Depuis les dernières crises économiques, le débat sur la double non-imposition anime l'actualité européenne, que ce soit au niveau de l'Union ou de l'OCDE. Cette dernière institution a rédigé un rapport sur les dispositifs hybrides et a lancé une étude intitulée «BEPS»Base Erosion and Profit Shifting). Cette étude entend lutter contre les comportements visant à minimiser la charge d'imposition. L'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (BEPS) fait référence aux stratégies de planification fiscale qui exploitent les failles et les différences dans les règles fiscales en vue de faire «disparaître» des profits à des fins fiscales ou de les transférer. Plus de cent pays collaborent et travaillent autour de ce projet.
Dès 2012, la Commission européenne
1529059359681initiait une consultation publique intitulée «Marché intérieur : exemples concrets de cas de double non-imposition», dans laquelle elle avait identifié un certain nombre de situations de double non-imposition (absence de clause anti-abus, financements d'activité générant un revenu exonéré…). Puis elle publia une communication «sur les moyens concrets de renforcer la lutte contre la fraude fiscale et l'évasion fiscale». Cette dernière préconisait des solutions pour les combattre (par un renforcement de la coopération entre les États membres, l'adoption de modifications à la directive «Épargne», l'accroissement de l'échange d'informations, etc.). Enfin, le 6 décembre 2012, la Commission publia sonplan d'actionpour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales qui était accompagné dedeux recommandations :
- le plan d'action visait essentiellement l'amélioration progressive de la coopération administrative, la lutte contre la double non-imposition au sein de l'Union européenne et dans les relations avec les pays tiers. Certains auteurs ont alors dénoncé 1529059436792le lien affiché entre, d'une part, fraude et évasion fiscales et, d'autre part, planification fiscale agressive et lutte contre les paradis fiscaux, indiquant qu'un tel amalgame n'était pas souhaitable, et craignant également que certaines de ces situations soient assimilées à de la fraude ou de l'évasion fiscales sans fondement objectif, légal ;
- la recommandation relative à la planification fiscale agressive : la Commission européenne avait pris le soin de définir la planification fiscale agressive, laquelle «consisterait à tirer parti des subtilités d'un système fiscal ou des incohérences entre deux ou plusieurs systèmes fiscaux afin de réduire l'impôt à payer. Parmi les conséquences de cette pratique, on peut citer les doubles déductions (par ex., la même perte est déduite à la fois dans l'État de la source et dans l'État de résidence)et la double non-imposition(par ex., des revenus qui ne sont pas imposés dans l'État de la source sont exonérés dans l'État de résidence)« . Elle proposait d'adopter une «même approche générale» afin «de remédier aux situations dans lesquelles un contribuable tire des avantages fiscaux en organisant la gestion de ses affaires fiscales de telle manière que les revenus ne sont imposés par aucune des juridictions fiscales concernées (double non-imposition)».
À cette fin, la Commission européenne proposait deux mesures :
- la première visait à limiter le champ d'application des règles d'élimination de la double imposition aux situations dans lesquelles il existe une double imposition, que l'on soit en présence d'une disposition de droit interne ou conventionnel.La Commission proposa aux États membres d'introduire dans leurs conventions fiscales la disposition suivante : «Lorsque la présente convention prévoit qu'un élément de revenu n'est imposable que dans un des États contractants ou qu'il peut être imposé dans un de ces États, il est interdit à l'autre État contractant d'imposer cet élément uniquement si l'élément en question est soumis à l'imposition dans le premier État contractant» 1529059703271.Le revenu est «soumis à l'imposition lorsque celui-ci est considéré comme imposable par la juridiction concernée et qu'il ne bénéficie pas d'une exonération, ni d'un crédit d'impôt intégral, ni d'une imposition à taux nul»;
- la seconde mesure est une règle anti-abus générale ayant vocation à s'appliquer dans l'Union européenne ou plus largement avec les États tiers. Cette disposition prévoit que : «Les montages artificiels ou ensembles artificiels de montages mis en place essentiellement dans le but d'éviter l'imposition et conduisant à un avantage fiscal sont ignorés».
La Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (CMI) est entrée en vigueur le 1er juillet 2018.
«L'entrée en vigueur de cette convention multilatérale représente un tournant dans la mise en œuvre des efforts déployés par les pays de l'OCDE et du G20 pour adapter les règles fiscales internationales aux réalités du 21e siècle», a déclaré le Secrétaire général de l'OCDE Angel Gurría. «Nous transcrivons nos engagements dans des dispositions juridiques concrètes qui figurent dans plus de 1 200 conventions fiscales à l'échelle mondiale. Grâce à cet élan de la communauté internationale, nous veillons à ce que les entreprises multinationales paient leur juste part lorsqu'il s'agit de remplir leurs obligations fiscales, comme le font les citoyens.»
Cette convention est applicable à ce jour dans dix-sept pays (la Slovénie, l'Autriche, l'île de Man, Jersey, la Pologne, la France, l'Australie, Israël, le Japon, la Lituanie, Malte, la Nouvelle-Zélande, la République slovaque, le Royaume-Uni, la Serbie, Singapour, la Suède). La France est signataire de cette convention depuis le 7 juin 2017. Elle a fait le dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation le 26 septembre 2018. Celle-ci est entrée en vigueur le 1er janvier 2019 pour la France.
L'Irlande et Monaco, ont également fait le dépôt de l'instrument de ratification, d'acceptation ou d'approbation.
Cette convention est le premier accord multilatéral de ce type, et permet aux pays signataires de transposer les résultats du projet BEPS de l'OCDE et du G20 dans leurs conventions fiscales bilatérales existantes, transformant la façon dont les conventions fiscales sont modifiées. Elle a été conçue pour renforcer les conventions fiscales existantes conclues entre ses parties sans devoir engager un processus long et complexe de renégociation au niveau bilatéral.
L'OCDE est dépositaire de la convention et aide les gouvernements à mener à bien les processus de signature, de ratification et de mise en œuvre. Les positions adoptées (signature de la convention, dépôt de l'instrument de ratification et date de l'entrée en vigueur) par chaque pays signataire peuvent être consultées sur le site web de l'OCDE. Celles-ci sont accompagnées d'une base de données interactive qui permet de mieux comprendre l'impact probable sur les conventions fiscales couvertes. On trouvera sur la page «oe.cd/mli» le texte de la convention, une note explicative et des informations générales.
Pour connaître la liste des conventions françaises qui seront couvertes par cette convention multilatérale, il est possible de consulter le site «www.oecd.org/tax/traities/bcps-mli-france.pdf». À l'analyse de cette liste, nous remarquons que plus de quatre-vingt-huit conventions liant la France à d'autres pays devraient être impactées (sous réserve de la signature et de la ratification de la CMI par les deux juridictions parties à cette convention fiscale), principalement des conventions en matière d'impôt sur le revenu et la fortune et, par ricochet, la convention avec le Liban et l'Arabie saoudite en matière de succession (car elles sont incluses dans la convention sur les revenus). La CMI se superpose aux conventions fiscales bilatérales existantes, dont elle modifiera les stipulations et l'interprétation.
Attention
Le notaire qui souhaitera appliquer une convention fiscale devra vérifier si cette convention fiscale et les stipulations spécifiques de celle-ci sont impactées par la CMI et, dans l'affirmative, l'appliquer.