CGV – CGU

PARTIE III – Adapter son logement
Titre 2 – Adapter son logement aux nouveaux enjeux sociétaux
Sous-titre 2 – Les moyens de ces adaptations

Chapitre I – Les moyens juridiques

30828 – Comment faire mieux ? – Vieillissement de la population, recompositions familiales, fragilités du handicap… tout converge vers le logement, ce qui interroge nécessairement le juriste : quelles réponses nouvelles le Droit est-il en mesure d’apporter ? Ne peut-on faire mieux en termes d’encadrement de la solidarité familiale ? (Section I). Et pourrait-on disposer de nouveaux moyens d’organiser les rapports, certes délicats, entre logement et vulnérabilités ? (Section II).

Section I – Répondre aux enjeux de solidarité familiale sur le logement

30829 – Rôle initiateur du notariat. – En 2011 un rapport de l’OCDE recommandait de songer au développement de mécanismes permettant aux propriétaires de trouver des ressources finançant leur hébergement en cas de dépendance. Dès l’année suivante, la quatrième commission du 108e Congrès des notaires de France1338 suggérait la création d’un nouvel instrument juridique, le fonds familial.
On peut consulter ici le rapport de synthèse intégral « Boîte à outils de l’OCDE pour les politiques du logement » du 27 mai 2021 :
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30830 Cette proposition fut reprise par le Conseil supérieur du notariat qui la diffusa à tous les candidats de l’élection présidentielle de 2017, leur suggérant de l’intégrer dans leur programme (ce qu’aucun ne fit).
Les propositions du notariat aux candidats à la présidence de la République en 2017 sont accessibles ici :
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Sous-section I – Que pourrait être le fonds familial ?

30831 – Un instrument de prévoyance dans le cadre de la famille proche. – L’idée est de placer en commun, entre membres d’une même famille, des sommes, biens ou valeurs, au sein d’un fonds doté de la personnalité morale (§ I). Le fonds est alimenté sur la base du volontariat, pour que le moment venu il puisse contribuer à satisfaire les besoins d’un ou plusieurs membres de la famille (nécessité de réaliser des travaux importants, d’assumer les conséquences d’un litige, etc.(§ II). À notre sens, il devrait être limité au périmètre des personnes mutuellement tenues par une obligation alimentaire, afin d’éviter tout risque de requalification (§ III)1339.
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30833 Tel que nous le concevons, le fonds familial ne serait pas un instrument de crédit, moins encore le véhicule de libéralités, mais un outil d’expression de l’obligation alimentaire, par le biais d’une mutualisation.
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§ I – Principes directeurs de la création d’un fonds familial

30835 – Fondement. – Tel qu’il a été présenté par le 108e Congrès des notaires de France, le fonds familial est un outil d’anticipation des besoins, voire des « coups durs ». Un instrument de prévoyance, donc, qui vient combler les manques des offres assurancielles existant en la matière. Nos confrères rappelaient en effet, dans les motifs de leur proposition, « qu’il n’existe (…) dans notre droit aucune solution juridique et fiscale efficace permettant d’affecter un patrimoine à la solidarité interne à une famille, alors même que les enjeux financiers en question sont significatifs tant pour la famille atteinte que pour l’État ». Le fonds familial repose donc sur un principe de solidarité que l’on pourrait, par analogie avec le droit des sociétés, nommer affectio familiae.
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30837 – Objectifs du fonds familial. – Le but du fonds familial est de rendre possible la satisfaction d’un besoin personnel au moyen d’une force commune, alimentée sur la base du volontariat par ceux (nombreux) qui s’inquiètent du lendemain : que ce soit pour eux-mêmes à l’âge de la retraite ou d’un veuvage, pour leurs enfants et leurs difficultés de couple, d’études ou d’emploi, pour leurs parents et leur santé déclinante, etc. De la même manière qu’un fonds de dotation ou le fonds de pérennité (dont nous parlerons plus loin ; V. infra, no 30844) peuvent affecter certaines capacités financières d’une entreprise vers le soutien d’une cause d’intérêt général, un fonds familial, doté et gouverné par des volontaires, membres de la famille, pourrait rassembler les contributions, puis distribuer les aides dont tel parent ou conjoint dans la détresse aura besoin à un moment donné.
30838 – Neutralité fiscale du fonds familial. – Comme l’exposaient déjà nos confrères en 2012, l’intégration et la détention de biens ou valeurs dans le patrimoine de ce fonds familial s’effectueraient en totale neutralité fiscale, c’est-à-dire sans avantage ni contrainte particulière, l’apport étant vu comme une opération purement intercalaire, avec, par exemple, mise en sursis ou en report d’imposition de toute plus-value. De même, impôt sur la fortune immobilière et impôt sur le revenu demeureraient calculés de manière exactement identique à ce que serait leur détermination s’ils étaient détenus directement par l’apporteur, ni plus ni moins. La transparence du fonds serait donc totale, sans que celui-ci ne forme aucun écran comptable ou fiscal. La traçabilité de ces apports, puis des revenus qu’ils peuvent générer, serait assurée par les inscriptions au sein de compartiments identifiables au nom de chaque apporteur. Et le cas échéant, la transmission de ces compartiments, par mutation entre vifs ou à cause de mort, soumettrait leurs valorisations exactement aux mêmes droits de mutation (à titre gratuit ou onéreux) que si lesdites valeurs étaient demeurées dans le patrimoine personnel du détenteur du compartiment. Il pourrait être envisagé de leur faire supporter les droits de mutation inhérents aux cessions de titres de sociétés de personnes, ou alors directement les droits inhérents à la nature des biens sous-jacents qu’ils représentent (immeuble, épargne, valeurs mobilières, etc.) : choix d’organisation qu’il appartiendra au législateur fiscal d’arbitrer. Ces mutations déclencheraient, selon le cas (décès ou mutation entre vifs), la déchéance ou au contraire la purge du report d’imposition de plus-value. Il n’en résulterait, par suite, aucune perte pour le Trésor public. Ainsi, sans supprimer aucun impôt, la solidarité familiale pourrait abonder, sinon remplacer la solidarité nationale dans un nombre non négligeable de situations, dont beaucoup intéressent le logement.

§ II – Applications du fonds familial au logement

30839 – Un instrument de pérennité du logement. – En termes de logement, tous les travaux d’adaptation à la dépendance, à la diminution des facultés due au grand âge, ou à la survenance d’une maladie ou d’un accident invalidants pourraient potentiellement être pris en compte par cette mise en commun organisée de la solidarité familiale. Il en serait de même des dépenses induites par des aléas contre lesquels il n’existe à ce jour aucune assurance : le divorce (ou plutôt la rupture d’une façon générale) et les dépenses de logement ou relogement qu’il engage ; l’accroissement d’une famille ; sa recomposition ; la décohabitation des enfants ; l’émergence de nouvelles normes techniques conditionnant le permis de louer et nécessitant d’investir dans la réalisation de travaux plus ou moins lourds, etc.
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§ III – Risques du fonds familial

30841 – La requalification. – L’expression de la solidarité familiale au sein d’un fonds familial pourrait se heurter à un risque de requalification. On pourrait, en premier lieu, y voir une libéralité, avec toutes ses conséquences fiscales et juridiques : rapport ou réduction pour le bénéficiaire ; consommation de la quotité disponible dès le premier euro si le bénéficiaire n’est pas un réservataire. On pourrait, en second lieu, l’assimiler à un prêt dont, à défaut de stipulation contraire, l’emprunteur devrait remboursement à tout moment1343. Mais ce risque de requalification disparaît dès lors que l’on circonscrit le fonds familial aux seuls membres de la famille visés par l’obligation alimentaire, car en aucun cas l’exécution d’une telle obligation ne constitue un prêt ou une libéralité1344.
30842 – Le placement sous dépendance. – Il faut exclure que la solidarité familiale puisse dériver vers le profil inquiétant d’un instrument tutélaire indu, une sorte de « balisage » tyrannique des anciens par les jeunes ou des jeunes par les anciens, des raisonnables autoproclamés sur les prétendus volages, des installés sur les bohêmes, des fourmis sur les cigales, ou des insouciants sur les précautionneux ; bref, un outil d’ingérence ou de chantage dans les cas de brouilles familiales les plus sordides. Or, telle est précisément l’une des raisons d’être du fonds familial, qui interpose une structure de décision collégiale et dépersonnalise l’allocation de l’aide : c’est le fonds qui vient en aide, et non tel ou tel membre de la famille.

Sous-section II – Pourquoi réitérer la proposition d’un fonds familial ?

30843 Si elle n’a pas été explicitement écartée, aucun de nos décideurs ne s’est emparé de la proposition d’instituer un fonds familial. Cependant, l’environnement juridique a connu une évolution qui invite à réitérer cette proposition novatrice.
30844 L’idée de patrimoine affecté, qui sous-tend le fonds familial, fait peu à peu son chemin. Le droit français connaît ainsi :

la fiducie, instrument de gestion d’un patrimoine distinct de celui de son constituant, ou de sûreté affectée à son créancier, introduite aux articles 2011 et suivants du Code civil par la loi no 2007-211 du 19 février 2007 ;

le fonds de dotation, outil de financement du mécénat, créé par l’article 140 de la loi no 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, qui allie les atouts de l’association loi 1901 et de la fondation, sans leurs inconvénients, et dont le nombre de créations va croissant (www.economie.gouv.fr/daj/fonds-dotation) ;

le fonds de pérennité, créé par la loi no 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite « loi Pacte », nouveau type de fonds hybride, destiné à la fois à détenir de manière dédiée un actionnariat inaliénable, dont la stabilité est par suite assurée, et à permettre à l’entreprise dont il détient les titres de financer des opérations d’intérêt général1345.

On pourrait y ajouter le profond bouleversement apporté, plus récemment encore, au statut de l’entrepreneur individuel par la loi no 2022-172 du 14 février 2022 en faveur de l’activité professionnelle indépendante (dite « loi Griset »), qui a été abordé plus haut.
30845 – Fonds familial, personne morale et aboutie. – Néanmoins, seule une personnalité juridique transparente et claire nous paraît propre à la gestion des « compartiments de contribution », et aux libres entrées et retraits. Ainsi, aux côtés des deux formes de fonds d’actionnaires conçues pour accompagner la vie des entreprises, le fonds familial deviendrait une troisième variante dédiée au domaine de la famille. Et ainsi que peuvent s’y prêter les deux autres formes de fonds, comme toute personne morale, il pourrait aussi recourir à la stipulation d’une raison d’être, voire d’une mission, dans le libellé de ses statuts, pour décrire les grandes lignes de son action et de la philosophie familiale. Ses apports et ses utilités seraient donc probablement notables en termes de logement.

Section II – Répondre aux enjeux de sécurité sur la détention du logement

30846 Quittons à présent le domaine prospectif pour traiter d’une solution qui se trouve dès aujourd’hui à la disposition du praticien : la fiducie. Encore confidentielle, elle n’attend sans doute que quelques ajustements pour prendre son essor. Après en avoir rapidement rappelé le régime général (Sous-section I), nous soulignerons en quoi son développement pourrait, dans certains cas, être utile à la pérennité du logement (Sous-section II).

Sous-section I – Régime général du contrat de fiducie

30847 La fiducie a été présentée et commentée lors de plusieurs congrès antérieurs1346. Nous reviendrons seulement sur ses traits essentiels (§ I), et sur la controverse qu’elle suscite (§ II).

§ I – Caractéristiques essentielles

30848 – Fondement de la fiducie. – Selon l’article 2011 du Code civil : « La fiducie est l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». Là réside, à notre sens, le trait le plus caractéristique du contrat de fiducie : l’intérêt à poursuivre est celui du bénéficiaire, et seulement le sien. La fiducie est conçue pour circonscrire un patrimoine spécifique, existant ou à constituer, entre les mains d’une personne qui contracte l’obligation de le dédier exclusivement à la poursuite d’un objectif déterminé, dans l’intérêt d’un bénéficiaire.

§ II – Controverse relative au transfert de propriété

30849 Pris à la lettre, l’article 2011 du Code civil vise un « transfert » de biens au fiduciaire, sans préciser si ce transfert a lieu en propriété, possession ou jouissance. Faut-il donc voir dans le fiduciaire un véritable propriétaire et, par conséquent, dans la fiducie un authentique transfert de propriété ? Deux thèses s’affrontent.
A/ Thèse favorable au transfert de propriété
30850 L’existence d’un transfert de propriété au profit du fiduciaire a été communément admise par la doctrine lors de la création du contrat de fiducie et de ses immédiates réformes1347. Elle s’exprime encore aujourd’hui avec assurance1348. Une propriété « finalisée » et « ordonnée » vers un but précis, le contrat organisant un encadrement original et « sur mesure » des prérogatives du propriétaire. Cette thèse argue notamment de la codification des dispositions relatives à la fiducie, sous le titre XIV1349 du livre III du Code civil, lui-même intitulé : « Des différentes manières dont on acquiert la propriété ».
B/ Thèses favorables au patrimoine d’affectation
30851 Deux autres thèses ont cependant été soutenues, qui toutes deux dénient au fiduciaire la qualité de propriétaire. L’une voit en lui le titulaire d’un droit réel sui generis, l’autre un mandataire investi de pouvoirs de gestion. Toutes deux se rejoignent pour soutenir que le contrat de fiducie donne naissance à un patrimoine d’affectation.
30852 – Le droit réel sui generis. – En 2017, les travaux, déjà visés, du 113e Congrès des notaires relatifs à la fiducie conclurent à l’existence d’un droit réel, sui generis. Selon nos confrères, « le patrimoine concerné par la fiducie est un patrimoine d’affectation. Cette qualification a deux incidences. Tout d’abord le fiduciaire dispose sur le patrimoine d’un droit réel. Ce droit est limité selon les stipulations du contrat, et temporaire. Il ne s’agit donc pas d’un droit de propriété tel que défini par le Code civil »1350.
30853 D’autres auteurs, plus contemporains1351, ne retiennent de la thèse précédente que la naissance du patrimoine d’affectation, et font du fiduciaire un mandataire investi des pouvoirs nécessaires à sa gestion. Selon cette thèse, il serait erroné de penser que le fiduciaire est propriétaire au seul motif qu’il détiendrait sur les biens concernés des pouvoirs dont le constituant s’est conventionnellement dessaisi. Le fiduciaire ne détient en effet que les pouvoirs que le contrat, et lui seul, détermine et lui attribue1352. Libre au constituant d’investir le fiduciaire de pouvoirs similaires à ceux que confère la propriété ; c’est là une autre chose, qui ne doit pas faire confondre la cause avec les effets1353. Si l’on suit cette thèse, c’est du contrat seul, et non d’un droit de propriété, que le fiduciaire tient ses pouvoirs. Cette position se fonde notamment sur les termes de l’article 2023 du Code civil qui dispose que, dans ses rapports avec les tiers de bonne foi, le fiduciaire est « supposé avoir les pouvoirs les plus étendus sur le patrimoine fiduciaire ». La formulation est calquée sur celle relative aux pouvoirs du représentant légal d’une société ; or, celui-ci, même s’il dispose de pouvoirs étendus sur l’actif social, n’en est évidemment pas le propriétaire.
30854 – La propriété demeure où elle est. – Mais si l’on admet que le fiduciaire n’est pas propriétaire des biens qui font l’objet du contrat de fiducie, à qui appartiennent-ils donc ? Certaines composantes du régime de la fiducie laissent à penser qu’ils demeurent la propriété du constituant. En effet :

le fiduciaire doit rendre des comptes au constituant1354 : à qui d’autre les rendre qu’au propriétaire ? ;

le constituant peut à tout moment désigner un tiers contrôleur chargé de veiller à la préservation de ses intérêts dans l’exercice du contrat1355 ; le constituant a donc un intérêt personnel à contrôler les actes du fiduciaire ;

l’opération présente une parfaite neutralité fiscale.

Finalement, dans cette conception, et pour reprendre la formulation d’un auteur1356, le contrat de fiducie organiserait (a minima) la création temporaire d’un patrimoine d’affectation, avec transfert de prérogatives de gestion à une personne (un professionnel), à charge pour elle d’administrer ce patrimoine selon la finalité prévue au contrat.
30855 Quoi qu’il puisse en être de l’une ou l’autre thèse, deux certitudes demeurent. La première est que, depuis sa création, la fiducie peine à rencontrer son public1357. La seconde est que, cependant, elle est susceptible d’apporter une aide non négligeable à la pérennité d’un logement.

Sous-section II – Intérêts de la fiducie pour la pérennité du logement

30856 Fiducie-gestion (§ I) et fiducie-sûreté (§ II) sont les deux variantes actuellement admises par le droit français. L’une et l’autre peuvent être mises en œuvre en faveur de la pérennité d’un logement.

§ I – La fiducie-gestion et le logement

30857 En l’état actuel de sa réglementation, et malgré quelques blocages dont l’éradication serait bienvenue, la fiducie-gestion peut contribuer à la pérennité d’un logement dans des circonstances diverses : gestion de la propriété d’un logement, appartenant à des parents âgés ; préservation d’un logement dont auront besoin plus tard des enfants actuellement mineurs (par ex. pour faire leurs études, ou pour installer leur ménage) ; logement d’un enfant handicapé ou vulnérable.
A/ La fiducie-gestion de lege lata
30858 – Finalité prédéfinie, liberté des moyens. – Le terme « fiducie-gestion » n’est pas sans fondement : c’est le but premier d’un contrat de fiducie que de confier à autrui la gestion d’un patrimoine. Surtout, cette gestion doit tendre vers un but déterminé. Le fiduciaire ne doit donc pas simplement assurer la gestion courante des biens concernés par le contrat ; il doit mettre en place la stratégie nécessaire pour atteindre un objectif prédéterminé. Le Code civil laisse carte blanche au contrat quant à la définition de la mission du fiduciaire. Cela implique que toutes ses lignes directrices soient soigneusement pensées, pesées, réfléchies, mûries, puis exprimées et consignées avec soin, chaque mot étant sensible, et chaque oubli étant dommageable. Avec un auteur, qui le soulignait déjà il y a plus de dix ans1358, nous pensons qu’il faut se réjouir de cette absence de formule préétablie, de logiciel prérédigé. C’est la condition d’une personnalisation du contrat ; sa réalisation suppose d’auditer préalablement les besoins des parties.
30859 Sont aussi librement déterminées par le contrat les modalités de gestion (personnelle ou délégable, et si oui à quelles conditions), les finalités de celle-ci (respect du périmètre inamovible du patrimoine, ou au contraire ouverture à la restructuration de celui-ci), son profil (prudent ou dynamique), les techniques ou instruments juridiques à employer (vente, structuration sociétaire, recours à l’emprunt ou autofinancement…), les processus à respecter (accord préalable du constituant, ou d’un tiers contrôleur, pour tel ou tel type de décision ou opération), leur temporalité (définitive pour la durée du contrat, ou révisable à tel ou tel intervalle), etc.
I/ Protéger la gestion de son propre logement dans la perspective de ses vieux jours
30860 – Constituant et bénéficiaire sur la même tête. – Cette première hypothèse concourt à la protection des intérêts du constituant, un peu comme une personne identique peut regrouper sur sa tête les qualités de souscripteur, d’assuré et de bénéficiaire de contrats d’assurance-vie ou d’assurance décès1359. Sauf limitation volontaire, un contrat de fiducie-gestion pourra conférer de larges prérogatives au fiduciaire :

dans un cadre défini : par exemple en prévoyant l’accord préalable du constituant et/ou du tiers protecteur avant tout acte important, lui-même décrit selon des critères prédéterminés de valeur d’enjeu ou de nature d’opération ; ou en assortissant le contrat de fiducie d’une convention de disposition, aux termes de laquelle le constituant se ménagera le maintien de pouvoirs spécifiques sur le bien1360 ;

et en contemplation d’une stratégie aux objectifs précisément détaillés, modulable éventuellement selon un plan d’actions subsidiaires à décliner en fonction des scénarios :

pérenniser le logement en faisant en sorte de le conserver apte aux besoins et désirs de ses occupants, ce qui peut impliquer de l’adapter et de le configurer matériellement à l’évolution de ces besoins (travaux d’accessibilité, aménagement d’une chambre pour auxiliaire de vie…),

ou au contraire pérenniser ce logement en décidant de s’en séparer, pour le permuter contre un autre plus adéquat (rez-de-chaussée, immeuble avec ascenseur, interphone, isolation de meilleure qualité…),

ou encore, si l’occupant devait avoir à fixer ailleurs sa résidence, de pérenniser, d’une part, ce logement en le rentabilisant et, d’autre part, la source de revenus qu’il représente, par la conduite active, autant que de besoin, des programmes d’entretien ou de rénovation (notamment énergétique) que pourra réclamer sa mise en location, et en s’alignant sur les meilleurs choix de marché au regard de la situation géographique et de la superficie (location nue ou meublée, à longue durée ou saisonnière, en direct ou sous mandat…).

30861 L’avantage majeur de la fiducie, dans ce cas, est sa stabilité face aux imprévus, l’expression même de la pérennité recherchée. La survenance d’une incapacité du constituant après la conclusion du contrat de fiducie n’aura aucun effet sur la validité et le fonctionnement de celui-ci. Le fiduciaire disposera de la même feuille de route et des mêmes pouvoirs que ceux qui lui auront été confiés aux termes du contrat. En cas d’acte de disposition sur le logement, il n’aura (c’est là une différence majeure par rapport au mandat de protection future) aucune autorisation judiciaire à requérir. Il devra simplement rendre compte annuellement au curateur ou au tuteur désignés par le juge1361.
30862 – Cumul des armes. – Dans cet ordre d’idées lié à l’anticipation la plus fine, rien n’interdira même de prévoir et organiser une horlogère concaténation entre mandat de protection future et fiducie, stipulant par exemple une prise d’effet différé de la seconde au moment où sera éventuellement activé le premier. Ainsi, le jour où survient l’altération des facultés du constituant marque alors à la fois le fait générateur du transfert de possession des biens ciblés (notamment le logement) dans le patrimoine fiduciaire et celui de l’activation du mandat de protection future. Aux termes de celui-ci, le mandataire exercera les pouvoirs que son mandant, constituant de la fiducie, s’y était réservés1362.
II/ Protéger un logement pour les générations futures ou pour un proche vulnérable
30863 – Fragilité sans vulnérabilité. – Un patrimoine peut parfois être dévolu à de jeunes majeurs1363 : décès précoce d’un parent, legs ou donation transgénérationnelle par des grands-parents, renonciation à un héritage par la génération intermédiaire… On ne peut s’empêcher de craindre, en pareil cas, un risque de dilapidation, sous l’enthousiasme de la jeunesse et le manque d’expérience que peut réclamer la gestion de tels actifs. Certes, il est possible de leur adresser une libéralité grevée de charges (prescrivant, par exemple, une obligation d’emploi de fonds). Mais l’inexécution de ces charges est parfois difficile à sanctionner, une fois le mal fait. Il en est de même des biens échus à un majeur prodigue ou inconstant, avec le risque de décisions prises sur des coups de tête.
30864 – La société : une solution éprouvée, mais limitée. – La constitution de sociétés est un moyen classique de prévenir de telles difficultés ; le pilotage du patrimoine échu à l’intéressé y est indirectement assuré par les mandataires sociaux1364. Toutefois, quelle que puisse être l’importance des pouvoirs qui leur sont confiés, les représentants d’une société ne peuvent agir que dans le strict intérêt social, qui est celui de la personne morale et ne se confond pas nécessairement avec celui des associés, fussent-ils d’un avis unanime sur telle ou telle décision. La jurisprudence, fournie sur ce point, ne cesse de le rappeler. Et la loi Pacte1365 l’a confirmé en réécrivant l’article 1833, alinéa 2 du Code civil : « La société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Dès lors, tout acte contraire à l’intérêt social constitue un acte anormal de gestion. Même si la sanction pénale de l’abus de bien social n’existe pas dans l’hypothèse d’une société civile, le constat d’un acte contraire à l’intérêt de la personne morale pourra ouvrir un grave contentieux, aboutissant notamment à la révocation judiciaire du mandataire social.
30865 – Intérêt de la solution fiduciaire. – À la différence d’une société, la fiducie n’est pas une personne morale. De ce fait, l’affectation du patrimoine fiduciaire à la seule et unique satisfaction des besoins légitimes des bénéficiaires, à savoir des enfants dans notre hypothèse, peut parfaitement se concevoir, y compris jusqu’à la mutation, voire la consomption du patrimoine affecté si l’intérêt du ou des bénéficiaires le commande.
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B/ La fiducie-gestion de lege ferenda
30867 La fiducie-gestion pourrait être mise en œuvre pour parer aux conséquences d’une incapacité (I) ou d’un décès (II).
I/ Fiducie-gestion et incapacités
30868 – Un outil supplémentaire de protection. – Comme il vient d’être exposé, la fiducie-gestion protège un patrimoine contre les erreurs de gestion qui pourraient le menacer. Elle est toutefois actuellement interdite en présence d’un constituant objet d’une mesure de protection des majeurs. N’a-t-on donc pas rangé par erreur un médicament, certes à utiliser à bon escient, dans l’armoire des produits dangereux ? Comme le souligne à juste titre un auteur1367, si la raison de cette prohibition était le péril créé par l’institution, alors au nom de quoi :

la mise en place d’une fiducie reste-t-elle possible sous l’empire d’une mesure de curatelle ?

l’ouverture d’une mesure de tutelle en cours d’exécution d’une fiducie ne constitue-t-elle pas une cause de révocation de celle-ci ?

30869 Dans ce dernier cas, on comprend bien que le législateur a voulu conférer une pérennité à l’institution, afin de permettre aux orientations définies à l’avance par le constituant de survivre à son incapacité. Pourquoi ne pas étendre ce raisonnement aux situations postérieures à l’altération des facultés, en permettant au tuteur ou à l’habilité-représentant, comme au curateur ou à l’habilité-assistant, de recourir à ce mode de protection patrimoniale, le cas échéant après avoir obtenu une permission judiciaire ? Il pourrait en être de même pour les administrateurs légaux du patrimoine d’un mineur.
II/ Fiducie-gestion et décès du constituant
30870 – Une deadline malvenue. – En l’état actuel du droit, le décès du constituant met un terme au contrat de fiducie1368. Cette règle est peu compatible avec les stratégies de long terme qui, tout au contraire, commanderaient une garantie de pérennité dans la gestion du patrimoine fiduciaire1369. Certes, de sérieux arguments sont avancés pour considérer que cette règle n’est pas d’ordre public. Tout d’abord, la fiducie est un contrat, et c’est le lot général de tous les contrats que de survivre en principe à leur auteur. Ensuite, le Code civil1370 prévoit une durée maximum de quatre-vingt-dix-neuf ans pour toute fiducie : quel en serait le besoin, si la durée du contrat était de toute façon viagère ? Enfin, cette extinction posthume n’existe pas pour la fiducie-sûreté. Une confirmation expresse de la possibilité de déroger, au sein de l’article 2029 du Code civil lui-même, serait cependant la bienvenue1371.

§ II – La fiducie-sûreté et le logement

30871 Nous serons ici beaucoup plus brefs, pour évoquer de quelles manières le développement de la fiducie pourrait satisfaire la pérennité du logement. En effet, l’une de ses applications potentielles a été déjà développée par nos confrères du 107e Congrès des notaires de France1372, comme moyen de sécuriser la vente en viager, dans laquelle on a vu que les sûretés traditionnelles peuvent être prises en défaut1373. Tout au plus le crédirentier peut-il parvenir à une restitution du bien vendu, après un temps parfois très long pendant lequel il n’aura pas perçu la rente.
30872 La « triangulation fiduciaire » présente, sur ce point, une supériorité certaine : suite à la vente, l’acquéreur débirentier constitue une fiducie dont le vendeur, créancier de la rente, sera bénéficiaire. Il y affecte le bien qu’il vient d’acquérir (le cas échéant avec les conventions de mise à disposition dont nous avons parlé), chargeant le fiduciaire de procéder, en cas d’impayés, à la vente du bien, pour acquitter auprès du crédirentier le montant des arrérages impayés, et placer le solde du prix en vue d’assurer le service des rentes restant à courir jusqu’au décès. Si le crédirentier décède sans que la totalité du capital et des fruits générés par son placement n’ait été intégralement consommée par lui, alors cette frange résiduelle pourra revenir au débirentier. Armé d’un tel bouclier, le propriétaire du logement est assuré de pouvoir continuer à servir les besoins de ses vieux jours.

1338) Rapport du 108e Congrès des notaires de France, La Transmission, Montpellier, sept. 2012, 4e commission, Une stratégie. V. aussi le compte-rendu des travaux de la commission et notamment le cas pratique « M. Fragile ».
1339) Selon les configurations et l’entente familiales, il n’est cependant pas inconcevable de l’étendre aux collatéraux et/ou aux alliés.
1340) C. civ., art. 515-4.
1341) Ainsi que le rappelle C. Saillard, professeur de chinois à l’Université Paris VII et membre de l’Association franco-chinoise Pierre-Ducerf, cité par A. Auschitzka, Chinois en France, une certaine idée du lien filial : La Croix 3 août 2008.
1342) A. Adjamagbo, Les solidarités familiales dans les sociétés d’économie de plantation, in Ménages et familles en Afrique, Étude du Ceped no 15, 1997.
1343) Rappelons qu’une fois démontrée l’existence d’une dette, c’est au débiteur qu’il appartient de prouver le remboursement effectif de celle-ci (Cass. 1re civ., 12 févr. 2020, no 18-23.573).
1344) Ce qui évacue aussi un autre risque potentiel : celui de l’atteinte au monopole bancaire des opérations de crédit à titre habituel.
1345) V. le Rapport du 118e Congrès des notaires de France, L’Ingénierie notariale, Marseille, oct. 2022, 2e commission, L’ingénierie notariale au service du projet de l’entreprise, qui suggère quelques améliorations.
1346) Notamment en 2012 le 108e Congrès de Montpellier, ayant pour thème La Transmission ; en 2017 le 113e Congrès de Lille, ayant pour thème Familles, Solidarité, Numérique ; et le 118e Congrès de Marseille, ayant pour thème l’Ingénierie notariale.
1347) Notamment L. no 2008-776, 4 août 2008 de modernisation de l’économie (dite « loi LME »), laquelle a très rapidement abrogé l’exclusivité d’usage que la loi du 19 février 2007 réservait très étroitement à l’origine aux seules sociétés (et même aux seules sociétés soumises au régime de l’IS), pour l’ouvrir à tous y compris aux personnes physiques.
1348) M. Grimaldi, La fiducie-sûreté : JCP N 2022, no 44, 1252.
1349) « De la fiducie » (C. civ., art. 2011 à 2030).
1350) Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Lille, 17-20 sept. 2017, Familles, Solidarité, Numérique, p. 564, nos 2644 et 2645.
1351) Q. Prim, Fiducie, se laisser tenter ? : JCP N 2022, no 1225.
1352) Pouvoirs qui doivent être définis par le contrat à peine de nullité (C. civ., art. 2018).
1353) De la même manière, un quasi-usufruitier de choses consomptibles, ou un usufruitier de titres sociaux détenant les droits de vote en assemblée générale, ont eux aussi des pouvoirs similaires (ce qui ne signifie pas exactement identiques) à ceux d’un propriétaire, ce qui pour autant ne fait pas d’eux des propriétaires.
1354) Voire à son tuteur ou à son curateur s’il survient une cause d’incapacité.
1355) C. civ., art. 2017 ; la désignation d’un tiers contrôleur, chargé de veiller à la préservation des intérêts du constituant, est une faculté d’ordre public pour les personnes physiques. Seul le constituant personne morale peut éventuellement y renoncer aux termes du contrat de fiducie.
1356) Q. Prim, Fiducie, se laisser tenter ?, op. cit.
1357) Deux cent huit contrats de fiducie répertoriés au Registre national des fiducies pour toute la France, selon une réponse ministérielle remontant certes à presque trois ans (Rép. min. no 28723 : JOAN Q 18 nov. 2020, p. 8192), mais qu’il est difficile d’actualiser puisque seuls les pouvoirs publics ont accès à ce registre.
1358) P. Berger, La fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale janv. 2011, no 1, dossier 4.
1359) Bien entendu, il convient que le constituant soit parfaitement capable (C. civ., art. 509, 5o).
1360) Q. Prim, Fiducie, se laisser tenter ?, op. cit.
1361) C. civ., art. 2022.
1362) N. Peterka, La fiducie-gestion, un outil de protection de la personne vulnérable ? : JCP N 2022, no 44, 1253. – C. Farge, S. Weisberger, B. Berger-Perrin et D. Davodet, La fiducie à effet différé, complément du mandat de protection future dans le pack de prévoyance du dirigeant : JCP N 2021, no 38-39, 1288.
1363) La solution de la fiducie sera incompatible avec la minorité des enfants, puisque l’article 387-2, 4o du Code civil leur en prohibe l’accès.
1364) Qui, par exemple, peuvent être les père et mère, gérants d’une société civile investis de tous les pouvoirs de représentation de la société, tant entre associés qu’à l’égard des tiers.
1365) L. no 2019-486, 22 mai 2019, relative à la croissance et la transformation des entreprises.
1366) V. P. Berger, La fiducie-gestion, op. cit.
1367) N. Peterka, La fiducie-gestion, un outil de protection de la personne vulnérable ?, op. cit.
1368) C. civ., art. 2029.
1369) V. le Rapport du 113e Congrès des notaires de France, op. cit., p. 568-569, no 2674.
1370) C. civ., art. 2018, 2o.
1371) Parallèlement, notons qu’il serait tout aussi opportun, dans cet objectif de pérennisation du contrat de fiducie sur un long terme d’exécution, que soit tout autant confirmé le caractère supplétif de l’article 2028, en ce qu’il prévoit qu’à défaut d’acceptation du bénéficiaire, la fiducie est révocable à tout moment à l’initiative du seul constituant : car alors des héritiers venant aux droits de leurs parents, et endossant à leur suite la qualité de constituants au sein d’un contrat qui aurait survécu au décès des premiers, pourraient librement et à tout moment choisir de détruire le cadre de gestion qui leur avait été imposé. V. P. Berger, La fiducie-gestion, op. cit., no 8.
1372) Rapport du 107e Congrès des notaires de France, Cannes, 5-8 juin 2011, Le financement, p. 992, no 4463 ; V. supra, no 30287 nos développements relatifs aux outils conventionnels destinés à favoriser la conservation de son logement.
1373) En cas de procédure collective ouverte à l’encontre du débirentier, ou de procédure de surendettement.
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