ArrêtsPula ParkingetIbrica

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

ArrêtsPula ParkingetIbrica

Le 9 mars 2017, deux autres arrêts sont rendus par la Cour de justice de l'Union européenne, qui intéressent également au premier chef le notariat, sous l'angle cette fois des règlements « Titre exécutoire européen » et « Bruxelles I bis » 1519576921330.
Ces deux arrêts concernent le notariat croate, et plus particulièrement les attributions qui lui sont conférées en matière d'ordonnance d'exécution forcée.
La Cour de justice est amenée à se prononcer sur la question de savoir si le notariat croate, qui exerce des fonctions juridictionnelles certaines en rendant des ordonnances d'exécution forcée, doit pour autant être reconnu comme une juridiction à part entière.
Dans la première affaire,Pula Parking 1519577263132, la Cour doit dire si :
  • une procédure d'exécution forcée diligentée par une personne de droit privé, domiciliée en Croatie, délégataire par une collectivité publique (une commune) de l'exploitation commerciale d'un parking public, à l'encontre d'un débiteur domicilié dans un autre État membre (en Allemagne), relève du champ d'application du règlement Bruxelles I bis ;
  • le notaire croate, compétent pour délivrer des ordonnances d'exécution forcée dans les conditions prévues par le droit croate et destinée à être exécutée dans un autre État membre, agit en tant que juridiction ou pas.
Dans cette affaire, la Cour :
  • confirme, d'une part, que la délégation de service public de l'exploitation commerciale d'un parking public par une personne de droit privé relève bien du champ d'application de Bruxelles Ibis, le recouvrement d'une créance impayée ne présentant aucun caractère punitif, mais constituant simplement une contrepartie d'un service fourni, visé à l'article 1erdu règlement ;
  • considère que le notaire croate, même s'il est compétent dans les matières relevant de l'exécution forcée au vu seulement de documents « faisant foi », ne peut être assimilé à une juridiction au sens strict, du fait de l'absence notamment de caractère contradictoire à la procédure de délivrance 1519576899526.En outre, dans le cadre du principe de confiance et de reconnaissance mutuelles devant gouverner les rapports entre les États membres, le traitement et l'exécution des décisions judiciaires des juridictions d'un État membre doivent être assurés de façon équivalente en vue de leur égale exécution dans les États membres.Or, compte tenu de la diversité et de la différence des attributions que les notariats peuvent connaître selon les États, le principe de reconnaissance mutuelle ne peut être assuré en la matière.
Dans la deuxième affaire, l'affaireIbrica 1519577319194, la Cour a dû se prononcer sur les points suivants :
  • le notaire croate, compétent en matière de procédure exécutoire forcée selon le droit croate, doit-il être considéré comme une juridiction, de sorte que les notions de juge, tribunal et juridiction englobent également les notaires ?
  • les ordonnances d'exécution forcée délivrées par les notaires croates sur le fondement « d'un document faisant foi », selon l'expression consacrée par le droit matériel croate, peuvent-elles être à l'origine de la délivrance des certificats de titre exécutoire européen prévus par le règlement « TEE » se rapportant à des ordonnances d'exécution définitive et exécutoires ?
  • si tel n'est pas le cas, une juridiction peut-elle délivrer un certificat de titre exécutoire européen au vu d'une ordonnance d'exécution délivrée par un notaire croate, lorsque cette dernière porte sur une créance incontestée, et dans ce dernier cas, quel est le formulaire à utiliser ?
La Cour a répondu à la première question de façon identique à la première affaire, à savoir que le notaire ne peut être considéré comme une juridictionstricto sensu.
S'agissant de savoir si le notaire croate pouvait délivrer, au vu de son ordonnance d'exécution forcée, un certificat valant titre exécutoire européen au sens du règlement n° 805/2004, la Cour a répondu négativement.
En effet, pour cette dernière, même si l'ordonnance de droit croate est délivrée par un notaire croate (notaire qui aura par nature instrumenté un acte authentique au sens de l'article 4-3 du règlement [CE] n° 805/2004 ; V. supra, n°), même en l'absence d'opposition de la part du débiteur, les conditions de reconnaissance expresse par ce dernier de la créance faisant défaut dans cette procédure, l'« acte authentique ne peut être certifié en tant que titre exécutoire européen » 1519579702291.
Pour autant, il semble intéressant ici de faire un parallèle avec l'acte authentique notarié français, certifié en tant que titre exécutoire européen pour une circulation dans l'Union, conforme au principe de reconnaissance mutuelle.
En conclusion, et parce qu'il n'y a pas de façon plus pertinente pour synthétiser les développements qui précèdent, il suffit de reprendre les propos du professeur Nourissat qui écrit simplement : « Un notaire n'est pas un juge ; un avocat n'est pas un notaire. Et réciproquement… » 1519038224191.

À retenir des arrêtset

  • La compétence du notaire croate dans les matières relevant de l'exécution forcée, au vu seulement de documents « faisant foi », ne peut être assimilée à une compétence juridictionnelle au sens strict, du fait de l'absence du caractère contradictoire notamment dans la procédure de délivrance.
  • Le principe de confiance et de reconnaissance mutuelles qui gouverne les rapports entre les États membres doit assurer de manière équivalente le traitement et l'exécution des décisions judiciaires des juridictions d'un État membre à un autre, ce que la diversité des attributions reconnues aux notariats dans les États membres ne permet pas.
  • Par conséquent, la délivrance par le notaire croate d'un certificat au vu de son ordonnance d'exécution forcée ne peut valoir titre exécutoire européen au sens du règlement n° 805/2004, à la différence du titre exécutoire européen délivré par le notaire français.
Cette mise en lumière des notions fondamentales pour le droit de l'Union de service public réservé aux activités notariales, acte authentique, ou encore administration préventive de la justice était nécessaire pour mieux comprendre cet espace européen de justice, de sécurité et liberté.
Il est en effet impossible de construire cet espace européen sans reconnaître, à côté de l'autorité judiciaire, une administration préventive de la justice, termes, qui, à maintes occasions, ont pu être consacrés par les arrêts de la Cour (V.supra, n°).
Le rapport entretenu par le notariat français avec le droit international privé n'a cessé de se renforcer au fil des années. Pour preuve, il suffirait d'égrener, tout au long des trente derniers Congrès des notaires de France, l'approche internationaliste de chaque thématique abordée 1519583470094.
Cette pénétration du droit international privé dans la sphère notariale n'est pas due au hasard : le nombre d'Européens qui vivent en France augmente régulièrement ; ils s'y marient, divorcent, et y décèdent. En 2012, douze millions d'Européens vivaient dans un autre État membre que le leur, 170 000 divorces internationaux étaient comptabilisés en Europe, et 450 000 successions internationales s'ouvraient chaque année en Europe 1519583669180.
Cette mobilité internationale des populations correspond à ce que les notaires de France rencontrent au quotidien dans leur office, instrumentant des achats avec des non-résidents, ouvrant des dossiers de succession ou de divorces internationaux, ou encore devant préparer des contrats de mariage pour des couples internationaux, ou des pactes successoraux dans le cadre d'une planification de transmission d'un patrimoine mondial.
Et quel que soit le degré de complexité de la matière, l'attirance qu'ils peuvent éprouver pour elle, ou le plaisir même à s'y spécialiser en leur qualité d'officier public, lorsqu'ils en sont requis, les notaires doivent instrumenter avec le même devoir d'efficacité tout acte relevant de matières plus familières ou non (V. supra, n°).
Ce service notarial, reconnu au-delà des frontières, est essentiel pour assurer à tout usager de l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'Union européenne la même qualité de service public, amené à gérer une justice préventive.
C'est pourquoi il est temps d'évoquer les conditions dans lesquelles les notaires peuvent être tenus de respecter des règles de compétence à dimension internationale.
Si de nombreux ouvrages peuvent en effet traiter de l'office du juge dans l'application des règles de conflit de lois et de désignation de loi, très peu d'auteurs ont cherché à étudier les règles de compétence internationale pour les autorités non juridictionnelles.
Si très peu d'études ont pu être recensées pour les actes de juridiction gracieuse en droit international privé 1519635232288, deux auteurs se sont penchés sur la compétence des notaires à instrumenter dans un cadre international 1519636122642.
C'est la raison pour laquelle il est apparu intéressant, après avoir étudié l'idée d'un service public notarial international, d'évoquer un sujet peu couvert par la doctrine : la compétence internationale du notaire.