La condition des sociétés

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La condition des sociétés

Après l'étape de la constitution qui a permis à la société d'acquérir la personnalité morale, il convient de s'interroger sur les droits attachés à cette personnalité juridique. Ces droits dépendent de la nationalité de la société. Or, le droit positif révèle une convergence des droits octroyés entre les sociétés françaises et les sociétés étrangères. Malgré cette tendance, les sociétés ne jouissent pas exactement des mêmes droits en fonction de leur nationalité. Par conséquent, étudions les règles d'attribution de la nationalité aux sociétés (§ I)et aux groupes (§ II), puis les conséquences attachées à la nationalité des sociétés (§ III).

Attribution de la nationalité aux sociétés

Aujourd'hui, la légitimité et l'existence de la nationalité des sociétés ne sont plus contestées. Au début duxx e siècle, la controverse était cependant vive.
Si la nationalité doit être entendue comme « le lien qui unit une personne à un État » 1544872398446, quels sont les critères qui permettent son attribution ?
La société est rattachée à un ordre juridique. Une fois constituée en application des règles d'un État, elle en acquiert la nationalité. Celle-ci diffère de la loi applicable à la société.
La nationalité des sociétés dépend principalement en France du critère de la localisation de leur siège social réel, présumé être le siège social statutaire.
La théorie du siège social impose que l'on distingue le siège social statutaire (A)du siège social réel (B).

Le siège social statutaire

Le siège social statutaire est le lieu indiqué dans les statuts. Celui-ci confirme le pays d'exécution des formalités. En pratique, il existe peu de différences avec la théorie de l'incorporation ci-avant étudiée. En effet, il existe une tendance pour les pays usant de la méthode de l'incorporation à imposer que la société établisse son siège social dans l'État de sa constitution. Le siège statutaire est normalement le siège réel, dans une telle hypothèse la société acquiert cette nationalité. En cas de discordance entre le siège statutaire et le siège réel, alors la nationalité de cette société devrait être celle de l'État où la société à son siège réel.

Le siège social réel

Le siège social réel est le lieu du principal établissement.
Parfois on le dénomme sous le terme «siège réel». Ce siège doit cumuler deux caractéristiques : il doit être réel (I)et sérieux (II).

Caractère réel

Plusieurs critères, dont ceux de la direction effective ou du contrôle, permettent à la jurisprudence française d'établir le caractère réel.
Le critère de la direction effectiveimpose de prendre en considération le lieu où fonctionnent les organes dirigeants de la société (le lieu des conseils d'administration 1544873952644ou du centre des décisions) et une éventuelle subordination économique à une autre personne morale.
La direction effective s'analyse au regard tant des secteurs de direction juridique, financière, administrative, technique que commerciale. En cas d'éclatement entre plusieurs pays et de convergence du lieu du siège statutaire avec des indices de direction vers ce même pays, cela caractérisera le siège social 1544874043878.
Le critère du contrôleconsiste à attribuer à la société la nationalité des détenteurs majoritaires du capital. Cette notion a été développée à la suite des deux guerres mondiales en distinguant le rattachement soit juridique, soit économique 1544874106781. L'utilisation de ce critère de contrôle en période de guerre avait pour objectif de traverser le filtre de la personnalité morale de la société pour atteindre les individus qui la dirigeaient.

Exemple d'attribution de la nationalité par application du critère du siège réel

La société Council est immatriculée à Londres. Les associés sont les membres de la même famille, Vincent le père, François le fils et Paule la fille. Seule Paule habite Londres. Les autres ont leur résidence à Paris. Vincent est le président de la société. François tient la comptabilité. Les décisions d'assemblée ont toujours lieu à Paris, Paule se déplace à chaque fois. La société est de nationalité française 1544874193034.

Caractère sérieux

Celui-ci permet de sanctionner la société constituée à l'étranger dans le but principal d'éviter la loi française.

Exemple de société ne remplissant pas le critère du caractère sérieux

M. Dumaire procède à la création d'une société à Chypre. Elle est soumise à la théorie de l'incorporation et constituée sous la forme d'unePrivate Limited Company. M. Dumaire signe une convention de domiciliation avec une société ayant son siège à Chypre. M. Dumaire réside à Lyon où il exerce son activité. L'administration fiscale française a la possibilité d'opposer le siège réel et sérieux à M. Dumaire. Elle peut soumettre la société à la loi française 1544874326102.

Attribution de la nationalité aux groupes

En matière de nationalité des groupes de sociétés, l'idée d'une nationalité unique pour toutes les sociétés d'un même groupe a été émise 1544947467518. Selon un auteur 1544947494366, il est impossible de reconnaître aux groupes la nationalité, car c'est un attribut de la personnalité juridique. Les groupes n'ont pas de personnalité morale 1544947547219.

Conséquences attachées à la nationalité des sociétés

De la nationalité française ou étrangère d'une société dépend sa condition. Celle-ci peut entraîner des différences de traitement, tant en matière de protection diplomatique (A)que pour la reconnaissance et pour l'exercice des droits économiques (B).

Protection diplomatique

Une société ne peut jouir de la protection diplomatique que du seul État dont elle a la nationalité. Cette question a donné lieu à deux décisions de la Cour internationale de justice de La Haye 1544875116189.

Reconnaissance des attributs de la personnalité et exercice des droits économiques

En France, les sociétés étrangères profitent presque des mêmes droits privés que les sociétés françaises. La jurisprudence a posé le principe selon lequel : «Les étrangers jouissent en France des droits qui ne leur sont pas spécialement refusés» 1544875192634. Cette limitation ne s'impose pas si les sociétés bénéficient d'un traité international bilatéral ou multilatéral conclu entre leur État national et la France. Définir la nationalité d'une société permet de lister les traités internationaux qu'elles peuvent invoquer.
Le droit d'exercer une activité commerciale régulière sur le territoire français est de moins en moins lié à la nationalité de la société. Particulièrement en ce qui concerne les sociétés ressortissantes d'États membres de l'Union européenne qui sont assimilées aux sociétés nationales. L'évolution du droit positif va dans le sens d'une équivalence des droits civils et commerciaux entre les sociétés quelles que soient leurs nationalités.
Toutefois les sociétés étrangères, comme toutes les personnes étrangères, peuvent voir leur activité économique limitée ou réglementée sur le territoire. Par exemple, il existe des domaines d'activité qui nécessitent pour les sociétés étrangères l'obtention d'une autorisation préalable (tel est le cas en matière d'activités de sécurité privées).
Rappelons que dans le passé les sociétés étrangères ne pouvaient bénéficier, sauf cas de réciprocité entre États, au droit au renouvellement d'un bail commercial.
Les sociétés étrangères ne peuvent attraire un étranger, tant demandeur que défenseur, devant une juridiction française. Ce droit reste réservé aux personnes ayant la nationalité française au jour de l'introduction de l'instance en vertu des articles 14 et 15 du Code civil 1544875353782.
On peut également indiquer que les sociétés étrangères ont l'obligation de respecter les lois de police de l'État de situation. À ce titre, en France, les sociétés étrangères se doivent de s'assujettir au régime français de la sécurité sociale, eu égard au lieu d'exercice de l'activité et à la perception d'une rémunération 1544875409537.

Attention en matière fiscale

Il y aura lieu d'appliquer la convention telle que déterminée par la notion de résident conventionnel. Cette notion de résident est souvent définie par le siège de direction effective de la société. En pratique, la nationalité de la société correspondra très souvent à l'État de résidence au sens conventionnel. Toutefois, il faudra rester très attentif et ne pas considérer qu'une société possédant telle nationalité peut revendiquer l'application d'une convention fiscale conclue entre l'État dont elle possède la nationalité et la France.