Parfois présenté comme la solution miracle dans un contexte international, l'ameublissement des biens peut néanmoins receler quelques écueils que les notaires doivent aider les acquéreurs étrangers à éviter.
Les techniques historiques d'anticipation successorale via une société
Les techniques historiques d'anticipation successorale via une société
L'ameublissement du patrimoine
Fréquemment recommandé dans un contexte international afin d'écarter la lex rei sitae éventuellement applicable notamment en matière de successions immobilières, l'ameublissement du patrimoine a vu son intérêt décroître avec l'entrée en vigueur du règlement européen du 4 juillet 2012 en matière de successions, d'inspiration unitaire et qui au surplus permet désormais la professio juris (V. supra, n° ). Il reste tout de même un outil utile d'anticipation successorale dans certaines situationsmais à condition d'y recourir avec prudence selon les États de résidence fiscale des associés.
Les intérêts civils et fiscaux de l'ameublissement
Chaque associé est détenteur de parts de société, qui sont considérées comme des biens meubles. Elles seront donc transmises selon les règles de conflit de lois applicables aux biens mobiliers.
Or, il résulte du règlement européen du 4 juillet 2012 sur les successions internationales que la loi successorale est celle de la résidence habituelle du défunt, sauf professio juris en faveur de la loi nationale du défunt (V. supra, n° ). Si les associés ne sont pas de nationalité française et désignent comme loi applicable à leur succession la loi de leur nationalité qui est celle d'un pays considéré comme un État tiers au règlement européen du 4 juillet 2012 ou s'ils résident de façon habituelle dans un État tiers à ce règlement, leurs parts sociales seront transmises selon les règles de conflit de lois de cet État.
Et si cet ordre juridique ne connaît pas la réserve héréditaire telle que le droit français la conçoit, la transmission des parts sociales sera libre ou tout au moins plus libre qu'en application du droit français sur les successions. Il apparaît donc intéressant de proposer un ameublissement du patrimoine à ceux qui souhaitent transmettre leurs biens en évitant la réserve héréditaire, si la loi successorale est plus libérale.
Dans les cas où la loi applicable à la succession suivrait un régime séparatiste entre biens meubles et immeubles, les acquéreurs qui voudraient simplifier les démarches de leurs héritiers en organisant la convergence de la transmission de leurs biens vers une seule loi seront également intéressés par cette option.
Par exemple, un couple de Britanniques résidant au Royaume-Uni acquiert une résidence secondaire en Vendée. Les acquéreurs souhaitent prévoir la transmission de cette maison à leurs deux enfants de sorte que ceux-ci n'aient aucune complication. Leur notaire pourra leur suggérer d'acquérir le bien sous forme d'une SCI. À leur décès, conformément au règlement européen sur les successions, les parts seront dévolues selon la loi de leur résidence habituelle, soit la loi d'Angleterre et du Pays de Galles. Ainsi, c'est la même loi qui régira la transmission de leurs biens situés au Royaume-Uni et en France.
Certes très attractif, l'ameublissement du patrimoine présente tout de même quelques inconvénients que le notaire doit prendre en compte pour conseiller les acquéreurs étrangers.
Les écueils et contraintes de l'ameublissement
Si la transmission de biens immobiliers par l'intermédiaire d'une SCI semble séduisante par la liberté qu'elle procure, il convient néanmoins de rappeler que dans de nombreux États qui ne connaissent pas la réserve héréditaire, il existe tout de même une notion d'obligation alimentaire minimale vis-à-vis des héritiers dans le besoin. C'est le cas par exemple au Royaume-Uni.
Ensuite, il ne faut pas occulter la notion de fraude aux intérêts des héritiers. Il a été jugé que l'ameublissement du patrimoine accompagné de manœuvres exécutées dans le seul but d'éviter les droits des héritiers réservataires était frauduleux : c'est l'enseignement de l'arrêt Caron déjà cité
1546452768805.
Enfin, le notaire qui conseille aux acquéreurs ou aux propriétaires de biens immobiliers de les détenir par l'intermédiaire d'une société civile doit vérifier comment cette modalité de propriété sera accueillie dans leur pays d'origine d'un point de vue civil et fiscal.
En matière de fiscalité, le notaire devra étudier deux aspects : les conséquences fiscales de la mise à disposition du bien immobilier au profit des associés et celles de la perception de revenus immobiliers. En premier lieu, en France, la mise à disposition à titre gratuit au profit des associés ne génère aucune taxation. Néanmoins, le notaire devra s'interroger s'il en va de même dans le pays de résidence fiscale des associés et en informer les associés.
Au Royaume-Uni notamment, en 2005, l'administration fiscale a indiqué qu'elle se réservait le droit de percevoir un impôt sur l'avantage en nature représenté par la mise à disposition du bien immobilier au profit des associés de la société civile française. Cette position a été confirmée dans le manuel interne HMRC
1546452918534.
Néanmoins, il est admis que si les recommandations ci-après sont suivies, il est possible d'échapper à la taxation (les critères étant cumulatifs) :
- si les associés de la SCI sont tous des personnes physiques ;
- si le gérant est un associé de la SCI ;
- si la SCI ne détient qu'un seul bien immobilier ;
- et si l'objet de la SCI est uniquement à but familial et patrimonial.
Le mode de financement de l'acquisition du bien immobilier peut également être contrôlé afin de confirmer que l'investissement est réellement d'ordre privé, familial.
En second lieu, il convient de vérifier si les associés vont bénéficier dans leur pays de résidence fiscale de la semi-transparence qui est l'une des caractéristiques des sociétés civiles en France, où l'on considère que la société civile a une personnalité distincte de celle de ses associés. Ce caractère translucide n'est pas toujours reconnu à l'étranger. Il est donc important de rechercher si les associés seront imposés sur les revenus et profits immobiliers retirés de l'immeuble détenu en France par la société ou s'ils seront imposés à l'impôt sur les sociétés dans leur pays d'origine.
D'autres techniques juridiques de transmission des biens existent en droit français. Dans quelle mesure le notaire peut-il les proposer à ses clients évoluant dans un contexte international ?
Les aménagements statutaires adaptés à l'international
Dans un contexte international, le notaire doit analyser si les solutions juridiques qu'il propose aux Français résidant en France peuvent être utilisées pour les étrangers ou si elles doivent être adaptées selon les éléments d'extranéité. Il existe des aménagements possibles dans les statuts et des solutions externes à envisager selon les situations.
Les associés étrangers d'une société civile immobilière n'ont pas toujours les mêmes objectifs : certains privilégient la protection du conjoint survivant, d'autres la transmission de leurs biens au sein des autres membres de leur famille, et d'autres encore visent prioritairement l'optimisation fiscale en France et dans leur pays d'origine dans la préparation de leur succession. Diverses clauses peuvent être proposées aux associés étrangers lors de l'établissement de la société ou en cours de vie sociale.
La clause de tontine
Souvent prisée par la clientèle anglo-saxonne, voire demandée par elle
1546454105554, une clause de tontine peut être préconisée dans un contexte international pour converger avec la culture des investisseurs étrangers en France. Ceux-ci sont fréquemment avides de solutions qui leur permettront de transmettre leur patrimoine au conjoint survivant sans subir les contraintes de la réserve héréditaire. Cette mesure sera particulièrement adaptée aux époux mariés sous un régime de type séparatiste puisqu'ils bénéficieront des dispositions issues de la loi TEPA. Traitée fiscalement comme une transmission de biens à titre gratuit, l'application de la clause de tontine n'entraînera pas de paiement de droits de mutation à titre gratuit entre les époux.
L'adoption d'une clause de tontine est plus judicieuse dans un contrat de société que dans un acte d'acquisition immobilière en direct. Dans cette seconde hypothèse en effet, à défaut d'accord des deux époux en cas de séparation, elle subsistera jusqu'au décès. Publiée avec l'acte authentique de vente, elle ne pourra être annulée que dans un autre acte, qui devra être publié au service de la publicité foncière. En revanche, en cas de clause prévue dans les statuts de la SCI qui acquiert le bien, il peut tout à fait être prévu dans les statuts qu'en cas de divorce, cette clause prendra fin.
La clause de tontine est une disposition selon laquelle un associé est titulaire de ses parts dans la société sous la condition suspensive de sa survie et la condition résolutoire de son décès avant ses associés. Pour qu'elle soit licite, il faut que chaque associé ait réellement une chance de survie à l'autre ou aux autres associés. Il doit également exister un aléa économique : l'investissement initial et l'espérance de gain doivent être équitablement répartis entre les associés. Si l'intention libérale de celui qui a investi le plus dans la société peut être prouvée, la tontine sera remise en cause : elle sera entachée de simulation et la donation déguisée sera caractérisée
1546453310999. C'est le cas par exemple lorsqu'un associé établit un testament quelques semaines avant son décès au profit des bénéficiaires de la clause de tontine.
Il est bon de rappeler que la clause de tontine est avantageuse pour les concubins qui ne veulent pas conclure de pacte civil de solidarité et souhaitent éviter la taxation au taux de 60 %. Au décès de l'un d'entre eux, la transmission des parts sera soumise au droit de vente et non aux droits de mutation à titre gratuit.
Il existe d'autres clauses statutaires qui organisent la transmission des parts sociales et sont particulièrement intéressantes pour les personnes non mariées ayant un élément d'extranéité.
Les clauses de participations croisées
En vue de diminuer la fiscalisation de la transmission des biens situés en France entre concubins, partenaires hétérosexuels souvent exclus des dispositifs des partenariats étrangers
1546453608647ou dans le but de protéger tant le conjoint survivant non marié que les intérêts des héritiers, le notaire peut soumettre l'idée de constituer dans un premier temps une SCI entre deux personnes, en prévoyant une répartition équitable des parts sociales, puis dans un second temps de réaliser un échange de l'usufruit des parts de chaque titulaire.
Traditionnellement, le gérant d'une SCI dispose de pouvoirs d'administration mais doit obtenir l'accord des autres associés pour signer des actes de disposition. Habitués à user de pouvoirs étendus dans leurs sociétés étrangères, les investisseurs souhaitent parfois que leurs pouvoirs de décision soient étendus.
Exemple de participation croisée
Voici l'exemple d'un couple belge (A.1 et A.2) non marié avec deux enfants, acquéreur d'un bien immobilier d'une valeur de 350 000 € ; ils créent une SCI avec un capital de 1 000 € constitué de 100 parts de 10 € chacune.
1°) Constitution de la SCI : chaque associé détient 50 parts : A.1, les parts nos 1 à 50, A.2, les parts nos 51 à 100.
2°) Échange de l'usufruit des parts : A.1 cède l'usufruit des parts 1 à 50 et reçoit l'usufruit des parts 51 à 100 ; A.2 cède l'usufruit des parts 51 à 100 et reçoit l'usufruit des parts 1 à 50.
Un droit de mutation de 5 % est dû sur la valeur du lot le plus élevé, établie sur la base de l'article 670 du Code général des impôts.
Au décès de A.1, A.2 consolide sa propriété des parts nos 1 à 50 et conserve l'usufruit des parts 51 à 100 ; les enfants reçoivent la nue-propriété des parts 51 à 100. Au décès de A.2, les enfants héritent de la totalité des parts nos 1 à 50 et sont automatiquement propriétaires des parts 51 à 100. La succession sera taxable sur la nue-propriété transmise aux enfants et non sur la valeur des parts en pleine propriété ; la charge fiscale du conjoint survivant sera donc annulée. Les enfants devront régler la succession seulement sur la moitié des parts (nos 1 à 50), au deuxième décès.
Le renforcement des pouvoirs des gérants et l'élargissement de l'objet social
Selon l'article 1848, alinéa 3 du Code civil, il est possible d'aménager les articles des statuts des sociétés civiles relatifs aux pouvoirs du ou des gérants et à l'objet de la société. Ainsi, des pouvoirs élargis peuvent être attribués au gérant et aux cogérants.
Constitué dans un but de gestion du patrimoine, ce type de société dite « patrimoniale » présente un premier avantage : son objet social est d'ordre immobilier, mobilier et financier. Ainsi, en cas d'investissement en France par un étranger, l'ameublissement des parts sociales évoqué ci-dessus pourra permettre d'inclure la transmission des comptes bancaires et autres contrats financiers situés en France avec celle des parts sociales.
Ensuite, dans ce type de société civile, il est possible de prévoir que le ou les gérants seront titulaires de pouvoirs étendus. Ils pourront ainsi décider de la vente ou de l'affectation hypothécaire d'un bien immobilier sans avoir à convoquer une assemblée générale des associés. Ce type de clause séduit particulièrement les étrangers qui souhaitent maîtriser totalement la gestion de leurs biens, comme ils en ont l'habitude dans leur pays. Il est conseillé de prévoir que certaines décisions telles que la vente d'un bien immobilier ou la souscription d'un emprunt devront être prises par les deux cogérants.