soumises au principe de réciprocité.
Les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme peuvent conduire les juridictions françaises à modifier leur jurisprudence. C'est ainsi que la Cour a renoncé à sa jurisprudence s'opposant à ce que la France transcrive l'acte de naissance d'un enfant né d'une convention de gestation pour autrui 1532185669250.
Face à la protection offerte par la Convention, la nature même du contrôle de la Cour de cassation est en cours d'évolution. Dépassant son rôle traditionnel de contrôle de la conventionnalité d'une norme nationale, la Cour accepte désormais de s'assurer que l'application d'une norme interne n'a pas, au regard des circonstances de l'espèce, des conséquences excessives heurtant un droit fondamental. Elle procède à un contrôle de proportionnalité qui l'oblige à peser les intérêts en présence pour déterminer si un juste équilibre est ménagé entre les droits fondamentaux des parties 1532186194294.

La position du juge administratif

Le juge administratif a toujours été plus prudent.
Dans la célèbre affaire des Semoules 1521378789365, le Conseil d'État a écarté les dispositions du traité de Rome et a donné la priorité au texte français, plus récent.
Dans cette affaire, il existait un règlement n° 19 de la CEE qui prévoyait le remplacement des droits de douane par un prélèvement communautaire pour les importations communautaires et extracommunautaires. En France, un décret est pris en ce sens le 28 juillet 1962. Le 19 septembre 1962, la France signe avec l'Algérie, devenue indépendante, une ordonnance relative à leur régime douanier, qui prévoit que durant une certaine durée, la France et l'Algérie continueront de faire partie du même territoire douanier. Le 24 janvier 1964, le ministre de l'Agriculture français décide de ne pas soumettre au prélèvement communautaire une importante importation de semoules de blé provenant d'Algérie. Le syndicat général des fabricants de semoules de France saisit le Conseil d'État. Celui-ci écarte les dispositions du traité de Rome comme antérieures au texte français et donne la priorité à la norme la plus récente.
Un revirement s'opère bien plus tard, en 1989, avec l'arrêt Nicolo 1518882618372sous la pression des internationalistes et des européanistes. Avec cet arrêt, le Conseil d'État se rallie à la primauté des traités sur la loi interne française, même s'ils sont postérieurs à la loi. Là encore, le juge administratif ne met pas en avant le caractère propre au droit de l'Union, mais fonde la primauté de ce droit sur la seule injonction constitutionnelle de l'article 55 de la Constitution.
L'argumentaire évolue encore dans une affaire Société Arcelor 1521380085821. Le Conseil d'État ne fait plus référence à l'article 55, mais à l'article 88-1 de la Constitution, issu de la révision liée au traité de Maastricht, qui a intégré officiellement le droit de l'Union dans la Constitution.
Il a reconnu la primauté des traités sur les lois, mais aussi des règlements et des directives, dans son arrêt Perreux 1521380618189.
De façon générale, le Conseil d'État reconnaît aujourd'hui la primauté des traités, du droit de l'Union, des règlements et directives qui constituent des développements naturels des traités européens, mais aussi des principes généraux du droit de l'Union comme la Charte des droits fondamentaux ou la jurisprudence de la Cour de justice, qui feraient ainsi partie du droit primaire de l'Union 1521381045545.
Ce principe de supériorité des traités sur les lois s'applique uniquement si le traité ne crée pas d'obligations à la seule charge des États. Il faut que les particuliers puissent donc les invoquer.
Par exemple, la Cour de cassation, dans un arrêt du 10 mars 1993 1521292956835, a refusé d'appliquer la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant du 20 novembre 1989 au motif qu'elle ne créait des obligations qu'à la seule charge des États. Elle a depuis changé sa position en 2005 1521293118913.
Le Conseil d'État également a pris position en décidant qu'il appartenait au juge français de vérifier la régularité de la ratification des traités internationaux 1521293270011.

Devant le notaire

Le notaire français, lui aussi, a l'obligation d'appliquer la norme internationale. Tout comme le juge peut être censuré par les juridictions supérieures, la non-application d'un traité international ou de la réglementation européenne entraîne la condamnation du notaire. Ce dernier doit bien prendre en compte les règles de droit international privé dans le traitement de son dossier et dans les conseils donnés à ses clients. Cela était déjà une réalité hier. Aujourd'hui, le notaire ne peut plus s'en dispenser.
Il existe déjà des cas de responsabilité notariale en matière civile au niveau des juridictions des premier et deuxième degrés. C'est par exemple le cas de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles en date du 10 avril 2008 (non publié), qui a condamné un notaire qui avait rédigé un procès-verbal de difficultés dans lequel il avait mentionné que les ex-époux s'étaient mariés sans contrat, sans déterminer leur régime matrimonial d'après les règles de droit international privé – en l'occurrence le régime libanais de la séparation de biens – déterminé par le premier domicile matrimonial, les ex-époux ayant été mariés avant le 1er septembre 1992.
Par ailleurs, le notaire devra tenir compte de l'éventuelle application de la loi étrangère.
Dans un arrêt du 15 janvier 2015 1532184983055, la Cour de cassation a condamné un notaire français à la suite d'une vente d'un bien immobilier situé en France par M. X et Mme Y, de nationalité française, résidents en Suède.
En France, le couple était exonéré de toute plus-value immobilière en vertu de l'article 150 U II-2° du Code général des impôts, lors de la cession d'un logement situé en France par des ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, à la condition qu'il ait été fiscalement domicilié en France de manière continue pendant au moins deux ans à un moment quelconque antérieurement à la cession, dans la limite d'une résidence par contribuable et de 150 000 € de plus-value nette imposable, aux cessions réalisées, sans condition de délai, lorsque le cédant avait la libre disposition du bien au moins depuis le 1er janvier de l'année précédant celle de la cession.
Le notaire avait pris le soin de vérifier que le vendeur remplissait toutes les conditions édictées par cet article. Il avait également transmis une consultation du Cridon. Malgré cela, la Cour de cassation a considéré que le notaire a manqué à ses obligations de conseil en omettant d'informer ses clients sur les conséquences fiscales de l'opération en Suède. « Alors que le notaire est tenu d'informer et d'éclairer de manière complète et circonstanciée les parties qu'il assiste sur les incidences fiscales de l'acte auquel il apporte son concours, notamment en les avertissant explicitement de l'éventuelle incertitude affectant le traitement fiscal de l'opération dans leur État de résidence ; que, dès lors, les juges du fonds qui, bien qu'ils aient constaté d'une part, que la réponse apportée par le Cridon était confuse et incomplète, dans la mesure où elle n'évoquait que la question de l'exonération de la plus-value en France sans laisser pour autant entendre que les vendeurs pourraient bénéficier d'une exonération tant en France qu'en Suède et d'autre part, que Me Z… n'avait jamais fait croire à ses clients qu'ils pourraient échapper à toute imposition sur la plus-value, ont néanmoins retenu que la preuve d'une faute de ce dernier n'était pas rapportée, n'ont pas tiré les conséquences légales de leurs constatations, dont il résultait que M. X et Mme Y… n'avaient pas été explicitement informés d'un risque d'imposition de la plus-value réalisée en Suède, et ont ainsi violé l'article 1382 du Code civil. »
En l'espèce, il s'agissait d'une question de fiscalité de droit international privé. En n'avertissant pas les parties de l'application de la loi fiscale étrangère, ou tout au moins en n'attirant pas leur attention sur la nécessité de s'interroger aussi sur les implications fiscales de l'acte à l'étranger, le notaire a manqué à son obligation de conseil.