CGV – CGU

2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 3 – Chapitre II – L’intelligibilité du droit

PARTIE II – La sécurisation de la pratique du contrat numérique
Titre 2 – Le conseil
Sous-titre 1 – Le conseil standardisé du monde numérique

Chapitre II – L’intelligibilité du droit

3490 Les exigences de rapidité et de baisse des coûts des consommateurs du monde numérique actuel influent aussi sur l’intelligibilité du droit, et ce en risquant de la compromettre. En effet, les acteurs du monde numérique ont répondu à ces exigences en proposant des contrats standardisés qui peuvent entraver la compréhension de l’acte lui-même et des règles qui lui sont applicables (Section I). De nouveaux outils numériques, tournés vers la vulgarisation du droit, sont toutefois développés pour contrebalancer cette inintelligibilité (Section II).

Section I – De la standardisation des contrats…

3491 Par définition, la standardisation conduit à soumettre à un même modèle des situations aussi multiples que variées. C’est le plus souvent la réduction des coûts de fabrication et d’exploitation qui gouverne ce choix principalement économique. Certes, l’uniformisation du contenu des contrats rend la règle générale accessible et potentiellement intelligible, par comparaison à l’absence de tout contrat. Mais l’uniformisation omet surtout le plus souvent de traiter les règles particulières ou dérogatoires. Or, si une règle générale permet de saisir les grandes lignes d’un engagement (objet et prix pour une vente), ce sont les dispositions spécifiques qui permettent d’en appréhender toute la portée (délais, obligations, responsabilité…). La standardisation a donc pour effet indirect d’atténuer la compréhension de la règle applicable. Et plus la règle de droit applicable est spécifique, plus la standardisation en limitera l’intelligibilité. C’est précisément ce que proposent les LegalTech au travers de plusieurs services. Un premier consiste à mettre à disposition du consommateur un formulaire à compléter directement de chez lui, permettant l’élaboration automatisée d’un contrat. Un autre service consiste pour la LegalTech à s’adosser à un professionnel pour confectionner le contrat ou le faire relire1061. Cette dernière façon de procéder permet d’ailleurs de sécuriser le consommateur en profitant de la confiance placée en ce professionnel. Pour les LegalTech créées avec l’idée de se substituer aux intermédiaires classiques, le consommateur prend la main sur la rédaction du contrat envisagé. Il devient proactif en remplissant lui-même l’acte prérédigé1062. Les intermédiaires sont purement et simplement évincés. Tous les domaines du droit sont concernés. En matière contractuelle, peuvent être cités à titre d’exemples LegaLife1063, Captain Contrat1064, Celerlex1065. Ces plateformes proposent tous types de contrats principalement en droit des affaires (statuts, cession de parts…), en droit social (contrat de travail) et en matière locative (bail d’habitation, commercial…). Toutes ces plateformes collaboratives répondent indéniablement au critère de rapidité demandé par les consommateurs. Mais la standardisation, aussi louable soit-elle dans cette perspective d’instantanéité, laisse subsister une ambiguïté. Elle suggère aux consommateurs que la portée de leurs engagements se résume à ce qu’ils peuvent en lire dans le contrat standardisé. En réalité, c’est l’ensemble des règles applicables à l’objet du contrat qui devrait être porté à la connaissance du contractant pour qu’il en mesure toute la portée. En standardisant les contrats, les acteurs du monde numérique limitent l’intelligibilité de l’économie du contrat et des règles de droit qui lui sont applicables.

Section II – … à la vulgarisation du droit

3492 – Si les nouvelles technologies facilitent l’accessibilité du droit1066, son intelligibilité reste encore aujourd’hui une difficulté pour les non-initiés. L’inintelligibilité du droit en général résulte de deux phénomènes. – La complexité du droit d’une façon générale (termes souvent techniques, langage parfois hermétique, expressions quelquefois désuètes, phrases souvent interminables, textes renvoyant les uns aux autres…) et la complexité inhérente au raisonnement juridique d’une façon plus particulière constituent le premier. L’inflation législative et une complexité accrue des contextes économique, social et technologique que le droit entend régir, constitue le second. C’est précisément contre cette inintelligibilité que les nouvelles technologies ont souhaité agir. Un nouveau concept se développe depuis quelques années et interroge quant à sa portée : le legal design1067 ou design thinking appliqué au droit. Ce nouvel outil est la rencontre entre une extension du champ d’action du design à tout type de domaine et un droit bousculé par la numérisation obligé de trouver d’autres outils. Le legal design consiste à créer des documents juridiques facilement compréhensibles et utilisables, immédiatement opérationnels et engageants. La démarche du legal design consiste à « inverser le cheminement d’une information juridique afin de la rendre accessible (…), le principe du legal design est de s’intéresser à son destinataire afin de lui présenter et lui diffuser l’information dont il a effectivement besoin »1068. Ainsi, cet outil repose sur trois préceptes. Le premier consiste à définir et comprendre l’identité, les besoins, les aspirations et les contraintes des utilisateurs. Il s’agit en quelque sorte d’un phénomène empathique à l’origine de la naissance du legal design ; se mettre à la place du destinataire d’une information pour savoir de quoi il a réellement besoin1069.
Le deuxième repose sur l’expérimentation, consistant à élaborer rapidement un prototype pour identifier les défauts puis ajuster. Enfin, le troisième ancre la démarche dans un mode fondamentalement collaboratif et pluridisciplinaire (avocats, notaires, designers, chercheurs…, créent avec et au service de l’utilisateur). Les applications du legal design peuvent se subdiviser en trois catégories. Le visuel design crée des supports de communication graphique, tels que des infographies, schémas, flyers, dessins, tableaux, vidéos, etc. Il vise à rendre le droit plus intelligible, lisible et accessible1070. Le design de service décrit le « parcours d’un client type, ses ressentis, les éléments de friction et points de souffrance sur lesquels il va buter pour imaginer un service plus performant et répondant aux besoins concrets du client ». Enfin, le design organisationnel permet de réorganiser le quotidien des professionnels du droit afin de mettre en cohérence leurs stratégies1071.
3493 En matière contractuelle, c’est précisément le visuel design qui est le plus utilisé1072. Les intérêts présentés par cet outil sont multiples. Il permet entre autres :

de ne retenir que les informations essentielles et faire ainsi du tri dans les clauses contractuelles habituelles ;

de schématiser/présenter/organiser les clauses traditionnelles du contrat en une chronologie ou logique différente plus compréhensible par le destinataire. Cela peut consister par exemple à faire apparaître les droits et obligations des parties en préambule du contrat présenté en visuel design ;

d’utiliser des techniques visuelles pour faire ressortir des points saillants ou des spécificités du contrat.

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3495 Si les outils visuels générés par le legal design ne font que traduire plus intelligiblement les clauses figurant dans un acte ou un contrat, alors la sécurité juridique est préservée. Elle est même accentuée si le document visuel utilisé, voire annexé, permet aux cocontractants de prendre davantage la mesure de leur engagement. À titre d’exemple, l’impact d’un délai de prescription sera plus facilement intégré par une partie à l’acte en usant de chiffres (5 ans) plutôt que de lettres (cinq ans)1073. Ou bien encore, l’usage de flèches permettra de traduire la capacité d’agir auprès ou contre telle ou telle personne ou entité. Une flèche barrée au contraire traduira l’interdiction d’agir. Mais les limites de l’exercice sont connues et ténues. Deux peuvent être citées.

la première est inhérente au legal design orienté. C’est le concepteur qui détermine le cadre de l’information transmise et rendue accessible. Il peut ainsi, volontairement, omettre de préciser certains droits ou même orienter le cocontractant dans l’exercice de certains d’entre eux1074. Il peut aussi, par ignorance de la matière, dénaturer le droit et le déformer ;

la seconde limite consiste à confondre simplification salvatrice et vulgarisation excessive. Le désir d’expliquer et de se faire comprendre ne doit pas s’effectuer au détriment de la sécurité juridique.

Il est admis, à ce jour, que ces nouveaux outils visuels ne cherchent pas à se substituer à la règle écrite. Ils viennent en complément du contenu des actes et des règles qui les gouvernent, et ce pour une meilleure compréhension des destinataires. Si le legal design semble voué à un bel avenir, il ne saurait se substituer intégralement à tout ou partie des clauses contractuelles, ni à toutes les explications qu’appellent les règles de droit complexes qui leur sont applicables.
3496 – Legal design et information précontractuelle1075. – Les outils visuels du legal design peuvent aujourd’hui aussi bien traduire une règle très générale (par ex., l’obligation d’information précontractuelle que l’article L. 111-1 du Code de la consommation fait peser sur les professionnels au bénéfice des consommateurs) qu’expliquer une règle plus précise (par ex., l’objet du dossier de diagnostics techniques en matière immobilière). Mais, comme énoncé précédemment1076, l’information juridique transmise omettra bien souvent les spécificités et autres exceptions pouvant figurer dans la règle de droit. Les informations transmises en legal design ne sauraient à elles seules suffire au respect de l’information précontractuelle. La multiplication des informations spécifiques à transmettre aux partenaires contractuels rend l’usage de ce procédé plus difficile.
3497 – Legal design et conseil du professionnel. – Ces nouveaux outils visuels trouvent aujourd’hui une application concrète au titre du conseil délivré par le professionnel.

Au titre du devoir de conseil. Les professionnels du droit sont tenus d’un devoir de conseil absolu. Ils doivent s’assurer auprès des parties à l’acte de la compréhension de la portée de leurs engagements. Ils doivent s’en assurer aussi pour les actes sous seing privé auxquels ils participent1077. En cas de contentieux, il appartient au professionnel de justifier du respect de son obligation de conseil par tout moyen, car celle-ci ne se présume pas1078. Il peut le faire même en l’absence de tout document en attestant1079. Le document visuel émanant du legal design est donc admis comme mode de preuve. Il appartient alors au professionnel de démontrer qu’il est suffisant à la compréhension de la portée de l’engagement du plaignant. Si la simplification s’est avérée excessive, le legal design peut rendre impossible la preuve du conseil donné.

Au titre du conseil délivré dans le cadre d’une consultation. Lorsque le professionnel est sollicité pour délivrer un conseil spécifique indépendamment de la rédaction de tout acte, le legal design peut s’avérer un très bon outil de communication pour faire mieux comprendre au destinataire de la consultation les spécificités de la question posée. La difficulté est d’être en mesure de traduire en visuel design toutes les informations transmises par le destinataire. Il convient de ne retenir que celles jugées pertinentes et de n’en omettre aucune autre.

Ceci étant, dans les deux situations, le legal design n’est pas forcément exclusif d’un texte. Il est tout à fait envisageable qu’une consultation classique textuelle détaillant les nuances et les incertitudes soit accompagnée d’un document graphique (legal design) synthétisant certains points clairs et sans débat.
3498 – Legal désign et mentions légales impératives. – Pour les textes imposant la reproduction intégrale de dispositions spécifiques1080, il ne fait aucun doute que l’usage de documents visuels ne satisferait pas aux exigences légales. L’acte reçu serait automatiquement vicié.
3499 – Legal design et publicité foncière. – Les documents issus du legal design ne sauraient se substituer aux mentions obligatoires issues du décret de 1955 relatives tant aux personnes qu’aux biens1081. Pour les besoins de la télépublication, seules des données rédigées (à l’exclusion de dessins, schémas, graphiques, vidéos…) peuvent être intégrées dans le logiciel de rédaction d’acte pour être exploitées par les services de la publicité foncière.
3500 – Legal désign et juges. – Lorsque le visuel design se substitue aux clauses contractuelles habituelles, l’interprétation des juges sur son impact est aujourd’hui incertaine. De deux choses l’une :

l’effort de pédagogie initiée par le professionnel pourrait être salué par le juge faisant preuve d’une certaine ouverture d’esprit. Il apprécierait ainsi justement la tentative de recherche d’une meilleure prise de conscience des droits et obligations des parties au contrat au travers de cet outil. Cette vision viendrait alors conforter le développement de ce nouvel outil ;

à l’inverse, un esprit étroit et insensible à toute évolution sonnerait le glas de cet outil pourtant prometteur.

3501 Sous toutes ces réserves, l’usage de documents issus du legal design peut rapidement rendre le droit plus intelligible et accroître ainsi la sécurité juridique contractuelle.

1061) M. Blanchard, Les nouveaux acteurs du droit : CDE 2018, dossier 15.
1062) V. supra, no 3132.
1065) www.celerlex.fr/
1066) V. supra, nos 3001 et 3003.
1067) L’application de ces préceptes au droit a été initiée par la designer Candy Chang en 1999 à New York afin de rendre intelligible la réglementation new-yorkaise applicable aux vendeurs de rues. C’est en 2014 que le legal design est théorisé par Margaret Hagan à l’Université de Stanford ; A. Boyer, C. Charles et F. Duthille, Legaldesign : buzzword ou révolution ? : RPPI 2019, no 1, 1 ; V. supra, no 3069.
1068) G. Brenas, L’intérêt du legal design pour les professionnels du droit : RPPI oct. 2019, no 2, 1.
1069) Notaire – Legaldesign – Veille : JCP N 28 juin 2019, no 26, act. 593. – G. Brenas, L’intérêt du legal design pour les professionnels du droit : RPPI oct. 2019, no 2, 1.
1070) V. pour des exemples en matière de gouvernance d’entreprise, L. Athlan, Gouvernance et legal design : Actes prat. ing. sociétaire 2020, no 1, 1.
1071) A. Boyer, C. Charles et F. Duthille, Legal design : buzzword ou révolution ?, préc. ; pour des exemples.
1072) V. pour une présentation des intérêts du légal design appliqué au contrat : https://www.efl.fr/actualite/legal-design_f7fa7f443-10ef-4eba-84f0-4420af636c62 ; www.youtube.com/watch?v=XLAzgck2c5Q&feature=emb_rel_end
1073) C. civ., art. 2224.
1074) V. pour un exemple de legal design orienté, B. Dondero, Parler de legal design à propos du droit a-t-il un sens ? : JCP G 24 janv. 2019, no 4, doctr. 85.
1075) C. civ., art. 1112-1.
1076) V. supra, no 3495.
1077) Cass. 1re civ., 16 févr. 1994 : bull. civ. 1994, I, no 69, pour la profession de notaire.
1078) C. civ., art. 1358 ; V. en ce sens 116e Congrès des notaires de France, Paris, 2020, Protéger Les vulnérables – Les proches – Le logement – Les droits, § 4060 et s., p. 829.
1079) Cass. 1re civ., 6 juill. 2004 : JCP N 2005, no 5, 1072.
1080) À titre d’exemples peuvent être cités : CCH, art. L. 443-12-1 sur la vente de logement par des organismes d’habitations à loyer modéré ; L. no 89-462, 6 juill. 1989, art. 15 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi no 86-1290 du 23 décembre 1986….
1081) D. no 55-22, 4 janv. 1955, portant réforme de la publicité foncière, art. 4 et s.


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