CGV – CGU

PARTIE I – Conserver son logement
Titre 2 – Les outils conventionnels
Sous-titre 3 – Les outils émergents

Chapitre I – Les nouvelles formules du Vivre ensemble

30406 « L’être humain n’est pas fait pour vivre seul, mais il ne peut pas vivre en société. »795
30407 – Un sujet vieux comme la ville. – Cohabiter n’est pas une idée nouvelle. Platon la développe en décrivant l’organisation de la « cité idéale » grecque. Fourier la détaille dans son utopique projet de phalanstère, et les années soixante-dix voient se multiplier les « communautés » et, parfois, leurs dérives. Ce thème, pourtant, ne perd ni en vigueur ni en actualité. En témoignent les débats du 3e Sommet international des maires, réunis sur ce sujet en décembre 2021 à Izmir796.
30408 – Un sujet dynamique. – Il faut en conclure que le Vivre ensemble est un thème qui se renouvelle constamment. Ainsi, l’Association internationale des maires francophones a pu le définir en 2018 comme « le processus dynamique que tous les acteurs mettent en place pour favoriser l’inclusion, ainsi que le sentiment de sécurité et d’appartenance. Faire la promotion du Vivre ensemble c’est reconnaître et respecter toutes formes de diversité, lutter contre la discrimination et faciliter la cohabitation harmonieuse. Dans la mise en œuvre du Vivre ensemble, les différents acteurs du milieu travaillent en concertation pour faciliter l’émergence des valeurs communes qui contribuent à la paix et à la cohésion sociale ».
30409 – Un sujet nécessairement juridique. – À la lecture de cette définition, l’on comprend immédiatement que le sujet comporte une dimension juridique. Mais laquelle ? Quelle doit être la place du Droit dans le Vivre ensemble ? S’agit-il d’édicter des règles impératives, constitutives d’un véritable statut juridique (comme celui de la copropriété), de proposer des règles supplétives pouvant être amendées par la convention des parties (comme les statuts d’une société ou son règlement intérieur) ou encore d’élaborer une simple charte à laquelle chacun adhérerait de façon librement consentie ? Doit-il être fait usage des formules juridiques existantes, ou faut-il en inventer de nouvelles au risque de surcharger un arsenal juridique déjà conséquent ? Faut-il, au contraire, laisser le champ libre au contrat et à l’inventivité de ses rédacteurs ? À ce jour, trois formules (Section I) ont acquis un statut spécifique : l’habitat intergénérationnel, l’habitat inclusif et l’habitat participatif. En revanche, et nonobstant son expansion rapide, le coliving est source de bien des hésitations. Ce nouveau mode de logement, qui remporte un franc succès, peut-il se contenter des règles existantes, qui n’ont pas été conçues pour lui, ou doit-il conquérir à son tour un vrai régime juridique (Section II) ?

Section I – Les trois statuts déjà acquis du Vivre ensemble

30410 – Préambule. Le statut juridique de la colocation. – Plusieurs des modes d’habitat que nous allons envisager découlent du statut de la colocation. Celui-ci est bien connu et couramment pratiqué. Afin de ne pas alourdir les développements qui vont suivre, nous renvoyons ici au détail des règles spécifiques à la colocation :
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30411 – Vivre ensemble, c’est vivre solidaires. – Le point d’ancrage des différents modes de vie collective est sans conteste la solidarité, plus ou moins marquée en fonction des régimes existants. Elle est un élément clé dans le contrat de cohabitation intergénérationnelle, essentielle pour l’habitat inclusif et primordiale dans le fonctionnement de l’habitat participatif.

Sous-section I – Le contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire

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30413 – Présentation. – La cohabitation intergénérationnelle naît d’une conjonction de besoins. Les jeunes, particulièrement exposés à la pénurie de logements ou aux loyers trop élevés ont des ressources limitées. De leur côté, les aînés ont besoin de se sentir moins seuls dans leur logement devenu trop grand, et de recevoir une aide légère sans soin ou assistance. Pourquoi, dès lors, ne pas organiser par un contrat le logement d’un jeune chez une personne plus âgée à laquelle il tiendra compagnie et rendra de menus services ? Pour être séduisante, l’idée n’est pas, en Droit, dépourvue de tout risque. Tout d’abord, en droit du travail. Les services rendus par le jeune peuvent-ils être assimilés à un emploi ? Ensuite, en droit civil. N’y a-t-il pas là un bail ?
30414 – Aspects juridiques. – La formule se développant néanmoins, avec le concours d’associations dont le travail mérite d’être salué, il devenait nécessaire de clarifier, en France, le régime juridique de ce nouveau type d’habitat. C’est ainsi que le « contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire » voit le jour dans l’article 117 de la loi Elan797. Il est annoncé qu’une charte précisera « le cadre général et les modalités pratiques » de la cohabitation. C’est chose faite le 13 janvier 2020 avec la parution de l’arrêté relatif à la charte de la cohabitation intergénérationnelle798. L’objet de ce nouveau contrat est de permettre à une personne âgée de moins de trente ans de se loger à moindre coût chez une personne de plus de soixante ans, améliorant ainsi les conditions de vie de cette dernière grâce à la présence d’un jeune, à son domicile, qui lui rendra de petits services et aides quotidiennes. C’est un rapport donnant-donnant dans lequel chacun doit trouver un avantage. Se loger pour l’un, être aidé tout en restant chez soi pour l’autre. L’équation solidaire est trouvée799. Nous en présenterons le régime juridique (§ I), avant de porter une première appréciation soulignant l’intérêt de l’intervention d’une association (§ II).

§ I – Régime juridique du contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire

A/ Les principes
30415 – Exclusion du droit commun. – Avant toute chose, la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 relative aux baux d’habitation est inapplicable au contrat de cohabitation intergénérationnelle. Aucune des règles très protectrices de ce dispositif ne peuvent s’y appliquer telles que celles liées au préavis, au paiement du loyer, ou encore aux travaux de réparation du bien loué. L’esprit libre et adaptable de ce nouveau mode de logement est plutôt préservé par la loi Elan. Il n’en demeure pas moins qu’un cadre, certes léger, est quand même fixé.
30416 – Les parties. – L’article L. 631-17 du Code de la construction et de l’habitation définit la relation de cohabitation intergénérationnelle comme le contrat par lequel un propriétaire ou un locataire d’au moins soixante ans s’engage à louer ou sous-louer une partie de son habitation à une personne de moins de trente ans. Dans le cas d’une sous-location, le locataire doit informer préalablement son propriétaire bailleur ; à cette condition, celui-ci ne peut s’opposer à la sous-location intergénérationnelle800.
30417 – L’objet du contrat. – Chaque acteur du projet doit bénéficier de l’intimité d’un espace privatif, a minima une chambre individuelle. Ceci suppose une dissociation entre les pièces communes que peuvent être la cuisine et la salle de bains et les pièces assurant un espace de vie privée.
30418 – La durée du contrat. – La durée du contrat est librement convenue. Un préavis d’un mois est prévu pour y mettre fin, pour l’une des parties comme pour l’autre.
B/ Les obligations du locataire (ou sous-locataire)
30419 Le locataire est tenu de s’acquitter d’une contribution et peut, facultativement, avoir à rendre de menus services.
30420 – Une contribution modeste. – Le locataire ou sous-locataire doit s’acquitter d’une contribution modeste. Le caractère modeste de la contribution du locataire est un élément majeur. Elle ne doit en aucun cas pouvoir être assimilée à un véritable loyer. Elle est, en principe, librement fixée, sauf s’il s’agit d’un logement social, pour la sous-location duquel la contribution doit être proportionnelle à la surface mise à la disposition du sous-locataire intergénérationnel.
30421 – Les menus services. – Le contrat (c’est sa philosophie première) peut imposer au locataire de rendre au bailleur de menus services. Aucune définition n’en est donnée et ceux-ci peuvent se limiter à lui demander simplement un temps minimal de présence dans le logement. L’essentiel est que l’importance des services demandés ne caractérise jamais l’existence d’un lien de subordination, et qu’aucune concurrence ne puisse se créer avec les professionnels de la prestation de services à domicile. En ce sens :

il ne peut en aucun cas s’agir de services d’ordre médical ou paramédical, fût-ce la simple prise de médicaments ;

et les services demandés ne doivent pas être « assimilables à une prestation régulière normalement fournie par un prestataire ou par l’emploi direct ou en mandataire d’un salarié à domicile »801.

§ II – Première appréciation. Intérêt d’une intervention associative

30422 – Première appréciation. – Le contrat de cohabitation intergénérationnelle se veut volontairement libre et peu contraignant afin que les parties puissent aisément accorder leurs attentes, mais il possède en quelque sorte les défauts de ses qualités en ce qu’il peut engendrer des risques ou de l’insécurité pour les deux parties. C’est pourquoi certains estiment que ce nouveau contrat laisse une place trop grande à la liberté contractuelle802. En particulier, la libre durée du contrat peut se révéler préjudiciable, tant pour le senior qui trop rapidement se retrouvera seul, que pour le jeune qui peut éprouver de grandes difficultés à se reloger. Pour notre part, nous estimons que ces inconvénients ne doivent pas être exagérés. La cohabitation intergénérationnelle est une réponse à la pénurie et aux coûts élevés des logements, inabordables pour certains étudiants. Elle répond aussi aux questions environnementales en mutualisant les charges et coûts énergétiques, et répond de ce fait aux questions environnementales. Enfin, le complément d’assistance qu’elle apporte peut contribuer au maintien à domicile de certains seniors.
30423 – Rôle des associations. – Pour sécuriser cette nouvelle relation contractuelle, il est possible de faire appel à une association, qui choisira les candidats après les avoir questionnés sur leurs attentes, rédigera le contrat adapté aux besoins spécifiques des parties (heures de présence, menus services…), visitera préalablement le logement afin de déterminer s’il est adapté et veillera au bon déroulement de la cohabitation. Ces structures ou associations ne sont pas soumises à la loi Hoguet. Elles proposent l’adhésion à une charte qui sert de support « moral » à une cohabitation harmonieuse.
30424 À nouveau destinée aux seniors, mais aussi aux personnes handicapées, une autre forme de cohabitation réglementée se développe dans le paysage du Vivre ensemble : l’habitat inclusif.

Sous-section II – L’habitat inclusif

30425 – Un moyen terme entre la maison et l’établissement spécialisé. – Troisième voie, intermédiaire entre la vie à domicile et l’hébergement en structure, l’habitat inclusif est aussi appelé « habitat accompagné ». Il concerne au premier chef les personnes en perte d’autonomie, soit en raison de l’âge, soit en raison d’un handicap, qui font le choix, personnellement ou en famille, d’un mode d’habitat regroupé favorisant les liens humains entre elles et, parfois, avec d’autres habitants parfaitement autonomes, tous manifestant une volonté commune de Vivre ensemble. Comme l’indique un auteur803, l’enjeu de l’habitat inclusif est de sortir les personnes concernées des institutions spécialisées dans le handicap ou la vieillesse pour leur offrir une vie plus harmonieuse, se rapprochant, autant que faire se peut, de la normalité d’un logement classique. La personne – ou sa famille – participe à ce choix plutôt que de le subir en étant placée dans un établissement.
30426 – Les apports de la loi Elan. – L’habitat inclusif est, lui aussi, régi par la loi Elan804, que nous retrouverons plus loin dans notre étude de l’adaptation du logement au handicap et à la vieillesse. Il est destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées en perte d’autonomie, qui font le choix de se regrouper dans un lieu de vie commun, autour duquel existe un projet de vie sociale et partagée et défini par un cahier des charges national. Afin d’encourager ce dispositif, un forfait pour l’habitat inclusif, alloué par les agences régionales de santé (ARS) a été créé pour le financement de tels projets.
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30428 Un peu comme au théâtre, nous présenterons tout d’abord le public de l’habitat inclusif (§ I), ses acteurs (§ II) puis, pour planter le décor, les logements auxquels il s’applique (§ III).

§ I – Le public concerné par l’habitat inclusif

30429 – L’âge et le handicap. – La loi de 2018 définit l’habitat inclusif comme étant « destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d’un mode d’habitation regroupé, entre elles ou avec d’autres personnes, le cas échéant dans le respect des conditions d’attribution des logements locatifs sociaux (…) et des conditions d’orientation vers les logements-foyers (…), et assorti d’un projet de vie sociale et partagée défini par un cahier des charges national fixé par arrêté des ministres chargés des personnes âgées, des personnes handicapées et du logement ». La qualification d’habitat inclusif peut donc être retenue dès lors que deux personnes, âgées ou handicapées, au moins, exercent le choix, pour leur résidence principale, d’une habitation groupée805. Pour autant, ni l’âge ni le handicap ne sont définis par l’article L. 281-1 du Code de l’action sociale et des familles. M. Zalewski-Sicard propose de retenir l’âge minimum de soixante ans si la personne est reconnue inapte au travail et soixante-cinq ans dans les autres cas. En ce qui concerne les personnes handicapées, il propose de se référer à l’article L. 114 du même code : « Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de santé invalidant ».
30430 – L’ouverture aux valides. – Pour autant, ces critères précédemment énumérés quant à la vieillesse et au handicap ne sont pas restrictifs, car les personnes valides non concernées par ces problématiques et attirées par ce type d’habitat y sont également accueillies, sous réserve qu’au moins deux personnes âgées ou handicapées y résident. Cela permet notamment d’accueillir les conjoints des personnes âgées ou handicapées qui ne sont eux-mêmes ni âgés ni handicapés. Bien entendu, le logement concerné, bien qu’accueillant des personnes valides, comportera les équipements nécessaires aux besoins de ses habitants en perte d’autonomie.

§ II – Les acteurs de l’habitat inclusif

30431 – Le porteur de projet. – Construire un habitat inclusif nécessite l’intervention d’un porteur de projet chargé d’élaborer le projet de vie commune et apte à percevoir le forfait délivré par l’agence régionale de santé à l’issue de l’obtention de l’agrément correspondant. Le porteur de projet peut être une association, une collectivité, un opérateur social ou médicosocial, un bailleur social ou encore un prestataire de services à la personne ou un gestionnaire d’établissements et services médicosociaux. Ces personnes morales ont notamment pour mission, aux termes du décret du 24 juin 2019, d’élaborer avec les habitants un projet de vie sociale et partagée, en s’assurant de la participation de chacun d’entre eux, et d’animer et réguler la vie quotidienne de l’habitat inclusif. Ils ont la possibilité de recourir à des services d’accompagnement pour la réalisation des activités de la vie quotidienne, assurés tant par l’intervention des services sociaux et médicosociaux que par la présence ponctuelle d’animateurs.
30432 – Les habitants et leurs proches. – Il est déterminant que le projet soit élaboré avec les habitants ou leurs familles. Ce projet doit nécessairement envisager :

la prévention de la perte d’autonomie ;

l’anticipation des risques liés à l’évolution de la situation des habitants ;

les activités mises en place (ludiques, culturelles, sportives) ;

la facilitation de la vie sociale et citoyenne (proximité des commerces, transports, centres de soins, services publics).

Le projet est matérialisé par la rédaction d’une charte à laquelle tous les habitants et les acteurs de l’habitat inclusif concernés devront adhérer, y compris les bailleurs et les tiers participant au projet. Cette charte doit satisfaire à certaines obligations de conformité.
30433 – La charte : une double obligation de conformité. – La charte doit porter un projet conforme au modèle de cahier des charges national figurant en annexe I de l’arrêté du 24 juin 2019 relatif au modèle du cahier des charges national du projet de vie sociale et partagée de l’habitat inclusif. Ce document constitue, ainsi, le socle commun de tout projet d’habitat inclusif.
On peut consulter ici l’intégralité du texte de cet arrêté :
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30434 En outre, la charte doit être compatible avec le règlement de copropriété ou les statuts de l’association syndicale si le groupe de logements est concerné par ces dispositifs.

§ III – Le type de logement adapté à l’habitat inclusif

A/ Un logement unique ou un ensemble de logements, meublés ou non
30435 Le champ d’application de l’habitat inclusif est largement défini (I), mais le statut qui en découle peut être amené à se cumuler avec d’autres régimes impératifs (II).
I/ Un champ d’application large
30436 Large dans sa définition, le champ d’application de l’habitat inclusif ressortit avant tout à un socle commun : le modèle national de cahier des charges.
30437 – Le logement au sens large, mais non l’hébergement. – Il n’est pas nécessaire que les habitants soient propriétaires de leur logement, ils peuvent aussi le louer pour profiter de ce type d’habitat. Le parc privé comme le parc public sont donc concernés. De même n’est-il pas nécessaire que le logement soit unique, il peut aussi s’agir d’un ensemble de logements indépendants, qui peuvent eux-mêmes revêtir plusieurs formes. En revanche, sont exclus les résidences hôtelières, même à vocation sociale, les résidences universitaires, sociales ou services, les pensions de famille, les Ehpad, les résidences autonomie, les foyers d’accueil médicalisés.
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30439 – Logements sociaux. Résidences autonomie (ex-logements-foyers). – Lorsque le projet est le fait d’un organisme de logement social, une autorisation préfectorale doit être sollicitée dans son dossier de demande d’agrément, en mentionnant notamment le pourcentage de logements dédiés et les adaptations prévues. L’organisme peut alors bénéficier de subventions ou de prêts aidés, en contrepartie desquels le préfet peut réserver une partie des logements construits ou aménagés pour l’habitat inclusif. Les résidences autonomie accueillant les personnes âgées ou handicapées sont également éligibles au dispositif.
II/ L’application cumulative de certains statuts
30440 L’habitat inclusif peut relever cumulativement du statut de la copropriété et du régime juridique impératif des baux d’habitation principale, nus ou meublés.
30441 – Cas de l’ensemble de logements. – Lorsque le projet inclusif s’inscrit dans un ensemble de logements, ceux-ci doivent être destinés à l’habitation dans la continuité du projet social et partagé. Il faut qu’ils soient pourvus de locaux communs affectés au projet d’habitat inclusif. Les droits conférés à la personne âgée ou handicapée peuvent être réels ou personnels. Si chaque habitant est propriétaire de son propre logement, le critère de locaux communs étant déterminant, le statut de la copropriété s’appliquera nécessairement à cet ensemble.
30442 – Cas du logement unique. – Si l’habitat inclusif s’établit dans un logement unique, l’article L. 281-1 du Code de l’action sociale et des familles précise qu’il peut être meublé ou non. Il sera régi par le régime de la colocation défini par la loi du 6 juillet 1989806 ou à l’article L. 442-8-4 du Code de la construction et de l’habitation. On peut rappeler que la colocation est « la location d’un même logement par plusieurs locataires, constituant leur résidence principale, formalisée par un contrat unique ou plusieurs contrats entre les locataires et le bailleur » (loi Alur, art. 8-1). Ce n’est que dans l’annexe I du modèle national de cahier des charges qu’il est dit que « l’occupant peut être propriétaire ou locataire (y compris dans le cadre d’une colocation ou d’une sous-location avec l’accord du propriétaire) ». On a pu s’étonner du fait que le modèle de cahier des charges lui-même n’y fait pas allusion. Il ne faut pas, à notre sens, y lire une restriction qui n’a pas lieu d’être : où serait l’intérêt de réserver la formule aux seuls locataires ?
B/ Comportant les équipements nécessaires
30443 – Un logement adapté. – Pour qu’un logement entre dans le cadre de l’habitat inclusif, il faut nécessairement qu’il possède des caractéristiques fonctionnelles adaptées aux besoins spécifiques de ses habitants. C’est ainsi qu’il devra être équipé en matière de domotique et comporter les aménagements ergonomiques adaptés au handicap et/ou à la vieillesse, qui favoriseront l’autonomie, l’accessibilité et les déplacements. Le logement doit être construit ou aménagé spécifiquement pour l’accueil des personnes en perte d’autonomie807.
30444 – Conclusion (nécessairement provisoire) : un premier bilan de l’habitat inclusif. – Selon la CNSA808, le soutien apporté à l’habitat inclusif permet de répondre à la volonté de nombreux Français de vieillir chez eux, grâce à un accompagnement adapté à leur situation, au moyen notamment du forfait pour l’habitat inclusif créé par la loi Elan. Le nombre de projets d’habitat inclusif financés a triplé depuis 2019, malgré la période de pandémie qui a sévi dans l’intervalle. La CNSA a alloué aux agences régionales de santé (ARS), au cours de l’exercice 2021, jusqu’à 25 millions d’euros pour financer les forfaits de vie sociale et partagée au sein d’habitats inclusifs.
30445 Le tour d’horizon actuel du Vivre ensemble ne serait pas complet sans évoquer l’essor de l’habitat participatif.

Sous-section III – L’habitat participatif

30446 – Histoire. – Dès le XIXe siècle émanent des systèmes de propriété mutualisée, de vie collective et d’autogestion de l’habitat, modèles fondateurs des communautés de mai 68. Depuis le début des années 2000, les projets d’habitat participatif fleurissent aux quatre coins de la France : Les Pipistrelles de la Durance à Mallemort (13), en partenariat avec une coopérative HLM ; L’Abrique partagée à Lille (59), projet de petit habitat participatif abritant sept foyers et un logement solidaire à loyer modéré ; Ecoravie en habitat participatif intergénérationnel et écologique à Dieulefit (26) ; Aux 4 Vents dans l’écoquartier de la Cartoucherie à Toulouse (31), 3 000 logements pour 10 000 habitants, le plus vaste projet en habitat participatif en France. Ces projets revêtent des aspects très variés quant à leur taille et leur architecture, et peuvent constituer de la construction autant que de la réhabilitation.
30447 Nous évoquerons successivement les principes directeurs (§ I) puis les structures porteuses des projets d’habitat participatif (§ II).

§ I – Les principes directeurs de l’habitat participatif

30448 – Le citoyen au cœur du projet. – Comme son nom l’indique, l’habitat participatif est une démarche de construction ou de rénovation de logements qui place le citoyen au centre de son projet d’habitat. De fait, on peut en trouver aussi bien en centre-bourg qu’en milieu rural, en neuf qu’en réhabilitation. Cette démarche est caractérisée par trois invariants :

le collectif d’habitants se constitue avant d’emménager et participe activement à la réalisation du projet ;

les habitants partagent entre eux des espaces communs ;

après leur installation, l’ensemble immobilier est autogéré par les habitants.

Au-delà de ses principes, il est certain que la démarche participative trouve son inspiration dans diverses sources dont la transposition en droit positif n’est pas toujours évidente. Ainsi on distinguera ce qu’est, positivement, l’habitat participatif (A), de ce qu’il pourrait ou voudrait être (B).
A/ Ce qu’est l’habitat participatif
30449 On peut affirmer avec certitude que l’habitat participatif est une démarche de logement à visée citoyenne, qualitative, écoresponsable et d’intérêt sociétal.
30450 – Une démarche citoyenne. – L’habitat participatif est une alternative au cadre de production classique du logement, une réponse face à l’augmentation continuelle de son coût, et un facteur de lien social. Depuis la loi Alur809, l’habitat participatif est défini à l’article L. 200-1 du Code de la construction et de l’habitation comme « une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis ».
30451 – Une démarche qualitative. – L’habitat participatif redonne de l’attractivité au logement collectif en ce qu’il le personnalise. L’intervention et l’engagement des habitants au projet de construction ou de rénovation permettent la personnalisation du projet. De ce fait, les habitants porteront probablement une attention plus grande à la qualité des logements produits.
30452 – Une démarche écoresponsable. – Dans le même ordre d’idées, de nombreux projets d’habitat participatif ont l’ambition de limiter l’empreinte écologique des logements créés. La qualité environnementale du bâtiment, l’écoresponsabilité de ses habitants, dans un souci de gestion responsable des ressources, sont en général assez naturellement privilégiées dans ce type de démarches.
30453 – Une démarche à forte valeur sociétale. – Dans un esprit de partage et de solidarité, la construction, la mise à disposition et la valorisation d’espaces collectifs sont mises à l’honneur dans l’habitat participatif. De ce fait, l’habitat participatif contribue, avec force, au dynamisme des villages ou des quartiers dans lesquels il s’implante. La salle commune servira tantôt pour une Amap810, tantôt pour un cours de sport collectif, ou encore pour des activités extrascolaires le mercredi après-midi, en invitant les citoyens extérieurs à en bénéficier ponctuellement.
B/ Ce que l’habitat participatif pourrait ou voudrait être
30454 On discerne aussi, dans la démarche d’habitat participatif, une « inspiration » venue de systèmes juridiques étrangers, sur laquelle il ne nous appartient pas de porter de jugement de valeur, mais dont il faut bien constater qu’elle est difficile à transposer dans l’ordre juridique national.
30455 – Un nouveau type de démembrement de la propriété ? – Selon certaines conceptions, le foncier, qui peut être acquis par voie de préemption ou par un bail emphytéotique, représenterait une « propriété collective » des habitants, tandis que le bâti s’assimilerait à un droit d’usage individuel de chaque habitant. Ce concept existe dans les pays de common law sous le nom de community land trust. Bien que le célèbre arrêt Maison de Poésie ait ouvert la voie à la création de droits réels innommés, il n’y a en France, à notre connaissance, aucun exemple d’habitat participatif reposant sur la création d’un tel droit réel de jouissance spéciale. C’est par la constitution de sociétés spécifiques qu’un résultat voisin a été recherché.
30456 – Une démarche anti-spéculative ? – Sur le modèle de certaines organisations étrangères, l’habitat participatif peut aussi constituer un moyen de réguler le marché immobilier, voire d’en soustraire purement et simplement certains logements. L’idée est alors de créer des logements pour y vivre, mais non d’offrir à leurs propriétaires l’espoir d’une plus-value. Autrement formulé, l’habitat participatif se voudrait un système dans lequel la fonction d’habitat et l’intérêt collectif priment sur l’investissement immobilier et l’enrichissement individuel. Il fonctionne d’ailleurs comme tel dans certains pays étrangers qui nous sont proches.
30457 Pour la France, l’article L. 201-5 du Code de la construction et de l’habitation prévoit un mécanisme d’agrément du cessionnaire de parts et la limitation du prix de cession à leur montant nominal, augmenté d’une majoration qui, « dans la limite d’un plafond prévu par les statuts, tient compte de l’indice de référence des loyers ». Mais on a alerté à juste titre sur « la faiblesse économique que peut représenter une telle règle pour le cédant des parts sociales, allant jusqu’à mettre à mal la viabilité du projet »811. Les banques peuvent voir dans ces clauses une source d’insécurité en raison de la liquidité encadrée du bien financé.

§ II – Les structures porteuses de l’habitat participatif

30458 Pour réaliser une construction neuve ou une réhabilitation en autopromotion, il est nécessaire que les futurs habitants et leurs partenaires (notamment les collectivités territoriales et organismes de logement social) se rassemblent au sein d’une société en sorte de se constituer en interlocuteur unique (maître d’ouvrage) afin d’acheter ou de prendre à bail le terrain, de déposer un permis de construire, de souscrire les assurances obligatoires et de gérer les travaux de construction. Aussi les notaires peuvent-ils être consultés sur la structure juridique capable de porter un projet d’habitat participatif. Le choix offert a évolué avec le temps.
A/ Les anciennes structures porteuses des projets d’habitat participatif et leurs limites
30459 Avant la loi Alur812, les projets d’habitat participatif ont utilisé essentiellement trois types de sociétés : les sociétés civiles immobilières d’attribution (SCIA), les sociétés civiles immobilières d’accession progressive à la propriété (SCI APP), les sociétés civiles coopératives de construction (SCCC). Ces différentes structures ne parvenaient cependant ni à organiser une propriété réellement collective, ni à limiter la spéculation, comme le souligna, en 2011, un Livre blanc de l’habitat participatif.
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Bien que n’ayant pas entendu répondre à toutes les attentes du mouvement participatif816, le gouvernement a néanmoins proposé une évolution. La loi Alur a créé deux types de sociétés nouvelles dites « d’habitat participatif » : les sociétés coopératives d’habitants et les sociétés d’attribution et d’autopromotion. Visant à compléter l’arsenal juridique existant, la loi nouvelle a maintenu les anciennes formes de sociétés. Le législateur incite toutefois à leur évolution, en édictant que la transformation des anciennes sociétés vers une des deux nouvelles formes n’entraînera pas création d’une personne morale nouvelle.
B/ L’apport de la loi Alur : les nouvelles structures porteuses des projets d’habitat participatif
30461 – Le choix de la structure : critère distinctif des deux types de sociétés. – Les notaires peuvent être consultés sur le montage juridique d’un projet d’habitat participatif. La première décision à prendre sera le choix d’un type de structure. À cet égard, c’est la philosophie du projet qui permettra de se déterminer. Comme le démontre un auteur817, le choix pour l’un ou l’autre statut juridique dépend essentiellement de la volonté des associés de rendre possibles ou non les attributions de propriété :

s’ils veulent que la société demeure propriétaire des logements et que les associés/habitants n’en aient que la jouissance, il faut opter pour la coopérative d’habitants ;

s’ils veulent pouvoir choisir entre une attribution en propriété ou en jouissance, il est préférable de choisir la société d’attribution et d’autopromotion.

Ce choix étant formulé, le praticien pourra évoquer l’organisation et le fonctionnement des sociétés d’habitat participatif (I), puis les moyens de pallier les risques qu’elles présentent (II).
I/ Organisation et fonctionnement des sociétés d’habitat participatif
30462 Nous présenterons rapidement ici les principes qui président à la constitution (a) puis au fonctionnement (b) des sociétés d’habitat participatif.
a) Constitution

30463 – Forme de la société. – La coopérative d’habitants comme la société d’attribution et d’autopromotion peuvent être civiles ou commerciales. Lorsque la première forme est choisie, les associés ne répondent des dettes sociales à l’égard des tiers qu’à hauteur de leurs apports. Elles sont nécessairement à capital variable afin de prendre en compte l’évolution des besoins de l’habitat, l’arrivée ou le départ de nouveaux associés.
30464 – Associés. – Même si le principe est celui d’une constitution par des personnes physiques entre elles, les personnes morales peuvent toutefois être associées de ces deux types de sociétés sans pouvoir détenir plus de 30 % du capital. Une dérogation existe cependant pour les offices publics de l’habitat, les sociétés d’économie mixte et les organismes agréés mentionnés aux articles L. 365-2 ou L. 365-4 du Code de la construction et de l’habitation, détenant un droit de jouissance sur un ou plusieurs logements. Dans cette hypothèse, le pourcentage de leur participation dans la société d’habitat participatif est fixé à proportion de leur participation dans le capital de la société818.
30465 – Objet principal. – Chaque société d’habitat participatif doit limiter son objet à des opérations de construction et/ou de gestion comprises dans un même programme, comportant une ou plusieurs tranches, d’un même ensemble immobilier819. Le fait de spécialiser l’objet social de la société créée permet de limiter les risques pris par la société et ainsi de protéger ses associés. Le nombre de logements créés doit figurer dans les statuts820. En revanche, ce n’est qu’en assemblée générale, et non dès le stade des statuts, que les conditions techniques et financières du projet seront fixées. C’est également à ce stade que les prix des logements seront fixés en fonction du goût global de l’opération.
30466 – Activités connexes. – En complément de cet objet spécifique, des activités et services peuvent être proposés par la société aux associés ainsi qu’aux personnes extérieures à l’habitat participatif821. Il est notamment possible de louer les espaces communs à des personnes extérieures à cet habitat, en prenant toutefois soin d’assurer une comptabilité séparée.
30467 – Apports. Spécificité de la coopérative. – La société procède à des appels de fonds auprès de ses associés. Le versement en est sécurisé par une garantie financière sur laquelle nous reviendrons. Pour la coopérative d’habitants, il existe une spécificité. En principe, le travail d’un coopérateur participe de l’essence même de la coopérative, voire en constitue une obligation. Le travail ne devrait donc pas constituer un apport. Toutefois, l’article L. 201-13 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que des parts sociales en industrie, correspondant à un apport-travail, peuvent être souscrites par les coopérateurs lors de la phase de construction ou de rénovation du projet immobilier, ou lors de travaux de réhabilitation du bâti, sous réserve notamment d’un encadrement technique adapté et d’un nombre d’heures minimal. Ce nombre sera fixé en assemblée générale. Ces parts en industrie doivent être libérées avant la fin des travaux et sont plafonnées au montant de l’apport initial demandé aux coopérateurs. Par exception au second alinéa de l’article 1843-2 du Code civil, les parts concourent à la formation du capital social822. Ces parts sociales en industrie sont cessibles ou remboursables après un délai de deux ans à compter de la libération totale des parts, déduction faite d’un montant, réparti, correspondant aux coûts spécifiques engendrés par cet apport-travail.
b) Fonctionnement

30468 – Usage des logements. – Les personnes physiques associées doivent utiliser le logement qui leur est attribué à titre de résidence principale (huit mois par an)823. Il en résulte nécessairement qu’une personne physique ne peut être associée dans plusieurs sociétés d’habitat participatif. Des dérogations existent, notamment dans les cas suivants :

pour les héritiers et légataires d’un associé d’une telle société ;

lorsque le domicile conjugal est attribué au conjoint non associé dans une procédure de divorce ;

si l’associé devient incapable ou invalide ;

lorsque l’associé met à disposition le logement concerné à un parent en ligne directe jusqu’au deuxième degré, en situation de handicap ou d’invalidité ;

en cas de mobilité professionnelle : lorsque l’associé est amené, dans le cadre de son activité professionnelle, à effectuer des déplacements l’obligeant à résider dans un autre logement ;

en cas de perte d’emploi de l’associé.

II/ Les risques de l’habitat participatif et les moyens de les prévenir
30469 – Un système économique, mais dangereux. – L’un des avantages principaux de l’habitat participatif dans son ensemble réside dans une diminution certaine des coûts liés à la réalisation du projet de logements (montage de l’opération, maîtrise d’ouvrage, assistances technique et juridique, etc.). Le revers de la médaille est une exposition plus importante des habitants aux risques liés à la maîtrise d’ouvrage. En effet, ce sont eux qui assurent la mission sans forcément posséder les connaissances techniques ou financières propres à en assurer la bonne fin. Toutefois, une garantie imposée par la loi peut pallier le risque financier, et le risque technique peut être contourné par l’assistance d’experts ou professionnels dans la mise en œuvre de l’habitat participatif.
a) Parer le risque financier : la garantie financière d’achèvement et de souscription

30470 – Des garanties palliatives. – Pour prévenir les principales difficultés, et quel que soit le type de société choisi, la loi impose deux garanties d’ordre public :

en premier lieu, les constructions ne peuvent être entamées qu’à partir du moment où au moins 20 % des logements ont été souscrits ;

en second lieu, une garantie financière d’achèvement et de souscription du reliquat des lots doit être fournie aux associés avant tout démarrage des travaux ; celle-ci consiste en une ouverture de crédit bancaire garantissant l’éventuelle défaillance d’une entreprise ou de l’un des associés de la société d’habitat participatif.

30471 – Un obstacle économique. – Le coût de cette dernière garantie, pourtant essentielle, peut s’avérer élevé, privant alors la technique de son avantage économique. C’est pourquoi la loi apporte au cadre qu’elle fixe une double dérogation en écartant l’obligation, pour la société, de fournir à ses membres cette garantie financière :

soit lorsque la société acquiert les logements projetés dans le cadre d’une vente en état futur d’achèvement (puisqu’elle bénéficie alors des garanties liées au secteur protégé) ;

soit encore lorsque la société conclut avec un professionnel un contrat de promotion immobilière (puisque le promoteur est lui-même tenu à une garantie propre à ce type de contrat par l’article L. 222-3 du Code de la construction et de l’habitation).

30472
b) Parer le risque technique : la professionnalisation

30473 – Professionnalisation de l’habitat participatif. – Compte tenu de ces observations, et à la lumière des opérations déjà réalisées par ces nouvelles sociétés d’habitat participatif, il semble que l’avenir de la formule soit conditionné à la professionnalisation de ce type d’opérations, soit auprès d’un promoteur du secteur privé, soit plus encore auprès d’un organisme de logement social.
30474 Mais vivre ensemble ne suppose pas nécessairement d’élaborer un projet, forcément de longue haleine, recouvrant la construction et l’utilisation de logements. Il peut s’agir, bien plus simplement, de se loger en profitant des bienfaits de la mutualisation de locaux et de prestations qui contribuent à faire du simple logement un habitat. Telle est la démarche, plurielle et parfois problématique, du coliving.

Section II – Le coliving : un nouveau statut à conquérir ?

30475 – Un modèle venu d’outre-Atlantique. – Le mot coliving est un terme anglais qui traduit littéralement le fait d’habiter (living), ensemble (co). Apparues aux États-Unis dans les années quatre-vingt, les hacker houses, maisons dédiées aux travailleurs de la Silicon Valley, sont apparues en réaction à la pénurie de logements dont souffraient ces travailleurs des sociétés high-tech826. Face à l’explosion des prix des loyers à San Francisco, ces ingénieurs choisirent de se regrouper dans de grandes maisons partagées, afin de diminuer les coûts d’un logement individuel devenu inabordable. Ils y trouvèrent alors plus que la simple économie qu’ils avaient primitivement recherchée : un véritable mode de vie commun reposant notamment sur la mutualisation de certains services (blanchisserie, salle de sport, automobile…) qui leur permettait de se consacrer pleinement et sans contrainte à leur travail. Le phénomène s’est accru après la tempête Sandy en 2012, qui a amené les habitants privés de leur maison détruite à revoir leurs modes de vie et à emménager, à plusieurs familles, sur ce modèle californien, dans les habitations épargnées. Ce type d’habitat collectif est devenu pérenne pour nombre d’entre eux et a ainsi poursuivi l’essor du coliving. En France, sur ce modèle et un peu plus tardivement, les associations telles que COOLOC, The Babel Community, Colonies… ont mis en place ce même système du « vivre-ensemble ». Des regroupements se forment en fonction de l’appartenance à un même de type de population (mères célibataires, travailleurs d’un même secteur, etc.). Un tel foisonnement d’idées nouvelles met parfois des décennies avant de trouver son cadre juridique. En attendant, force est de constater que chaque coliving fonctionne comme il peut ! Les innovations devancent ainsi toujours les lois et les règlements. Cependant, la recherche d’une définition du coliving(Sous-section I) est riche en conséquences juridiques (Sous-section II).

Sous-section I – Une notion en quête de définition

30476 Il ne paraît pas possible de cerner la notion de coliving par le biais du public auquel il s’adresse. Il est plus pertinent d’en rechercher d’autres éléments caractéristiques intrinsèques.
30477 – Le public varié du coliving. – On ne peut définir le coliving par le public auquel il s’adresse. Cette forme d’habitat « à la carte » est, en effet, susceptible d’intéresser une clientèle très variée au sein de laquelle dominent les jeunes actifs (25-35 ans), mais qui se compose aussi d’étudiants et, à l’opposé, de jeunes seniors encore actifs et non dépendants. Leurs motivations sont tout aussi variables : parcours de formation ou activité professionnelle imposant une résidence temporaire mais néanmoins prolongée loin du domicile, manque de moyens pour accéder à une forme plus stable de logement, situation personnelle transitoire, voire choix de vie et traduction moderne d’un besoin ancestral de vivre en solidarité avec son voisinage.
30478 – Les caractéristiques intrinsèques du coliving. – S’exprimant à propos du coliving, un auteur indique : « Il s’agit (…) d’une occupation facilitée par une flexibilité du bail dont la durée s’adapte aux besoins des clients, et par la mise à disposition de services avec un objectif d’affranchissement des tâches administratives et ménagères »827. Souscrivant à cette définition, il existerait donc deux éléments constitutifs du coliving : un bail à durée « flexible », et la prestation de services. Or, l’un et l’autre de ces traits caractéristiques emportent des conséquences juridiques qui sont loin d’être neutres.

Sous-section II – Une définition riche de conséquences juridiques

30479 On peut mesurer les enjeux de la recherche d’une définition du coliving tant lors de la construction de la résidence (§ I) qu’au cours de son fonctionnement (§ II).

§ I – Quelles destination et sous-destination lors de la construction d’une résidence de coliving ?

30480 – Hésitation. – En droit de l’urbanisme, de quelles destination et sous-destination relève la construction (rénovation ou réhabilitation) d’une résidence de coliving ? Il est, tout d’abord, permis d’hésiter entre la destination « habitation » et celle de « commerces et activités de services ». Cette dernière destination est elle-même subdivisée en deux sous-destinations que sont les « activités de service où s’effectue l’accueil d’une clientèle » et l’« hébergement hôtelier » (temporaire, courte durée, service commercial).
30481 – Discussion. – Généralement l’investisseur d’un projet de coliving qui doit construire ou rénover un immeuble choisit la destination « habitation ». Toutefois, notre consœur Anne Muzard828, souligne que le décret du 31 janvier 2020829 distinguant les sous-destinations « hôtels » et « autres hébergements touristiques », ainsi que l’arrêté du 31 janvier 2020 ayant supprimé la référence aux constructions destinées à l’hébergement temporaire de courte ou moyenne durée proposant un service commercial, ont laissé (volontairement ?) de côté le coliving, « en quête de son écrin juridique ». Un autre auteur y voit plutôt « une résidence services qui s’ignore »830. Cette opinion repose sur un constat : aucun des critères habituellement retenus pour qualifier le coliving ne permet d’écarter la qualification de résidence services, énoncée par l’article L. 631-13 du Code de la construction et de l’habitation. Il propose de retenir, pour les pétitionnaires de construction de tels projets, la destination « habitation » et la sous-destination « hébergement ». La destination « habitation » englobe le logement et l’hébergement, alors que celle de « commerce et activités de services » correspond aux hébergements touristiques, artisanat, restauration.
Intérêts de la distinction. Les conséquences du rattachement de l’opération à l’une ou l’autre des catégories proposées se mesurent en termes, notamment, d’obligations de création d’emplacements de stationnement et de respect de la mixité sociale.

§ II – Quel contrat pour le coliver ?

30482 – Le bail. – La question est de savoir si le bail consenti à l’occupant d’un coliving relève ou non de la loi de 1989. Certes, il s’agira toujours d’une location meublée, ce qui appelle un statut locatif moins contraignant. Rappelons cependant que :

depuis la loi Alur, la loi de 1989 s’applique, par principe, à la location meublée, moyennant certaines exceptions, lorsqu’elle est consentie à titre de résidence principale ;

il y a résidence principale lorsque le locataire habite le logement au moins huit mois dans l’année831. Une location prévue pour une plus courte durée demeure soumise au statut de droit commun du Code civil.

Dès lors, deux conceptions sont possibles. Pour certains, il y a lieu d’appliquer la loi de 1989 au bail en coliving dès lors que l’occupation du locataire est prévue pour durer plus de huit mois par an. Pour d’autres, tel n’est pas le cas. Selon cette dernière tendance, il s’agirait d’un contrat sui generis, une résidence mise à disposition dans les conditions spécifiques du coliving ne pouvant être qualifiée de « principale ». Cette position fait intervenir le second critère caractéristique de la notion : la fourniture de services.
30483 – Les services. – Il n’y aurait de coliving que lorsque le contrat va au-delà de la simple mise à disposition d’une habitation meublée dotée des éléments ordinaires de confort. L’idée est que le coliving doit affranchir l’occupant de certaines tâches ménagères ou administratives et lui proposer un confort personnalisé. Ceci devrait se traduire :

en premier lieu, par la possibilité d’avoir recours à des prestations telles qu’accès à l’internet, système de télévision connectée, assurances collectives, cours de sport à domicile, services de réparation, etc. ;

en second lieu, par l’existence, au sein de la résidence, d’espaces communs (salle de sport, buanderie, blanchisserie, salle de cinéma, jardin, garage…) ou partagés (salle de séjour, cuisine, salle de bains, etc.).

Le coliving serait donc un mode d’occupation d’immeubles à usage d’habitation, dont les occupants partagent des services et des espaces communs, et utilisent des technologies fournies par leurs bailleurs ou par une société spécialisée qualifiée d’« opérateur ». Néanmoins, ne pourrait-on déceler dans certains colivings une simple colocation, régie, en ce cas, par la loi de 1989 ?
30484 – Conclusion sur le Vivre ensemble. – Au terme de cet inventaire, peut-être incomplet, il apparaît que le Vivre ensemble est une réelle aspiration que partagent un nombre certain de citoyens français. Il semble répondre à un besoin lié tout à la fois à la diversité de la population et à son vieillissement, d’une part, et au coût du logement, d’autre part. Face à la pluralité des outils, le notaire aura sans doute un rôle croissant à jouer. Il est trop tôt, aujourd’hui, pour dire lequel, ce d’autant plus que, procédant d’inspirations analogues, mais dépourvues de caractère collectif, d’autres aspirations se font jour avec le développement de modes d’habitats individuels dits « alternatifs ».

795) R. C. Cabrit, Honoré éd., 2019.
796) 3e Sommet des maires sur le Vivre ensemble, Izmir, Observatoire international des maires sur le Vivre ensemble (observatoirevivreensemble.org).
797) L. no 2018-1021, 23 nov. 2018, portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
798) D. no 2020-20, 13 janv. 2020.
799) J. Pasquet, L’institutionnalisation progressive de la cohabitation intergénérationnelle en France : Actes prat. ing. immobilière juill. 2020, no 3, dossier 27.
800) La règle vaut autant pour le parc privé que pour les logements sociaux.
801) A. 13 janv. 2020 relatif à la charte de la cohabitation intergénérationnelle solidaire, ann. I.
802) V. par ex. A. de Crevoisier de Vomécourt : Actes prat. ing. immobilière juill. 2020, no 3, dossier 28.
803) V. Zalewski-Sicard : Actes prat. ing. immobilière juill. 2020, no 3.
804) L. no 2018-1021, 23 nov. 2018, art. 129 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
805) C. action soc. et fam., art. L. 281-1.
806) L. no 89-462, 6 juill. 1989, art. 8-1.
807) CCH, art. L. 441-2, III, al. 3.
808) Communication datée de septembre 2022.
809) L. no 2014-366, 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
810) Association pour le maintien d’une agriculture paysanne.
811) R. Leonetti, L’habitat participatif : une proposition inspirante mais risquée : Opérations immo. juill. 2019, no 117.
812) L. no 2014-366, 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
813) CCH, art. L. 443-6-2.
814) CCH, art. L. 441-1.
815) CCH, art. L. 213-1 à L. 213-15.
816) V. Zalewski-Sicard : JCl. Construction Urbanisme, fasc. 800-36.
817) V. Zalewski-Sicard, ibid.
818) CCH, art. L. 200-4.
819) CCH, art. L. 200-7.
820) CCH, art. R. 213-2.
821) CCH, art. L. 200-7-1.
822) V. L. Nurit-Pontier, Repenser les apports en industrie : LPA 3 juill. 2002, no 132, p. 4.
823) CCH, art. R. 200-1.
824) CCH, art. R. 200-8.
825) CCH, art. L. 200-8.
826) Le mot hacker était alors dédié à une nouvelle catégorie de travailleurs du domaine informatique et ne signifiait pas encore « pirate informatique ».
827) S. Illouz, Opérations immo. nov. 2019, no 120, 37420288.
828) JCP N 27 mars 2020, no 13, act. 335.
829) D. no 2020-78, 31 janv. 2020 : JO 1er févr. 2020.
830) V. Zalewski-Sicard : Actes prat. ing. immobilière juill. 2020, no 3, dossier 30.
831) La durée d’occupation moyenne observée en coliving est de dix mois.
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