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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 3 – Chapitre II – La disparité des effets des modes de régulation des technologies numériques à l’aune de l’objectif de confiance contractuelle

PARTIE II – La sécurisation de la pratique du contrat numérique
Titre 1 – La confiance
Sous-titre 1 – La confiance des contractants menacée par les technologies numériques

Chapitre II – La disparité des effets des modes de régulation des technologies numériques à l’aune de l’objectif de confiance contractuelle

3419 Dans notre droit continental, sécurité juridique rime traditionnellement avec encadrement juridique839. Dans le domaine contractuel, les textes normatifs sont destinés à définir les droits et obligations des parties, à en limiter les abus et à en sanctionner les excès. Une régulation bien aboutie est d’une façon générale vecteur de confiance et donc de sécurité juridique. C’est au nom de cette confiance que l’encadrement juridique des nouvelles technologies s’impose840. Il existe différents niveaux de régulation des nouvelles technologies numériques (Section I). Elles n’ont pas toutes les mêmes effets. La confiance octroyée par les contractants aux technologies numériques sera fonction du niveau de régulation de ces technologies (Section II)841.

Section I – Les niveaux de régulation

3420 La régulation juridique doit favoriser, voire initier la mise en place d’un système propice au développement de ces nouvelles technologies. Elle doit surtout satisfaire l’idéal de sécurité juridique auquel tout cocontractant aspire842. La régulation peut-être de deux ordres : interne (Sous-section I) et externe (Sous-section II).
Sous-section I – La régulation interne (ou autorégulation)
3421 Cette méthode consiste à laisser les acteurs du monde numérique définir eux-mêmes les règles de leurs relations pour en maîtriser tous les aspects. Cette autorégulation prônée par les acteurs du monde numérique évite l’intervention d’un tiers pouvant se révéler trop directif et contraignant.
Sous-section II – La régulation externe
3422 Cette méthode consiste en l’intervention d’une tierce personne (législateur le plus souvent, juge) pour définir les règles a priori ou sanctionner a posteriori les abus que les parties au contrat n’auraient pas prévus. L’intervention législative focalisera nos développements.
3423 – Le moment de la régulation. – Cette question constitue un véritable enjeu politique. Comme le souligne très justement le député Mis, « la régulation d’un secteur, d’une technologie ou d’un écosystème est d’autant plus délicate que l’innovation autour des blockchains est fortement évolutive et peu maîtrisable »843. Il est souvent plus facile d’attendre d’identifier précisément les abus d’une nouvelle technologie pour en limiter les déviances plutôt que d’établir un cadre juridique qui peut en freiner le développement. Mais trop tarder, c’est encourager la poursuite de l’insécurité juridique alimentant la défiance envers la nouvelle technologie. Aujourd’hui la régulation constituerait un facteur d’innovation.
3424 – Les techniques de régulation. – Cette question reste aussi un enjeu crucial. Ainsi, « une régulation trop forte tuerait l’innovation en France, qui se réfugierait donc dans des pays limitrophes comme la Suisse. Une régulation trop faible serait inutile à la protection des investisseurs et à la lutte contre les activités criminelles »845. Pour un autre auteur, il n’est pas envisageable que le législateur modifie constamment le cadre juridique en réponse à chaque innovation846. Il faut donc trouver une méthode rendant compatibles rapidité de l’évolution des nouvelles technologies et désir de sécurité juridique.
Deux méthodes peuvent être citées : la méthode « d’avance de phase » et la méthode du « bac à sable ».
3425 La méthode « d’avance de phase » consiste à inventer une régulation847, permettant d’élaborer « un cadre réglementaire expérimental, au périmètre borné ».
3426 Une seconde méthode, appelée « méthode du bac à sable », tire son origine du langage de programmation853. Elle consiste en « une série de règles permettant aux entrepreneurs de tester leurs produits et modèles économiques dans un environnement réel », sans contraintes juridiques et sous contrôle d’une autorité. Cette méthode minimise l’incertitude juridique tout en permettant l’accès à l’investissement854.
3427 À l’échelon national, le législateur s’est appuyé sur cette méthode pour expérimenter la circulation des véhicules autonomes862. Dans cet exemple, tous les aspects relatifs à la circulation sur la voie publique d’un véhicule autonome et à ses conséquences sont désormais organisés (autorisation, information, responsabilité). L’expérimentation du produit dans son environnement réel peut se réaliser. C’est cette même méthode du bac à sable que met également en exergue le rapport Villani relatif à l’intelligence artificielle863. Cette méthode, parce qu’elle organise les responsabilités en cas de déviance, accroît la confiance des usagers et des tiers et participe à garantir une meilleure sécurité juridique. À l’étranger, pour les technologies blockchain, c’est la méthode du « bac à sable » qui est généralement utilisée864.

Section II – La régulation : un vecteur de confiance graduelle

3428 Les modes de régulation précités n’ont pas tous la même efficacité en termes de confiance des contractants et donc de sécurité juridique. Selon les types et l’importance des régulations utilisées, la confiance sera plus ou moins grande. Elle sera limitée en présence d’une autorégulation (Sous-section I) et augmentée en cas de régulation externe (Sous-section II).
Sous-section I – Une confiance limitée en cas d’autorégulation
3429 – Plateformes. – La recherche de profits constitue l’objectif principal de toutes les plateformes qui fleurissent sur internet. Le profit est ici entendu au sens le plus large possible865. Ce but mercantile a pour unique objectif de contracter avec le consommateur, de n’importe où et à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Plus il y aura d’entraves à cette finalité (informations claires, obligatoires, délai de rétractation…), moins l’objectif poursuivi sera satisfait. Pour atteindre le but recherché, il faut donc s’affranchir des règles trop restrictives ou contraignantes des législations locales866. Le premier moyen d’y arriver est de ne pas être soumis aux règles européennes ou à celles d’un État membre. Et, dans ce domaine, les plateformes étrangères excellent dans l’art de relever d’une législation plus libérale par un choix de loi approprié867. Le second moyen consiste à inclure des clauses d’exclusion de responsabilité868. De plus, il est aisé de constater que la règle contractuelle n’est pas toujours accessible et intelligible869. Il en va ainsi du contenu du contrat lui-même et des règles, dispositions auxquelles le contrat renvoie éventuellement. Lorsque la règle est accessible, elle n’est alors pas forcément intelligible. Ainsi les informations précontractuelles destinées à la parfaite information des consommateurs ne jouent pas leur rôle. La compréhension par les cocontractants du contenu de l’information numérique transmise avant et pendant l’exécution du contrat fait défaut. Ce défaut d’information crée un sentiment d’impunité et de toute-puissance générant de la défiance dans l’esprit des utilisateurs. Conscientes de cet écueil, les plateformes réagissent et entament une démarche d’adaptation aux législations nationales870. Ceci étant, elles se limitent au strict minimum, laissant à l’utilisateur la tâche de se renseigner sur les dispositions protectrices dont il pourrait se prévaloir. Dans ces conditions, l’autorégulation ne permet pas de créer une confiance suffisante à garantir la sécurité juridique des contractants.
3430 Blockchain. – À l’origine, la blockchain s’est développée sur l’idée simple du Code is law, qui est devenu la devise des adeptes de la blockchain publique871 et l’archétype de l’autorégulation. Les créateurs de la technologie blockchain872 poursuivaient quatre desseins précis. Ils cherchaient à échapper au contrôle étatique, à contourner les tiers de confiance, à neutraliser les politiques monétaires et à abolir les positions économiques dominantes873. Bref, ils cherchaient à s’affranchir de toute règle et de tout intermédiaire874. Les informaticiens ont alors élaboré leurs propres valeurs, sans se soucier des conséquences qu’elles pouvaient avoir sur l’environnement du moment qu’elles satisfaisaient leurs idéaux. Aucune contrainte étatique ne doit entraver le développement de la technologie blockchain. Pire encore, pour certains auteurs, il paraît même exister une rivalité entre le droit et la blockchain. Cette dernière effectuerait le même travail qu’accomplit le droit, dans le monde ordinaire, vis-à-vis des transactions, de manière plus scientifique et infalsifiable875. Ainsi le code informatique doit se suffire à lui-même et exclut le droit876, il s’autorégule877. Or, le code informatique présente deux qualités pour ses défenseurs : il est stable et prévisible878 en étant totalement imperméable à tout changement ou évolution. Si ces qualités contribuent à la sécurité juridique879, elles peuvent au contraire y nuire en créant un sentiment d’imprévisibilité et donc de défiance en cas de survenance d’un cas de force majeure. De plus, si le code informatique fait loi, il ne peut envisager sa défaillance. Car le code informatique a été conçu et créé pour supprimer les imperfections et les défaillances humaines. Si le code informatique est défaillant, ce sont ses propres fondements qui sont remis en cause. Enfin, la règle se doit également d’être accessible et intelligible. Or, le code informatique n’est pas accessible, faute d’avoir accès à la programmation informatique à l’origine de la blockchain pour des raisons évidentes de sécurité. Le code informatique n’est pas intelligible, faute de disposer des compétences informatiques suffisantes. Il est même totalement abscons et indéchiffrable pour les non-initiés. Il est donc inaccessible et inintelligible, générant ainsi de la défiance à l’égard de cet outil. Cette autorégulation est à l’origine de tous les abus880.
3431 C’est la raison pour laquelle sont développées des blockchains dites « privées » ou « de consortium »881, en réponse aux inconvénients de la blockchain publique. Ainsi, dans ces blockchains, les règles de fonctionnement sont établies préalablement. Le réseau est volontairement fermé et limité aux seuls membres ; il est alors aisé d’en définir les règles de qualification, de gouvernance, de responsabilité et de preuve. Ces règles et les modalités d’évolution sont préalablement portées à la connaissance de tout utilisateur. L’identité, la compétence et l’honorabilité des acteurs sont également connues de tous (développeurs, nœuds, mineurs, oracles)882. À noter qu’en la matière, la validité de principe des conventions sur la preuve est facilitée depuis la réforme du droit des contrats883. Il faut toutefois préciser que les règles du droit de la consommation limitent la validité des conventions sur la preuve prévoyant des dispositions établies au détriment du consommateur884. Les règles étant dès lors stables, prévisibles, accessibles et intelligibles, il est fort probable que de telles blockchains gagnent rapidement la confiance des utilisateurs.
3432 Smart contract885. – En la matière, c’est l’autorégulation qui prime aujourd’hui. Les parties au contrat vont ainsi choisir la blockchain sur laquelle adosser le smart contract, la rédaction du contrat (totalement algorithmé ou non) et l’oracle. Ce dernier pourra être une entité humaine (personne physique ou personne morale), un logiciel, voire une communauté886. À l’instar de la blockchain privée ou de consortium, l’exécution d’un smart contract nécessite le plus souvent la rédaction préalable d’un contrat, appelé « contrat fiat »887. Ce contrat servira de base à l’élaboration de la partie algorithmée du smart contract. On y retrouvera également la nature et les conditions de l’intervention de l’oracle ainsi que ses responsabilités888. La rédaction de ce contrat va nécessiter l’intervention de professionnels en amont. Les mathématiciens et les juristes vont devoir apprendre à travailler ensemble pour élaborer le smart contract889. L’autorégulation par les parties au contrat (accessibilité et intelligibilité), associée à l’intangibilité du code informatique890, favorise l’émergence d’une certaine confiance dans cette nouvelle technologie.
Sous-section II – Une confiance augmentée en cas de régulation externe
3433 L’encadrement des nouvelles technologies numériques en général, par le droit, pose d’autant plus de difficultés qu’elles sont en partie conçues pour lui échapper891. Pourtant les législateurs français et européen multiplient ces dernières années les rapports et études visant à compléter une législation balbutiante en la matière. En 2014 et 2016, deux règlements européens892 ont posé les bases d’une protection accrue des utilisateurs des technologies numériques. Le règlement dit « eIDAS » et le règlement général sur la protection des données (RGPD) ont pour objectif d’accroître la sécurité juridique ainsi que la confiance des utilisateurs, grâce aux garanties de sécurité et de confidentialité qu’ils offrent. Ces dernières années, d’autres textes spécifiques à ces technologies ont vu le jour pour tendre vers les mêmes objectifs.
3434 – Plateformes. – Il convient de différencier les types de relations contractuelles pour apprécier l’apport des régulations externes en matière de plateformes.
3435 Dans la relation Business to Consumer (B to C)893, dès 2014, la Commission des clauses abusives proposait de rendre les contrats plus lisibles en formulant des recommandations visant par exemple à proscrire l’usage d’une langue étrangère et les présentations cumulatives et désordonnées d’une série de droits et d’obligations de natures diverses894. C’est en 2016, avec la loi pour une République numérique, que des obligations d’information sont venues rassurer l’utilisateur et accroître ainsi la confiance qu’il pouvait avoir en ces outils895. L’absence de sanctions civiles en cas de violation de ces dispositions peut toutefois nuire à cette confiance. En termes de responsabilité, consommateur et professionnel disposent de protections issues respectivement du droit de la consommation et du droit des obligations leur garantissant une sécurité juridique accrue896. Dans les relations avec des plateformes étrangères, il a été démontré que les consommateurs et non-professionnels apparaissent protégés face aux conditions générales, et ce grâce au droit de la consommation897. Dans la relation B to C, l’intervention des plateformes ainsi régulées devrait être de nature à accroître la protection des utilisateurs. Toutefois, la méconnaissance par ces derniers de ces législations protectrices, ainsi que leurs imperfections et leurs lacunes, en limitent la portée et ne permettent pas de créer la confiance propice à assurer une sécurité juridique.
3436 Dans la relation Business to Business (B to B)898, le législateur français en 2016 n’avait pas voulu ouvrir les obligations d’information loyale de l’article L. 111-7 du Code de la consommation aux relations B to B. C’est le règlement (UE) no 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 qui promeut l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne899. Ces nouvelles règles, entrées en application le 12 juillet 2020, prévoient les conditions générales d’utilisation des plateformes900. Dans les relations avec des plateformes étrangères, il faut noter que les clauses, notamment imposant l’arbitrage, sont licites et peuvent plus difficilement être contestées. Les professionnels manquent de protection face au déséquilibre imposé par les géants de l’internet. Dans la relation B to B, l’intervention des plateformes tout juste partiellement régulées ne suffit pas aujourd’hui à créer une confiance suffisante propice à assurer une sécurité juridique.
3437 Dans la relation Consumer to Consumer (C to C)901, un décret vient renforcer l’obligation d’information à la charge des plateformes902. Mais il a été démontré que les plateformes s’exonèrent généralement de toute garantie par l’insertion de clauses exonératoires ou par un choix de loi approprié903. Elles laissent ainsi le consommateur dépourvu de tout recours en cas de défaillance de la plateforme. Dans la relation C to C, l’intervention d’un tiers n’apporte aucune garantie particulière pouvant améliorer la relation contractuelle.
3438 Aujourd’hui, la loi pour une République numérique a sensiblement accéléré le débat sur le sujet des plateformes. Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour parfaire la sécurité juridique attendue des utilisateurs, notamment à l’égard des plateformes étrangères. C’est pourquoi deux initiatives sont à relever :

un rapport d’information a été déposé par la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale sur les plateformes numériques le 24 juin 2020904. Le rapport dresse un bilan des outils existants et suggère vingt et une propositions pour renforcer leur efficacité ;

la Commission européenne travaille actuellement sur un Digital Services Act attendu pour décembre 2020905. Ce projet viendrait réformer la directive « e-commerce » 2000/31/CE sur le commerce électronique en ce qui concerne les obligations et responsabilités des plateformes, et ferait évoluer les règles de concurrence. Ainsi, il est « évoqué l’adoption d’une nouvelle réglementation ex ante qui serait imposée de manière asymétrique et viserait notamment les grandes plateformes servant de gatekeepers entre les consommateurs et les professionnels en ce qu’elles ont la possibilité d’empêcher les nouveaux entrants d’accéder au marché ». De plus, « un nouvel instrument relatif à l’antitrust permettrait de punir des comportements non sanctionnés actuellement, comme par exemple le fait, pour des compétiteurs, d’aligner leurs prix sans qu’une entente ait été conclue »906.

3439 Blockchain (et smart contrat). – La blockchain est un outil finalement inaccessible et inintelligible, source de méfiance pour ses utilisateurs907. Or, comme le relève justement un initié en la matière908, la confiance naît à l’égard d’une technologie, parce qu’on la comprend. Le facteur de confiance est basé sur l’explication et la connaissance du risque que l’on en a. C’est en répondant à la question de la responsabilité en cas de dysfonctionnement de la blockchain, et en proposant des solutions, que cette technologie gagnera la confiance de ses utilisateurs. Or, en l’espèce, il faut constater une absence de réponse mondiale au phénomène blockchain909.
3440 À l’échelon européen, à ce jour, il n’existe aucune réglementation commune. Le 28 février 2020, a seulement été publiée une étude de l’Observatoire européen de la blockchain de la Commission européenne sur la gouvernance, intitulée Study on Blockchains Legal, governance and interoperability aspects (Smart 2018/0038)910. Compte tenu des orientations préconisées par le rapport, majoritairement qualifiées « d’attentistes », les conclusions de ce rapport ne sont pas de nature à rassurer l’utilisateur de cette technologie et à accroître sa confiance.
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3442 À l’échelon national, après une première phase d’analyse de propositions911, arrive celle des textes législatifs. Le législateur commence logiquement par qualifier les termes, permettant ainsi d’identifier plus aisément un responsable et de régler les contentieux que la technologie génère inévitablement912. Il commence par les cryptoactifs en élaborant une succession de législations spécifiques913. Le législateur poursuit en instaurant un nouveau cadre juridique pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) en introduisant un nouveau chapitre dans le Code monétaire et financier intitulé « Prestataires de services sur actifs numériques »914. En qualifiant et en encadrant certains usages de la technologie blockchain, le législateur rassure l’usager et participe ainsi à accroître la confiance en cet outil. Toutefois, l’usage de cette technologie ne se limite pas exclusivement aux titres financiers ; elle est utilisée aujourd’hui dans de nombreux autres secteurs de l’économie915. En l’absence de textes spécifiques en la matière, la doctrine s’interroge sur l’application des concepts classiques du droit français à la blockchain. En d’autres termes, le droit positif français est-il de nature à rassurer l’utilisateur de la technologie sur l’efficience des garanties qu’il offre ?

Pour un premier courant de pensée, le droit français serait en mesure d’appréhender un certain nombre de situations créées par l’usage des blockchains. Il n’existerait pas de « zone grise » dans l’application du droit des contrats916. Les dispositions du Code civil suffiraient à régir les transactions réalisées par la blockchain917. Ainsi, en matière de loi applicable, les conventions bilatérales ou multilatérales de droit international privé auraient vocation à s’appliquer918. En matière de preuve, le rapport de l’Assemblée nationale déjà cité919 préconisait une adaptation du règlement eIDAS pour l’ajuster aux spécificités de la blockchain920. Une réponse ministérielle récente vient alimenter le débat en précisant que notre droit permet d’appréhender de manière satisfaisante les questions probatoires soulevées par la blockchain. Il ne paraît ni nécessaire ni opportun de créer un cadre légal spécifique921. Le juge interviendra néanmoins pour en apprécier la valeur probante par application du droit commun de la preuve. Ce même rapport préconisait ensuite l’engagement d’une réflexion visant à l’établissement d’un régime de responsabilité relatif à la technologie blockchain922. Il préconisait enfin l’examen d’une adaptation des normes nationales du droit de la consommation au regard des usages de ladite technologie923. Il semble que ces deux propositions n’aient pas abouti à ce jour.

Pour un second courant, le droit commun et les droits spéciaux des contrats présentent des imperfections et lacunes924. Aucun texte ne semble même convenir à la blockchain et au smart contract. Plusieurs propositions d’adaptation du droit positif sont ainsi formulées. Elles suggèrent entre autres de donner une qualification juridique au smart contract, de l’interdire en droit de la consommation ou de rendre obligatoire une information accrue en la matière, ou bien encore de l’autoriser comme mode d’exécution du contrat. Toutes ces propositions visent à clarifier une situation incertaine pour favoriser la confiance et la sécurité juridiques.

L’encadrement externe de la technologie blockchain ne doit pas s’arrêter aux seuls cryptoactifs. Le législateur doit appréhender la technologie plus largement et poursuivre ses démarches de qualification et d’encadrement déjà engagées pour tendre vers plus de sécurité juridique.
3443 L’intelligence artificielle se développe depuis quelques années dans un environnement totalement dépourvu de règles ou de normes. En 2017, des auteurs ont démontré la nécessité d’encadrer l’usage de l’IA pour en limiter les abus et accroître ainsi la sécurité juridique de cet outil. La mise en place d’une régulation externe par l’élaboration de règles éthiques925 s’est imposée comme une solution926. À l’échelle européenne, c’est en matière judiciaire que la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (Cepej) a publié la première Charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle (IA) en 2018927. Elle énonce ainsi cinq principes substantiels et méthodologiques en matière de traitement automatisé des décisions juridictionnelles928. En parallèle, l’Union européenne a pris une part active à l’élaboration des principes éthiques de l’OCDE sur l’IA929. Le G20 a ensuite approuvé ces principes dans sa déclaration ministérielle de juin 2019 sur le commerce et l’économie numérique. Le livre blanc rendu par la Commission européenne le 19 février 2020 préconise l’élaboration d’un cadre réglementaire pour l’IA930.
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3445 Ce livre banc jette ainsi les bases d’une réflexion sur l’IA fondée sur l’excellence et la confiance. L’encadrement externe, tel qu’envisagé, permettra de créer un « écosystème de confiance » favorable au développement de l’IA.
3446 À l’échelle nationale, c’est le rapport Villani de 2018931 qui oriente la réflexion et les développements de cette technologie, dans les années à venir, en France.
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3448 Ce rapport a défini les grandes lignes du développement de l’IA, sans s’attarder sur les conséquences juridiques résultant de son application. Dans ce domaine, il est probable que le législateur français laisse à l’Union européenne le soin de s’en charger.

839) V. Gautrais, Les sept péchés de la blockchain : éloge du doute ! : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 432 et s.
840) W. O’Rorke, L’émergence d’un droit de la blockchain : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 422 et s. – N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l’innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s. – Y. Moreau, Enjeux de la technologie de blockchain : D. 2016, p. 1856. – M. Coulaud, Quelle place pour l’éthique et le droit en matière d’intelligence artificielle ? : Comm. com. électr. 2018, entretien p. 6.
841) Par ex., dans le cas spécifique du Building Information Modeling ou BIM (V. supra, nos et s.), deux courants de pensée s’opposent. Les pays anglo-saxons prônent une régulation externe. En France, l’autorégulation est préférée.
842) V. supra, no 3398 ; à titre d’exemple peut être cité le règlement e-IDAS, qui vise à ce que la confiance numérique garantisse la confiance mutuelle entre des parties réalisant une transaction électronique. Cette confiance n’est possible que s’il existe, à la base, l’assurance que ces parties disposent d’une identité qu’elles reconnaissent mutuellement. Le règlement e-IDAS constitue un vecteur de confiance.
843) J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l’aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
844) Propos attribués à A. Lemaire, ancienne secrétaire d’État chargée du numérique, à l’origine de la loi dite « Lemaire » du 7 octobre 2016 pour une République numérique, colloque visioconférence, 21 oct. 2020, « L’Émergence d’un droit des plateformes ».
845) J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l’aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
846) N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l’innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s.
847) J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l’aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
848) PE et Cons. UE, dir. 2000/31/CE, 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») (https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32000L0031&from=FR).
849) Propos attribués à A. Lemaire, ancienne secrétaire d’État chargée du numérique, à l’origine de la loi dite « Lemaire » du 7 oct. 2016 pour une République numérique, colloque visioconférence, 21 oct. 2020, « L’Émergence d’un droit des plateformes ».
850) L. no 2016-1321 pour une République numérique, 7 oct. 2016 (www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033202746).
851) C. consom., art. L. 111-7.
852) V. supra, no 3027.
853) www.journaldunet.fr/web-tech/dictionnaire-du-webmastering/1203469-sandbox-definition-traduction. Traduit littéralement en français par « bac à sable », le terme sandbox désigne, en sécurité informatique, un mécanisme utilisé pour diminuer les risques, pour un système d’exploitation, lors de l’exécution d’un logiciel. Dans l’univers du web, le terme évoque l’environnement qui permet de tester des logiciels ou des sites web.
854) N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l’innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s.
855) L. no 2015-992, 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte (www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000031044385).
856) Ord. no 2016-1057, 3 août 2016, relative à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques (www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000032966695?r=cy3UACS9E6).
857) D. no 2018-211, 28 mars 2018, relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000036750342/2020-11-01).
858) A. 17 avr. 2018, relatif à l’expérimentation de véhicules à délégation de conduite sur les voies publiques (www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036868691).
859) Ord. no 2016-1057, préc., art. 1 et 2.
860) L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, art. 125 (www.legifrance.gouv.fr/jorf/art._jo/JORFARTI000038496320).
861) C. route, art. 121-1.
862) Pour en savoir plus sur le sujet, cf. P. Glaser, Intelligence artificielle et responsabilité : un système juridique inadapté ? : BRDA 19/2018, inf. 22. – M.-J. Loyer-Lemercier, Droit et assurance : risques et enjeux des véhicules autonomes : BRDA 2/2019, inf. 25.
864) Cf., pour des exemples concrets utilisés au Royaume-Uni, en Inde, en Chine et aux États-Unis, N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l’innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s. (https://syntec-conseil.fr/le-prix-academique-de-la-recherche-en-management/).
865) Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, Ceprisca, coll. « Essais », 2019, p. 383, § 266 et s.
866) E. Netter, Numérique et grandes notions du droit privé, Ceprisca, coll. « Essais », 2019, p. 387, § 269 et s.
867) V. supra, nos 3108 et s.
868) V. supra, no 3047.
869) V. supra, nos 3033 et s. et 3039.
870) V. supra, no 3039.
871) L. Lessig, Code. Version 2.0 : Harvard Magazine janv. 2000.
872) La blockchain publique, seule blockchain digne de ce nom pour les puristes.
873) N. Laurent-Bonne, La re-féodalisation du droit de la blockchain : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 416 et s.
875) A. Garapon et J. Lassègue, Justice digitale : révolution et rupture anthropologique, PUF, 2018, p. 139.
876) E. A. Caprioli, Mythes et légendes de la blockchain face à la pratique : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 429 et s.
877) Y. Moreau, Enjeux de la technologie de blockchain : D. 2016, p. 1856.
878) Même si la pérennité a pu être remise en cause par « l’attaque des 51 % » ; cf., pour une explication plus précise, www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micblocs/l15b1501_rapport-information#, p. 17.
879) V. supra, nos 3001 et s.
880) Cf. le piratage de 50 millions de dollars en ethers dérobés auprès de la Decentralized Autonomous Organization (DAO) (www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/blockchain-un-fonds-se-fait-voler-50-millions-de-dollars-580431.html).
881) Cf. glossaire : Blockchain.
882) X. Vamparys, Blockchain : quelques réflexions sur la confiance 2.0 : JCP E 2018, no 41, 1520.
883) Ord. no 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; C. civ., art. 1356.
884) C. consom., art. R. 212-1 et R. 212-2. Cf., pour un exemple concret de jurisprudence, J.-D. Bretzner, B. Prat et A. Aynès, Panorama de droit de la preuve : D. 2020, p. 170.
885) V. supra, nos 3325 et s.
886) V. supra, nos 3354 et s.
887) V. supra, nos 3349 et 3350 ; V. Glossaire des termes numériques & juridiques complexes « Fiat ».
888) V. supra, nos 3347 et s.
889) A. Favreau, Entretien en visioconférence, 18 mars 2020 ; A. Favreau, Présentation du projet de recherche sur les smart contracts : Dalloz IP/IT janv. 2019, p. 33 et s.
890) V. supra, no 3430.
891) X. Lavayssière, L’émergence d’un ordre numérique : AJC juill. 2019, p. 4328 et s.
892) PE et Cons. UE, règl. (UE) no 910/2014, 23 juill. 2014 sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE. – PE et Cons. UE, règl. (UE) no 2016/679, 27 avr. 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).
893) B to C (BtC) qualifie les relations de professionnels vers des consommateurs finaux.
895) V. supra, no 3019.
896) V. supra, nos 3042 et s.
897) V. supra, no 3039.
898) B to B (BtB) qualifie les relations de commerce de professionnel à professionnel.
900) Les conditions générales doivent notamment décrire les motifs de suspension et de fermeture des comptes de vendeur (art. 3), les principaux paramètres de classement (art. 5), les traitements différenciés et les biens et services accessoires proposés par les fournisseurs (art. 6), l’accès aux données à caractère personnel et leur utilisation (art. 9), les motifs de restriction sur l’offre des biens et services par les vendeurs à des conditions plus favorables par d’autres moyens que via la plateforme (art. 10), les informations relatives au traitement des litiges et à l’accès à la médiation (art. 11 et 12).
901) C to C (CtC) qualifie les relations entre consommateurs (sans professionnel).
902) D. no 2017-1434, 29 sept. 2017, relatif aux obligations d’information des opérateurs de plateformes numériques (www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000035720908/2020-11-01).
903) V. supra, nos 3042 à 3044 et 3048 et s.
907) V. supra, no 3001.
908) L. Julia, Entretien en visioconférence, Paris, 9 oct. 2020.
909) D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, p. 10 et s., § 19.
911) À titre d’exemples : J.-M. Mis et L. de la Raudière, Comprendre les blockchains : fonctionnement et principaux enjeux de ces nouvelles technologies, Rapp. AN no 1092 des offices parlementaires sur les enjeux technologiques des blockchains, 20 juin 2018. – E. Woerth et P. Person, Rapport d’information déposé par la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire relative aux monnaies virtuelles, 30 janv. 2019.
912) N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l’innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s.
913) V. supra, nos et s. ; Ord. no 2016-520, 28 avr. 2016, relative aux bons de caisse ; Ord. no 2017-1674, 8 déc. 2017, relative à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers ; D. no 2018-1226, 24 déc. 2018, relatif à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé pour la représentation et la transmission de titres financiers et pour l’émission et la cession de minibons.
914) L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises, art. 86.
915) Industrie de la construction (sécuriser les étapes du parcours de rénovation thermique), industrie agroalimentaire (développer des outils de traçabilité), industrie énergétique (émettre et sécuriser les certificats de production d’énergie solaire).
916) J.-M. Mis, Les technologies de rupture à l’aune du droit : Dalloz IP/IT juill.-août 2019, p. 425 et s.
917) N. Devillier, Jouer dans le « bac à sable » réglementaire pour réguler l’innovation disruptive : le cas de la technologie de la chaîne de blocs : RTD com. oct.-déc. 2017, p. 1037 et s.
918) PE et Cons. UE, règl. (CE) no 593/2008, 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I) ; (https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2008:177:0006:0016:FR:PDF).
919) Rapp. AN no 1501 déc. 2018, Rapport d’information sur les blockchains (www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micblocs/l15b1501_rapport-information.pdf).
920) Prop. no 14 : Envisager une adaptation du régime applicable en matière de preuve électronique et de signature numérique par une révision du règlement du règlement européen no 910/2014 du 23 juillet 2014 (dit « règlement eIDAS »).
921) Rép. min. no 22103 : JOAN Q 30 juill. 2019.
922) Rapp. AN no 1501, déc. 2018, Rapport d’information sur les blockchains ; Prop. no 15, p. 93 (www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micblocs/l15b1501_rapport-information.pdf).
923) Rapp. AN no 1501, déc. 2018, Rapport d’information sur les blockchains ; Prop. no 16, p. 94 (www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/micblocs/l15b1501_rapport-information.pdf).
924) V. supra, nos 3357 et s.
925) G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, coll. « Quadrige », 13e éd., 2020, Éthique, p. 419 : Ensemble de principes et valeurs guidant des comportements sociaux et professionnels, et inspirant des règles déontologiques ou juridiques.
926) A. Bensamoun et G. Loiseau, La gestion des risques de l’intelligence artificielle. De l’éthique à la responsabilité : JCP G 13 nov. 2017, no 46, 1203.
930) https://www.ouvrirlascience.fr/wp-content/uploads/2020/03/commission-white-paper-artificial-intelligence-feb2020_fr.pdf ; « Si l’IA peut contribuer à renforcer la sécurité des citoyens et à leur permettre de jouir de leurs droits fondamentaux, elle suscite également chez eux une certaine méfiance quant à ses effets indésirables potentiels, voire à son utilisation à des fins malveillantes. Le déficit de confiance constitue aussi un frein considérable à un recours plus généralisé à l’IA ».


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