Dans un contrat de vente, le prix est l'un des éléments essentiels pour les parties. En présence de cocontractants étrangers, le notaire doit veiller à apporter la sécurité juridique au contrat de vente qu'il reçoit en anticipant les risques et en apportant le plus de précisions possibles pour limiter les manquements dans le conseil.
La sécurisation du choix de la monnaie du prix de vente
La sécurisation du choix de la monnaie du prix de vente
L'obligation de paiement au moyen de virements bancaires
Les transferts de fonds de compte à compte sont régis par le Code monétaire et financier. Selon l'article L. 112-6-1 de ce code : « Les paiements effectués ou reçus par un notaire pour le compte des parties à un acte reçu en la forme authentique et donnant lieu à publicité foncière doivent être assurés par virement ». Conformément à cet article, un décret du Conseil d'État a imposé le seuil de 3 000 € au-delà duquel les paiements doivent être effectués par virement. En conséquence, tous les paiements relatifs à un dossier de vente d'immeuble doivent être réalisés par virement si le prix est supérieur à 3 000 €.
En matière de vente comportant un élément d'extranéité, le notaire doit avertir ses clients de cette obligation pour qu'ils organisent le transfert des fonds.
Le notaire doit utilement solliciter de son client acquéreur qu'il fournisse une attestation de la banque émettrice certifiant que c'est bien un compte ouvert à son nom qui a été débité. Ceci est évoqué infra, n° .
Tous les pays membres de l'Union européenne sont membres de l'espace unique du paiement en euros, communément appelé SEPA (Single Euro Payments Area), même ceux dont la monnaie n'est pas l'euro. Monaco, la Suisse, le Liechtenstein, la Norvège, l'Islande et Saint-Marin sont aussi membres du SEPA. Celui-ci a été initié par la Banque centrale européenne, des établissements bancaires européens, suisses et monégasques et par la Commission européenne, au moyen d'une directive sur les services de paiement publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 5 décembre 2007. Ensuite, le règlement n° 260/2012 du Parlement européen et du Conseil du 14 mars 2012 a établi les exigences techniques et commerciales pour les virements et les prélèvements en euros et modifié le règlement (CE) n° 924/2009 afin d'harmoniser, sécuriser et faciliter les paiements intra-européens. Ce règlement a privilégié trois moyens de paiements : les virements, les prélèvements et les paiements par carte bancaire. Quelle que soit leur taille, toutes les entreprises sont concernées et elles ne peuvent pas refuser un paiement par prélèvement ou virement en euros au motif que le compte bancaire du consommateur est situé dans un autre État européen
1546851370740. Ainsi, tout paiement transfrontalier en euros est traité avec la même rapidité, la même sécurité et dans les mêmes conditions qu'un paiement national.
La standardisation des paiements facilite la surveillance des paiements en Europe et le contrôle de la fraude et du blanchiment. Cela ne doit pas diminuer la vigilance du notaire à propos des fonds qu'il réceptionne.
Les précautions rédactionnelles sécurisant le contrat
Si les parties choisissent une monnaie de paiement différente de l'euro, le notaire doit identifier les points sensibles potentiellement source de litiges.
Le premier d'entre eux est l'homonymie de certaines monnaies. Le notaire doit bien préciser la monnaie choisie afin d'ôter tout doute sur la monnaie utilisée : livre sterling, livre turque ou livre égyptienne, dollar américain, australien, de Singapour, Hong Kong, néo-zélandais ou canadien, dinar algérien ou irakien, couronne suédoise, norvégienne ou tchèque, peso mexicain ou argentin…
Le second est l'imprévision en raison de l'évolution inéluctable de la monnaie étrangère par rapport à l'euro. Le notaire doit veiller à que les parties signent l'avant-contrat de vente en connaissant parfaitement leurs engagements : l'acquéreur doit connaître le montant de la somme qu'il devra dépenser pour payer le prix de vente et le vendeur doit savoir quel est le prix de vente qu'il va recevoir pour notamment désintéresser ses créanciers. Aucun des deux ne doit subir de perte en raison de la variation des taux de change entre la signature de l'avant-contrat et celle de l'acte de vente. À défaut, l'article 1195 du Code civil issu de l'ordonnance du 10 février 2016, prévoit que si « un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». En d'autres termes, si la dépense initialement prévue par l'acquéreur dans sa monnaie de paiement étrangère augmente sensiblement entre l'avant-contrat et l'acte authentique de vente parce que l'euro a une valeur accrue, celui-ci peut solliciter une renégociation du prix de vente.
L'article 1195, alinéa 2 du Code civil poursuit en indiquant qu'en « cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou demander d'un commun accord au juge de procéder à son adaptation ». Cela signifie que le contrat de vente demeure fragile et incertain, car si les parties ne parviennent pas à un accord sur un nouveau prix ou de nouvelles modalités de paiement, elles peuvent décider de l'annuler. Pire, à défaut d'accord entre les parties, le juge peut « réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ». Il pourra alors être reproché au notaire de ne pas avoir anticipé la dégradation du taux de change de la monnaie étrangère dans la période précontractuelle.
Il est à noter que le principe de la force obligatoire des contrats est a priori respecté puisqu'un contrat doit être appliqué dès lors qu'il est clairement établi. Mais il n'en demeure pas moins que le notaire supporte la lourde responsabilité de le sécuriser, car sinon il peut être résolu amiablement ou judiciairement.
Le notaire ne devrait donc pas prévoir que le prix de vente fixé à un certain montant dans l'avant-contrat sera payé au moment de l'acte authentique de vente selon le taux de change en vigueur au moment de la réitération par acte authentique.
En conséquence, lorsque les parties prévoient dans l'avant-contrat de vente que le prix en euros sera payé dans une monnaie de paiement étrangère (par ex. en livres sterling), le notaire doit leur conseiller de fixer le prix de façon ferme et définitive dès ce stade du processus de vente.
Le coin du praticien
Il convient de mentionner que le prix « X » en euro correspond au jour de l'avant-contrat à la somme de « X' » livres sterling selon le taux de change du jour et que ce prix ne variera pas, quel que soit le cours de la monnaie étrangère par rapport à l'euro au moment de la signature de l'acte authentique de vente.
Voici un modèle de clause qui peut être proposé en la matière : « Les parties conviennent que le prix de vente est de : … euros. D'un commun accord entre elles, les parties déclarent que ledit prix correspond à la somme de … + devise étrangère convenue entre les parties, selon le taux de conversion de change en vigueur à la date du …, d'un montant de … équivalent pour UN EURO ».
De même, en présence d'un vendeur étranger ou d'un vendeur français résidant à l'étranger qui a donné un relevé bancaire d'un compte ouvert sous une autre devise, il est conseillé au notaire de l'informer qu'il va recevoir son prix en euros et qu'il lui appartient de se renseigner sur les conditions imposées par sa banque pour la réception des fonds. Il est important de lui expliquer qu'il devra payer une commission à sa banque et que le taux de change en vigueur au moment du virement bancaire sera appliqué.
Cette information peut être capitale lorsque le pays destinataire des fonds utilise une monnaie considérée comme fragile, susceptible d'être dévaluée compte tenu des circonstances géopolitiques. Cela peut permettre au vendeur de réaliser qu'il doit songer à transférer les fonds via un organisme de conversion de change qui l'aidera à sécuriser son capital en bloquant un taux convenable pour lui.
Le coin du praticien
Cette information peut être transmise selon le modèle suivant :
« Cher M./Mme…, je vous informe que le paiement du prix de vente sera effectué en euros. Je vous laisse le soin de vous renseigner auprès de votre établissement bancaire afin de connaître les conditions et modalités de la conversion des fonds lors de leur réception et le montant de la commission qui sera prélevé par votre banque ».
Ensuite, dans l'hypothèse rarissime où le vendeur affirmerait dès la préparation de l'avant-contrat qu'il accepte de vendre son bien immobilier à condition de recevoir une certaine somme d'argent en devises étrangères, sur un compte ouvert à l'étranger, le notaire devrait lui indiquer quelles sont les conséquences de son choix. Entre le moment de l'accord des parties sur le prix de vente en euros et le paiement du prix de vente par le notaire au vendeur après la signature de l'acte de vente sur le compte du vendeur, il pourrait s'écouler plusieurs mois. Dès lors, le vendeur pourrait subir la variation à la baisse du taux de change entre l'euro et la monnaie étrangère. Si ce risque est généralement accepté par les vendeurs étrangers, ils pourraient tout de même reprocher au notaire français de ne pas avoir pris toutes les mesures nécessaires pour les protéger.
Il est permis de se demander si le vendeur ne pourrait pas invoquer l'article 1195 du Code civil et solliciter la renégociation du prix de vente au motif « qu'un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse » pour lui et qu'il « n'avait pas accepté d'en assumer le risque ». Si la différence entre le montant escompté au moment de son acceptation du prix de vente et la somme qu'il reçoit au moment du transfert sur son compte en devises étrangères est relativement importante, il pourrait être tenté non seulement de demander à l'acquéreur un prix de vente plus élevé, mais encore de mettre le notaire en cause pour défaut de conseil. Afin d'éviter toute complication, il est fortement conseillé aux notaires de ne pas signer d'avant-contrat contenant ce genre de modalités.
Pour prévenir les parties des risques de pertes financières en raison de la variation des taux de change, le notaire peut prévoir une clause dans l'avant-contrat qui sera reprise dans l'acte authentique de vente. En le signant, les parties reconnaîtront qu'elles ont reçu l'information. Elles ne pourront donc pas prétendre qu'elles n'ont pas été alertées par le notaire.
Ensuite, le notaire peut prévoir une information spécifique du vendeur étranger par courrier ou par courriel, non seulement sur les conséquences possibles du transfert de fonds sur un compte en devises étrangères, mais aussi sur l'existence d'organismes de conversion des fonds qui permettent de bloquer le taux dès la signature de l'avant-contrat de vente. Le notaire peut même demander au vendeur de lui confirmer qu'il a bien reçu cette information et qu'il assumera la responsabilité et les conséquences de l'utilisation des fonds transférés sur un compte étranger.
Lorsqu'un notaire reçoit un acte de vente entre deux personnes étrangères résidant dans le même pays, celles-ci souhaitent parfois que le prix de vente soit payé dans une monnaie différente de l'euro afin d'économiser des frais de conversion de change. Cela peut intéresser par exemple un vendeur britannique dont le projet est de réinvestir au Royaume-Uni, ou un vendeur et un acquéreur suédois qui souhaitent effectuer la vente en couronnes suédoises. Dans quelle mesure cela est-il permis en cas de vente d'un bien immobilier situé en France ?
Le coin du praticien
Le notaire pourrait reprendre le modèle de clause suivant :
« Selon l' article 1195 du Code civil, une partie peut accepter d'assumer le risque d'un contrat dont l'exécution serait devenue excessivement onéreuse pour elle en raison d'un changement de circonstances imprévisible lors de sa conclusion. En ce sens, le VENDEUR et l'ACQUÉREUR décident d'évincer l'application de l'article 1195 du Code civil précisant le régime juridique de l'imprévision. Les parties acceptent, en conséquence, en cas d'imprévision telle que définie par l'article précité, d'en supporter toutes les conséquences économiques et financières ».