ArrêtPiringer

RÉDIGER : L’acte notarié français dans un contexte international

L'acte authentique et l'institution de l'authenticité

Le statut du notaire et de l'acte authentique notarié selon le droit européen

Préparation et rédaction de l'acte : enjeux et méthodologie

La circulation internationale de l'acte

La fiscalité internationale

Rémunération et protection sociale : les enjeux de l'international

Les trusts

L'assurance vie dans un cadre international

ArrêtPiringer

Le 9 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a rendu une décision importante quant à la reconnaissance pleine et entière d'activités réservées au notariat 1518976916119par les États membres.
Par cet arrêt, la Cour reconnaît en effet la possibilité pour les États membres de réserver des activités au notariat, ce qui, bien que procédant d'une restriction manifeste à la libre prestation de services garantie par l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, reste approprié pour des raisons d'ordre public et de sécurité publique.
Lorsque l'objectif poursuivi est d'intérêt général, comme par exemple une bonne administration de la justice préventive ou le bon fonctionnement du système du livre foncier, les États membres peuvent réserver des activités aux notaires : la Cour considère en effet que ces activités réservées répondent à un besoin impérieux d'intérêt général 1519547520662.
Avec l'arrêtPiringer, la Cour va même au-delà de la reconnaissance d'une réserve de compétence que les États membres peuvent accorder au notariat : elle considère que ces activités réservées, puisque relevant de l'exercice propre à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers, doivent être protégées, comme « constituant une composante essentielle de l'administration préventive de la justice » 1518977985285.
Bien qu'en droit de l'Union européenne il faille toujours rester prudent pour ne pas courir le risque « de surinterpréter ce que dit la Cour » et « se défier d'une tendance trop marquée (notamment en France) à "surtransposer" les directives » 1518978461409, force est de reconnaître, avec le professeur Cyril Nourissat, que « sans exagération aucune, il est possible de [voir au travers de cet arrêt] une contribution jurisprudentielle majeure à l'idée même d'un notariat européen » 1518978823180.
Afin de situer le contexte, un rappel sommaire des faits s'impose 1519046236519 :
MmePiringer, propriétaire pour moitié d'un immeuble situé en Autriche, a signé devant un avocat tchèque, en République tchèque, une demande d'inscription au livre foncier autrichien d'un projet de vente de sa quote-part indivise. En effet, le droit tchèque reconnaît aux avocats tchèques le droit de certifier les signatures en vue de leur inscription au livre foncier tchèque.
MmePiringer a demandé au tribunal autrichien assurant la tenue du livre foncier de procéder à l'inscription de la formalité ainsi accomplie.
Le tribunal autrichien a refusé d'instruire cette demande, au motif que contrairement au droit autrichien qui exige l'authentification émanant soit d'un tribunal, soit d'un notaire, la demande déposée, certifiée par avocat tchèque, n'est pas conforme à la loi autrichienne.
Saisie d'un pourvoi en révision, la Cour suprême d'Autriche a estimé nécessaire de poser à la Cour de justice deux questions préjudicielles :
  • la première porte sur l'interprétation de l'article 1er, § 1 deuxième alinéa de la directive 77/249, et de savoir si cet article s'oppose à une réserve de compétence dans un État membre au profit des notaires en matière de transfert de droits réels immobiliers ;
  • la seconde porte en substance sur le point de savoir si l'article 56 TFUE s'oppose à une réglementation d'un État membre qui réserve aux notaires l'authentification des signatures apposées sur les documents nécessaires à la création ou au transfert de droits réels immobiliers, et exclut de ce fait la possibilité de reconnaître dans ledit État membre une telle authentification effectuée par un avocat conformément à son droit national, établi dans un autre État membre.
Autrement dit :
  • un État membre peut-il exclure de la libre prestation de services par les avocats l'authentification des signatures des documents nécessaires à la création ou au transfert des droits réels immobiliers, et réserver cette activité aux notaires ?
  • plus fondamentalement, un État membre (l'Autriche) peut-il réserver aux notaires l'authentification des signatures sur les documents nécessaires à la création ou au transfert des droits réels immobiliers et refuser d'enregistrer dans son livre foncier un document provenant d'un autre État membre (la République tchèque), dont la signature certifiée par un avocat tchèque a la même valeur en droit tchèque qu'une authentification établie par un notaire ou un tribunal autrichien ?
C'est à ces deux questions préjudicielles que la Cour va s'attacher de répondre, assurant de la sorte unereconnaissance éclatante des activités notariales réservées 1518981323559, tant en droit dérivé (au regard de la directive 77/249) qu'en droit primaire 1545200472768.
Mais, au-delà du système du livre foncier, l'analyse de la Cour est susceptible de s'appliquer dans sa généralité à toute question relative au domaine réservé par les États membres au notariat de type latin, sous réserve du respect du principe de proportionnalité.
C'est pourquoi la Cour reconnaît en outre la nécessité de protéger ces activités réservées aux notaires, notamment de la concurrence des avocats 1518981710822, ainsi qu'il va être développé dans ce qui suit.

La reconnaissance d'une réserve de compétence

En acceptant que les États membres puissent procéder à une restriction au principe de libre prestation de services consacré par l'article 56 TFUE pour motif impérieux d'intérêt général, la Cour confirme sa perception des activités notariales, qu'elle a déjà eu l'occasion d'énoncer.
En effet, dans l'arrêt C-50/08,Commissionc/ Francedu 24 mai 2011 auquel il est ici renvoyé (V.supra, n°), la Cour reconnaît déjà que la vérification par le notaire de toutes les conditions légalement exigées pour la passation d'un acte relève d'une mission publique : assurer la sécurité juridique aux actes conclus entre particuliers. Déjà en 2011, pour la Cour, l'activité notariale d'authentification des actes relève bien d'une mission poursuivant un but d'intérêt général 1519027455175.
Par cet arrêtPiringer, la Cour exprime clairement son analyse à l'égard du monopole d'authentification, activité réservée au notaire et participant à l'administration préventive de la justice, dans son point 60 : « Le fait que les activités notariales poursuivent des objectifs d'intérêt général, qui visent notamment à garantir la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers, constitue une raison impérieuse d'intérêt général qui permet de justifier d'éventuelles restrictions à l'article 49 TFUE découlant des spécificités propres à l'activité notariale, telles que l'encadrement dont les notaires font l'objet au travers des procédures de recrutement qui leur sont appliquées, la limitation de leur nombre et de leurs compétences territoriales ou encore leur régime de rémunération, d'indépendance, d'incompatibilité et d'inamovibilité, pour autant que ces restrictions permettent d'atteindre lesdits objectifs et sont nécessaires à cette fin ».
Il est à noter que si la Cour reconnaît au notariat un champ de compétence réservé cette fois, c'est par l'analyse fouillée qu'elle établit des activités notariales : malgré cela, la Cour n'évoque toujours pas un statut du notariat, ni une fonction du notaire, ce que ne manque pas de relever un auteur 1519028961844.
Pour reconnaître cette réserve de compétence au notariat au regard de la tenue du livre foncier, la Cour développe son argumentaire en expliquant au point 64 que : « L'intervention du notaire est importante et nécessaire afin de procéder à l'inscription au livre foncier, dans la mesure où la participation de ce professionnel ne se limite pas à confirmer l'identité d'une personne ayant apposé une signature sur un document, mais implique également que le notaire prenne connaissance du contenu de l'acte en question aux fins de s'assurer de la régularité de la transaction envisagée et vérifie la capacité de la requérante à accomplir les actes juridiques ».
Elle poursuit au point 65 : « Dans ces conditions, le fait de réserver les activités liées à l'authentification des actes portant sur la création ou le transfert de droits réels immobiliers à une catégorie particulière de professionnels, à laquelle s'attache une confiance publique et sur laquelle l'État membre concerné exerce un contrôle particulier, constitue une mesure appropriée pour atteindre les objectifs de bon fonctionnement du système du livre foncier ainsi que la légalité et la sécurité juridique des actes conclus entre particuliers ».
Les points 60, 64 et 65 ci-dessus, il faut en être persuadé, revêtent une importance capitale pour l'avenir de la prise en considération du notariat dans l'Union européenne.
En effet, la portée de l'arrêtPiringersemble bien aller au-delà du système du livre foncier. L'argumentaire de la Cour permet effectivement, ainsi qu'il a été mis en lumière par le professeur Cyril Nourissat, de considérer que tout État membre pourra se prévaloir du précédentPiringermême s'il ne connaît pas le système du livre foncier pour justifier réserver aux seuls notaires l'authentification des actes nécessaires à la création et au transfert de droits réels immobiliers 1519032867871.
Si la portée de la réserve de compétence va bien au-delà du livre foncier, elle concerne plus fondamentalement la cohérence du système juridique de chaque État membre connaissant en son sein le notariat de type latin.
Pour cette raison, la Cour a estimé que les activités notariales réservées sonteuro-compatibles 1519034294054avec le principe de proportionnalité : ces mesures restrictives de compétence réservée au notaire sont en effet jugées appropriées par la Cour, comme constituant unecomposante essentielle de l'administration préventive de la justice 1519034792814.
Ces activités réservées font par conséquent l'objet d'une protection nécessaire.

La nécessaire protection de la reconnaissance d'activités réservées au notariat

Alors que l'avocat général, dans ses conclusions, a cherché à minimiser le rôle authentificateur du notaire, en tentant d'assimiler authentification et certification 1519035549958, voire à nier la contribution du notaire en terme de sécurité juridique dans la préservation du système du livre foncier, la Cour a refusé de suivre cette voie.
Elle s'est au contraire attachée à distinguer de manière approfondie l'activité des avocats de celle des notaires, la première « consistant à certifier l'authenticité des signatures apposées sur les actes » n'étant pas « comparable à l'activité d'authentification effectuée par les notaires » 1519036158266.
C'est précisément pour cette raison que « la mention d'authentification d'une signature apposée par un avocat tchèque ne constitue pas un acte authentique » 1519036302270.
L'approche que la Cour semble faire de la distinction entre notaire et avocat va au-delà de la préservation des activités notariales pour une bonne administration de la justice dans les États membres le connaissant. Elle assure aussi, par l'analyse de la directive 77/249 propre à la libre prestation de services des avocats au sein de l'Union, un respect des deux professions et, ce faisant, au respect des spécificités du système juridique de l'État membre, notamment au Royaume-Uni, où seuls lessolicitorspeuvent établir des actes juridiques relevant du droit immobilier.
Ainsi, la Cour démontre que le notariat de type latin étant nécessaire pour la publicité foncière, le droit tchèque qui reconnaît l'intervention de l'avocat certificateur pour le livre foncier tchèque n'est pas transposable au droit autrichien.
D'une manière plus générale, le raisonnement de la Cour au final ne permet pas la transposition de cette règle entre deux systèmes de droits aux contenus différents : l'activité des notaires et des avocats (en ce compris lessolicitorsde droit anglo-saxon) n'est pas comparable, et à ce titre, l'authentification d'une signature par avocat (ousolicitor) ne peut avoir la même valeur juridique que celle d'un notaire dans un État connaissant le notariat de type latin 1519037896531.
C'est ainsi que certaines activités notariales, reconnues comme participant à la poursuite d'objectifs d'intérêt général, constituent pour cela un élément essentiel à une bonne administration d'une justice préventive et doivent être différenciées des activités d'avocat, dont la libre prestation de services résulte de la directive 77/249.
La directive « Avocat » ne peut pas s'appliquer pour les activités notariales inhérentes au notariat de type latin que les États membres peuvent connaître, et qui constituent un des piliers fondateurs de leur système juridique.
Si la Cour a su démontrer la nécessité de réserver certaines activités notariales et de surcroît les protéger de certaines autres professions du droit (avocat, de droit continental comme decommon law), il est alors possible de se poser la question suivante :
L'arrêtPiringerannonce-t-il les prémices d'un notariat européen transfrontière ?
À bien y regarder, cette question, inspirée d'observations qu'un auteur 1519049071673a pu tirer notamment de l'article 56 TFUE 1519049187115mérite effectivement d'être posée sur un autre registre que celui du clivage entre notaires et avocats, celui du notariat européen.
En d'autres termes, un notaire italien ou espagnol pourrait-il avoir accès au registre des biens immobiliers en France ? La réponse à ce jour reste négative, en application de l'article 710-1 du Code civil français, qui prévoit que tout acte ou droit soumis à publicité foncière doit être reçu en la forme authentique par un notaire exerçant en France.
Mais se pourrait-il que l'article 710-1 puisse être considéré comme constituant une restriction de l'article 56 TFUE ?
Cette question paraît légitime à double titre : en vertu, d'une part, du principe de « reconnaissance mutuelle », qui a vu le jour pour la première fois pour les produits de consommation (en l'espèce des alcools fabriqués en France et interdits de commercialisation en Allemagne : arrêtCassis de Dijon, 20 févr. 1979, V. infra, note de bas de page sous le n°, élément essentiel à la construction du marché intérieur de l'Union, et en vertu, d'autre part, du principe de l'acceptation et de l'équivalence, fondé sur la confiance mutuelle, autre pilier sur lequel se construit et s'épanouit l'espace de liberté, de sécurité et de justice de l'Union (V. égal.infra, n°).
Surtout que la Cour, dans l'arrêtPiringer, a eu l'occasion de rappeler que chaque État membre doit veiller à « l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services établi dans un autre État membre en raison de sa nationalité, mais également [à] la suppression de toute restriction à la libre prestation de services, même si cette restriction s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres États membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre État membre, où il fournit légalement des services similaires » 1519051443875.

Réflexion prospective : l'arrêtet l'avènement d'un notariat transfrontière

L'arrêtPiringerannoncerait-il donc l'avènement d'un notariat transfrontière, que d'aucuns appelleraient de leurs vœux 1519051642832 ? Se basant sur cette culture commune de l'authenticité (V.supra, n° ) servant de socle à tous les notariats latins des vingt-deux États membres qui en connaissent, serait-il vraiment possible de « donner chair au notariat européen » 1519052108238 ?
Certains auteurs en doutent 1519052566032, car comment permettre à un notaire espagnol d'accéder au fichier immobilier du service de la publicité foncière, dont les règles de fonctionnement, de contrôle et d'inscription sont très différentes du registre espagnol ? Pour que la concurrence entre notaires européens soit possible, encore faut-il que le notaire de l'État membre qui établit la prestation soit soumis dans son État aux mêmes règles et conditions que celles de l'État membre où la prestation se trouve exécutée.
À cet égard, la Cour insiste sur le contrôle strictement exercé par l'État membre, d'autant que quelques difficultés réelles surgissent :
  • comment pouvoir contrôler dans ces conditions un notaire établi dans un autre État membre, pour s'assurer de la validité de la signature, de l'acte, et des formalités y relatives 1534313847593 ?
  • comment accepter que la collecte de droits dus à l'État français soit effectuée par une autorité publique étrangère, eu égard à la souveraineté nationale de chaque État membre, sur laquelle l'État recevant l'impôt ne peut exercer aucun contrôle sur l'« agent collecteur » étranger ?Quiddu lien de réciprocité unissant de façon solidaire et particulière l'État et son représentant, dont il a été parlé dans l'arrêtColegio de Oficiales marina mercante española ? (V. supra, n°) ;
  • comment – et sur quelles bases surtout – pourrait être mise en œuvre par le droit de l'Union la reconnaissance d'une autorité publique européenne, dont avant même une définition (autonome ?), le concept même reste entièrement à élaborer, avant toute autre avancée sur cette voie ?
Sous ces réserves seulement – reconnaissance d'une autorité publique relevant du droit européen ; coordination des modalités de contrôle identiques pour des conditions d'exercice identiques dans des États membres ; intégration des matières douanière, fiscale et administrative dans les chefs de compétence de l'Union, ne relevant plus des attributs de la souveraineté nationale –, le notariat européen pourrait alors effectivement prendre chair.
Commencerait alors une ère nouvelle où un espace européen de sécurité juridique pourrait être consacré, et dans lequel le notaire, officier public, nommé par l'autorité publique qui lui déléguerait une parcelle de puissance publique pour l'exercice de ses fonctions, serait pleinement reconnu comme agent public, remplissant une mission de service public notarial européen.
Cette évolution remarquable que l'arrêtPiringer 1519552583833amène à relever conduira-t-elle la Cour encore plus loin, c'est-à-dire à reconnaître le notaire comme étant aussi une juridiction ? En effet, certaines prérogatives attachées aux activités notariales pourraient laisser penser que le notaire pourrait être classé comme une autorité juridictionnelle.
Par exemple, le règlement refondu Bruxelles I bisn° 1215/2012 du 1er décembre 2012, dans son article 3 a), reconnaît expressément en tant que juridiction le notariat hongrois dans les procédures sommaires, concernant les injonctions de payer.
Mais la réponse, en l'état de la jurisprudence et des instruments européens, ne peut qu'être négative. Elle est d'ailleurs très bien illustrée par les deux prochains arrêts examinés ci-dessous, les arrêtsPula ParkingetIbrica.