CGV – CGU

PARTIE II – L’ingénierie notariale au service de la fonction environnementale de l’immeuble
Titre 1 – L’immeuble, élément central du processus de production de certaines énergies renouvelables
Sous-titre 3 – La fin de l’exploitation

Chapitre II – Les solutions contractuelles

10626 – Liberté conventionnelle et anticipation des difficultés. – Nous venons de le voir, la loi n’impose d’obligation de démantèlement qu’à l’exploitant d’installations « produisant de l’électricité à partir de la force mécanique du vent », pour reprendre la terminologie des articles L. 515-44 et suivants du Code de l’environnement. En revanche, tel n’est pas le cas des installations photovoltaïques, lesquelles ne sont pas soumises à la réglementation des ICPE et ne connaissent donc pas de règles impératives à cet égard. Pour autant, la problématique du démantèlement ne doit pas être écartée du contrat liant le propriétaire foncier et l’exploitant, car l’abandon d’installations par suite de la déconfiture de l’exploitant ou de l’extinction du lien contractuel constitue incontestablement un préjudice pour le propriétaire, dont il faut anticiper la réparation.
Que l’on soit en présence d’un bail superficiaire ou d’un contrat établissant la création d’un droit réel de type usufruit ou droit réel de jouissance spéciale, le sort des installations en fin de contrat doit être prévu (Section I). Si le démantèlement constitue une obligation de l’exploitant, les garanties permettant au propriétaire de s’engager en toute sécurité doivent également être formalisées (Section II).

Section I – Le sort des équipements en fin d’exploitation défini par le contrat

10627 – Application de la réglementation des déchets. – L’article R. 543-172 du Code de l’environnement inclut les panneaux photovoltaïques en fin de vie dans la liste des déchets soumis aux dispositions législatives et réglementaires en la matière. La loi no 2020-105 du 10 février 2020, relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire est venue renforcer les obligations des producteurs et détenteurs de déchets. Ceux-ci sont donc soumis à un régime impératif de traitement (Sous-section I), qu’il faut contractuellement organiser entre propriétaire et exploitant de manière à déterminer, dès la conclusion du contrat, les obligations de chacun en vue du respect de ces obligations (Sous-section II).
Sous-section I – Les obligations relatives au sort des déchets
10628 – Définitions. – La qualification des panneaux photovoltaïques obsolètes en déchets trouve son origine dans la réglementation européenne, et notamment dans la directive 2002/96/CE du 27 janvier 2003 relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques, elle-même refondue dans la directive 2012/19/UE, laquelle intégrait dans la liste de tels déchets les panneaux photovoltaïques.
La notion de déchet est définie par l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement : « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ».
Ce texte définit également la notion de détenteur de déchets : « producteur des déchets ou toute autre personne qui se trouve en possession des déchets ». Le propriétaire foncier, en cas d’abandon des installations par l’exploitant, peut donc être concerné par ces obligations.
Enfin, les panneaux photovoltaïques sont spécifiquement inclus dans cette réglementation générale par l’article R. 543-172, 7o dudit code, et se trouvent donc soumis à des normes spécifiques en matière de gestion et traitement, au-delà de l’obligation générale de traitement.
10629 – Obligations légales. – Les obligations du détenteur de déchets sont fixées par l’article L. 541-2 du Code de l’environnement : « Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d’en assurer ou d’en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. Tout producteur ou détenteur de déchets s’assure que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge ».
Concernant la remise en état, qui constitue pourtant l’étape suivante du démantèlement de l’installation2057, il n’existe aucune obligation législative ou réglementaire sur ce point. Ce qui n’est pas le cas, nous l’avons vu, des éoliennes, lesquelles font l’objet d’une obligation légale dès lors qu’elles relèvent de la réglementation des ICPE. Il va donc être indispensable, dans le cadre du contrat liant le propriétaire et l’exploitant, de prévoir dès sa conclusion le sort des installations en fin de bail, la charge du coût du démantèlement et la question de la remise en état du site. C’est à nouveau le notaire, dans son rôle d’ingénieur du contrat, qui va devoir s’emparer de cette problématique pour assurer aux parties une sortie pacifiée.
Sous-section II – La détermination d’obligations conventionnelles
10630 – L’établissement d’obligations précises pour l’exploitant. – Il ne nous semble pas envisageable de généraliser une obligation de démantèlement et de remise en état par une clause type adaptable à tous contrats créant un droit réel au profit de l’exploitant car, d’une part, les contrats peuvent être de type différent (bail ou cession de droit) et, d’autre part, la nature de l’installation peut varier : les contraintes ne seront en effet pas les mêmes qu’il s’agisse de panneaux photovoltaïques en toiture d’immeuble ou d’ombrières surplombant un parking aérien.
10631 – Propriété des équipements de production. – Il s’agit là du point fondamental : en effet, si le contrat ne contient aucune clause à ce sujet, alors l’extinction du droit réel de l’exploitant verra la propriété des constructions qu’il aura lui-même édifiées transférée au propriétaire par le jeu de l’accession de l’article 546 du Code civil. Il faut alors prévoir, par exemple dans l’hypothèse d’un bail à construction, que les constructions édifiées par le preneur resteront sa propriété, et que ce dernier aura alors par conséquent l’obligation de remettre le terrain objet du bail dans l’état dans lequel il l’a trouvé à la prise d’effet du bail2058. Une telle stipulation a été validée par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt du 30 janvier 20082059. Dans une telle hypothèse, le montant du loyer devra donc être fixé sans tenir compte de la remise des constructions en fin de bail, cette remise pouvant constituer un mode de paiement du loyer2060.
Propriété des constructions édifiées par l’exploitant
L’ensemble des constructions édifiées par l’exploitant, ses aménagements ultérieurs, et tous travaux effectués demeureront sa propriété pendant toute la durée du présent contrat.
À l’expiration du présent contrat, qu’il soit arrivé à son terme, ou qu’il soit résilié de façon conventionnelle ou judiciaire, le propriétaire du terrain assiette des constructions renonce d’ores et déjà à la propriété de l’ensemble des constructions et aménagements édifiés par l’exploitant, renonçant expressément au bénéfice des dispositions de l’article 553 du Code civil.
En conséquence l’exploitant conservera la propriété de ces constructions et aménagements sans que la renonciation du propriétaire ait besoin d’être constatée par un acte.
10632 – Travaux de démantèlement et recyclage des matériaux. – Ainsi que nous l’avons vu, les panneaux photovoltaïques en fin d’exploitation constituent des déchets et, à ce titre, font l’objet d’une obligation de traitement.
Si le contrat prévoit la conservation par l’exploitant de la propriété des installations, il doit également préciser que ce dernier conserve la responsabilité de l’exécution des travaux de démantèlement qui seront réalisés à son initiative et sous sa surveillance, de sorte que le propriétaire ne puisse être inquiété à ce sujet, notamment en sa qualité de détenteur final, s’il devait subsister sur le terrain d’assiette des éléments susceptibles de constituer des déchets au sens de l’article L. 541-1 du Code de l’environnement. Pour renforcer l’efficacité de cette clause, il sera alors recommandé de faire établir un état des lieux au jour de la prise d’effet du contrat et un autre le jour de la remise du terrain au propriétaire, afin de permettre le contrôle de la bonne exécution de son obligation par le débiteur. Cette clause pourrait utilement être assortie d’une astreinte financière afin d’anticiper la difficulté de travaux non achevés, voire non entamés à la date prévue pour la fin de l’occupation.
Obligation de remise en état du terrain objet de la convention
Comme conséquence de la renonciation à l’accession par la propriétaire ci-dessus énoncée, l’exploitant s’oblige, dans le délai de trois mois suivant la fin des présentes conventions, à remettre l’immeuble objet des présentes dans l’état dans lequel il se trouve à ce jour ou dans lequel il se trouvera le jour de la prise d’effet des présentes si celle-ci n’a pas lieu ce jour.
Un état des lieux établi par Me …., huissier de justice à .… est demeuré annexé aux présentes (ou : sera établi avant la prise d’effet des présentes et remis au notaire soussigné en vue du dépôt au rang de ses minutes).
Si, à la fin du troisième mois suivant l’expiration ou la résiliation du présent contrat, les travaux de remise en état et d’évacuation des déchets ne sont pas intégralement réalisés, l’exploitant sera alors redevable d’une astreinte égale à un montant de .… par jour de retard.
10633 – Charge financière des travaux. – Dans l’hypothèse où l’exploitant conserve la propriété des installations et que les obligations de démantèlement et de recyclage ont été mises à sa charge, il faut également prévoir qu’il assurera le financement de ces travaux et que la remise en état du terrain se fera à ses frais exclusifs. Cependant, il pourra être prévu une prise en charge commune par l’exploitant et le propriétaire si le démantèlement impliquait, par exemple, la nécessité d’exécuter des travaux sur des constructions dont il était prévu qu’elles restent la propriété du propriétaire. Dans un tel cas, et toujours dans le but de prévenir les difficultés susceptibles de survenir en fin d’exploitation (et donc à long terme, possiblement avec les ayants-droit du propriétaire personne physique), il conviendra d’envisager, dès la conclusion du contrat liant propriétaire et exploitant, les obligations de chaque partie dans le cadre spécifique du démantèlement des installations.
La création d’une obligation générale de démantèlement et de remise en état du site ne peut suffire : en effet, il nous semble impératif, afin de conforter cette obligation et d’éviter un abandon pur et simple des installations par l’exploitant sur le site une fois celles-ci devenues obsolètes, de prévoir une constitution de garanties solides protégeant le propriétaire contre un tel risque.

Section II – Les garanties envisageables

10634 – Définitions. – Le terme de « garantie » recouvre un très large champ de définition et d’application. On peut définir la garantie comme « tout mécanisme qui prémunit une personne contre une perte pécuniaire »2061, ou comme « un mécanisme qui confère au créancier la possibilité de se garantir contre le risque d’insolvabilité de son débiteur »2062. Plus précisément encore, et devant être analysée comme une forme particulière de garantie, la sûreté constitue le mécanisme permettant au créancier « d’obtenir le paiement de ce qui lui est dû en cas d’inexécution de son débiteur »2063. Dans la problématique de l’obligation de démantèlement et de remise en état, c’est donc dans le large champ des sûretés qu’il nous semble opportun de rechercher quelles pourraient être les garanties les plus adaptées aux obligations particulières de l’exploitant en la matière.
Deux types de sûretés peuvent être distingués : les sûretés personnelles, d’une part (Sous-section I), et les sûretés réelles, d’autre part (Sous-section II).
Sous-section I – Les sûretés personnelles
10635 – Définition et classification. – La sûreté personnelle peut se définir comme « la sûreté consistant dans l’engagement envers le créancier, d’un ou plusieurs autres débiteurs »2064. Les sûretés personnelles sont au nombre de trois : le cautionnement (§ I), la garantie autonome (§ II) et la lettre d’intention (§ III)2065.

§ I – Le cautionnement

10636 – Définition et régime. – Le cautionnement est défini par l’article 2288 du Code civil. Il s’agit de l’engagement par une personne d’exécuter l’obligation à laquelle s’était engagé le débiteur principal. Il s’agit dès lors d’un engagement accessoire qui ne peut engager la caution au-delà des engagements souscrits par le débiteur principal. Son régime est très protecteur de la caution dès lors qu’il s’agit d’une personne physique profane, et très largement réglementé, voire prohibé dans certains cas s’agissant d’une personne morale2066.
10637 – Opportunité. – Cette sûreté est-elle adaptée pour garantir une obligation conventionnelle de démantèlement et de remise en état du site à la fin de son exploitation ? La question de la durée du contrat est ici déterminante. Selon nous, il apparaît particulièrement inopportun d’exiger de l’exploitant une telle constitution de garantie. En effet compte tenu, d’une part, de la difficulté de chiffrer vingt ou trente ans à l’avance le coût des travaux de remise en état du site, et également, d’autre part, de l’engagement potentiellement indéfini de la caution2067, il est à craindre que très peu de personnes, qu’elles soient physiques ou morales, et même s’agissant d’un établissement financier, soient disposées à s’engager de la sorte.

§ II – La garantie autonome

10638 – Définition. – La garantie autonome est définie par l’article 2321 du Code civil comme « l’engagement par lequel le garant s’oblige, en considération d’une obligation souscrite par un tiers, à verser une somme soit à première demande, soit suivant des modalités convenues ». Cette garantie, née dans les contrats internationaux, est entrée dans le Code civil à l’occasion de la réforme des sûretés portée par l’ordonnance no 2006-346 du 23 mars 2006.
Cette garantie est caractérisée par son autonomie : cela signifie que l’objet de la garantie est indépendant de l’obligation souscrite par le débiteur ; par conséquent, le garant ne peut opposer aucune exception tenant à la personne ou à l’obligation garantie. Le garant doit donc payer non pas ce que doit le débiteur, mais une somme déterminée censée constituer la couverture du risque d’inexécution2068.
10639 – Opportunité. – En raison de son caractère autonome et indépendant, cette sûreté personnelle nous semble adaptée à la problématique d’un démantèlement et d’une remise en état d’un site ayant accueilli une unité de production d’électricité.
Dès lors, il resterait à prévoir le montant de la somme à payer par le garant pour le cas où le débiteur n’exécuterait pas son obligation de démantèlement. Toutefois, il est impératif de veiller à ce que l’objet de la garantie (la somme due par le garant) soit autonome de l’obligation du débiteur : en effet, la garantie ne saurait avoir pour assiette le coût non déterminé du démantèlement, car son montant doit être fixé dès sa constitution. Car ce qui est dû par le garant, c’est la somme stipulée dans l’acte constituant la garantie, et non la dette du débiteur2069. L’objet de la garantie ne pourra alors être qu’une somme précise, déterminée forfaitairement. Le risque étant qu’en cas de manquement à son obligation par le débiteur, la somme garantie ne suffise pas à réparer le préjudice du propriétaire pour le cas où le coût des travaux de remise en état s’avérerait supérieur.

§ III – La lettre d’intention

10640 – Définition. – De la même manière que la garantie autonome, la lettre d’intention a été intégrée dans le droit des sûretés par l’ordonnance no 2006-346 du 23 mars 2006. L’article 2322 du Code civil la définit comme « l’engagement de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien apporté à un débiteur dans l’exécution de son obligation envers son créancier ». Fruit de la pratique, la lettre d’intention a été principalement mise en œuvre dans les rapports entre société mère et filiale2070. Toutefois, s’agissant d’une obligation de faire ou de ne pas faire ayant pour objet le soutien du débiteur, le manquement par le garant à ses engagements ne peut être sanctionné que par l’octroi de dommages et intérêts au profit du créancier, et en aucun cas par l’exécution forcée des obligations du débiteur.
10641 – Opportunité. – La lettre d’intention pourra être utilisée, selon nous, pour garantir l’obligation de remise en état à la charge de l’exploitant, dès lors que ce dernier est la filiale d’une société ou d’un groupe de sociétés de plus grande importance disposant de capacités financières élevées, et pour qui le coût financier de remise en état du site ne constitue pas un obstacle majeur à son engagement.
Toutefois, il faut là encore attirer l’attention du praticien sur l’obstacle que crée le temps long de l’exploitation du site. Comme nous l’avons vu, vingt à trente ans vont s’écouler entre le jour où l’obligation sera souscrite et le jour où elle devra être exécutée. Rien ne pouvant a priori garantir que la société exploitante sera toujours détenue par les mêmes personnes trente ans plus tard, est-il réaliste d’envisager que de tels engagements puissent être pris par un actionnaire principal ? Comme pour le cautionnement et la garantie autonome, le principal obstacle à la mise en place de ces sûretés risque donc de résulter de la réticence des garants à s’engager sur une aussi longue période.

Sous-section II – Les sûretés réelles

10642 – Une alternative à la sûreté personnelle. – L’idée de garantir l’obligation de remise en état à la charge de l’exploitant ne doit pas être abandonnée dans la contractualisation des rapports avec le propriétaire du site au motif qu’il sera difficile d’obtenir d’un tiers l’engagement nécessaire. Si l’établissement d’une sûreté personnelle efficace peut sembler compromis, il faut alors se tourner vers les sûretés réelles pour tenter de trouver une solution susceptible de convenir au propriétaire sans que cela ne représente un coût exorbitant pour l’exploitant. Parmi le large champ des sûretés de cette nature, deux nous semblent présenter un intérêt certain : le nantissement de compte (§ I) et la propriété d’une somme d’argent cédée à titre de garantie, ou « gage-espèces », tel qu’envisagé par la réforme des sûretés (§ II). L’idée étant en outre de s’inspirer des mécanismes de constitution de garanties financières liées à l’obligation de démantèlement des éoliennes, prévus par l’article L. 515-46 du Code de l’environnement, et précédemment évoqués.

§ I – Le nantissement de compte

10643 – Définitions et régime. – Le nantissement de compte est une forme particulière de nantissement de créance2071. Son régime spécifique découle de l’article 2360 du Code civil : « Lorsque le nantissement porte sur un compte, la créance nantie s’entend du solde créditeur, provisoire ou définitif, au jour de la réalisation de la sûreté sous réserve de la régularisation des opérations en cours, selon les modalités prévues par les procédures civiles d’exécution ». Par ailleurs, l’article 2355 du Code civil définit le nantissement de bien incorporel comme « l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs ».
Consenti par écrit à peine de nullité et opposable aux tiers dès sa constitution, le nantissement de créance peut porter sur des créances présentes ou futures et s’étend aux accessoires de la créance, sauf volonté contraire des parties. Il peut également être consenti par le débiteur pour une durée indéterminée, et prend effet entre les parties et devient opposable aux tiers à la date de l’acte2072. Enfin, il est opposable au débiteur de la créance nantie soit lors de la notification, soit lors de l’intervention du débiteur à l’acte2073.
10644 – Opportunité. – Le nantissement d’un compte bancaire, en vue de la garantie de l’exécution par l’exploitant de son obligation de démantèlement, peut-il donc constituer pour le propriétaire une garantie solide ? Son régime, tel que nous venons brièvement de l’exposer, peut paraître séduisant pour le propriétaire. Toutefois le laps de temps devant s’écouler entre la naissance de l’obligation et son exécution peut fragiliser la garantie, plus précisément en raison de la caractéristique principale du nantissement de compte qui est de porter sur le solde existant au jour de la mise en œuvre de la sûreté. Cela signifie que le créancier ne peut connaître le montant du solde qu’au jour de l’exécution de la garantie2074. Il faut permettre à ce dernier d’exercer sinon un contrôle, tout du moins un blocage du compte si les mouvements intervenus laissent présager une dégradation de la garantie, voire sa disparition.
10645 – Mise en place pratique du nantissement de compte. – Cette garantie doit constituer un élément déterminant du contrat liant le propriétaire et l’exploitant. Le rédacteur de la convention devra donc veiller particulièrement à son contenu, lequel devra comprendre a minima selon nous :

l’engagement du débiteur de ne pas clôturer le compte nanti le temps du nantissement ;

le maintien du solde du compte au-dessus d’un certain seuil ;

un reporting régulier par l’établissement bancaire teneur du compte au profit du créancier ;

la prévision d’un blocage du compte par l’établissement teneur en cas de survenance de certains événements (par ex., un solde devenu inférieur au minimum prévu par la convention).

Le blocage du compte constitue le moyen de contrôle le plus efficace du créancier. Cependant, la banque ne peut de son propre chef bloquer le compte. Elle doit pour cela avoir reçu ordre du titulaire. Donc, une fois la convention signée, outre la notification à l’établissement teneur de compte, le débiteur devra également indiquer à la banque :

avoir autorisé le créancier nanti à émettre une instruction de blocage de compte ;

lui donner mandat spécial à l’effet d’exécuter ce blocage dans les conditions prévues aux termes de l’acte de nantissement2075.

Ce n’est donc qu’à ces conditions que le nantissement de compte pourra constituer une garantie efficace pour le propriétaire créancier de l’obligation de remise en état.

§ II – La propriété cédée à titre de garantie : le « gage-espèces »

10646 – Définition et régime. – Le gage peut être défini comme une « sûreté réelle conventionnelle portant sur un meuble corporel »2076 et désigne également la convention le constituant, l’article 2333 du Code civil précisant que le gage est « une convention par laquelle le constituant accorde à un créancier le droit de se faire payer par préférence à ses autres créanciers sur un bien mobilier ou un ensemble de biens mobiliers corporels, présents ou futurs ». La nouveauté introduite par la réforme portée par l’ordonnance no 2006-346 du 23 mars 2006 est que le gage peut être constitué sans dépossession. Cette convention n’est donc plus un contrat réel, puisqu’elle peut être régularisée sans remise effective de la chose objet du gage. Ce contrat reste toutefois un contrat solennel, car un écrit est exigé à titre de validité2077 (à l’exception toutefois du gage commercial pouvant être constaté par tout moyen)2078.
Le gage peut porter sur des choses fongibles, qu’il soit avec dépossession ou sans dépossession. Dans ce dernier cas, le débiteur peut les aliéner si la convention le prévoit, à charge pour lui de les remplacer par la même quantité de choses équivalentes2079.
10647 – Gages spéciaux. – Outre le droit commun du gage, tel que défini par les articles 2333 et suivants du Code civil, il existe un certain nombre de gages spéciaux2080, dont l’un nous semble particulièrement adapté à la problématique de la constitution d’une sûreté garantissant l’obligation de démantèlement de l’exploitant : le gage-espèces. Longtemps ignoré par les textes, mais connaissant une application pratique assez développée, la réforme des sûretés contenue dans l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021 consacre l’existence légale du « gage-espèces » par la création d’un régime spécifique aux cessions de somme d’argent à titre de garantie.
10648 – Pratique du « gage-espèces » avant la réforme des sûretés. – Ce gage porte donc sur une somme d’argent, que le débiteur peut remettre soit directement au créancier, soit entre les mains d’un tiers (on parlera alors d’entiercement). Si la somme d’argent constituant l’assiette du gage est remise au créancier ou à un tiers convenu, celui-ci devra alors tenir cette somme séparée de ses autres actifs financiers2081. Il peut dorénavant en disposer, à charge pour lui de remplacer les choses gagées par « la même quantité de choses équivalentes »2082. Le possesseur du gage sera obligé à la conservation de la somme et la sanction en cas de non-respect de cette obligation sera la possibilité pour le constituant de demander sa restitution2083. Le contrat de gage pourra également prévoir qu’en cas de défaut d’exécution de la part du constituant débiteur, le créancier deviendra alors propriétaire des biens gagés2084.
10649 – Une consécration légale. – Les travaux ayant mené à la réforme des sûretés portée par l’ordonnance no 2006-346 du 23 mars 2006 envisageaient la création d’un nantissement de monnaie scripturale sous trois formes : l’affectation en garantie d’un solde de compte en fonctionnement ; l’affectation en garantie de fonds inscrits en compte bloqué ; enfin, l’affectation en garantie de monnaie scripturale remise directement au créancier2085. Cela n’avait alors pas été repris par le législateur. L’avant-projet de réforme des sûretés élaboré par l’association Henri Capitant reprenait également cette idée de nantissement de monnaie scripturale. À nouveau cette voie n’a pas été retenue par les pouvoirs publics dans le cadre de l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021.
Pour autant, l’idée de constituer une garantie au moyen d’une somme d’argent a été reprise, et le « gage-espèces » fait maintenant, aux termes de cette ordonnance, l’objet d’un régime particulier, défini par les articles 2374 et suivants du Code civil. Dénommé « cession de somme d’argent à titre de garantie », ce régime, rattaché au régime de la propriété retenue ou cédée à titre de garantie, prévoit pour l’essentiel :

la cession à titre de garantie d’une somme d’argent (il y a donc dépossession) ;

l’obligation d’une constitution d’une telle garantie par écrit, à peine de nullité ;

la possibilité offerte au cessionnaire, à défaut de convention contraire, de disposer librement de la somme ainsi cédée.

Ce régime prévoit également la détermination dans l’acte constitutif du montant de la créance garantie, ou tout du moins son évaluation : compte tenu de l’impossibilité déjà évoquée de déterminer le montant du coût final de démantèlement des unités de production d’électricité, il n’y aura dès lors pas d’autre solution que de fixer forfaitairement le montant de la créance garantie.
10650 – Opportunité et mise en place pratique. – La constitution d’un « gage-espèces » en garantie d’une obligation de démantèlement et de remise en état de l’immeuble ayant supporté une installation de production d’électricité décarbonée nous semble donc la solution la plus adaptée à cette situation. Pratiquement, on pourrait imaginer que la constitution de ce gage soit un élément du contrat liant le propriétaire et l’exploitant. La somme gagée serait alors déterminée dès la conclusion dudit contrat (avec pour seule réserve la difficulté de chiffrer en amont le coût du démantèlement), et le gage constitué au moyen de versements réguliers (en plus du loyer dans le cadre d’un bail superficiaire par exemple) entre les mains d’un tiers convenu désigné dans le contrat. Nous préconisons ici la solution de l’entiercement car, dans une optique d’équilibre contractuel et compte tenu de l’éloignement temporel du terme, une dépossession au profit du propriétaire créancier ne nous semble pas judicieuse, car dangereuse.

2057) JCl. Environnement et Développement durable, Fasc. 4430, Aspects juridiques du développement de projets d’installations photovoltaïques, par J. Duval.
2058) JCl. Notarial Formulaire, Fasc. 10, Bail à construction, par B. Stemmer.
2059) Cass. 3e civ., 30 janv. 2008, no 06-21.292 : Bull. civ. 2008, III, no 14.
2060) CCH, art. L. 251-5, al. 1 : « Le prix du bail peut consister, en tout ou partie, dans la remise au bailleur, à des dates et dans des conditions convenues, d’immeubles ou de fractions d’immeubles ou de titres donnant vocation à la propriété ou à la jouissance de tels immeubles ».
2061) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Assoc. H. Capitant, PUF, 13e éd., 2020.
2062) JCl. Commercial, Synthèse, Garanties du crédit, par D. Legeais.
2063) Ibid.
2064) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Assoc. H. Capitant, PUF, 13e éd., 2020.
2065) C. civ., art. 2287-1.
2066) V. not. le formalisme très protecteur de la mention manuscrite de l’article L. 333-1 du Code de la consommation, ainsi que la prohibition des cautionnements consentis par une SARL ou une SA au profit de ses dirigeants.
2067) Le cautionnement pouvant porter sur une ou plusieurs obligations du débiteur, et ce sans limites : V. en ce sens, JCl. Commercial, Synthèse, Garanties du crédit, no 20, par D. Legeais.
2068) JCl. Civil Code, Synthèse, Garanties autonomes et lettres d’intention, par Ph. Simler.
2069) V. par ex., Cass. com., 16 juin 2009, no 08-17.490 : JurisData no 2009-048736 ; JCP G 2009, doctr. 492, obs. Simler ; RD bancaire et fin. 2009, comm. 154, obs. Legeais. – Cass. com., 3 juin 2014, no 13-17.643 : JurisData no 2014-012246 ; JCP G 2014, doctr. 1162, obs. Simler ; RD bancaire et fin. 2014, comm. 134, obs. Cerles.
2070) JCl. Civil Code, Synthèse, Garanties autonomes et lettres d’intention, par Ph. Simler.
2071) JCl. Commercial, Synthèse, Garanties du crédit, par D. Legeais.
2072) C. civ., art. 2361.
2073) D. Legeais, op. cit.
2074) A. Barsac et M. Roussille, Blocage d’un compte bancaire nanti. Réflexions sur la tenue de compte : RD bancaire et fin. mai 2014, no 3, étude 10.
2075) A. Barsac et M. Roussille, ibid.
2076) G. Cornu, Vocabulaire juridique, Assoc. H. Capitant, PUF, 13e éd., 2020.
2077) C. civ., art. 2336.
2078) C. com., art. L. 521-1, al. 1er.
2079) C. civ., art. 2342.
2080) Le nombre de ces gages a été réduit par la réforme des sûretés contenue dans l’ordonnance du 15 septembre 2021 : warrants hôteliers et gage sur les stocks de guerre ont par exemple été supprimés.
2081) C. civ., art. 2341.
2082) C. civ., art. 2341, al. 2.
2083) C. civ., art. 2344, al. 1.
2084) C. civ., art. 2348, al. 1.
2085) S. Torck, Les garanties réelles mobilières sur les biens fongibles après l’ordonnance du 23 mars 2006 relative aux sûretés : RD bancaire et fin. juill. 2006, no 4, étude 12.
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