Propos introductifs de Pierre Tarrade, Rapporteur général du 115e Congrès des notaires de France
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Rapporteur général du 115e Congrès des notaires de France
1. – Bologne, à la fin du XIIe siècle. Dans la première université du monde, les savants juristes du temps, les glossateurs, s’interrogent sur le sujet suivant : si le cas d’un Bolonais de passage à Modène venait à être examiné par un juge de cette ville, ne devrait-il pas être jugé selon les statuts (les lois) de Bologne, plutôt que selon ceux de Modène ?
Pour comprendre l’enjeu de cette question, il faut se rappeler la situation politique et juridique de l’Italie centrale et du Nord à l’époque : les municipalités y ont développé une certaine autonomie par rapport aux autorités du Pape comme de l’Empereur germanique. Elles se sont toutes dotées de statuts, ces corps de règles de droit qui sont la manifestation la plus concrète du pouvoir qu’elles ont conquis . D’où la tentation forte de ce qui a pu être appelé un nationalisme juridique : chaque municipalité devrait normalement jalousement veiller à l’application de ses propres statuts, quitte à les imposer à tout individu se trouvant sur leur territoire.
Pourtant, la doctrine penche, sans d’ailleurs toujours s’accorder sur la justification de la solution, pour ne pas appliquer les statuts de Modène au ressortissant bolonais : cette remarquable ouverture est généralement considérée comme la première théorie des conflits de lois, et donc du droit international privé. De fait, si le juge de Modène n’appliquait que sa loi, la loi du for, il n’y aurait pas de conflit de loi. Celui-ci n’existe qu’à partir du moment où le juge envisage d’appliquer une autre loi que la sienne. Il faudra alors déterminer à quelles conditions : ce seront les règles de conflits.
C’était la naissance du droit international privé.
Pourquoi cette solution a-t-elle été retenue ? Les justifications juridiques ne manquent pas, bien au contraire, pour alimenter la réflexion des anciens auteurs (4). Mais une raison très concrète est à n’en pas douter à l’origine de l’acceptation par les municipalités jalouses de leur potestas statuendi, leur pouvoir législatif : ces villes où le pouvoir est exercé par une classe bourgeoise commerçante ne peuvent pas ne pas privilégier une solution permettant la circulation des biens et des personnes en toute sécurité juridique. Or quelle serait la sécurité juridique d’un commerçant qui se trouverait soumis, lui-même ou les contrats qu’il a passés, à des lois différentes selon qu’il se trouverait sur le territoire d’une municipalité ou d’une autre ? D’autant que la question est ici posée dans un espace particulièrement morcelé : par exemple, il n’y a pas cinquante kilomètres entre Bologne et Modène... les changements de lois seraient incessants !
2. – Il est remarquable que ce soit à la même époque, la fin du XIIe siècle, et au même endroit, l’Italie du Nord, que les commerçants – toujours eux – aient recherché, toujours dans un souci de sécurité juridique, à donner aux contrats qu’ils passaient la force d’un jugement.
C’est ce souci qui les avait conduits à simuler des contentieux pour obtenir du juge des décisions conformes à leurs accords, premiers pas vers la notion de juridiction gracieuse qui devait trouver sa première consécration dans la fameuse décrétale d’Alexandre III en 1167-1169 : par ce texte le Pape reconnaissait pour la première fois aux actes des notaires, la force des jugements.
C’était la naissance de l’acte authentique.
3. – Droit international privé et notariat seraient donc nés au même endroit, au même moment, pour la même raison : la recherche par les commerçants de l’Italie centrale et du Nord au Moyen-âge, d’une sécurité juridique à l’épreuve de leurs pérégrinations dans un espace juridique morcelé.
Pour dire les choses autrement, dès ses premiers pas dans l’Histoire, le notariat était marqué par ce trait qui n’est pas toujours assez connu, mais qui est aujourd’hui plus vrai que jamais : de toutes les professions juridiques, la profession notariale est celle qui est la plus tournée vers l’international.
Le magistrat ou l’avocat connaissent bien entendu des situations impliquant des éléments d’extranéité. Mais lorsqu’un juge rend une décision, il la rend d’abord pour l’ordre juridique qui l’en a chargé. Seul le notaire, en recevant par exemple une procuration, est amené à produire des actes qui dès l’origine sont conçus pour n’avoir d’effets qu’à l’étranger.
De fait, la signature du notaire, et le sceau qu’il appose, sont particulièrement rassurants lorsque l’acte traverse les frontières. On pourrait même dire que plus la distance est grande, plus se fait sentir le besoin de s’assurer de l’exactitude du document, de l’identité de son signataire, de la véracité de la signature qu’il comporte, etc. C’est ainsi que Georges Droz explique le succès de l’institution du notary public dans les grands espaces américains où le droit continental est pourtant très exotique.
L’institution notariale est si intimement liée à l’activité internationale que là où elle n’est pas censée exister, il a fallu la réinventer pour traverser les frontières : il en va ainsi de ces curieux notaires anglais, notaires écrivains ou notaires publics, nommés par l’archevêque de Canterbury pour établir les actes créant ou affectant exclusivement des droits ou obligations
en dehors du Royaume.
4. – Cette proximité entre le droit international privé et l’institution notariale est à n’en pas douter due depuis toujours à une convergence de culture et de méthode. Mais elle se trouve probablement renforcée aujourd’hui, où il faut affronter les défis d’un monde en mutations. Ce sont les deux aspects qui voudraient être évoqués ici, avant de comprendre les enjeux du présent ouvrage.
I. Droit international privé et notariat : une convergence de culture et de méthode
5. – Georges Droz, pour expliquer l’importance de la fonction notariale dans la pratique du droit international privé, passe par ce qui fait la spécificité du notaire : il s’agit d’un officier public tout autant que du conseil des parties.
Cette position unique du notaire fait de lui un for : comme le juge, il doit identifier les éléments d’extranéité donnant lieu à conflit de lois, et il doit les trancher. Comme officier public, le notaire est tenu d’appliquer la loi, et cela, dès le stade du conseil. Il ne peut faire l’économie de la réflexion conflictuelle quand elle se présente : il est l’instance à laquelle il revient d’appliquer la loi, que cette loi soit la règle de conflit, la loi matérielle qui sera désignée par elle (fût-elle différente de celle du for). C’est enfin à lui qu’il appartient d’apporter les corrections à la méthode conflictuelle, au nom de l’ordre public international ou de l’application des lois de police.
Or cette fonction du notaire, au cœur de l’application quotidienne du droit international privé, se pratique dans une grande convergence de méthode, mais aussi de culture.
6. – Le droit international privé est avant tout une méthode : celle des conflits de lois, ou plutôt de leur résolution. Il s’agit de qualifier les situations, pour en déduire un rattachement.
L’application de cette méthode, qui donne son sous-titre au 115e Congrès, est donc confiée au notaire, à qui il revient d’authentifier : c’est le troisième terme du sous-titre.
Au-delà de l’aspect mécanique de la formule, « qualifier pour rattacher », il y a bien un état d’esprit, une culture : il s’agit d’accepter l’accueil, par un ordre juridique, de situations, voire de liens d’obligations, nés dans un autre ordre juridique. École de tolérance, mais aussi de pragmatisme.
Car il faut savoir adapter, ou s’adapter ; passer outre les différences ou les nuances pour se concentrer sur le résultat attendu.
Un état d’esprit qui, à la réflexion, correspond assez à la pratique notariale : le notaire, qui ne peut refuser d’instrumenter mais qui est astreint à une obligation d’efficacité de ses actes, est rompu à l’exercice qui consiste à trouver les voies, légales, qui parviendront au résultat recherché. Et qui y parviendront en étant bien reçues par les parties à l’acte : le meilleur garant de la sécurité juridique étant l’équilibre de la solution, et l’adhésion des parties.
7. – Le notaire est bien sur un terrain familier lorsque l’on évoque cette méthode et la manière de l’aborder : elles rejoignent en tout point la culture notariale.
Il faut avoir à l’esprit les trois caractéristiques du ministère du notaire que sont l’obligation d’instrumenter, l’obligation de rédiger des actes efficaces et, dans le prolongement du souci d’efficacité, le devoir d’information et de conseil que l’on pourrait résumer par la nécessaire mise en œuvre d’une pédagogie à l’égard de ses clients.
On l’a vu, l’obligation d’instrumenter et l’obligation de rédiger des actes efficaces sont le fait de l’officier public. Elles constituent un véritable défi en matière internationale car non seulement, on l’a dit (V. supra 5), elles interdisent au notaire d’éluder le conflit de lois, mais elles lui demandent de faire un effort d’adaptation supplémentaire : un effort de souplesse.
Comment faire entrer dans les catégories d’un système juridique les situations ou les constructions issues d’un autre monde ?
Il faut d’abord analyser, disséquer, chercher à comprendre la situation étrangère. Mais il faut aussi, et c’est l’un des grands intérêts de la pratique du droit international privé, revenir sur sa propre règle, l’analyser à nouveau, mais avec l’œil du droit étranger : qu’est-ce qui, dans mon droit, correspond le mieux au droit étranger ?
Littéralement, cet exercice nécessite de se mettre à la place de l’autre. C’est le seul moyen de permettre une qualification exacte, un rattachement pertinent, une solution – au prix parfois d’une certaine adaptation et assurément d’un pragmatisme certain – qui soit respectueuse des deux systèmes juridiques en présence.
8. – Il revient ensuite au notaire, parce que c’est sa mission, d’expliquer la solution à ses clients. Que ce soit dans l’exercice de rédaction de l’acte ou dans celui du conseil, le notaire est un pédagogue. La pédagogie, n’est-ce pas là aussi l’art de se mettre à la place de l’autre pour identifier la meilleure façon d’amener son interlocuteur à une bonne compréhension ?C’est ce que fait le notaire au quotidien dans son étude, lorsqu’il explique un acte ou lorsqu’il préconise une solution à ses clients. Parce que, encore une fois, une solution bien comprise est une solution acceptée : elle n’en sera que plus efficace. C’est un des aspects majeurs de la culture notariale.
D’autant que la présence d’un conflit de lois, et souvent d’un possible conflit de juridictions, vient fragiliser l’efficacité de l’acte ou du conseil du notaire : celui-ci est tributaire d’un raisonnement conflictuel qui est celui du droit international privé applicable en France. Il doit conserver à l’esprit que d’autres juristes auront peut-être à connaître du même dossier, en appliquant d’autres règles de conflit que les siennes. Raison de plus pour se mettre à la place des autres, anticiper ces lectures divergentes, et faire accepter aux clients des solutions pragmatiques : résoudre les conflits de loi, c’est plus que jamais anticiper, et prévenir les conflits tout court, ce qui est la raison d’être de l’institution notariale.
9. – Il faut le souligner ici : la pratique du droit international privé – par sa méthode et par cette nécessité de se mettre à la place de l’autre, pour le comprendre mais aussi pour saisir la façon dont il vous comprend – est un exercice particulièrement stimulant. Mieux connaître l’autre, c’est aussi mieux se connaître soi-même, ce qui pour le notaire serait le
début de la sagesse !
Mais ce constat de la proximité, voire de l’essentialité du droit international privé par rapport à la fonction notariale ne suffit plus : l’évolution de la discipline, et la marche du Monde, demandent une nouvelle analyse.
II. Notariat et droit international privé : les défis des évolutions récentes
10. – La belle symbiose entre droit international privé et pratique notariale que les lignes qui précèdent veulent dépeindre doit faire face aux défis des mutations auxquelles la discipline, comme la société (et donc les besoins des clients) ont été soumises récemment.
Les mutations en cours conduiraient d’ailleurs, selon le professeur Yves Lequette, à un véritable changement de paradigme (10). Sans entrer dans les très riches développements auxquels se livre cet auteur, le présent rapport s’en tiendra aux constats que les notaires peuvent plus simplement faire eux-mêmes dans leur pratique du droit international.
Si l’on s’en tient au point de vue notarial, justement, il faut relever un phénomène : selon les statistiques, l’âge moyen des notaires de France est de quarante-sept ans (11). Or un juriste quadragénaire a appris au cours de ses études un droit international privé très différent de celui qu’il pratique aujourd’hui. Deux transformations majeures se sont produites, qui affectent les sources du DIP et sa sociologie. Comment la relation privilégiée du notariat et du droit international privé va-t-elle en être marquée ?
A – Les transformations du droit international privé : d’un droit d’origine nationale et jurisprudentiel à un droit d’origine communautaire et écrit
11. – Le notaire aujourd’hui quadragénaire, lorsqu’il était étudiant, a appris à connaître un DIP à la fois très peu international et très jurisprudentiel.
Très peu international, parce que le droit international privé d’alors trouvait sa source dans le Code civil, quelques conventions, et surtout dans l’abondante jurisprudence qui faisait du Recueil des Grands arrêts, le livre de chevet de l’étudiant. C’était alors la jurisprudence de la Cour de cassation.
Or le lecteur du présent rapport ne tardera pas à rencontrer, outre les conventions de la Haye, les nombreux règlements européens qui sont venus organiser pour les États membres des règles de conflits communes. Les conversations entre spécialistes du DIP ont assurément changé d’aspect : là où fusaient les noms propres tirés de la jurisprudence (Bauffremont, Labedan, Lizardi, Bisbal et autres Bachir) se rencontrent maintenant, par exemple, des Rome I ou des Bruxelles II bis sans doute tout aussi ésotériques et intimidants, il faut bien le reconnaître, pour le non-averti...
À l’évidence pourtant, il ne s’agit pas que d’un changement esthétique : le droit international privé nouveau, de plus en plus, trouve sa source dans le droit de l’Union européenne. Les dernières innovations en la matière en sont une manifestation éclatante, et touchent de près l’activité des notaires. Il s’agit tout d’abord du règlement sur les successions entré en vigueur le 17 août 2015, ou, plus récemment encore, des deux règlements applicables aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats enregistrés, entrés en vigueur le 29 janvier 2019.
Chaque notaire le sait bien, qui doit appliquer ces textes au quotidien : c’est dans ces règlements européens que se trouve aujourd’hui la règle de conflit française. Il ne faut pas s’y tromper : les règlements sont des instruments à portée universelle. Cela signifie qu’ils s’appliquent même dans les rapports avec des États tiers.
12. – La nouvelle règle de conflit n’est donc plus nationale mais bien internationale puisqu’elle émane de plus en plus souvent, et pour des champs d’application de plus en plus nombreux, du droit de l’Union européenne. Mais surtout, elle relève désormais d’un droit écrit.
C’est une grande différence particulièrement, on le verra (V. infra 15) pour le notaire qui doit l’appliquer sans perdre de vue l’obligation qu’il a de rédiger des actes efficaces : un droit jurisprudentiel a, à cet égard, le défaut d’être imprécis. Mais il a aussi l’avantage d’une souplesse, celle de la marge d’appréciation des situations, que la formulation écrite de la règle, nécessairement, rigidifie. Ce qui rend parfois plus délicat encore l’exercice d’adaptation imposé par l’accueil de règles ou de situations d’origine étrangère (V. supra 6).
B – Un nouveau contexte sociologique
13. – À côté de ces transformations techniques, le notaire est confronté, dans sa pratique, à un autre type de mutation : au gré de la globalisation, les situations d’extranéité se multiplient. Elles ne touchent plus du tout le même type de clientèle que par le passé. Plus exactement, à la différence du passé, elles ne sont plus réservées à une catégorie de per-
sonnes ; elles se sont absolument généralisées.
Le notaire quadragénaire peut songer avec nostalgie aux cours qui lui étaient dispensés dans sa jeunesse. Il n’y était question que d’une princesse qui traversa l’Europe pour mieux pouvoir quitter son mari et en épouser un autre, de grands aristocrates russes spoliés par le régime soviétique, d’hommes d’affaires aux carrières et aux implantations multinationales... Parlait-on d’une famille se disputant sur les clauses d’un testament et les conditions d’un partage ? Il s’agissait alors des membres de l’ancienne famille royale, se disputant rien moins que le château de Chambord !
On pouvait aussi croiser les plus grands noms du grand écran, et lorsque la question se posait de la capacité juridique d’un jeune Mexicain, c’est que celui-ci avait émis des lettres de change pour acheter des bijoux place Vendôme...
14. – Les cas auxquels le même notaire est aujourd’hui confronté quotidiennement dans son office ne le font plus rêver : c’est tout un chacun qui peut être concerné. Il y a, bien sûr, la présence d’une partie de la population, immigrée ou issue de l’immigration, qui a conservé des liens avec son pays d’origine, d’autant plus facilement que les voyages et généralement les moyens de communications sont plus aisés. Il y a aussi et peut-être surtout, justement parce que circuler est plus facile que jamais, la dispersion des familles : les plus jeunes qui partent étudier à l’étranger, les « mariages Erasmus », les professionnels en expatriation, les retraités à la recherche du soleil et d’un autre style de vie...
C – Face à cette double évolution : la place particulière du notaire
15. – Si l’on croise les deux évolutions qui viennent d’être décrites, que découvre-t-on ? Que la pratique du droit international privé, nécessairement, a changé. Et ce changement, le notaire est tout particulièrement bien placé pour le constater.
Si l’on résume : la pratique internationale d’hier consistait à appliquer un droit jurisprudentiel à des cas impliquant une clientèle aisée. La situation pouvait convenir : les questions posées n’étaient peut-être pas si fréquentes et, en toute hypothèse, les enjeux pécuniers justifiaient que des juristes pussent prendre le temps de spéculer sur la solution la mieux adaptée. Le DIP était alors un droit savant, dit-on (23). Un luxe que l’on pouvait se permettre...
De son côté le notaire, astreint à une obligation d’efficacité pour ses actes, ne pouvait pas trouver ce droit spéculatif bien confortable. La sécurité juridique, l’efficacité, le confort même du notaire dans l’exercice de ses fonctions, se conjuguent mieux avec un droit écrit, un droit par conséquent plus sûr.
Il faut le rappeler encore : l’exercice professionnel du notaire est marqué par l’obligation d’instrumenter et celle de rédiger des actes efficaces. À la différence de l’avocat, qui peut refuser un dossier et qui, quand il plaide, a pour horizon légitime l’intérêt de son client ; à la différence de l’universitaire, qui peut lui aussi choisir son thème de recherche et qui, quand il se penche dessus, n’est pas obligé de trouver la solution, le notaire, lui, doit trancher. Et trancher comme il faut : à la différence, cette fois, du magistrat, le notaire peut voir sa responsabilité engagée s’il se trompe. En un sens, il n’a pas droit à l’erreur.
Même si le droit écrit est un droit rigide, moins docile aux adaptations qu’il faut inévitablement accepter en matière internationale (V. supra 6), il ne peut que rassurer le notaire et mieux convenir à sa pratique. D’autant qu’il s’adapte mieux également aux exigences de la clientèle.
16. – Aujourd’hui en effet, le DIP est le droit de tout le monde : de l’homme d’affaires, toujours, mais aussi de la famille issue de la classe moyenne, ou de celle qui vit dans une banlieue défavorisée.
Les dossiers impliquant un élément d’extranéité s’étant banalisés, le rythme n’est plus le même : là où, hier, le droit savant qu’était de droit international privé acceptait que l’on prît le temps de la réflexion et de l’analyse fine, il faut aujourd’hui que le notaire tranche quotidiennement des conflits de lois. Il faut des solutions, et il faut des solutions vite, au rythme des dossiers « normaux ». Après l’âge de la résolution des conflits de lois sur-mesure, le notariat est passé à l’ère industrielle...
Sur cet aspect aussi, l’avènement d’un droit écrit, codifié, est une heureuse circonstance, bien mieux adaptée aux réalités actuelles de la pratique qu’un droit trop spéculatif et incertain.
17. – Dans ce contexte nouveau, le notaire ne doit toutefois pas se reposer sur l’apparent confort que lui donne un droit écrit par nature mieux adapté aux besoins de sa pratique actuelle. Au contraire, il doit mesurer les défis nouveaux qui lui sont proposés, sur le plan de la pédagogie cette fois.
Car qui dit droit nouveau, dit devoir d’information accru. Avec la multiplication des règles de conflits ayant pour origine le droit de l’Union européenne, le notaire se trouve investi d’une fonction nouvelle : celle de faire entrer dans les mœurs, en les faisant entrer d’abord dans sa pratique, des solutions nouvelles. Il doit informer sa clientèle des innovations rendues possibles par l’intégration dans l’ordre juridique français de concepts nouveaux.
Il doit aussi savoir conseiller utilement sa clientèle pour la diriger vers les outils nouveaux dont il peut désormais disposer. Car c’est un trait particulier du nouveau droit international privé issu des règlements européens : s’il est rigidifié par la codification, il offre également nombre d’occasions aux parties d’exprimer leur liberté de choix. Ce n’est pas tout à fait nouveau en matière contractuelle (V. infra 4041), ce l’est davantage en droit de la famille avec la professio juris (V. infra 2090). L’importance accrue de l’autonomie de la volonté est d’ailleurs l’un des points saillants du nouveau droit international privé identifié par la doctrine.
Il faut que les notaires s’emparent de cette liberté pour mieux conseiller leurs clients et leur proposer les clauses les mieux adaptées à leur situation. De nouvelles pratiques, assurément, sont à créer.
18. – De nouveaux moyens aussi : car l’augmentation du nombre de cas d’extranéité d’une part, et d’autre part les nouvelles règles de conflits inspirées par le droit de l’Union européenne (on pense particulièrement ici au règlement sur les successions), conduiront de plus en plus souvent le notaire à devoir appliquer dans ses dossiers un droit matériel étranger. Un droit qu’il lui faudra connaître ou, plus exactement, qui devra lui être accessible.
Plus que jamais, la nécessité de tisser des liens entre notariats – et entre notaires – s’impose afin de permettre à la connaissance de circuler.
Le notaire ne peut pas envisager de partir seul sur les chemins internationaux du droit.
III. Présentation de l’ouvrage
19. – Parce que le nouveau droit international privé l’y conduit, le notaire doit aujourd’hui envisager de partir à la découverte du vaste monde : accueillir ses clients présentant un élément d’extranéité, les accompagner dans leurs opérations à l’étranger voire, cela vient d’être dit, appliquer la loi matérielle étrangère désignée par la règle de conflit applicable.
Le présent rapport a été conçu pour assister le notaire dans ce voyage passionnant : il ne faut pas partir sans un guide !
Bien entendu, un guide, il en existe déjà un que tous les notaires connaissent parfaitement : il en est d’ailleurs à sa neuvième édition. Madame Revillard a depuis longtemps accompagné les notaires, qui ne lui en seront jamais assez reconnaissants, sur les sentiers du droit international privé. Son ouvrage reste la référence.
Pour autant, à côté « du » Revillard, le rapport du 115e Congrès des notaires trouvera sa place et sa légitimité pour accompagner lui aussi le notaire sur ces mêmes chemins : celles des praticiens qui l’ont rédigé.
C’est une question, littéralement, de point de vue. À qui n’est-il jamais arrivé de faire cette expérience : parcourir pour une fois un chemin qu’il connaît par cœur, mais en sens inverse du sens habituel, et de réaliser alors qu’il découvre des aspects du paysage qu’il n’avait jamais remarqués, ou bien qu’il n’avait jamais vus comme cela ?
C’est l’exercice auquel l’équipe du 115e Congrès des notaires invite son lecteur : à parcourir les chemins de l’International non pas du point de vue de la doctrine – même de la meilleure – qui s’adresse aux praticiens, mais du point de vue de la pratique qui observe la science juridique.
C’est donc à partir du notaire lui-même qu’est bâti le plan de l’ouvrage : ce plan correspond à la démarche du notaire qui, conscient de l’internationalisation de sa pratique et, parfois, du nécessaire aggiornamento de ses connaissances, s’apprête partir sur les chemins du nouveau droit international privé.
A – Première commission : S’orienter – Le notaire dans un contexte international
20. – Puisqu’il est question de partir en voyage, la première chose à faire en pareille circonstance est de faire le point : c’est la mission dévolue à la première commission, qui commence par rappeler les bases, la méthode – puisque le droit international privé est avant tout une méthode – qui sera ensuite appliquée dans le reste de l’ouvrage. Pour filer une autre métaphore, il s’agit de s’assurer que l’on maîtrise bien le vocabulaire et la grammaire, avant de se lancer dans l’exercice de conjugaison qui suivra. L’élément d’extranéité, les exercices de qualification et de rattachement, les conflits de lois et de juridictions et leurs méthodes de solution : tels sont les outils dont il faut s’assurer la possession avant de partir.
Fort de ce premier bagage, il faut encore vérifier les sources auxquelles on pourra s’approvisionner : aux sources traditionnelles, le notaire n’omettra d’ailleurs pas d’ajouter la pratique notariale, appelée à se développer, comme on l’a vu (V. supra 17).
Dans ce contexte, et compte tenu de sa part croissante dans la fabrication de la norme, singulièrement en matière de conflits de lois, il a paru utile de faire le point, également, sur le fonctionnement du droit de l’Union européenne.
Enfin, parce qu’encore une fois il n’est plus toujours possible de voyager seul, le notaire doit pouvoir compter sur ses confrères : l’action internationale de la profession devait évidemment être évoquée, d’abord parce qu’elle permet au notaire de se situer dans le vaste monde, à l’intérieur d’un système juridique, le droit continental, parfois attaqué, mais qui sait se défendre. Ensuite, cette même action est le moyen pour le notaire d’accéder à des outils, voire à des réseaux, du plus grand intérêt pour l’aider au quotidien.
B – Deuxième commission : Rédiger – L’acte notarié français dans un contexte international
21. – Une fois paré pour partir sur les routes du droit international privé, sachant d’où il vient et où il va, le notaire peut travailler, et donc rédiger, élaborer un acte authentique.
La deuxième commission commence donc par cela : définir l’authenticité dans le contexte international, en particulier au regard du droit de l’Union européenne et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Or définir l’authenticité c’est évidemment, on y revient, conclure que l’activité du notaire est double : elle consiste bien sûr à rédiger un acte, mais cet exercice est indissociable de l’information et du conseil dus au client.
Quel est, dès lors, l’impact de l’élément d’extranéité qui peut exister dans un dossier, sur la pratique quotidienne du notaire ?
En quoi doit-il adapter sa rédaction de l’acte et, bien sûr, en quoi doit-il adapter son conseil ?
Sur la rédaction de l’acte, la méthode retenue est simple, mais efficace : en déroulant le plan d’un acte à partir de sa date, puis de la comparution des parties (avec notamment les questions que posent les vérifications de l’identité, de la capacité, du consentement d’une personne étrangère, ce qui implique la langue), etc., cette commission soulève mille sujets on ne peut plus pratiques.
Vient ensuite la question de la circulation de l’acte, car rédiger un acte comportant un élément d’extranéité implique que l’on s’interroge sur sa réception là où il devra produire ses effets.
Cas particulier, mais particulièrement important : il convient au notaire qui rédige un acte ou préconise une organisation patrimoniale de penser aux conséquences fiscales à l’étranger et d’adapter sa pratique en conséquence.
C’est un point très sensible qui touche à la fois l’efficacité de l’acte et le devoir de conseil : il était important que la deuxième commission se penche, de la façon la plus exhaustive possible, sur les enjeux fiscaux.
C – Troisième commission : Vivre – La famille dans un contexte international
22. – Une fois que le notaire a fait le point sur la méthode et les sources du droit international privé, et qu’il a appris à adapter sa pratique à l’univers particulier de l’International, il est prêt à aborder le fond de ses dossiers.
La troisième commission commence, avec le premier des deux grands pôles traditionnels de l’activité notariale : le droit de la famille ou du moins, ceux des thèmes du droit de la famille qui touchent à la profession.
Dans un ordre chronologique, pourrait-on dire, la troisième commission explore donc le droit international privé en commençant par la naissance (la filiation), les unions (dans leur plus grande diversité : le monde est, de ce point de vue, riche en institutions variées plus ou moins reconnues), les régimes matrimoniaux, le divorce et la succession.
Cette exploration est conçue pour donner au notaire qui la suit une méthode pour résoudre les cas qui peuvent se présenter à lui, résolument sous l’angle pratique.
Ce souci pratique qui se manifeste par une dernière partie, comme un retour d’expérience, en forme de catalogue des pièges et faux amis à éviter en matière de conseil patrimonial.
D – Quatrième commission : Contracter – Acquérir et financer dans un contexte international
23. – C’est la même approche qui est retenue par la quatrième commission pour explorer le droit des contrats et, naturellement, le plus notarial d’entre eux : la vente immobilière.
C’est l’occasion d’envisager le développement du conseil par le notaire pour accompagner tant l’Étranger qui procèderait à une vente ou une acquisition en France que, pourquoi pas, le Français qui n’envisagerait pas d’investir à l’Étranger sans le consulter.
Dans le prolongement de la vente immobilière, le crédit requérait l’attention de la quatrième commission, tant cette activité connaît de développements à l’international.
Enfin, tout naturellement, se pose la question de l’exécution des contrats et, tout spécialement, du traitement par la publicité foncière des actes ou situations comportant un élément d’extranéité.
24. – Ainsi armé, il ne reste plus qu’à souhaiter au lecteur du présent rapport écrit sur, par et pour des notaires, un beau voyage à travers les merveilleux continents du droit international privé.
Remerciements. – L’équipe du 115e Congrès des notaires tient à remercier particulièrement les personnes qui ont contribué activement, à ses côtés, à la rédaction du présent rapport :
Madame Mariel Revillard, Monsieur le président Jean-Paul Decorps, Monsieur le professeur Georges Khairallah, Maître Alice Meier, Maître Richard Crône, Madame Marjorie Devisme, Monsieur Pierre-François Cuif, Madame Gaëlle Sampietro.