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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 3 – Chapitre II – Le contrôle du contenu du contrat par les outils numériques

PARTIE II – La sécurisation de la pratique du contrat numérique
Titre 3 – Le contrôle
Sous-titre 1 – Le contrôle prometteur par les outils numériques

Chapitre II – Le contrôle du contenu du contrat par les outils numériques

3547 D’une façon générale, l’impact du monde numérique sur le contrôle du contenu du contrat est grandissant. Il s’exprime aussi bien au stade de sa formation qu’à celui de son exécution. Si les outils numériques gagnent de jour en jour en efficacité (Section I), ils présentent des risques non négligeables restant à maîtriser pour atteindre un haut niveau de sécurité juridique de la transaction (Section II).

Section I – Une efficacité grandissante

3548 – Aujourd’hui, l’IA n’est pas encore en mesure d’élaborer un raisonnement juridique à l’instar de l’humain1188. – Cependant, cette technologie joue déjà un rôle prépondérant en tant qu’instrument préparatoire à la rédaction d’actes1189. Ainsi, l’IA améliore l’exploitation des données des data rooms via des filtres intelligents et des recherches par mots-clés. Elle permet ainsi de déceler plus aisément et rapidement d’éventuelles incohérences et d’axer ainsi la transmission d’informations sur des particularités saillantes du dossier. Mais, plus encore, son développement inéluctable fera de cette nouvelle technologie numérique un outil incontournable du contrôle du contenu des contrats de demain. Un auteur s’est essayé à décrire les bienfaits du développement de l’IA en ce domaine dans les années à venir1190. Ainsi, pour cet auteur, demain l’IA permettra de rendre plus performant le contrôle de l’acte en termes de compatibilité, de normativité et d’intégrité. Tout d’abord, le contrôle de la compatibilité. L’IA sera à même de détecter d’éventuelles incohérences ou contradictions entre clauses du même contrat en les comparant avec celles de contrats de même nature conclus précédemment. La numérisation de tous les contrats antérieurs constituera le big data dont l’IA se nourrira.
3549 – Ensuite le contrôle de la normativité. – L’IA sera à même d’alerter le rédacteur du contrat lorsque certaines clauses pourraient être susceptibles de porter atteinte à des dispositions législatives ou réglementaires, voire purement conventionnelles. Lorsque l’IA sera couplée à la technologie blockchain de type privée, le contrôle de l’intégrité sera encore plus efficient. En effet, l’IA analysera des données qui auront été normalement vérifiées et dont l’intégrité ne sera pas contestable. Plus les données intégrées dans la blockchain seront fiables, plus l’analyse délivrée par l’IA sera crédible.

Section II – Les risques à surmonter

3550 D’une façon générale, les risques liés à l’utilisation de l’IA sont déjà bien connus et identifiés. Le Livre blanc de la Commission européenne les a répertoriés en deux catégories1191.
La première catégorie englobe les atteintes aux droits fondamentaux tels que le respect de la vie privée et de la non-discrimination, la liberté d’expression, la protection des données à caractère personnel… De tels risques trouvent leur origine tantôt dans une mauvaise conception globale des systèmes d’IA, tantôt dans l’utilisation de données sans correction de biais éventuels. Les failles dans la conception peuvent résulter d’une mauvaise corrélation entre une cause et ses effets. La conclusion tirée par l’IA de l’analyse des données n’est pas nécessairement celle à laquelle l’homme arriverait. Ainsi, en matière contractuelle, l’IA pourrait aboutir par exemple à l’exclusion du mesurage d’un grenier (décrit tel quel dans l’état descriptif de division de la copropriété) alors même qu’il a été transformé en chambre depuis la dernière mutation1192, car cela suppose une analyse de contextualisation que l’IA n’est pas en capacité d’effectuer. Les biais, discriminations et exclusions éventuels peuvent résulter d’actes de malveillance de personnes impliquées dans l’élaboration de l’algorithme utilisé par l’IA1193. Ainsi, en matière contractuelle, l’IA pourrait aboutir à la fixation du montant d’une indemnité d’occupation en fonction de la profession ou de l’âge du bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente. Enfin, l’anonymat reste l’un des enjeux les plus importants en matière d’IA dans la mesure où la conservation des données à caractère personnel constitue la raison d’être de l’IA.
La seconde catégorie de risques regroupe les atteintes à la sécurité des personnes et au bon fonctionnement du régime de responsabilité. Ainsi, l’opacité, la complexité, l’imprévisibilité et le comportement partiellement autonome rendent la vérification de la conformité difficile. Ce dernier aspect résulte d’une difficulté à comprendre le fonctionnement interne des algorithmes (« effet de boîte noire »). Contrairement aux programmations informatiques classiques traduisant un modèle déductif, donc explicable, le cheminement aboutissant aux résultats de l’IA s’appuyant sur le deep learning reste aujourd’hui mal compris1194.
3551 Si le cadre législatif européen est composé de nombreux textes abordant aussi bien la sécurité et la responsabilité des produits défectueux1195 que la protection des droits fondamentaux1196, la Commission conclut à la nécessité de les améliorer1197. En effet, le rapport précise que « même si les produits sont beaucoup plus complexes aujourd’hui qu’en 1985, la directive sur la responsabilité du fait des produits reste un instrument adapté ». En l’état actuel des textes, à l’instar du smart contract1198, il n’est pas certain que l’IA et la blockchain puissent être qualifiées de « produit ». C’est pourquoi le rapport précise qu’il conviendra de « clarifier l’interprétation juridique de certains concepts de la directive (« produit », « producteur », « défaut » et « dommage » par exemple, ou la charge de la preuve) » pour les adapter aux spécificités des nouvelles technologies numériques. Elle propose une approche axée sur l’excellence et la confiance où la place de l’humain sera garantie et la robustesse et la précision de la technique assurées.

1188) V. supra, no 3518.
1189) S. Moreil, IA et contrats Optimiser les potentialités de l’IA : CDE 2020, no 3, dossier 13.
1190) M. Mekki, Intelligence artificielle et contrat(s), in Droit de l’intelligence artificielle, LGDJ, coll. « Les intégrales », 2019, chap. 5, p. 131 et s. ; L’intelligence artificielle et le notariat : JCP N 4 janv. 2019, no 1 ; Blockchain et métiers du droit en questions : Dalloz IP/IT 2020, p. 87.
1192) L. no 65-557, 10 juill. 1965, art. 46, fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis ; D. no 67-223, 17 mars 1967, art. 4-2, pris pour l’application de la loi no 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis.
1194) V. pour des exemples précis et détaillés, Assemblée de Liaison des notaires de France, L’intelligence artificielle : dangers ou opportunités pour le notariat, 2018, 69e session, p. 47 et s., § 231 et s.
1195) Cons. UE, dir. 85/374/CEE, 25 juill. 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux. – Rapport de la Commission au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social européen sur l’application de la directive 85/374/CEE du Conseil relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (https://ec.europa.eu/transparency/regdoc/rep/1/2018/FR/COM-2018-246-F1-FR-MAIN-PART-1.PDF).
1196) Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (www.europarl.europa.eu/charter/pdf/text_fr.pdf).
1198) V. supra, no 3381.
1199) Un auteur écrivait en 2019 : « Plus généralement, les outils d’automatisation dont on dispose aujourd’hui portent essentiellement sur des vérifications factuelles (date, identité des parties) ou documentaires (présence d’une annexe, mentions portées sur un fichier), mais ils ne permettent pas de s’assurer que le signataire comprend réellement ce qu’il fait, que l’acte correspond bien à sa volonté, qu’il est licite, efficace et respectueux des droits des tiers », M. Julienne, Pratique notariale et numérique : état des lieux : Dalloz IP/IT 2019, p. 96.


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