Les règles de conflit

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L'assurance vie dans un cadre international

Les règles de conflit

Il existe deux approches pour appréhender les règles de conflit de lois. Celle qui a été inspirée par Savigny consiste à déterminer la loi applicable selon des critères objectifs et prédéterminés, bilatéraux et neutres. Elle sera abordée dans un premier temps (§ I).
La seconde correspond à l'approche de l'école statutaire qui a été reprise par les rédacteurs du Code civil. Il s'agit de la méthode unilatérale qui sera précisée dans deuxième paragraphe (§ II).
Les règles de conflit de lois sont aujourd'hui majoritairement bilatérales et exceptionnellement unilatérales. Les critiques de ces deux méthodes ont amené la doctrine et les juges à mettre en place des tempéraments qui seront abordés dans un troisième temps (§ III).

La méthode bilatérale

La règle de conflit dite « bilatérale » désigne aussi bien la loi française que la loi étrangère, qui sont jugées équivalentes. Elle postule l'équivalence de la loi du for et de la loi étrangère. Elle ne prend pas parti sur le contenu : elle est neutre, et abstraite. Elle est également indirecte puisqu'elle ne désigne pas le droit applicable, mais le système juridique à mettre en œuvre.
Par exemple, les conditions de fond du mariage (l'âge, la capacité…) sont régies par la loi personnelle des époux. La loi du for ou la loi étrangère peuvent tout aussi bien s'appliquer. Par exemple, si monsieur est de nationalité grecque, il faudra qu'il remplisse les conditions de fond de la loi grecque, si madame est de nationalité française, il faudra qu'elle remplisse les conditions de fond de la loi française.
Cette approche a été mise en avant par Savigny 1544377637118et aujourd'hui, la plupart des règles de conflit de lois sont de ce type.
L'article 311-14 du Code civil prévoit que : « La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant ». L'établissement de la filiation de l'enfant est régi par la loi nationale de la mère qui peut être la loi du for ou une loi étrangère.
Ces règles ont été jugées les plus appropriées tant au niveau national qu'au niveau international et européen. Elles sont donc les plus usitées en droit international privé.
Cependant, elles ne sont pas dénuées de critiques. L'articulation entre le droit étranger et le droit du for peut être difficile. Par ailleurs, il est certain que la connaissance du droit étranger n'est pas toujours aisée, tant pour les parties que pour les juges ou pour le notaire. Enfin, certaines dispositions du droit étranger sont difficilement conciliables avec le système juridique du for.
Mais surtout, les principales critiques ont porté sur le caractère abstrait et automatique des règles de conflit 1525708750343. De nombreux auteurs remettent en cause la neutralité des règles de conflit de lois, leur caractère « aveugle », notamment David F. Cavers (1902-1988) 1525708782273. Cet auteur américain considère que les conflits de lois devraient être résolus en prenant en compte la teneur des lois en présence. Il a mis en place des « principes de référence » conçus comme des préférences de jugement, afin que le juge puisse toujours appliquer les dispositions les plus adaptées au but poursuivi. Selon ces principes, le juge va envisager le contenu des lois en conflit avant de trancher le conflit de lois, afin d'appliquer la loi la plus adaptée au but poursuivi. En matière délictuelle par exemple, le juge tranchera pour la règle de conflit de lois qui permettra d'appliquer la loi permettant la réparation la plus importante pour le demandeur ou permettant la mise en œuvre de la responsabilité du défendeur.

La méthode unilatérale

La méthode unilatérale a pour fondement la souveraineté des États. Elle détermine le champ d'application de la seule loi du for. Ainsi une règle de conflit unilatérale française détermine les cas dans lesquels la loi française est applicable. En aucun cas elle ne désigne de loi étrangère.
L'unilatéralisme ne permet pas qu'une règle de conflit puisse désigner, par exemple, la loi allemande. Seules les règles de conflit de lois allemandes pourraient la désigner.
Cette méthode est celle de l'école statutaire 1544377812402. C'est également celle adoptée par les rédacteurs de l'article 3, alinéa 3 du Code civil qui ont déterminé le champ d'application de la loi française en ces termes : « Les lois concernant l'état et la capacité des personnes régissent les Français, même résidant en pays étranger ».
Cette règle est donc qualifiée d'unilatérale, car elle ne désigne que l'emprise de la loi française. À noter qu'avec le temps, cette règle s'est bilatéralisée. En effet, la cour d'appel de Paris 1525707812937en 1814 et la Cour de cassation dans un arrêt Bulkley 1525707863683ont précisé que « l'état et la capacité des personnes sont soumis à la loi nationale ». Cette règle est devenue bilatérale, car elle désigne la loi française si la personne est française et une loi étrangère si la personne est étrangère.
L'article 309 du Code civil, anciennement 310 dudit code, est une autre règle de conflit de lois unilatérale, qui édicte que : « Le divorce et la séparation de corps sont régis par la loi française :
  • lorsque l'un et l'autre des époux ont la nationalité française ;
  • lorsque les époux ont, l'un et l'autre, leur domicile sur le territoire français ;
  • lorsqu'aucune loi étrangère ne se reconnaît compétente, alors que les tribunaux français sont compétents pour connaître du divorce ou de la séparation de corps » 1525708599993.
De même, l'article 370-4 du Code civil dispose que : « Les effets de l'adoption prononcée en France sont ceux de la loi française ».

L'évolution des règles de conflit de lois

Aujourd'hui, face aux critiques, la méthode classique tend à se rénover par l'utilisation d'autres procédés comme les principes de la proximité (A), de l'autonomie de la volonté des parties (B) et par des règles à coloration matérielle (C).

Le principe de la proximité

Le principe de proximité s'adresse au législateur et l'encourage à définir des critères qui prennent mieux en compte les liens entre une situation juridique et les critères de rattachement. L'idée étant qu'un critère unique pour définir une catégorie de rapport de droit peut être insuffisant 1525708983225. Ainsi, la notion de résidence habituelle aujourd'hui utilisée notamment dans le règlement « Successions » semble quelque peu inadaptée, compte tenu des modes de vie de certains citoyens. Une même personne peut aujourd'hui vivre à Paris et à Saint-Barthélemy, à Los Angeles ou à Gstaad. Le critère d'une résidence habituelle unique ne semble plus adapté, car difficile à manier. Ne serait-il pas opportun dans ce cas de dégager une nouvelle règle de rattachement qui prendrait en compte la multiplicité des résidences ?
Le principe de proximité s'adresse également aux juges en leur donnant la possibilité de choisir, au sein d'une règle de conflit, la loi dont la proximité est la plus évidente. Il a été mis en évidence par le professeur Paul Lagarde 1525709027935.
La construction jurisprudentielle de ce principe est à souligner. Elle était venue se substituer au législateur. Cette idée était dans la droite ligne de la pensée savignienne, réadaptée à notre société contemporaine. Le juge est autorisé à finalement retenir la loi qui entretient les liens les plus étroits avec la situation dans le cadre de son pouvoir modérateur dont il doit faire un usage circonstancié 1525709086819.
Ce principe de proximité intervient aussi par le jeu de la clause dite « d'exception », présente dans des conventions internationales et des règlements européens. Voici quelques exemples :
  • le règlement Rome II sur les obligations non contractuelles, qui dispose à son article 4-3 que : « S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé aux paragraphes 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question » ;
  • le règlement n° 650/2012 sur les successions internationales dispose dans son article 21-2 que : « Lorsque, à titre exceptionnel, il résulte de l'ensemble des circonstances de la cause que, au moment de son décès, le défunt présentait des liens manifestement plus étroits avec un État autre que celui dont la loi serait applicable en vertu du paragraphe 1, la loi applicable à la succession est celle de cet autre État ».La mise en œuvre de ce principe a été très fortement influencée par le système dit de la proper law , ou du « centre de gravité ». Cette méthode est originaire des États-Unis et trouve son inspiration dans le système de la common law et de son raisonnement inductif qui consiste à généraliser à partir de précédents, en observant les analogies. C'est une méthode plus factuelle. Aux États-Unis, cette méthode a rencontré un certain succès. En Europe, certains pays ont été plus influencés que d'autres.
Le système de la proper law repose sur un plus large pouvoir des juges et regroupe plusieurs variantes. Trois techniques fréquemment utilisées aux États-Unis peuvent être exposées :
  • la technique du groupement des points de contact. Il s'agit de déterminer in concreto l'État dans lequel est localisé le centre de gravité effectif de la situation ;
  • la doctrine de l'analyse des intérêts gouvernementaux. Le juge doit déterminer les intérêts étatiques en présence dans chaque cas d'espèce et en tirer les conséquences pour déterminer la loi nationale qui aura le plus intérêt à s'appliquer 1526819996857 ;
  • la doctrine de la justice dans chaque décision, développée par David. F. Cavers, qui consiste à déterminer la loi applicable en fonction du résultat de chaque loi nationale potentiellement applicable. La loi finalement appliquée est celle que le juge considérera la plus juste. Ainsi, en matière de responsabilité civile, la loi retenue est celle qui est la plus protectrice pour le demandeur 1525709459073.

L'essor de l'autonomie de la volonté

Par ailleurs, le principe de l'autonomie se développe et est venu se substituer à de nombreuses règles de rattachement objectives. La nouveauté vient du fait qu'il s'est d'abord appliqué à la matière contractuelle. Aujourd'hui, il progresse dans d'autres secteurs juridiques, comme en matière délictuelle ou encore en droit de la famille 1531551741509.
Le règlement n° 864/2007, dit « Rome II », sur les obligations non contractuelles prévoit que :
« 1. Les parties peuvent choisir la loi applicable à l'obligation non contractuelle :
a) par un accord postérieur à la survenance du fait générateur du dommage ;
ou b) lorsqu'elles exercent toutes une activité commerciale, par un accord librement négocié avant la survenance du fait générateur du dommage.
Ce choix est exprès ou résulte de façon certaine des circonstances et ne porte pas préjudice aux droits des tiers ».
Il progresse dans le domaine du droit patrimonial de la famille. Le règlement n° 1259/2010, dit « Rome III », prévoit que si les époux sont d'accord, ils pourront choisir la loi applicable à leur divorce ou à leur séparation de corps. À défaut de choix par les parties, le règlement détermine la loi applicable. Le règlement offre aux époux une grande flexibilité et les lois susceptibles d'être choisies seront celles avec lesquelles ils ont des liens étroits.
Selon l'article 5, les lois susceptibles d'être choisies sont les suivantes :
  • « la loi de l'État de la résidence habituelle des époux au moment de la conclusion de la convention, ou ;
  • la loi de la dernière résidence habituelle des époux pour autant que l'un d'eux y réside encore au moment de la conclusion de la convention, ou ;
  • la loi de l'État de la nationalité de l'un des époux au moment de la conclusion de la convention, ou ;
  • la loi du for ».
Le règlement donne un pouvoir accru à la volonté des parties, ce qui était encore très inconcevable il y a quelques années dans ce domaine. Il encadre néanmoins cette volonté des parties en visant les systèmes juridiques qu'elles ont la faculté de choisir.

Les règles à coloration matérielle

La méthode classique, qui a pris en compte les principes de proximité et d'autonomie, a également évolué en mettant en place des règles à coloration matérielle. L'objectif ici est de répondre aux critiques faites aux règles de conflit de lois quant à la neutralité des règles.
Ces règles, appelées aussi « règles de conflit à caractère substantiel »  ou « règles semi-matérielles » sont neutres, mais cette neutralité n'est qu'apparente, car elles prennent en compte le résultat que l'on souhaite obtenir.
A priori, ces règles ne sont pas matérielles, mais elles sont bien des règles de conflit de lois, car elles fonctionnent avec des critères de rattachement. Cependant, derrière ces règles, il existe un objectif. Il s'agit soit de protéger une partie avec des règles de conflit hiérarchisées ou cumulatives, soit de valider le plus largement possible une situation, avec des règles de conflit alternatives. Ces règles ne sont donc pas totalement neutres. Elles cherchent à atteindre un objectif.
Un des objectifs poursuivis par ces règles est le souci de ne pas remettre en cause une situation. Ainsi, la Convention de La Haye du 5 octobre 1961 sur les dispositions testamentaires prévoit plusieurs éléments de rattachement possibles, afin de trouver au moins une loi permettant de valider les conditions de fond d'un testament. Ces règles de conflit sont alternatives. Il s'agit ici de pouvoir valider le plus largement possible les testaments quant à leur forme. Ces règles de conflit ont donc une approche fonctionnelle, la validation des dispositions testamentaires par la mise en place d'un principe de faveur.
L'article premier dispose qu'« une disposition testamentaire est valable quant à la forme si celle-ci répond à la loi interne :
  • du lieu où le testateur a disposé, ou ;
  • d'une nationalité possédée par le testateur, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou ;
  • d'un lieu dans lequel le testateur avait son domicile, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès, ou ;
  • du lieu dans lequel le testateur avait sa résidence habituelle, soit au moment où il a disposé, soit au moment de son décès ;
  • pour les immeubles, du lieu de leur situation ».
Un autre exemple peut être donné par la convention de Rome, dite « Rome I », qui fixe comme principe l'autonomie de la volonté. Cependant, la convention prévoit également que dans certains domaines comme celui de la protection due au consommateur contractant, ce principe d'autonomie de la volonté ne peut pas conduire à priver le consommateur de la protection de sa loi nationale.
Les règles de conflit à coloration matérielle peuvent être hiérarchisées afin de protéger certaines parties. Une règle prioritaire est définie. Si celle-ci ne permet pas d'obtenir le résultat souhaité, une autre règle est prévue, et ainsi de suite. L'ordre établi par le texte doit être respecté.
C'est le cas par exemple de la Convention de La Haye du 2 octobre 1973 sur la loi applicable aux obligations alimentaires. Dans son article 4, la convention prévoit que : « La loi interne de la résidence habituelle du créancier d'aliments régit les obligations alimentaires visées à l'article premier. En cas de changement de la résidence habituelle du créancier, la loi interne de la nouvelle résidence habituelle s'applique à partir du moment où le changement est survenu ». Son article 5 édicte que : « La loi nationale commune s'applique lorsque le créancier ne peut obtenir d'aliments du débiteur en vertu de la loi visée à l'article 4 ». Son article 6 précise que : « La loi interne de l'autorité saisie s'applique lorsque le créancier ne peut obtenir d'aliments du débiteur en vertu des lois visées aux articles 4 et 5 ».
C'est aussi le cas des dispositions prévues aux articles 3 et 4 du Protocole du 23 novembre 2007 sur la loi applicable aux obligations alimentaires, qui retient la loi de l'État de la résidence habituelle du créancier ou, pour certains créanciers, la loi du for lorsqu'il ne peut pas obtenir d'aliments en vertu de cette première loi.
Enfin, les règles peuvent également être cumulatives. Il est nécessaire dans ce cas que plusieurs critères soient respectés. En multipliant les conditions, on tente d'éviter qu'un résultat puisse être atteint ou l'on tente de limiter sa mise en œuvre.
Il en va ainsi, par exemple, de l'article 370-3 du Code civil qui précise que : « Les conditions de l'adoption sont soumises à la loi nationale de l'adoptant ou, en cas d'adoption par deux époux, par la loi qui régit les effets de leur union. L'adoption ne peut toutefois être prononcée si la loi nationale de l'un et l'autre époux la prohibe. L'adoption d'un mineur étranger ne peut être prononcée si sa loi personnelle prohibe cette institution, sauf si ce mineur est né et réside habituellement en France. (…) ».
Ce texte exige que plusieurs lois valident le principe de l'adoption et, en conséquence, restreint sa mise en œuvre.