CGV – CGU

PARTIE I – Conserver son logement
Titre 2 – Les outils conventionnels
Sous-titre 2 – Les outils récents

Chapitre I – Un outil à améliorer : le prêt viager hypothécaire

30348 Outil de mobilisation du patrimoine qui n’entraîne pas l’aliénation directe du logement, mais son utilisation comme garantie, le prêt viager hypothécaire a été créé par l’ordonnance du 23 mars 2006750, à l’occasion de la réforme des sûretés, ratifiée par la loi no 2007-212 du 20 février 2007. Cet outil novateur, inspiré de la common law (États-Unis et Canada notamment) n’a pas eu le succès escompté. Il a pourtant fait couler beaucoup d’encre, dans le cadre des rapports de précédents congrès notamment751. Étudier son fonctionnement (Section I) nous permettra de comprendre les raisons de son insuccès et, peut-être, de proposer des solutions pour qu’il devienne un véritable instrument de financement de la dépendance (Section II).

Section I – Le fonctionnement du prêt viager hypothécaire

30349 Le prêt viager hypothécaire est réglementé par les articles L. 315-1 et suivants, L. 341-53 à 341-61 et R. 315-1 et suivants du Code de la consommation. Sa définition et ses principales règles de fonctionnement figurent dans le premier texte :
« Le prêt viager hypothécaire est un contrat par lequel un établissement de crédit ou un établissement financier consent à une personne physique un prêt sous forme d’un capital ou de versements périodiques, garanti par une hypothèque constituée sur un bien immobilier de l’emprunteur à usage exclusif d’habitation et dont le remboursement principal et intérêts capitalisés annuellement ne peut être exigé qu’au décès de l’emprunteur ou lors de l’aliénation ou du démembrement de la propriété de l’immeuble hypothéqué s’ils surviennent avant le décès.
Ce contrat peut également prévoir le même dispositif avec un remboursement périodique des seuls intérêts ».
30350 – Intérêt principal du prêt viager hypothécaire. – L’emprunteur n’ayant aucune obligation de remboursement sa vie durant, ses capacités financières sont sans incidence pour la détermination du montant prêté puisque ses ressources ne seront pas utilisées. En pratique, le capital prêté sera d’autant plus important que l’emprunteur est âgé. La durée du prêt est liée à son espérance de vie : plus l’emprunteur est âgé, plus la durée du prêt sera courte et moins importante sera la somme à payer au titre des intérêts.

Sous-section I – La conclusion du contrat

§ I – Les parties au contrat

30351 – Le prêteur. – Le prêteur est obligatoirement un établissement de crédit ou un établissement financier. La loi lui interdit de faire du démarchage752 et la publicité est encadrée : elle doit être « loyale et informative »753.
30352 – L’emprunteur. – Seules une ou plusieurs personnes physiques propriétaires d’un bien immobilier peuvent bénéficier d’un prêt viager hypothécaire. Les personnes morales en sont donc exclues. Dans le cas où le logement est détenu par une SCI, l’associé ne pourra pas recourir au prêt viager hypothécaire puisqu’il n’est pas propriétaire d’un immeuble, mais simplement détenteur de parts de société. Bien que la loi ne prévoie pas d’âge minimum pour l’emprunteur, le Crédit Foncier de France, seul établissement financier à commercialiser ce type de financement, ne proposait le prêt viager hypothécaire qu’aux personnes de soixante-cinq ans et plus, contre soixante-deux ans et plus pour les Home Equity Conversion Mortgages américains, et cinquante-cinq ans et plus pour les lifetime mortgages Aviva britanniques.

§ II – L’objet du financement

30353 – Public visé. – Le prêt viager hypothécaire est la seule solution de financement pour des personnes qui, compte tenu de leur âge et/ou de leur capacité financière, ne peuvent pas avoir recours au prêt classique, ou qui ne veulent pas augmenter leurs dépenses mensuelles.
30354 – Un prêt à la consommation. – Bien qu’un immeuble doive être donné en garantie, le prêt viager hypothécaire n’est pas un prêt immobilier mais un prêt à la consommation dont l’objet peut être très varié. Au même titre que le bouquet dans la vente en viager, il peut s’agir, pour l’emprunteur, de financer une dépense exceptionnelle tels des travaux d’adaptation de son logement à son état de santé ou aux nouvelles normes énergétiques, ou un voyage. Destiné à financer un besoin ponctuel, le capital fait l’objet d’un versement unique au profit de l’emprunteur. Mais le prêt peut également être contracté afin d’améliorer les revenus de l’emprunteur, devenus insuffisants à l’âge de la retraite, pour conserver un certain niveau de vie. Dans ce cas, les versements sont périodiques (mensuels, trimestriels…).
30355 – Un prêt réservé aux besoins personnels. – En aucun cas le prêt viager hypothécaire ne peut servir à financer les besoins d’une activité professionnelle.

§ III – Les règles de forme et de délai

30356 – L’offre de prêt. – Le prêt viager hypothécaire doit faire l’objet d’une offre écrite, qui doit comporter certaines mentions obligatoires.
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30358 – L’acte authentique. – Comme en matière de crédit immobilier contracté par une personne physique à des fins non professionnelles, l’offre doit être consentie pour une durée minimale de trente jours et l’emprunteur ne peut l’accepter qu’après expiration d’un délai de dix jours à compter de sa réception. En revanche, l’acceptation se fait par acte notarié754 et aucun versement ne peut être effectué par le prêteur à l’emprunteur avant la signature de cet acte.

Sous-section II – L’exécution du contrat

§ I – Le versement du capital

30359 Le capital est soit versé en une seule fois, dans le cadre du financement d’une dépense ponctuelle notamment, soit fait l’objet de versements périodiques, si le prêt est destiné à assurer un complément de revenus à l’emprunteur. Dans ce second cas, l’emprunteur peut demander une suspension ou une modification de l’échéancier des versements, selon ses besoins755. Que le versement du capital soit unique ou échelonné, l’emprunteur a le libre choix de son emploi, sous réserve de ne pas l’affecter au paiement de dépenses ou dettes professionnelles.

§ II – L’hypothèque

30360 – Un immeuble à usage exclusif d’habitation. – Le prêt viager hypothécaire est obligatoirement garanti par une hypothèque prise sur un bien immobilier à usage exclusif d’habitation. Sont donc exclus les biens à usage mixte, professionnel et d’habitation.
30361 – La durée de l’inscription. – L’échéance du prêt étant indéterminée, la durée de l’inscription est de cinquante années maximum.

§ III – Les obligations de l’emprunteur

30362 – La préservation de la garantie. – Dans le cadre d’un prêt immobilier classique, l’hypothèque sert uniquement en cas de défaillance de l’emprunteur qui est censé disposer des moyens financiers nécessaires au remboursement du capital et au paiement des intérêts, sur la base desquels, justement, le prêt a été accordé. Dans le cadre d’un prêt viager hypothécaire, par définition, l’emprunteur n’a pas les moyens financiers de rembourser le prêt, lequel est accordé sur la base de la valeur de l’immeuble hypothéqué. L’hypothèque est donc bien plus qu’une simple garantie. Aucune autre garantie ne peut lui être substituée. Elle est un élément essentiel du contrat de prêt, générateur d’obligations spécifiques pour l’emprunteur : expertises indépendantes avant la conclusion du contrat puis lors de son expiration ; obligation d’entretien pour laquelle il est utile de réaliser un état des lieux ; obligation d’assurance ; interdiction de tout changement d’affectation ; obligation de laisser visiter les lieux par le prêteur.
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Sous-section III – Le dénouement du contrat

30364 La grande spécificité du prêt viager hypothécaire tient à ses modalités de remboursement. Tant le remboursement du capital que le paiement des intérêts interviennent seulement au décès de l’emprunteur. Rien n’est donc, en principe, à verser par l’emprunteur de son vivant (§ I). Mais la loi a prévu des exceptions (§ II).

§ I – Le principe : le remboursement au décès

A/ L’époque du remboursement
30365 – Principe. – Le prêt viager hypothécaire est un prêt totalement in fine. Capital et intérêts sont exigibles uniquement au décès de l’emprunteur qui ne doit rien payer de son vivant.
30366 – Cas des époux coemprunteurs. – Si le prêt a été consenti à deux époux, le remboursement total se fait au décès du survivant. Le décès du prémourant est donc, a priori, sans incidence sur le sort du prêt758. En revanche, la situation s’avère plus délicate si l’emprunt a été contracté par un seul des époux et si l’immeuble hypothéqué constitue le logement de la famille759. Au décès de l’emprunteur, il peut y avoir une opposition d’intérêts entre le conjoint survivant et les autres héritiers. En effet, le conjoint voudra que le prêt soit remboursé au moyen de l’actif successoral afin d’éviter la vente du logement qui le priverait de l’exercice de son droit viager au logement, ce droit n’étant pas opposable à l’établissement prêteur. Il semble, en revanche, a priori acquis que le conjoint puisse exercer son droit temporaire au logement, compte tenu de son caractère d’ordre public. Le prêteur pourra, de son côté, faire saisir le logement pour le vendre, ou en obtenir l’attribution dès lors que le conjoint peut continuer à l’occuper jusqu’à l’expiration du délai d’un an.
B/ Le mode de remboursement
30367 Au décès, le mode de remboursement dépend, en principe, de la volonté des héritiers de l’emprunteur. Cependant, l’une des lacunes du régime du prêt viager hypothécaire est l’absence de délai prévu par les textes pour leur laisser le temps de prendre leur décision. En théorie, l’établissement prêteur possédant un titre exécutoire peut ainsi agir huit jours après avoir adressé une signification aux héritiers760.
I/ Le remboursement par les héritiers
30368 Si les héritiers souhaitent procéder eux-mêmes au paiement du capital et des intérêts, deux solutions s’offrent à eux :

rembourser le capital et les intérêts dus au prêteur si l’actif successoral est suffisant, et ce afin de conserver l’immeuble ;

vendre eux-mêmes l’immeuble donné en garantie, le prix servant alors à désintéresser l’établissement prêteur. Dans ce cas, les héritiers n’ont pas l’obligation, a priori, de faire réaliser une expertise de l’immeuble. Le projet de cession doit être notifié au créancier qui peut contester « la valeur de l’immeuble retenue dans l’acte de cession »761. La dette étant plafonnée au prix de cession, le créancier sera particulièrement vigilant à ce que la vente intervienne au « bon » prix. Ce n’est qu’en cas de contestation par le créancier qu’il doit alors être procédé à l’estimation du bien par un expert choisi d’un commun accord par les parties ou désigné sur requête762. Le texte ne précise pas s’il s’agit d’une notification à titre de simple information ou si l’accord du créancier doit être obtenu préalablement à la cession de l’immeuble. Il ne précise pas, non plus, quel est le délai ouvert au créancier pour contester le prix de cession. Autrement dit, si la cession intervient sans retour du créancier suite à la notification du projet, peut-il, a posteriori, contester le prix ? En raison de ces incertitudes, et par sécurité, le notaire prendra la précaution d’attendre la validation du prix de cession par le créancier avant de régulariser l’acte.

II/ L’initiative laissée au prêteur
30369 En cas d’inaction des héritiers, ou de succession vacante763, le créancier dispose alors de deux options :

poursuivre la saisie et la vente du bien donné en garantie ;

demander son attribution judiciaire, ou conventionnelle en cas stipulation d’un pacte commissoire.

Et ce nonobstant les règles applicables en matière d’acceptation sous bénéfice d’inventaire.
C/ Le montant du remboursement : règle du plafonnement de la dette
30370 L’une des principales particularités du prêt viager hypothécaire réside dans le fait que la dette est plafonnée à la valeur de l’immeuble donné en garantie au jour du décès de l’emprunteur764. En tant que de besoin, l’estimation de l’immeuble est réalisée par un expert choisi d’un commun accord par le créancier et l’emprunteur, ou désigné sur requête765. Si l’immeuble est saisi par l’établissement prêteur, la dette est plafonnée au prix d’adjudication. Si l’immeuble est attribué au prêteur, judiciairement ou en vertu du pacte commissoire s’il a été stipulé, la dette est plafonnée à la valeur de l’expertise.
D/ Le délai de recouvrement
30371 L’action en recouvrement d’un prêt viager hypothécaire se prescrit par deux ans766. La Cour de cassation a précisé le point de départ de cette prescription. Le délai de prescription court à compter du jour où l’établissement prêteur a connaissance, non seulement du décès de l’emprunteur, mais également de l’identité de ses héritiers767.

§ II – Les exceptions au principe du remboursement au décès

30372 – Trois exceptions. – Le principe du report total du remboursement du capital et du paiement des intérêts au décès compte trois exceptions : le remboursement anticipé (A), l’exigibilité anticipée du prêt (B) et l’option pour un paiement périodique des intérêts (C).
A/ Le remboursement anticipé
30373 L’emprunteur peut choisir de rembourser le prêt par anticipation, de son vivant. Il convient de distinguer selon que le capital emprunté a été versé en une seule fois (I) ou s’il fait l’objet de versements périodiques (II). La dette n’est pas plafonnée en cas de remboursement anticipé (III).
I/ L’hypothèse du versement unique du capital
30374 Lorsque le capital a été versé en une seule fois, le remboursement par anticipation peut être total ou partiel, au choix de l’emprunteur. Le prêteur peut refuser un remboursement partiel inférieur à 10 % du capital768. L’établissement de crédit peut exiger une indemnité de remboursement. Cette indemnité ne peut pas excéder les montants fixés par un barème légal déterminé par décret en Conseil d’État. Le montant varie en fonction de la durée résiduelle du prêt769. Aucune autre somme ne peut être réclamée à l’emprunteur, au titre de frais notamment770.
II/ L’hypothèse de versements périodiques
30375 Lorsque le prêt fait l’objet de versements périodiques, l’emprunteur peut rembourser par anticipation la totalité des sommes déjà versées en principal et intérêts. Il semble, en revanche, qu’un remboursement anticipé partiel ne soit pas permis. L’établissement de crédit peut alors exiger une indemnité de remboursement, elle aussi plafonnée selon un barème différent. Le montant varie en fonction de la date de la demande de remboursement. L’indemnité sera d’autant plus élevée que le remboursement interviendra rapidement771. Aucune autre somme ne peut être réclamée à l’emprunteur, au titre de frais notamment.
III/ L’exception à la règle du plafonnement de la dette
30376 Le remboursement anticipé exclut le plafonnement de la dette. Si l’emprunteur choisit de rembourser le prêt par anticipation, il devra verser au prêteur le montant total qui lui est dû, tant au titre du capital que des intérêts, ainsi que l’indemnité. Peu importe que la dette soit supérieure à la valeur du bien à la date à laquelle le prêt est soldé.
B/ L’exigibilité anticipée du prêt
30377 Les textes prévoient trois cas d’exigibilité anticipée du prêt : l’aliénation de l’immeuble hypothéqué (I), le démembrement de propriété (II) ou le non-respect de ses obligations par l’emprunteur (III).
I/ L’aliénation
30378 L’emprunteur ayant conservé la propriété de l’immeuble grevé de l’hypothèque demeure libre de l’aliéner, la seule condition étant de désintéresser totalement l’établissement prêteur. La loi ne distinguant pas entre les cessions à titre onéreux ou à titre gratuit, l’emprunteur doit pouvoir en faire donation. La valeur de l’immeuble est égale à la valeur indiquée dans l’acte de cession, sous réserve de l’opposition du créancier auquel le projet de cession doit être notifié. Nous renvoyons à ce sujet aux développements ci-dessus dans le cas de la vente de l’immeuble par les héritiers de l’emprunteur. Si la dette est alors inférieure à la valeur de l’immeuble, et donc théoriquement au prix de cession, la différence entre le prix et le montant de la créance doit être pareillement versée à l’emprunteur.
II/ Le démembrement de propriété
30379 Le démembrement de propriété entraîne également l’exigibilité anticipée du prêt. Ce cas d’exigibilité anticipée doit-il être entendu dans un sens large et s’appliquer quelle que soit l’origine du démembrement, légale ou conventionnelle ? Partant du principe qu’il n’y a pas lieu de distinguer là où la loi ne distingue pas, la réponse devrait être positive. Si l’emprunt est fait par les deux époux, y a-t-il, alors, une contradiction des textes qui prévoient que le terme du prêt est le décès du survivant des coemprunteurs, d’une part, et l’exigibilité en cas de démembrement de propriété, d’autre part, le conjoint survivant étant bénéficiaire d’un usufruit dans la plupart des cas, soit au titre de sa vocation successorale légale, soit en vertu d’une donation au dernier vivant ? Le démembrement intervient bien avant le décès du survivant des époux, terme du crédit. Sans doute n’était-ce pas l’intention du législateur, du moins en présence d’un usufruit légal. Le prêt viager hypothécaire a été instauré pour venir en aide aux seniors propriétaires mais sans liquidités. Quel serait l’intérêt si, ensuite, le survivant, par l’effet du prêt, se retrouvait privé de son cadre de vie au décès de son conjoint ? La loi de 2007 n’a pas pu opérer un revirement brutal avec l’esprit de celles de 2001 et de 2006, dont l’objectif essentiel, justement, était de préserver le logement des veufs et des veuves. En outre, le prêteur reste protégé malgré le démembrement qui s’éteindra au décès du survivant des époux, date à laquelle l’immeuble pourra être saisi, en vertu du droit de suite, faute pour les héritiers des époux de s’exécuter. Pour éviter toute ambiguïté, le texte de l’article L. 315-1 du Code de la consommation pourrait être complété par les termes suivants : « En cas de pluralité d’emprunteurs, par exception, le démembrement de propriété n’entraînera pas l’exigibilité anticipée du prêt s’il intervient du fait du décès du prémourant des emprunteurs, et sous réserve que le coemprunteur soit l’usufruitier ». La jurisprudence n’a pas tranché. Dans le doute, le notaire devra veiller à ce que l’acte de prêt stipule expressément que le démembrement de propriété opéré au décès du prémourant des emprunteurs, dès lors qu’il résulte de la vocation successorale du conjoint survivant, qu’elle soit légale ou conventionnelle, n’entraînera pas l’exigibilité anticipée du prêt.
III/ Le non-respect des obligations de l’emprunteur
30380 Si l’emprunteur ne respecte pas ses obligations, le paiement du capital et des intérêts est immédiatement exigible. Les cas d’exigibilité anticipée sont énumérés par les textes772 :

le défaut d’entretien de l’immeuble hypothéqué ;

le refus de l’accès de l’immeuble hypothéqué à l’établissement prêteur pour s’assurer de son bon état d’entretien et de conservation ;

le changement d’affectation de l’immeuble hypothéqué ;

l’absence de constitution des sûretés promises ou leur diminution.

Dans le cadre d’un prêt à versement périodique des intérêts, en cas de défaillance de l’emprunteur, le prêteur peut exiger le paiement immédiat des intérêts échus impayés773, et non du capital qui reste exigible au décès seulement.
C/ L’option pour un remboursement périodique des intérêts
30381 Par exception au principe du report total du paiement, tant du capital que des intérêts, au décès de l’emprunteur, le contrat de prêt peut prévoir un remboursement périodique des intérêts774. Cette possibilité est en revanche exclue pour le capital, remboursable uniquement au décès de l’emprunteur, sauf les cas de remboursement anticipé et d’exigibilité ci-dessus relatés.

Section II – Quel avenir pour le prêt viager hypothécaire ?

30382 Si son bilan actuel n’a rien de satisfaisant (Sous-section I), il nous semble cependant que le prêt viager hypothécaire conserve un intérêt certain pour les générations senior, ce qui justifierait de lui apporter plusieurs améliorations (Sous-section II).

Sous-section I – Le constat d’un insuccès

30383 – Un piètre bilan. – À ce jour, plus aucun établissement bancaire ou financier ne propose de prêt viager hypothécaire. La seule banque en France qui le distribuait, sous le nom commercial Reversimmo, était le Crédit Foncier de France dont l’activité de distribution de crédits a cessé en 2019. Plus aucun prêt viager hypothécaire n’a donc été accordé depuis. Dans une étude publiée en 2016, M. Gijsbers775 dresse la liste des raisons de cet insuccès.

1. L’attachement à la propriété. Les Français sont attachés à la propriété immobilière et beaucoup rejettent toute idée de monétisation de leur logement. Même si l’emprunteur conserve, en théorie, la propriété de son logement, il sait qu’il ne sera pas transmis à ses héritiers, lesquels devront le vendre pour honorer les dettes de leur auteur, ou l’abandonner à la banque.

2. Des conditions financières rédhibitoires. Commercialiser ce type de prêt n’intéresse pas les banques qui supportent seules le double risque de longévité de l’emprunteur et d’évolution à la baisse du marché immobilier. La dette peut atteindre un montant supérieur à la valeur du bien hypothéqué du fait de la capitalisation des intérêts, d’une part, et de la diminution de la valeur du bien hypothéquée, d’autre part. Or la dette est plafonnée à la valeur du bien immobilier au décès de l’emprunteur. Pour limiter le risque et maintenir un certain équilibre économique, les établissements de crédit pratiquent un taux d’intérêt plus élevé que pour les prêts classiques et prêtent un montant peu important, ce qui freine les emprunteurs.

30384 – Un insuccès confirmé. – Malgré des aménagements légaux successifs, notamment la capitalisation des intérêts, la possibilité de stipuler les conditions dans lesquelles l’emprunteur pouvait accélérer les versements de son prêt et, depuis la loi du 17 août 2015, la possibilité de versement périodique des intérêts d’emprunt, le développement du prêt viager hypothécaire ne s’est pas accéléré.
Pourtant, le prêt viager hypothécaire peut s’enorgueillir de certains avantages par rapport à la vente en viager, pourtant bien plus communément admise.
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Sous-section II – Des propositions concrètes d’amélioration

30386 – Un outil de financement de la dépendance incontournable. – L’insuccès de prêt viager hypothécaire est tout à fait regrettable car il constitue une solution au financement de la dépendance des personnes âgées qui n’ont pas anticipé les conséquences liées au grand âge et à la perte d’autonomie. Il peut être souscrit à un âge très avancé. Vivette Lopez, sénatrice du Gard, s’inquiète du sort du prêt viager hypothécaire depuis l’arrêt de sa commercialisation par le Crédit Foncier, comme en témoigne la question posée le 14 novembre 2019 au ministre de l’Économie et des Finances : « (…) Cette situation place de très nombreux propriétaires âgés en quête de liquidités dans un grand désarroi (…). En effet, à bien des égards, le prêt viager hypothécaire apparaît comme un dispositif pertinent, notamment en ce qu’il permet à des personnes âgées de conserver plus longtemps leur autonomie (…) »776.
30387 Il ressort d’une enquête Share (Survey of Health, Ageing and Retirement in Europe)777, qui a évalué les épisodes d’incapacité et leur coût pour les soixante-cinq ans et plus dans neuf pays européens, ainsi que la capacité à financer les dépenses liées à la perte d’autonomie selon les pays, la richesse ou le sexe des individus, que les prêts viagers hypothécaires permettraient de transférer aux générations plus âgées une partie du financement des dépenses liées à la perte d’autonomie, sans augmenter la contribution des générations futures.
Pour en savoir plus à ce sujet :
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30388 – Pour un nouveau départ. – Plusieurs pistes d’amélioration pourraient être explorées pour donner un nouveau départ au prêt viager hypothécaire.

§ I – Un taux adapté à l’état de santé

30389 André Masson, économiste, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, suggère qu’un taux d’intérêt plus bas soit appliqué aux emprunteurs en situation de dépendance dans la mesure où ils ont une espérance de vie plus courte compte tenu de leur état de santé778. Un certificat médical devrait être produit pour justifier de l’état de santé.

§ II – Un prêt viager dépendance

30390 Dans le même sens, Dominique Libault, dans son rapport « Grand âge et autonomie » rendu en mars 2019, propose d’utiliser le mécanisme du prêt viager hypothécaire pour créer un nouvel outil de financement de la dépendance : le prêt viager dépendance. Ce prêt serait réservé aux personnes en dépendance lourde779, qu’elles soient à domicile ou en établissement, non éligibles à l’ASH. Il fonctionnerait comme un prêt viager hypothécaire classique. L’établissement bancaire proposerait un taux de l’ordre de 4 %, nettement inférieur au taux de 8 % pratiqué pour le prêt viager classique. Dans l’hypothèse d’une personne placée en établissement, le prêt prendrait la forme d’un prêt relais dans l’attente de la vente du logement. Ce prêt pourrait être réversible si la famille souhaite le rembourser et conserver le bien immobilier en cas de départ en établissement ou de décès de l’emprunteur.

§ III – Un fonds de garantie institutionnel

30391 La création d’un fonds institutionnel qui garantirait le remboursement de la partie de la dette liée à une surlongévité de l’emprunteur serait de nature à encourager les banques à commercialiser le prêt viager hypothécaire en contrepartie d’un taux non prohibitif, proche des taux proposés pour des prêts classiques et de l’octroi d’un capital plus important. Dans les pays de common law, le risque de longévité exceptionnelle de l’emprunteur fait l’objet d’une couverture spécifique. Aux États-Unis, ce sont des780 assurances contre garanties par un fonds fédéral qui couvrent ce risque.

§ IV – L’ouverture aux prêteurs non professionnels

30392 La loi autorise seulement les établissements de crédit et les établissements financiers à pratiquer le prêt viager hypothécaire. Pourquoi ne pas l’étendre aux prêteurs non professionnels, et notamment au cercle familial ? En effet, un enfant peut souhaiter aider ses parents parce qu’il en a les moyens mais trouve inéquitable de le faire à fonds perdu, s’il a des frères et sœurs qui, eux, ne contribuent pas. Pourquoi ne pas lui permettre de financer la perte d’autonomie de ses parents en leur consentant un prêt viager hypothécaire, à condition d’en encadrer légalement le régime, notamment pour le taux d’intérêt ?

§ V – Une meilleure articulation avec le droit des successions

30393 Nous l’avons vu, le régime du prêt viager hypothécaire occulte totalement le droit des successions. En premier lieu, le délai d’option des héritiers quant au sort de l’immeuble devrait être le même que celui de l’option successorale. En deuxième lieu, la prédominance du droit temporaire au logement du conjoint survivant sur les droits du prêteur devrait être affirmée par le législateur. En troisième lieu, il devrait être clairement précisé que le démembrement de propriété n’entraîne pas l’exigibilité anticipée du prêt s’il résulte du décès du prémourant des coemprunteurs et que l’usufruitier est le coemprunteur survivant, que l’usufruit résulte de sa vocation successorale légale ou conventionnelle. Enfin, l’hypothèse du legs du logement hypothéqué à un tiers peut être problématique pour les héritiers. En effet, si le légataire particulier rembourse le prêt afin de conserver le bien, ou abandonne le bien à la banque pour éteindre la dette, s’agissant d’une dette successorale il pourra exercer un recours contre les héritiers s’ils acceptent la succession. Cette solution est inconcevable mais inévitable en l’état actuel du droit français. Le seul moyen de s’y soustraire serait de faire du prêt viager hypothécaire une dette réelle pesant à titre définitif sur la personne qui reçoit la propriété de l’immeuble donné en garantie781.

750) Ord. no 2006-346 : JO 24 mars 2006, p. 4467.
751) V. not. Rapport du 107e Congrès des notaires de France, Le financement, Cannes, 5-8 juin 2011, nos 4392 à 4425. – Rapport du 112e Congrès des notaires de France, La propriété immobilière, Nantes, 5-8 juin 2016, nos 4271 à 4276. – Rapport du 113e Congrès des notaires de France, Familles, solidarités, numérique, Lille, 17-20 sept. 2017, nos 2137 à 2164. – Rapport du 116e Congrès des notaires de France, Protéger les personnes vulnérables, Paris, 8-10 oct. 2020, nos 1312 à 1320.
752) C. consom., art. L. 315-8.
753) C. consom., art. L. 315-4 à L. 315-6.
754) C. consom., art. L. 315-11.
755) C. consom., art. L. 315-19.
756) C. consom., art. L. 315-12.
757) Rép. min. Meslot : JOAN Q 17 juin 2008, p. 5141.
758)  Sous réserve des éventuelles conséquences du démembrement opéré par le décès.
759) Lors de la conclusion du prêt, le conjoint de l’emprunteur devra donner son accord, en vertu de l’article 215, alinéa 3 du Code civil, à la prise de garantie.
760) C. civ., art. 877.
761) La loi n’impose aucune forme particulière pour la notification. Par sécurité, l’emploi du recommandé est préconisé.
762) C. consom., art. L. 315-21, al. 1er.
763) C. consom., art. L. 315-20, al. 3.
764) C. consom., art. L. 315-15.
765) C. consom., art. L. 315-20, al. 1er.
766) C. consom., art. L. 218-2.
767) Cass. 1re civ., 15 mars 2017, no 15-27.574 : JurisData no 2017-004480. – Cass. 1re civ., 11 mai 2017, no 16-13.278 : JurisData no 2017-008813 ; RD bancaire et fin. 2017, comm. 109, note Mathey.
768) C. consom., art. R. 315-1.
769) C. consom., art. R. 315-2, 1o.
770) C. consom., art. L. 315-18.
771) C. consom., art. R. 315-2, 2o.
772) C. consom., art. L. 315-13 et L. 315-14, al. 1er.
773) C. consom., art. L. 315-22.
774) C. consom., art. L. 315-1, al. 2.
775) Ch. Gijsbers, L’insuccès du prêt viager hypothécaire : JCP N 2016, no 12, 1103.
776) Source : JO Sénat 14 nov. 2019, p. 5690.
777) Financer sa perte d’autonomie : rôle potentiel du revenu, du patrimoine et des prêts viagers hypothécaires (www.insee.fr/statistiques/4173154?sommaire=4173181).
778) A. Masson, Les enjeux du patrimoine et de sa transmission dans nos sociétés vieillissantes : Revue française d’économie 2018/2, vol. XXXIII, p. 179 à 234.
779) Le degré de dépendance des personnes âgées, ou « niveau GIR », est évalué à partir de la grille AGGIR élaborée par des médecins de la Sécurité sociale, de la Société française de gérontologie et par des informaticiens. Cette nomenclature contient six groupes, appelés GIR (Groupes Iso-Ressources). Elle est utilisée pour déterminer les solutions à mettre en place pour une personne âgée pour pallier le manque d’autonomie, et, notamment, dans le cadre de l’attribution de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA). Le prêt viager dépendance serait réservé aux personnes dont l’état nécessite une présence continue (GIR 1) ou une assistance pour la plupart des activités de la vie quotidienne (GIR 2).
780) Ch. Gijsbers, L’insuccès du prêt viager hypothécaire, préc.
781) Ch. Gijsbers, op. cit.
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