Arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 24 mai 2011

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

Arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne du 24 mai 2011

Imprégnée de cette conception anglo-saxonne, la Commission considérant le notariat non pas selon sa fonction, mais selon ses activités, a intenté des recours contre la Belgique, la France, Le Grand-Duché du Luxembourg, l'Autriche, l'Allemagne et la Grèce simultanément pour manquement à la liberté d'établissement eu égard aux règles de nationalité alors édictées dans ces États membres 1515316071388.
Ces actions judiciaires intentées simultanément ont eu pour mérite de voir la Cour de justice rendre le même jour tous les arrêts, posant ainsi un socle de raisonnement illustrant la vision des hauts magistrats, et témoignant de leur habileté à tenter de démontrer que même si les activités notariales poursuivent des objectifs d'intérêt général, elles ne participent pas à l'exercice de l'autorité publique 1515316882410.
Tout vient de l'approche essentiellement économique que la Commission européenne a du marché intérieur. Cette approche économique que la Cour a finalement adoptée, exclut toute autre considération possible.
De plus, la Commission a été soutenue dans ces recours par le Royaume-Uni et l'Irlande, intervenants à l'instance, qui ont conduit la Cour à rendre le 24 mai 2011 les arrêts sous examen 1515314051129. Cette même conception est à l'œuvre en d'autres occasions 1515267734898. Il faut avoir conscience de ce contexte pour mieux comprendre les décisions rendues par la Cour de justice. La jurisprudence évolue au fil du temps mais aussi des adoptions, depuis le 24 mai 2011, des règlements européens qui définissent les nouvelles règles de droit international privé européen 1515336287422.
Pour l'heure, dans aucun de ces six arrêts la Cour n'aura mentionné une seule fois le terme de fonction, ou de statut, bien que le notaire soit le sujet central de ces six décisions. Elle parvient à définir systématiquement le notaire comme un professionnel. Parfois elle lui reconnaît la qualité d'officier public, mais considérant alors que compte tenu du fait que son activité est exercée dans un marché concurrentiel, le notaire n'est pas reconnu comme participant directement et spécifiquement à l'exercice de l'autorité publique. Les juges déploient plusieurs arguments pour ce faire :

Le consentement préalable des parties à l'acte au service de l'argumentaire déniant la participation du notariat à l'exercice de l'autorité publique

L'un des motifs mis en avant par la Cour concerne le consentement des parties : l'arrêt C-47/08 (Commissionc/ Belgique) 1515321060786précise que les parties « décident elles-mêmes, dans les limites posées par la loi, de la portée de leurs droits et obligations et choisissent librement les stipulations auxquelles elles veulent se soumettre lorsqu'elles présentent un acte ou une convention pour authentification au notaire. L'intervention de ce dernier suppose, ainsi, l'existence préalable d'un consentement ou d'un accord de volonté des parties ».
Ce motif pourrait faire écho à la dissociation classique entrenegotiumetinstrumentum(V. supra, n°). Cette dissociation est mise en lumière par Henri Motulsky lorsqu'il classe les actes de juridiction gracieuse (dont font partie les actes notariés, actes publics, pourtant niés par la Cour) en deux groupes : les actes réceptifs (dont semble s'inspirer la Cour) et les actes volitifs (dans lesquels une décision est prise par l'autorité délivrant l'acte public) 1515322428732. Cette distinction a également fait l'objet d'une analyse plus récente par un autre auteur précisant que dans l'acte notarié, l'autorité joue un rôle réceptif puisque l'acte est avant tout le produit de la volonté des seules personnes privées, le notaire se bornant « à dresser un instrument public » 1515322650106.
En fait, il n'en est rien. La Cour reste concentrée sur une vision anglo-saxonne de l'autorité publique. Cette vision repose fondamentalement sur l'idée que le droit anglais est d'essence judiciaire, s'intéressant plus à l'action qu'au droit subjectif. Selon cette conception, comme a pu le résumer un auteur 1516528942489, une convention préformée entre les parties, si elle peut répartir des droits, reste sans effet sur le juge et l'action en justice ; les signataires devront toujours venir témoigner et seules compteront leurs déclarations devant le juge, seul organe reconnu par le système anglo-saxon pour exercer l'autorité publique :terrible méprise, qui confond autorité et monopole de la force 1516529162148.
Le consentement préalable des parties à l'acte à authentifier n'est pas le seul argument utilisé par la Cour pour nier au notaire une fonction ou un statut étatique : elle considère en outre que ce dernier n'exerce pas directement, ni de façon spécifique, une autorité publique.

Les autres motifs invoqués par la Cour

La Cour n'hésite pas à se pencher sur les thèmes de la légalité, la sécurité juridique, la force probante ou exécutoire de l'acte notarié, ou encore le rôle de collecteur d'impôt : autant de critères qu'elle reconnaît mais qui pour autant ne sont pas suffisants en soi pour lui permettre de reconnaître au notariat la qualité d'acteur étatique, exerçant de manière directe et spécifique l'autorité publique !
Tous ces attributs attachés à l'action d'authentifier que le notaire effectue en sa qualité d'officier public succombent face aux seules « conditions de concurrence » (dixitla Cour) dans lesquelles le notaire est amené à exercer son activité. Ce dernier aspect, du simple fait de son existence, prive ainsi le notariat de toute reconnaissance d'un statut délégataire de l'autorité publique 1515338917181.
La portée de cette jurisprudence est cependant à relativiser. Selon l'arrêtCommissionc/Belgique lui-même 1516529686798, la décision est rendue seulement pour statuer sur le respect par la France des dispositions de l'article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (« Condition de nationalité »), et ne porte « ni sur le statut et l'organisation du notariat dans l'ordre juridique français, ni sur les conditions d'accès, autre que celle de nationalité, à la profession de notaire dans cet État membre » 1515340065052.
Le Conseil supérieur du notariat, dans un communiqué lapidaire, a pris acte de cette interdiction de la condition de nationalité, rappelant lui aussi la portée limitée de cet arrêt, tout comme le CNUE qui a réagi par un communiqué à travers lequel il indiquait avoir pris note que « la condition de nationalité est abandonnée, mais que les spécificités de la fonction notariale restent inchangées » 1515348962523.
Toutefois, si la Cour refuse de reconnaître au notaire l'exercice de l'autorité publique, elle lui reconnaît non pas un statut (ne semblant pas contredite sur cette vision par le droit primaire, puisque dans le traité lui-même aucune reconnaissance d'une quelconque fonction ou statut à la profession notariale n'est consacrée) 1515341862114, mais plutôt le fait que les activités relevant de la profession de notaire poursuivent des objectifs d'intérêt général. Cette position marque un repositionnement de l'analyse, annonçant une évolution de la jurisprudence.