Les règles de compétence du règlement Bruxelles II bis

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Les règles de compétence du règlement Bruxelles II bis

Il faut distinguer entre les articles 3 à 5, et 6 et 7 du règlement.

Les articles 3 à 5 du règlement Bruxelles II bis : la compétence générale

L'article 3 prévoit des règles à rattachements alternatifs et non hiérarchisés : cela signifie que si une pluralité de chefs de compétence est remplie, le demandeur dispose d'un large choix.
L'article 3 dispose que sont compétentes les juridictions de l'État membre :
  • « sur le territoire duquel se trouve :
  • b) de la nationalité des deux époux 1511524219017
ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, du "domicile" commun ».
S'agissant de la « résidence habituelle », une difficulté peut se poser quant à sa détermination, le règlement n'en donnant aucune définition.
La Cour de cassation, dans un arrêt du 14 décembre 2005 1511524630998, a précisé ce qu'il fallait entendre par résidence habituelle dans le cadre du règlement. Elle a repris la définition de la résidence habituelle dégagée par la Cour de justice et a précisé que la notion de résidence habituelle, notion autonome du droit communautaire, se définit comme le lieu ou l'intéressé a fixé, avec la volonté de lui conférer un caractère stable, le centre permanent ou habituel des ses intérêts. Il s'agit donc d'un raisonnement par faisceaux d'indices.
Du fait des critères de rattachement alternatifs, des situations de litispendance 1511530702721peuvent se produire.
Si les époux ont saisi deux juridictions différentes, il faut alors déterminer laquelle d'entre elles sera amenée à se prononcer. Sur ce point, l'article 19 du règlement pose le critère priore tempore potior jure 1511531954746 :
« 1. Lorsque des demandes en divorce, en séparation de corps ou en annulation du mariage sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d'États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d'office à statuer jusqu'à ce que la compétence de la juridiction première saisie soit établie.
(...)
 3. Lorsque la compétence de la juridiction première saisie est établie, la juridiction saisie en second lieu se dessaisit en faveur de celle-ci » 1511533611107.
La question est importante en ce que, en cas de litispendance, il incombe aux parties de déterminer la date et l'heure de la saisine des juridictions 1511531604089pour déterminer laquelle a été saisie en premier.
Si l'article 3 du règlement Bruxelles II bis ne permet pas de fonder la compétence d'un juge d'un État membre, il faut vérifier si d'autres dispositions dudit règlement sont susceptibles de fonder une telle compétence.

<em>Quid</em> du décalage horaire ?

Puisqu'il faut parfois comparer les heures de saisine, la prise en considération du décalage horaire pose des questions pratiques importantes. Comment, en effet, apprécier l'antériorité de la saisine lorsque face à un cas de litispendance, les juridictions saisies ne sont pas soumises au même fuseau horaire ?

Exemple : Le juge anglais est saisi d'une requête en divorce à 14 h 00, heure locale. L'épouse souhaitant également divorcer saisit le même jour un tribunal bulgare à 15 h 00, heure locale. Précisons qu'entre l'Angleterre et la Bulgarie, le décalage horaire est de deux heures.

Quelle est alors la juridiction première saisie ?

L'une des solutions serait de prendre en compte l'heure de chaque pays, sans considérer le décalage horaire, c'est-à-dire 14 h 00 pour l'Angleterre et 15 h 00 pour la Bulgarie. De la sorte, il faudrait conclure à la compétence du juge anglais. Une telle solution présente des désavantages évidents pour les plaideurs établis sur le sol d'États situés géographiquement à l'est de l'Union européenne.

Une autre solution serait de déterminer l'heure de saisine en se basant sur une heure GMT0 ou UTC0, cela dans le but de ne pas favoriser outre mesure les États situés à l'ouest. Le fuseau horaire de l'Angleterre, actuellement (heure d'été), est de GMT+1 ; celui de la Bulgarie GMT+3. Ainsi, il faudrait reculer l'horaire anglais d'une heure et l'horaire bulgare de trois heurespour arriver à un point GMT0 et obtenir une équivalence, de sorte que, dans le présent exemple, le juge anglais serait réputé saisi à 13 h 00 et le juge bulgare à 12 h 00 : l'exception de litispendance jouerait alors en faveur du juge bulgare qui pourrait ainsi se prononcer sur le divorce.

Le notaire, amené à conseiller son client en amont de la procédure de divorce, devra lui indiquer que l'heure de la saisine doit être portée sur les documents constitutifs de l'acte introductif d'instance pour se ménager une preuve.

L'article 4, relatif à la demande reconventionnelle, et l'article 5, afférent à la conversion de la séparation de corps en divorce, du règlement Bruxelles II bis sont également susceptibles de fonder la compétence du juge d'un État membre.
Aux termes de ces textes, il apparaît que :
Article 4 : « La juridiction devant laquelle la procédure est pendante en vertu de l'article 3, est également compétente pour examiner la demande reconventionnelle, dans la mesure ou celle-ci entre dans le champ d'application du présent Règlement ».
Article 5 : « La juridiction de l'État membre qui a rendu une décision sur la séparation de corps est également compétente pour convertir cette décision en divorce, si la loi de cet État membre le prévoit ».
Force est de constater qu'en pratique le notaire sera rarement confronté à l'application de ces textes, les situations entraînant leur application étant peu fréquentes 1511535105774.

Les articles 6 et 7 du règlement : l'éventuel retour au droit commun

En pratique, l'article 6 du règlement n° 2201/2003 s'avère d'une utilisation fréquente.
Selon cet article : « Un époux qui : a) a sa résidence habituelle sur le territoire d'un État membre, ou b) est ressortissant d'un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, a son "domicile" sur le territoire de l'un de ces États membres, ne peut être attrait devant les juridictions d'un autre État membre qu'en vertu des articles 3, 4 et 5 ».
Cet article 6 prévoit une règle selon laquelle les défendeurs protégés ne peuvent pas être attraits devant les juridictions d'un État membre en vertu du droit national des États. Implicitement, les règles de droit commun sont donc exclues.
En d'autres termes, les articles 3 à 5 du règlement Bruxelles II bis ont un caractère exclusif. Il n'est donc possible de revenir au droit commun français que si aucune de ces règles ne donne compétence au juge d'un État membre. Il s'agit de la compétence subsidiaire du droit commun français.
Par ailleurs, l'article 7 du règlement Bruxelles II bis prévoit que :
« 1. Lorsque aucune juridiction d'un État membre n'est compétente en vertu des articles 3, 4 et 5, la compétence est, dans chaque État membre, réglée par la loi de cet État.
2. Tout ressortissant d'un État membre qui a sa résidence habituelle sur le territoire d'un autre État membre peut, comme les nationaux de cet État, y invoquer les règles de compétence applicables dans cet État contre un défendeur qui n'a pas sa résidence habituelle dans un État membre et qui ou bien n'a pas la nationalité d'un État membre ou, dans le cas du Royaume-Uni et de l'Irlande, n'a pas son "domicile" sur le territoire de l'un de ces États membres ».

Exemple

X, de nationalité suisse, et Y, de nationalité franco-suisse, se sont mariés en Suisse où ils résident dans deux cantons différents. Ils sont propriétaires de biens immobiliers situés en France et en Suisse, acquis pendant le mariage. X souhaite divorcer. Il dépose une requête en divorce devant le juge français le 15 septembre 2017. À l'occasion d'une visite en France, Y ayant reçu l'assignation, consulte son notaire le 24 novembre 2017 et l'interroge sur la compétence de la juridiction saisie.

Le notaire vérifie dans un premier temps que les trois champs d'application du règlement Bruxelles II <em>bis</em> sont réunis (il s'agit bien d'une demande en divorce après le 1<sup>er</sup> mars 2005 mettant en cause un époux de nationalité française, la France étant un État membre). Il en conclura donc à son applicabilité.

Le notaire devra alors examiner les articles 3 à 5 du règlement afin de déterminer si, au vu de ces règles de compétence générale, le juge français (juridiction d'un État membre) pouvait être valablement saisi.

La réponse est en l'espèce négative, aucun des chefs de compétence de l'article 3 n'étant satisfait. Il convient de signaler en outre que cet article ne donne compétence, dans le cas présent, à aucun autre juge d'un État membre (la Suisse étant pour rappel un État tiers).

De plus, s'agissant d'un divorce et non d'une demande reconventionnelle ou d'une conversion de séparation de corps en divorce, les articles 4 et 5 du règlement ne permettent pas de fonder la compétence d'un juge d'un État membre.

Il est donc impératif de s'assurer si Y est un défendeur protégé au sens de l'article 6 du règlement.

En l'espèce, ayant la double nationalité, dont la nationalité française, Y bénéficie du statut de « défendeur protégé » dont dispose l'article 6 du règlement.

Dès lors, Y ne peut être attrait que devant les tribunaux de l'État faisant de lui un défendeur protégé : en l'occurrence l'ordre juridique français.

Enfin, afin de déterminer la juridiction compétente au sein de cet ordre, il convient d'appliquer les règles de droit commun français.

NB : Le juge suisse pourrait également être fondé à reconnaître sa compétence en vertu des règles de droit international privé suisse, ce qui pourrait en cas de saisine de la juridiction suisse par Y aboutir à un cas de litispendance.

Dans l'hypothèse où il y a lieu de revenir à l'application du droit commun français, diverses dispositions sont potentiellement applicables.
En matière de divorce, les articles 14 et 15 du Code civil sont d'application résiduelle. Ils n'ont en effet vocation à s'appliquer que si l'article 1070 du Code de procédure civile ne permet pas d'aboutir à la compétence d'une juridiction française. Ces règles françaises peuvent être étendues aux litiges internationaux en vertu des jurisprudences Pelassa et Scheffel précitées.
L'article 1070 du Code de procédure civile dispose que : « Le juge aux affaires familiales territorialement compétent est :
  • le juge du lieu où se trouve la résidence de la famille ;
  • si les parents vivent séparément, le juge du lieu de résidence du parent avec lequel résident habituellement les enfants mineurs en cas d'exercice en commun de l'autorité parentale, ou du lieu de résidence du parent qui exerce seul cette autorité ;
  • dans les autres cas, le juge du lieu où réside celui qui n'a pas pris l'initiative de la procédure.
En cas de demande conjointe, le juge compétent est, selon le choix des parties, celui du lieu où réside l'une ou l'autre ».
Il convient de vérifier ces critères un à un. Si cet article ne permet pas de désigner le juge français comme compétent, les privilèges de juridiction prévus aux articles 14 1511539562078et 15 1511539667019du Code civil peuvent justifier la compétence du juge français si soit le demandeur soit le défendeur a la nationalité française.