CGV – CGU

2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 3 – Chapitre I – La délivrance d’un conseil augmenté

PARTIE II – La sécurisation de la pratique du contrat numérique
Titre 2 – Le conseil
Sous-titre 2 – Le conseil enrichi des professionnels du droit

Chapitre I – La délivrance d’un conseil augmenté

3503 Être acteur de la révolution numérique, plutôt que spectateur, telle doit être désormais l’ambition des professionnels du droit vis-à-vis de la LegalTech en général. Les professionnels du droit doivent investir et s’approprier les nouvelles technologies facilitant l’accessibilité (Section I) et l’intelligibilité (Section II) du droit, pour rester en phase avec les attentes des concitoyens.

Section I – S’approprier les outils numériques facilitant l’accessibilité du droit

3504 L’accessibilité du droit participe à la sécurité juridique1083. Par nature, le numérique facilite et accélère l’accès aux informations dématérialisées. De ce point de vue exclusivement1084, plusieurs outils numériques rendent le droit plus accessible et accentuent donc la sécurité juridique. Le chatbot est l’un d’entre eux. Certaines LegalTech en développent d’autres qui évincent également les contacts directs avec des professionnels du droit. Ces derniers s’efforcent cependant de conforter leur rôle de conseil en s’appropriant ces outils numériques qui simplifient et fluidifient l’accès au droit.
3505 – Développer le chatbot. – Le développement annoncé1085 du chatbot dans les années à venir doit inviter les professionnels du droit à s’en emparer. De nombreuses LegalTech proposent leurs services pour aider les professionnels du droit à mettre en place leur propre outil. La portée de ce nouvel outil d’accès au droit sera proportionnelle à la confiance que portent les utilisateurs à la profession concernée.

Pour les avocats, aucun projet n’a semble-t-il été initié directement par les instances représentatives de la profession. Toutefois, par l’intermédiaire de leur incubateur, a été développé LegaBot1086, un chatbot accompagnant le justiciable en lui proposant une première information juridique gratuite. Certains grands cabinets d’avocats ont pris le parti de développer leur propre outil1087.

Pour les huissiers de justice, les instances représentatives de la profession ne semblent pas avoir initié de projet relatif au chabot. Il semblerait que les missions de la profession ne suscitent pas de demande spécifique du public.

Enfin pour les notaires, la profession ne semble pas avoir initié de projet spécifique en la matière à ce jour. Certains notaires se sont exprimés et ne semblent pas y être favorables1088. Ceci étant, la profession gagnerait à initier et développer son propre chatbot pour les raisons suivantes :

l’une des missions spécifiques confiées aux notaires est de « dire le droit ». Le chatbot a justement pour objet de répondre au plus grand nombre de questions juridiques posées. Le chatbot répond donc à cette mission notariale ;

le chatbot n’a pas vocation à se substituer au notaire. Il permet simplement d’apporter une réponse rapide à des questions qualifiées de « simples »1089. Une sorte de premier niveau de réponse dont les suivants reviendraient aux notaires. Cependant, on peut raisonnablement penser qu’une réponse apportée par un chatbot notarial aura plus de force auprès de l’utilisateur qu’une réponse trouvée sur un site internet quelconque. Dès lors que la question devient plus complexe, parce qu’elle fait l’objet d’incertitudes juridiques (controverses doctrinales, divergences jurisprudentielles…) ou bien nécessite un véritable conseil spécifique, le chatbot renverrait l’internaute vers la consultation d’un notaire1090. Un tel procédé permettrait de toucher une plus large clientèle méconnaissant la profession ;

la mise en place d’un tel outil par la profession lui permettrait de maîtriser les réponses qui peuvent y être apportées et de définir le curseur au-delà duquel le chabot ne pourra répondre. À défaut, une autre entité aux objectifs purement mercantiles pourrait s’approprier cet outil (et le marché économique afférent) et définir un contenu pouvant nuire à la profession1091 ;

enfin, un chatbot notarial continuerait de donner l’image d’une profession en phase avec son temps et les attentes des concitoyens.

3506 – Investir les LegalTech. – Les professionnels du droit investissent les nouvelles technologies en développant des LegalTech facilitant l’accessibilité du droit, en complémentarité des autres outils qu’ils utilisent déjà1093.

La profession d’avocat, dès 2014 par l’intermédiaire du barreau de Paris, lance un incubateur proposant à ses lauréats un programme d’incubation en quatre phases allant de l’amorçage au mentorat. Cet incubateur a pour mission de favoriser et d’encourager l’innovation par les avocats au service des avocats dans le respect des règles déontologiques de la profession. Par la suite, onze autres barreaux ont créé leurs propres incubateurs, disposant pour la plupart d’un site internet, mais sans toutefois dévoiler le contenu des projets soutenus1094.

Les huissiers de justice ont vu leurs instances professionnelles lancer un accélérateur d’entreprises, intitulé Syllex, pour réinventer la justice de demain1095. Ils proposent aux clients une relation « 100 % numérique » en mettant en place par exemple une plateforme en ligne de médiation (Medicys) et de recouvrement des petites créances de moins de 4 000 € (Credicys)1096. Idecys1097 propose une solution d’identité numérique de plusieurs niveaux dédiée aux entreprises (de l’identité numérique simple à la signature en ligne). Ils favorisent l’interopérabilité des échanges avec les autres professions du droit, tant sur le plan national que sur le plan européen. La profession participe activement au développement de nombreux autres services facilitant les échanges entre les huissiers et leurs clients1098.

Les instances représentatives de la profession de notaire ont lancé en 2017 la plateforme Notaviz1099, offrant des services et des outils en ligne ou bien encore Mon notaire-Ma succession en matière de succession1100.

Les professionnels du droit doivent être directement à l’origine des LegalTech de demain pour que les valeurs intrinsèques défendues par chaque profession soient sauvegardées. Ceci permettra de retrouver dans l’univers dématérialisé la même variété de professions et d’approche du droit qui restent complémentaires, que dans le monde réel. Les professionnels du droit doivent remplir tout l’espace encore libre aujourd’hui sur le marché de l’accès au droit des internautes consommateurs avant que d’autres ne le fassent à leur place.
3507 – Développer un accès rapide et direct aux professionnels. – Faciliter l’accessibilité du droit, c’est aussi permettre un accès plus direct et plus rapide aux professionnels du droit par les usagers. La visioconférence est l’outil adéquat permettant d’atteindre ces objectifs. De nombreux cabinets d’avocats et études d’huissiers et de notaires proposent déjà un tel service. Les instances représentatives de chacune de ces professions s’organisent.

Pour les avocats, depuis le 15 octobre 2020, le site internet du Conseil national des barreaux offre désormais cette possibilité1101. Ce service, ouvert aux particuliers et aux chefs d’entreprises, permet des consultations sécurisées de n’importe où depuis un smartphone ou un ordinateur.

Pour les huissiers de justice, la Chambre nationale des commissaires de justice1102 ne semble pas offrir un tel service, vraisemblablement parce que le conseil est une activité moins prégnante pour cette profession.

Pour les notaires, le site officiel n’offre pas ce service aux visiteurs. Mais la profession a préféré privilégier la sécurité de la relation professionnelle. Tous les notaires de France sont invités à se doter d’un seul et même système de visioconférence sécurisé et agréé par l’instance représentative : Lifesize Video1103. Ce système peut être téléchargé sur un ordinateur ou une tablette et permet ainsi de privilégier un contact avec « son » notaire, où qu’il soit. Ce système de visioconférence sécurisé est doté du boîtier de chiffrement dénommé Codec. Il offre les trois critères de non-enregistrement, de cryptage et de paramétrage par la profession, et assure une qualité de son et d’image optimale1104.

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Section II – S’approprier les outils numériques facilitant l’intelligibilité du droit

3509 L’intelligibilité du droit participe à la sécurité juridique1105. Or, compte tenu de la complexité accrue des règles de droit, les professionnels cherchent à en faciliter la compréhension en les expliquant de manière simple et claire. Pour cela, ils peuvent recourir à un nouveau procédé, dont le support est souvent numérique et dont la vocation première est de rendre le droit plus intelligible, donc plus sûr : le legal design.
3510 – Recourir au legal design. – Le legal design connaît un bel essor dans les pays anglo-saxons depuis plusieurs années. Il peine à se développer dans le paysage juridique français et commence à intéresser les étudiants et quelques professionnels. Des étudiants en master 1 de droit au sein de l’Université Paris II ont créé en 2016 le Legal Design Assas1106. Cette association est à l’origine de l’Illustr’Assas, journal qui propose des exemples concrets d’application du legal design aux contenus juridiques1107. Dans tous les domaines du droit où la compréhension reste difficile, le legal design peut présenter un intérêt. En augmentant l’intelligibilité de la règle au-delà même de ce que peuvent offrir les professionnels du droit habituels, le legal design accroît la sécurité juridique des contractants. Il permet au professionnel du droit de communiquer avec ses futurs clients au sens propre du terme : partager son savoir en le rendant intelligible. L’information est présentée par les professionnels de façon à être vraiment utile au destinataire et à faire gagner du temps au juriste1108. Car le discours est adapté selon la clientèle à laquelle le legal design s’adresse. Il est urgent que les professionnels du droit se familiarisent aujourd’hui avec la démarche et ses objectifs en élaborant eux-mêmes leurs propres outils, avant que d’autres, moins chevronnés et plus mercantiles, ne s’en chargent.
Pour certains, le legal design représente une véritable opportunité pour les professionnels du droit afin de se démarquer de leurs concurrents. Ils peuvent ainsi offrir un service différent et s’adresser à une clientèle aujourd’hui délaissée par les services juridiques1109. Ils améliorent leur relation client et leur image auprès de ces derniers.

Les avocats ont souscrit à ce nouvel outil et de nombreuses initiatives individuelles ont vu le jour ces dernières années1110. Une école d’avocats en particulier propose des formations adaptées1111, tandis que l’École française du barreau a mis ce sujet au programme de ses cours en 20181112. En pratique, le procédé est très utilisé par de grands cabinets pour synthétiser certains contrats, certaines clauses ou procédures (par ex., des conventions d’honoraires, des conditions générales de vente, le congé à l’initiative du bailleur), et ce pour aller ainsi droit à l’essentiel, le tout en se faisant comprendre par le destinataire.

Pour les huissiers de justice, les instances représentatives ne semblent pas avoir initié de projet en la matière. Ceci étant, compte tenu du fait que la forme du constat n’est régie par aucun texte, il est envisageable d’user du legal design pour expliquer par exemple ce qu’est un impayé1113.

Dans le notariat, il faut attendre 2019 pour que Paris Jeunes Notaires (PJN) organise un concours national de legal design1114. Les applications pour la profession notariale peuvent être multiples1115. Plusieurs matières pourraient être concernées. À titre d’exemples, peuvent être cités la promotion immobilière (la vente en l’état futur d’achèvement, la vente en état futur de rénovation…), le droit international privé (le règlement « Successions », le règlement des partenariats enregistrés, le règlement « Régimes matrimoniaux »…), le droit fiscal (les régimes des plus-values et la TVA immobilière…), le droit civil (les régimes matrimoniaux, le rapport de donations…).

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1083) V. supra, nos 3001 et 3003.
1084) Mises à part la fiabilité et la complétude des informations communiquées.
1086) Le site ne semble pas fonctionner au jour de la rédaction de ces lignes.
1088) Certains auteurs s’interrogent quant à l’opportunité d’utiliser le chatbot dans la profession notariale (Entretien entre T. Attia, Ch. Gijsbers, L. Guyot, L. Leguil, F. Paul et O. Vix, Les fondamentaux du notariat confrontés à l’intelligence artificielle : JCP N 9 mars 2018, no 10, 1111). En effet, le conseil attendu du professionnel n’est pas forcément juridique, mais plutôt psychologique ou relationnel et nécessite une écoute humaine. Les réponses stéréotypées du logiciel programmé ne permettent pas de résoudre toutes les difficultés posées par une législation en constante évolution. Enfin, la réponse apportée peut ne pas être comprise par l’utilisateur.
1089) Types de questions auxquelles le chatbot devrait être en mesure de répondre : Quels diagnostics dois-je fournir dans le cadre d’une vente immobilière ? Je vends un garage, dois-je effectuer le mesurage ? Quelles formalités dois-je entreprendre avant de me marier ? ; Puis-je déshériter mes enfants ?….
1090) Types de questions plus complexes : Ma loggia doit-elle être mesurée pour la vente ? J’ai entièrement rénové ma maison, dois-je quand même effectuer les diagnostics électrique et gaz ? Puis-je acheter un terrain à bâtir avant d’avoir obtenu le permis de construire ? J’ai vendu un garage à rénover en habitation à un acquéreur, peut-il se rétracter ?….
1091) Par ex. : promouvoir une supériorité prétendument plus grande du bail sous signature privée sur le bail authentique en renvoyant l’internaute vers un cabinet d’avocats.
1093) P. Sannino, Huissiers de justice – « Disruption », Justice prédictive, Blockchain, LegalTech : de nouvelles opportunités pour la profession ? : Procédures 2017, entretien 1.
1096) P. Sannino, « Disruption », Justice prédictive, Blockchain, LegalTech : de nouvelles opportunités pour la profession ? : Procédures 2017, entretien 1 ; www.credicys.fr
1098) L. Dekerle, L’appropriation des technologies numériques par les professions réglementées – L’exemple des huissiers de justice : CDE 2018, dossier 19.
1099) https://notaviz.notaires.fr
1104) Circ. CSN, 16 avr. 2020.
1105) V. supra, nos 3001 et 3003.
1108) G. Brenas, L’intérêt du legal design pour les professionnels du droit, préc.
1109) A. Boyer, C. Charles et F. Duthille, Legal design : buzzword ou révolution ?, préc.
1110) F. Creux-Thomas, Le legal design, gadgets ou opportunités pour les avocats ? : JCP G 16 déc. 2019, no 51, no 1321.
1112) Certains cabinets se spécialisent en la matière, www.welovelegaldesign.com/index.html#portfolio ; www.sagan-avocats.fr/legal-design.htm
1113) Entretien avec S. Doriol, juill. 2020, Paris.
1114) www.defrenois.fr/actualites/paris-jeunes-notaires-lance-son-1er-concours-de-legal-design. Trois thèmes étaient proposés : 1) Concubinage, Pacs ou mariage : quelle union choisir ? ; 2) L’imposition des plus-values ; 3) L’intérêt ou non de recourir à la SCI.
1115) Legal design : quelles applications pour la pratique notariale ? : Sol. Not. 17 sept. 2020, no 29, p. 20.


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