La tontine à l'international

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

La tontine à l'international

Le conseil du notaire doit s'appuyer sur la vérification de la bonne applicabilité du pacte tontinier dans les pays qui seront concernés par une autre partie du patrimoine international. Si le transfert de propriété est traité hors succession en France, en sera-t-il de même à l'étranger ? Par ailleurs, il existe une institution proche de la tontine qu'il est important de connaître afin de ne pas la confondre avec elle : le joint tenancy. Peut-il être reconnu et appliqué dans le cadre d'une détention immobilière en France ?

L'accueil d'une tontine française à l'étranger

Le pacte tontinier prévu dans un acte de vente immobilière est une technique employée dans d'autres pays européens tels que la Belgique, où l'on parle de clause d'accroissement.
Il sera donc aisément reconnu dans ce pays. Fiscalement, le transfert de propriété sera traité en France, lieu de situation de l'immeuble, selon le barème des droits de mutation en cas de succession, conformément à la convention fiscale franco-belge 1540735056624.
En effet, en France, le transfert de propriété est en principe soumis aux droits de mutation à titre gratuit ; cependant, s'agit-il des droits français ou belges ? Selon la convention fiscale précitée, la taxation est opérée dans l'État de situation du bien, soit en France et selon le tarif français.
Aux Pays-Bas, la clause de tontine n'est pas insérée dans un contrat de vente, mais une clause de survie peut être prévue « dans un contrat de mariage, de cohabitation ou un contrat de société en nom collectif » 1540735243294. En présence de ressortissants néerlandais qui résident habituellement aux Pays-Bas et qui seront donc à ce titre soumis à la loi successorale de cet État, il conviendra donc d'approfondir les conditions de reconnaissance de la tontine française : considérera-t-on que puisque la clause est contenue dans le contrat de vente, elle s'applique automatiquement et soustrait le bien à la loi successorale néerlandaise ? Ou celle-ci ne connaissant pas ce type de clause, devra-t-on inclure le bien immobilier français dans la masse successorale ? A priori, il est permis de penser que la première option sera plus logique. Le contrat de vente comprend une clause qui s'applique immédiatement en cas de décès. Le bien ne rentre pas dans la succession. D'un point de vue fiscal, il n'existe pas de convention entre la France et les Pays-Bas en matière de successions et de donations. Le transfert de propriété sera donc traité en France suivant l'article 750 ter du Code général des impôts et le barème fiscal français.
En Espagne, selon Guillaume Soudey, le pacte tontinier est connu mais peu utilisé 1540735277582.
Dans les pays de common law, il existe une technique de transmission très proche mais qui diverge sur plusieurs points cruciaux : le joint tenancy. Détaillé ci-après, sa proximité avec le pacte tontinier laisse supposer que le mécanisme de la tontine française ne verra pas d'opposition dans les pays qui le pratiquent. Inversement, la question de l'accueil de cette institution étrangère dans le système juridique français peut aussi être posée.

L'accueil en France d'une institution étrangère proche de la tontine : le joint tenancy

La tontine a été beaucoup conseillée, dans le cadre des acquisitions immobilières réalisées par des acquéreurs anglo-saxons en France, par les solicitors qui voyaient en elle une mesure proche du joint tenancy. Celui-ci est cependant différent, car il s'agit d'une institution correspondant à une forme de détention d'un bien immobilier et non une construction conventionnelle insérée dans un contrat de vente. Cette institution permet à deux personnes ou plus (les joint tenants) d'acquérir un bien immobilier en indivision puis de le transférer lors du décès de l'une ou l'autre d'entre elles. Le dernier joint tenant survivant sera considéré automatiquement comme ayant été le seul propriétaire de la totalité du bien rétroactivement depuis l'acquisition, de sorte qu'aucune succession ne sera ouverte sur le bien objet du joint tenancy. Une condition déterminante pour que la clause de survie appelée right of survivorship s'applique est que le bénéficiaire du joint tenancy ait un intérêt pécuniaire et affectif à recueillir le bien immobilier, appelé life interest. Cet intérêt commun doit être complété par une unité d'intérêt, de possession, de titre et de temps : l'acquisition par tous les joint tenants doit être réalisée dans le même acte, en même temps et en vue de la détention conjointe du même bien. Cet acte peut être réalisé après l'acquisition du bien immobilier en France.
Le joint tenancy est révocable de façon unilatérale par l'un des joint tenants, sans que cela entraîne de requalification en donation et que le bien soit réintégré dans la succession du prémourant. L'institution devient alors simplement une tenancy in common : une indivision sans clause de survie.
Il peut être conclu entre personnes appartenant à des générations différentes et être transmis à titre gratuit ou onéreux.
Dans quelle mesure le joint tenancy peut-il être appliqué en France ? Quel serait l'impact fiscal d'une telle option ?
C'est une disposition qui est inconnue du droit français. Dès lors peut-elle être conseillée à des acquéreurs anglais ou américains ? Selon Esther Bendelac 1540735708564, il serait possible de l'intégrer comme une technique d'anticipation et d'optimisation successorales dès lors qu'il a été valablement constitué dans un pays de common law qui connaît cette institution. Il faudrait alors que ce pays soit celui de la nationalité des acquéreurs ou leur lieu de résidence habituelle. Il est permis de penser que s'il est valablement constitué à l'étranger, il ne pourra pas être remis en cause lors de l'ouverture de la succession. La transmission du bien immobilier ne relevant pas du droit successoral, il ne sera pas rapportable ni inclus dans la masse de calcul de la réserve héréditaire 1546454777945.
Fiscalement, il est probable que ce joint tenancy serait traité comme une clause de tontine lors du décès du premier joint tenant.
Quel est l'intérêt de prendre en compte un tel mécanisme plutôt qu'un pacte tontinier mentionné dans un acte d'achat ? Il semble que l'intérêt soit d'éviter la situation de blocage que peut générer la clause de tontine en cas de séparation ou divorce des acquéreurs. Le joint tenancy peut être unilatéralement annulé dans le pays d'origine, ce qui permet d'éviter l'un des écueils de la tontine.
Il est à noter que cette institution pourrait aussi être combinée avec l'acquisition sous forme de société civile immobilière pour éviter la réserve héréditaire et tout blocage en cas de séparation, et ainsi optimiser la transmission du bien fiscalement.
Les autres outils juridiques d'anticipation de la transmission successorale ont été développés supra : le changement volontaire de la loi matrimoniale, la rédaction d'un testament avec éventuellement professio juris, la souscription d'une assurance vie.
Nombre de personnes qui ne sont pas de nationalité française veulent utiliser leur société étrangère pour investir en France. Souvent préconisée par leurs conseils juridiques et fiscaux étrangers, cette solution est-elle néanmoins judicieuse lorsqu'elle est confrontée aux règles du droit français ? Ne vaut-il pas mieux opter pour une société française ?

Le coin du praticien

Voici un exemple de joint tenancy qui pourrait être signé aux USA :
« Between the undersigned : Joint tenant 1 … Joint tenant 2 … As joint tenants all the real property located in the City of Paris (France), described as follows (+ description of the property). The said property to be owned in joint tenancy by Mr … joint tenant 1 and Mrs … joint tenant 2.
Date and signature ».