CGV – CGU

PARTIE I – Conserver son logement
Titre 1 – Les outils légaux
Sous-titre 2 – Le logement à l’épreuve de la faillite

Chapitre I – Les conditions de la protection du logement de l’entrepreneur individuel

30014 Le statut protecteur de l’entrepreneur individuel suppose la réunion de plusieurs conditions. Rapportées à son logement, ces nouvelles règles sont porteuses de certitudes bienvenues (Section I), mais laissent subsister quelques doutes (Section II).

Section I – Les certitudes apportées par le nouveau statut

30015 Le statut actuel de l’entrepreneur individuel repose sur trois certitudes : il ne protège l’entrepreneur que s’il est réellement individuel (Sous-section I), et le logement que s’il est réellement personnel (Sous-section II). En revanche, le mode de détention du logement est aujourd’hui indifférent (Sous-section III).

Sous-section I – Un entrepreneur strictement individuel

30016 – Notion d’entrepreneur individuel. – La définition de l’entrepreneur individuel est donnée à l’article L. 526-22 du Code de commerce. Il s’agit d’une personne physique exerçant en son nom propre une ou plusieurs activités professionnelles indépendantes. Dès lors, la protection organisée ne vise jamais le chef d’une entreprise exploitée sous forme sociétaire, censé être protégé par l’écran de la personnalité morale. Sont en revanche concernés tous les indépendants :

quelle que soit la nature de leur activité : commerciale, libérale, artisanale, agricole ;

inscrits ou immatriculés sur le registre professionnel relatif à leur activité ;

monoactifs ou pluriactifs ou même liés à des plateformes de type Uber ou Deliveroo ;

célibataires ou en couple143.

30017 – Protection du logement : avantage à l’entreprise individuelle. – Comme l’ont remarqué très justement certains auteurs144, envisagée sous l’angle de la protection du logement, l’entreprise individuelle apparaît aujourd’hui préférable à l’exercice d’une activité en société. En effet, au-delà de l’écran bien connu de la personnalité morale, un dirigeant de société ne bénéficie d’aucun mécanisme protecteur spécifique à son logement. Or, il est certaines situations dans lesquelles son patrimoine personnel doit répondre des dettes de la personne morale qu’il dirige. C’est tout d’abord le cas lorsque le dirigeant a volontairement cautionné la société, situation dangereuse mais très fréquente. C’est encore le cas lorsque la société doit se résoudre à une liquidation judiciaire, et que sont démontrées une faute de gestion ou une confusion de patrimoines contribuant à l’insuffisance de son actif145. Dans le monde des affaires, les dirigeants seraient-ils donc les grands oubliés de la protection légale du logement ? Certains l’ont avancé en suggérant, a minima, une extension de l’insaisissabilité au logement des dirigeants de petites et moyennes entreprises146.
30018 – Opposabilité de la protection. – Lorsque l’entrepreneur doit être inscrit ou immatriculé sur un registre professionnel, c’est ce registre qui permet d’assurer l’opposabilité aux tiers du statut protecteur. La protection s’applique à compter de l’immatriculation et, si l’entrepreneur relève de plusieurs registres, à compter de la date la plus ancienne. Si l’entrepreneur n’est pas sujet à immatriculation, le statut protecteur est applicable dès le premier acte qu’il a exercé en cette qualité147.

Sous-section II – Un logement strictement personnel

30019 – Rappel du mécanisme protecteur. – L’étude des rapports préparatoires à la loi Griset met en exergue la volonté commune des deux assemblées de créer un statut unique et protecteur pour l’entrepreneur individuel. Sans aucun formalisme et sans déclaration préalable, les entrepreneurs individuels disposent désormais de deux patrimoines distincts, l’un personnel, l’autre professionnel. Le nouveau dispositif institue une étanchéité entre le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel, insaisissable par les créanciers professionnels, et le patrimoine professionnel, qui demeure le seul gage de ces derniers.
30020 – Un critère simple. – Le patrimoine privé se définit par exclusion à partir de la définition du patrimoine professionnel. Quant à ce dernier, il se caractérise d’après l’utilité que présentent ses éléments pour l’exercice de l’activité professionnelle indépendante. Le Code de commerce, en son article L. 526-22, alinéa 2, définit le patrimoine professionnel comme étant composé des « biens, droits, obligations et sûretés dont il est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes ». De son côté, le décret du 28 avril 2022148, entré en vigueur le 15 mai 2022, détermine les éléments susceptibles d’être inclus dans le patrimoine professionnel de l’entrepreneur individuel en raison de leur utilité. En effet, l’article R. 526-26, I prévoit que « les biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, utiles à l’activité professionnelle, s’entendent de ceux qui, par nature, par destination ou en fonction de leur objet, servent à cette activité ».
30021 – Application au logement. – Sans entrer dans le détail des interrogations diverses que pourrait susciter la mise en œuvre de ces principe et critère nouveaux, dont il faut bien observer qu’ils peuvent comporter une certaine part de subjectivité, on constate que, par principe, le logement ressortit au patrimoine personnel. A priori, le logement d’un entrepreneur n’a pas, en effet, d’utilité pour l’exercice de sa profession ; il est dès lors un élément de son patrimoine personnel, et soustrait comme tel aux poursuites des créanciers professionnels. Le but, clairement défini par le législateur, est de faciliter la vie des trois millions de travailleurs indépendants, de les aider à créer leur entreprise, à la développer et à la transmettre, tout en leur offrant une meilleure protection contre les aléas de la vie économique149, en particulier en leur garantissant une certaine stabilité de leur cadre de vie.
30022 – Un progrès certain. – Ce critère clair et simple permet d’écarter certaines des critiques formulées quant aux anciens systèmes d’insaisissabilité. Ainsi, dans ces anciens mécanismes, le transfert du logement pouvait entraîner transfert de la protection autrefois exclusivement accordée à la résidence principale. La critique n’est plus aujourd’hui de mise, puisque seule sera considérée l’utilité ou pas d’un immeuble pour l’exercice de l’activité.

Sous-section III – Un mode de détention indifférent

30023 Troisième certitude issue de la loi Griset, le mode de détention du logement, via des droits réels ou sociaux, laisse subsister sa protection.
30024 – Droits réels. – Détenir l’usufruit ou la nue-propriété d’un immeuble ne fait pas obstacle au mécanisme de protection. Il en est de même pour le droit à un bail emphytéotique, portant sur un immeuble non professionnel.
30025 – Droits sociaux. – En revanche, jusqu’au décret du 28 avril 2022151, sous les anciens régimes de l’insaisissabilité, la question de la détention par une société civile du logement de son gérant n’était pas tranchée. Une réponse ministérielle de 2005 avait exclu du bénéfice des articles L. 526-1 et L. 526-2 du Code de commerce, relatifs à la déclaration d’insaisissabilité, la personne physique immatriculée à un registre de publicité légale ayant établi sa résidence principale dans un immeuble appartenant à une société civile dont elle était titulaire de parts sociales152. L’approche est désormais différente. Non seulement le nouveau texte153 énonce que les immeubles servant à l’activité professionnelle font partie intégrante du patrimoine professionnel, « y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel », mais il ajoute : « lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société ». A contrario, il paraît clair que les parts et actions d’une société au travers de laquelle l’entrepreneur individuel détient son logement ressortissent à son patrimoine privé. On constate là un progrès par rapport aux anciens régimes d’insaisissabilité, avec, toujours, le bémol pouvant résulter d’une affectation mixte, qui nous conduit à envisager les doutes que laissent subsister les règles nouvelles.

Section II – Les doutes subsistant dans le nouveau statut

30026 La loi nouvelle ne règle pas complètement le cas des biens à usage mixte, résidentiel et professionnel (Sous-section I). S’il semble que la pratique pourrait anticiper cette difficulté, un vide subsistera dans une autre hypothèse : l’entrepreneur ayant fait le choix d’un habitat « alternatif », en faveur duquel seule une intervention législative pourrait être souhaitée (Sous-section II).

Sous-section I – Une difficulté à prévenir : l’immeuble à usage mixte, résidentiel et professionnel

30027 – Une difficulté non spécifique au logement. – Des difficultés d’exécution sont prévisibles en présence de biens mixtes servant à la fois à l’activité professionnelle et privée. Par exemple, la voiture de l’artisan taxi qui s’en sert également pour les besoins de la vie familiale, l’équipement informatique unique utilisé tantôt à des fins personnelles, tantôt pour l’exercice de l’activité, ou encore le compte bancaire unique qui enregistre à la fois les opérations personnelles et celles d’ordre professionnel (pratique à déconseiller, mais qui, néanmoins, n’est pas interdite). La charge de la preuve, concernant l’inclusion ou non de certains éléments d’actif dans le périmètre du droit de gage général du créancier, pèse non pas sur le créancier mais sur l’entrepreneur154. Dès lors, qu’en est-il de l’immeuble abritant à la fois le logement et la profession ? Son sort est réglé par l’article L. 526-1 du Code de commerce, qui prévoit que « la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire ».
30028 – Une formulation par trop laconique. – Cette formulation est reprise du dernier état de l’ancienne législation sur l’insaisissabilité, dans laquelle il était affirmé que si l’immeuble abritant la résidence principale de l’entrepreneur était également utilisé pour son entreprise, la partie non affectée à l’usage professionnel serait de droit insaisissable, point n’étant nécessaire, depuis 2015, d’établir un état descriptif de division pour la distinguer155. On peut toutefois s’interroger sur la réelle portée de la suppression de cette exigence. En effet, si la saisie va à son terme, un état descriptif de division sera indispensable préalablement à la vente, que celle-ci soit amiable ou forcée. Jusqu’à cette date, c’est sur l’entier immeuble que le commandement doit être publié, ce qui le rend intégralement indisponible… solution peu conforme à l’objectif de protection recherché par le législateur. Dès lors, il pourrait être judicieux pour un entrepreneur prévoyant de « prendre les devants » et d’établir volontairement un état descriptif de division, ce que la loi, qui ne l’y oblige pas, ne lui interdit pas non plus.

Sous-section II – Une intervention législative à envisager : le cas des habitats alternatifs

30029 – Les habitats atypiques, laissés pour compte de la protection. – Les habitations légères – qui seront abordées plus loin156 – devenant de moins en moins marginales, posent d’autant plus question que les entrepreneurs ayant choisi ce type de logements sont nombreux dans les startups. Il s’agit très souvent de biens mobiliers, tels que péniches157 ou mobil-homes. Il est certain que cette nature mobilière les exclut du dispositif protecteur de la déclaration d’insaisissabilité, réservé aux seuls « biens fonciers bâtis ou non bâtis » faisant partie du patrimoine personnel. S’agissant néanmoins de logements, il est permis de s’interroger quant à savoir si une telle exclusion pourra longtemps être maintenue ; toutefois, seule une réécriture du texte peut ici lever la difficulté.

143) A.-L. Thomat-Raynaud et E. Dubuisson, Le « débiteur entrepreneur individuel » et les gages spéciaux des créanciers chirographaires, les nouveaux réflexes pratiques : JCP N 3 juin 2022, no 22-23.
144) M.-C. Larcher, Entrepreneur individuel ou dirigeant de société : qui est le mieux protégé ? : JCP N 2022, no 18, 1157. – M.-C. Larcher et T. Léobon, La responsabilité comparée de l’entrepreneur individuel et du dirigeant de société : JCP N 2022, no 37, 1221.
145) C. com., art. L. 651-1 et s.
146) C. Pisanti, Revisiter la protection du dirigeant de société en s’inspirant de l’entrepreneur individuel : Rev. Lamy dr. civ. avr. 2022, no 202. – C. Pisanti et S. Guillaud-Bataille, Consacrer l’insaisissabilité de la résidence principale du dirigeant de PME : JCP N 23 oct. 2020, no 43, 1218.
147) C. com., art. L. 526-23, al. 3.
148) D. no 2022-725, art. 2.
149) M. C.-A. Frassa, rapporteur pour le Sénat, Compte-rendu intégral des débats, 8 févr. 2022.
150) Cass. com., 18 mai 2022, no 20-22.768.
151) D. no 2022-725, 28 avr. 2022, art. 2.
152) Rép. min. no 52819 : JOAN Q 5 avr. 2005, p. 3540.
153) C. com., art. R. 526-26.
154) C. com., art. L. 526-22, al. 7.
155) L. no 2015-990, 6 août 2015 ; C. com., art. L. 526-1.
156) V. infra, nos 30488 à 30497.
157) V. par ex. : N. Léglise, 1 200 bateaux-logements à Paris et 90 à Lyon. La normalisation d’un habitat atypique : des habitants de péniches-logements, entre demande de reconnaissance et cadre normatif, ENTPE, 29 juin 2015.
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