CGV – CGU

PARTIE I – L’ingénierie notariale au service de la mutation de l’immeuble
Titre 1 – Ingénierie notariale et préparation du contrat immobilier
Sous-titre 2 – Proposer et anticiper le contrat immobilier

Chapitre IV – Ingénierie notariale et fiscalité immobilière

10197 En matière fiscale, l’ingénierie notariale se développe aussi pleinement. Elle doit être mise en œuvre au service de nos clients et de l’État, afin de leur permettre d’anticiper les éventuelles difficultés et d’appréhender les contentieux pouvant en résulter. Il nous appartient ainsi de maîtriser les contours de l’abus de droit (et du « mini-abus de droit ») (Section I), d’informer nos clients en matière de défiscalisation immobilière (Section II) et d’être en mesure d’appréhender les points de vigilance fiscaux dans un contexte international (Section III).

Section I – Ingénierie notariale et abus de droit : anticiper le contentieux fiscal

10198 La problématique de l’abus de droit a connu des évolutions récentes, et il est nécessaire de bien en cerner les contours (Sous-section I) afin de développer une ingénierie notariale adaptée à cette matière (Sous-section II).

Sous-section I – Les contours de l’abus de droit

10199 – Les contours de l’abus de droit. – Une nouvelle procédure dite du « mini-abus de droit » (§ II) a été instituée récemment et doit être distinguée de l’abus de droit classique (§ I).

§ I – L’abus de droit classique. Rappels

10200 – Définition de l’abus de droit. – Maurice Cozian avait défini l’abus de droit comme suit : « L’abus de droit est le châtiment des surdoués de la fiscalité. Il est un péché non contre la lettre, mais contre l’esprit de la loi. C’est enfin un péché de juriste ; l’abus de droit est une manipulation des mécanismes juridiques là où la loi laisse place à plusieurs voies pour obtenir un résultat ; l’abus de droit, c’est l’abus des choix juridiques »170.
10201 – Les deux éléments caractéristiques de l’abus de droit. – La démonstration d’un abus de droit nécessite la réunion de deux éléments :

un élément objectif : l’utilisation d’un texte à l’encontre des intentions de son auteur ;

un élément subjectif : la volonté d’éluder l’impôt.

10202 – Les deux formes de l’abus de droit. – L’abus de droit fiscal classique est susceptible de prendre deux formes :

la simulation juridique, qui suppose la création volontaire d’une contradiction entre l’apparence et la réalité, en vue de tromper les tiers (comme par exemple une donation déguisée en vente afin d’éluder une partie des droits de mutation) ;

la fraude à la loi, qui renvoie au détournement de la finalité de la règle de droit (définie comme l’objectif poursuivi par le législateur), dans un but exclusivement fiscal (c’est-à-dire avec pour seul objectif d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que le contribuable aurait normalement supportées si l’acte n’avait pas été réalisé), comme par exemple le recours à un montage juridique et économique artificiel).

§ II – La nouvelle procédure dite du « mini-abus de droit »

10203 Depuis le 1er janvier 2021, la nouvelle procédure dite du « mini-abus de droit » de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales171 est applicable aux rectifications notifiées depuis cette date et portant sur des actes passés ou réalisés à compter du 1er janvier 2020. Cette nouvelle procédure, instituée par la loi de finances pour 2019, permet à l’administration d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer la charge fiscale qui aurait normalement dû être supportée si l’acte n’avait pas été passé ou réalisé172. La notion de motif principal est, en tant que telle, plus large que la notion de but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales.
10204 – Le mini-abus de droit limité à la fraude à la loi. – Le « mini-abus de droit » ne vise que l’une des deux hypothèses de l’abus de droit classique, à savoir l’abus de droit par fraude à la loi.
10205 – Abus de droit et mini-abus de droit subsidiaire. – Le « mini-abus de droit » présente un caractère subsidiaire par rapport à l’abus de droit classique visé à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales. Lorsque l’abus peut être caractérisé sur le fondement de l’abus de droit classique, la procédure du « mini-abus de droit » doit être écartée173.
Pour appliquer la procédure de l’article L. 64 A précité, l’administration doit démontrer que l’acte litigieux a pour motif principal d’atténuer ou d’éluder les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles si ces actes n’avaient pas été réalisés. Cette condition illustre la distinction majeure entre les deux procédures d’abus de droit prévues par le Livre des procédures fiscales : alors que l’article L. 64 suppose la poursuite d’un but exclusivement fiscal pour retenir l’abus de droit classique, l’article L. 64 A postule la poursuite d’un but principalement fiscal pour caractériser le mini-abus de droit.
10206 – Le mini-abus de droit ne concerne pas l’impôt sur les sociétés. – Les dispositions de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales ne font pas obstacle à l’application de celles de l’article 205 A du Code général des impôts174. Elles concernent par conséquent tous les impôts, à l’exception de l’impôt sur les sociétés dont les rectifications sont exclusivement régies par une clause générale anti-abus, codifiée à l’article 205 A précité.
10207 – Conséquences de la qualification d’abus de droit fiscal. – La qualification d’abus de droit fiscal, au sens de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, emporte plusieurs sanctions :

rehaussement des droits en principal : la qualification d’abus de droit emporte l’inopposabilité de l’acte litigieux à l’administration fiscale, qui est donc en droit de l’écarter pour rehausser les impôts éludés ;

application de l’intérêt de retard et des pénalités de recouvrement175.

10208 – Les atténuations de la procédure de mini-abus de droit. – Deux tempéraments sont apportés à la procédure de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales :

la possibilité de recourir au rescrit : les contribuables souhaitant sécuriser le traitement fiscal d’une opération peuvent, préalablement à la réalisation de ladite opération, consulter par écrit l’administration en lui fournissant tous les éléments utiles. L’absence de réponse dans un délai de six mois ou la confirmation que l’opération présentée ne constitue pas un abus de droit fait obstacle à tout rehaussement sur le fondement de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales ; l’inconvénient étant bien sûr que cette procédure entraîne la révélation du montage prévu ;

d’autre part, la compétence du Comité de l’abus de droit fiscal (CADF) est étendue à la procédure d’abus de droit de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales. L’administration précise à cet égard que le Comité est saisi et rend son avis dans les mêmes conditions que pour la procédure prévue à l’article L. 64 du même livre.

Sous-section II – Abus de droit et ingénierie notariale

10209 – Plan. – Une fois cernées les notions d’abus de droit et de mini-abus de droit, il convient, afin d’anticiper un contentieux, d’éviter de tomber sous le coup des sanctions y afférentes dans les opérations immobilières envisagées. Nous reviendrons sur l’importance des devoirs de conseil et d’information du notaire en cette matière tout particulièrement (§ I), avant d’envisager plusieurs applications pratiques (§ II) puis l’impact de la réforme de l’abus de droit sur les stratégies patrimoniales et le devoir de vigilance du notaire (§ III).
10210 – Précision. – Dans les développements qui suivent, et sauf précision contraire, le terme « abus de droit » renvoie à la notion d’abus de droits classique et à la notion de mini-abus de droit.

§ I – Devoirs de conseil et d’information du notaire en matière d’abus de droit

10211 – Conserver à l’esprit les limites de l’abus de droit lors d’une opération immobilière. – Lors de l’accompagnement d’un client dans un investissement (ou un arbitrage) immobilier, il est important de toujours vérifier que les limites de l’abus de droit ne sont pas trop proches, voire franchies. Il nous appartient d’avertir nos clients et d’attirer leur attention sur le cadre légal et les positions de l’administration dans le domaine concerné.
10212 – Responsabilité notariale et sanctions. – Dans un contexte de contentieux fiscaux de plus en plus lourds, le rôle et la responsabilité du notaire sont fondamentaux176. Grâce à sa connaissance fiscale, à son conseil anticipé et éclairé, le notaire analysera la situation globale de son client pour lui présenter les pistes possibles pour atteindre le résultat souhaité, le tout dans les limites de l’abus de droit rappelées précédemment. En cas de fraude ou de fictivité de la stratégie patrimoniale envisagée, le notaire doit refuser d’instrumenter. À défaut, l’article 1742 du Code général des impôts prévoit le délit de complicité de fraude fiscale, indépendamment des sanctions administratives, fiscales et sociales prévues par la loi no 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, avec notamment une amende fiscale mentionnée au nouvel article 1740 A bis du Code général des impôts.
10213 – Devoir de conseil, défaut de conseil ou conseil inexact. – Le notaire peut conseiller ses clients sur les possibilités fiscales s’ouvrant à eux, mais il en a également le devoir. En outre, cette obligation de conseil a un caractère absolu, car elle pèse sur le notaire même si le client est assisté d’un autre professionnel. Un notaire n’est pas déchargé de son devoir de conseil par la présence d’un autre notaire ou d’un avocat177. Le professeur Jean Prieur rappelait qu’« on a découvert chez le notaire un véritable ingénieur patrimonial, au service d’une même cause : l’optimisation, c’est-à-dire la recherche de la pertinence et de la performance des choix (…). Le notaire peut être exposé à l’inexécution de son devoir de conseil ; on peut lui reprocher d’avoir mal conseillé, voire de ne pas avoir conseillé »178. Un auteur évoque même le « devoir d’optimisation fiscale » du notaire179.
Par ailleurs, le conseil doit être pertinent et exhaustif. En matière fiscale comme ailleurs, le devoir de conseil est étendu : le notaire n’a pas le droit à l’erreur ou à l’approximation180. Il doit s’informer, se former, et se tenir régulièrement à jour des évolutions jurisprudentielles et administratives.

§ II – Applications pratiques. Quelques exemples

10214 – Il n’est pas interdit de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal. – Il ressort des commentaires administratifs que l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, « pas plus que l’abus de droit visé à l’article L. 64 du LPF, n’a pour objet d’interdire au contribuable de choisir le cadre juridique le plus favorable du point de vue fiscal pourvu que ce choix ou les conditions le permettant ne soient empreints d’aucune artificialité »181. Cette position est notamment fondée sur une réponse ministérielle qui affirme que « le choix par le contribuable de la voie fiscale la moins onéreuse est admis tant par les juges nationaux et communautaires que par l’administration fiscale, qui en tire les conséquences de droit »182. Le principe de liberté des choix fiscaux avait par ailleurs été consacré par le Conseil d’État sous l’empire de l’abus de droit de l’époque183.
10215 – Plan. – Afin de mettre en pratique les contours de l’abus de droit (et du mini-abus de droit), nous prendrons ici les exemples des opérations impliquant un démembrement de propriété (A), les opérations dites de « donation-cession » (B), les acquisitions en tontine (C) et les acquisitions par l’intermédiaire d’une société civile immobilière (D).
A/ Abus de droit et démembrement de propriété
10216 – Des opérations démembrées validées. – À propos des stratégies immobilières impliquant un démembrement de propriété, une réponse ministérielle a précisé que « l’intention du législateur n’est pas de restreindre le recours aux démembrements de propriété dans les opérations de transmissions anticipées de patrimoine, lesquelles sont, depuis de nombreuses années, encouragées par d’autres dispositions fiscales »184.
En outre, dans un communiqué de presse postérieur à la réforme de l’abus de droit fiscal, l’administration fiscale indique que « la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit du bien transmis (…) »185.
Les « opérations de transmissions anticipées de patrimoine » sont notamment les opérations de démembrement de propriété, par lesquelles le donateur peut :

se réserver l’usufruit du bien transmis, et céder la nue-propriété dudit bien ;

transmettre l’usufruit temporaire d’un bien et conserver la nue-propriété dudit bien.

Le législateur ayant entendu favoriser ce type de transmission par des dispositions fiscales incitatives, la mise en œuvre d’une transmission pour des raisons principalement fiscales ne serait, dès lors, pas constitutive d’un abus de droit.
B/ Abus de droit et opérations de « donation-cession »
10217 – L’arrêt Motte-Sauvaige. – Les opérations dites « de donation-cession » qui consistent généralement pour des parents à donner à leurs enfants des titres ou immeubles, avant que ceux-ci ne soient cédés à un tiers en purge de la plus-value de cession, ne semblent pas pouvoir être poursuivies sur le terrain du mini-abus de droit fiscal. L’arrêt Motte-Sauvaige rendu par le Conseil d’État le 30 décembre 2011186 (statuant dans le cadre de l’abus de droit classique de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales) a validé la méthode. L’administration ne peut contester que la fictivité de l’acte de donation (abus de droit par simulation), et non le but exclusivement fiscal de l’opération dans son ensemble (abus de droit par fraude à la loi). Or le mini-abus de droit ne porte que sur des hypothèses de fraude à la loi.
10218 – Points de vigilance en matière de donation-cession. – Comme évoqué précédemment (V. supra, nos 10136 et s.), l’opération de donation-cession a pour effet fiscal de purger la plus-value latente sur l’immeuble avant sa cession. Il conviendra toutefois, pour éviter le risque de requalification en abus de droit :

que la chronologie des opérations soit respectée : la donation doit être antérieure à la cession (nous renvoyons à ce propos aux développements en matière de date de cession ; V. supra, no 10137). À cet égard la jurisprudence considère qu’une donation même réalisée avec un bref délai avant la vente n’est pas constitutive d’un abus de droit fiscal187 ;

que le prix de cession ne soit pas appréhendé après la vente par le donateur (en l’absence de convention de quasi-usufruit préalable).

10219 – Donation-cession et convention de quasi-usufruit. – Il est possible de prévoir une convention de quasi-usufruit sur le prix de cession. Mais elle doit intervenir en amont de l’opération de cession, pour éviter que la donation de nue-propriété soit considérée comme fictive et l’usufruitier tenu pour seul vendeur du bien. En pratique, tout doit être fixé dans l’acte de donation, seule la matérialité du quasi-usufruit devant être constatée, post-cession, dans un acte complémentaire. Les termes de la convention de quasi-usufruit et de l’acte de donation seront déterminants à cet égard. Le Conseil d’État a jugé que la donation de la nue-propriété (en l’espèce de titres sociaux) avant cession et la constitution d’un quasi-usufruit sur le prix de cession au profit du donateur prévu dans l’acte de donation n’étaient pas abusives y compris lorsque le donateur est dispensé de fournir caution188.
C/ Abus de droit et tontine
10220 – Renvoi. – Nous renvoyons à cet égard aux précédents développements (V. supra, nos 10176 et s.).
D/ Abus de droit et SCI
10221 – Importance de la motivation lors de la création d’une SCI. – La société civile immobilière est un outil privilégié de gestion et transmission du patrimoine, présentant des avantages fiscaux, notamment lorsqu’elle est combinée avec une option pour l’impôt sur les sociétés. Mais sa création doit être motivée également par un objectif autre que fiscal, afin de ne pas risquer l’abus de droit.
Il est régulièrement procédé à la création d’une société civile immobilière à laquelle est apporté l’immeuble occupé par ses propriétaires, puis à la conclusion d’un bail entre la SCI et les associés occupants, moyennant un loyer faible, permettant la déduction des charges et la création d’un déficit foncier conduisant à une économie d’impôt. À plusieurs reprises, la jurisprudence a donné raison à l’administration, jugeant que de tels schémas n’étaient mis en œuvre que pour des raisons fiscales189.
10222 – Exemple de condamnation. – Nous mentionnerons ici un arrêt du Conseil d’État du 8 février 2019190 : dans une espèce où un propriétaire avait cédé sa résidence secondaire à la SCI familiale dont son épouse et lui étaient associés à hauteur de 90 % du capital (les 10 % restants étant détenus par leurs enfants) et où, immédiatement après la vente, les époux avaient pris la villa en location et réalisé d’importants travaux ayant abouti à la constatation de déficits fonciers que les époux associés avaient déduits de leurs revenus imposables, le Conseil d’État a jugé l’abus de droit caractérisé alors même que la SCI avait été créée plusieurs années auparavant et exploitait par ailleurs un important patrimoine immobilier191.
10223 – SCI et indices de l’abus de droit. – Notre vigilance et notre devoir de conseil envers nos clients pour éviter la qualification en abus de droit devront nous conduire à éviter la réunion ou la multiplication des éléments suivants192 :

contrôle exclusif ou quasi exclusif de la société par les occupants du logement ;

patrimoine social composé exclusivement du logement ;

constitution de la société juste avant l’acquisition du logement ou juste avant la réalisation de travaux importants ;

charges déduites régulièrement très supérieures aux loyers encaissés, etc.

§ III – L’impact de la réforme de l’abus de droit sur les stratégies patrimoniales et le devoir de vigilance du notaire

10224 – Les nouvelles positions de l’administration fiscale. – L’administration fiscale ne s’est pas encore prononcée sur tous les montages patrimoniaux depuis la réforme sur l’abus de droit fiscal mentionnée ci-dessus.
Un certain climat d’insécurité juridique existe donc actuellement : les stratégies patrimoniales non contestées ou validées jusque-là par l’administration fiscale le seront-elles également sous le coup de la nouvelle notion de « mini-abus de droit » ?
Comme souligné précédemment, des réponses ministérielles ont déjà été apportées, concernant les transmissions avec démembrement de propriété193, d’une part, et la donation avec réserve de quasi-usufruit, d’autre part194.
Qu’en sera-t-il du changement de régime matrimonial sans homologation ou des démembrements entre parents et enfants de parts de société et des revenus perçus par cette société195 ?
10225 – Vérifier la justification économique et le but principal de l’opération. – Il conviendra donc, dans chaque cas particulier, de procéder à une analyse du montage envisagé, au regard des dispositions de l’article L. 64 A du Livre des procédures fiscales, afin notamment de vérifier qu’il dispose, outre l’intérêt fiscal, d’une réelle justification autre que fiscale.

Section II – Ingénierie notariale et défiscalisation immobilière

10226 Si, dans le cadre des conseils patrimoniaux et liés aux investissements de nos clients, nous devons être capables de connaître les dispositifs existants en matière de régimes fiscaux de faveur (Sous-section I), nous devons aussi mesurer les limites de nos conseils en la matière, et les risques à appréhender afin de ne pas engager notre responsabilité (Sous-section II).

Section III – Ingénierie notariale et fiscalité internationale

10227 – Plan. – Si la matière fiscale est complexe, elle l’est encore plus dans un contexte international. Une situation juridique est dite « internationale » dès lors qu’elle présente un élément d’extranéité, c’est-à-dire un élément de fait la rattachant à un autre ordre juridique que l’ordre juridique français. Ainsi en est-il de la nationalité étrangère ou du domicile ou siège à l’étranger de l’une des parties, ou bien sûr de la situation du bien immobilier dans un autre pays que celui de résidence fiscale.
Particulièrement en matière fiscale, nous devons être en mesure de conseiller nos clients et d’anticiper avec eux les difficultés pouvant survenir dans le cas d’un investissement immobilier à l’étranger par des résidents français (Sous-section I) ou d’un investissement immobilier en France par des non-résidents (Sous-section II). Nous soulignerons pour terminer certains points de vigilance fiscaux dans un contexte international (Sous-section III).

Sous-section I – Investissement français à l’étranger

10228 – Le rôle d’information du notaire français en matière de fiscalité étrangère. – Nombreux sont les Français qui décident d’acquérir ou de vendre un bien immobilier à l’étranger. Même si un notaire ou un juriste étranger interviendra vraisemblablement dans le cadre de la transaction immobilière, nous pouvons être amenés à envisager avec nos clients les conséquences fiscales d’une telle opération, que ce soit en France ou dans le pays concerné. Sans pouvoir dresser un panorama complet de la fiscalité alors applicable, nous relèverons les éléments importants devant leur être expliqués et soulignés en matière de revenus locatifs (§ I), de plus-values (§ II) et d’impôt sur la fortune immobilière (§ III), pour anticiper avec eux les incompréhensions et difficultés. Même si nous ne pouvons être contraints à une analyse complète d’une fiscalité étrangère complexe, il nous appartient de connaître les principaux mécanismes de taxation et les contentieux possibles.

§ I – Investissement français à l’étranger et revenus locatifs

10229 – Le sort des revenus locatifs perçus à l’étranger. – Quand un client français acquiert un bien immobilier à l’étranger et le loue, nous devrons attirer son attention sur la fiscalité des revenus locatifs : ceux-ci seront imposés dans l’État de situation du bien207 mais devront également être pris en compte pour la détermination de l’impôt français208.

§ II – Investissement français à l’étranger et plus-values immobilières

10230 – Imposition des plus-values immobilières réalisées à l’étranger. – Comme en matière de revenus locatifs, il sera en la matière primordial de rappeler à nos clients que l’imposition à l’étranger n’exclura pas une imposition en France sauf :

cas d’exonération prévu par la loi française ;

convention fiscale (avec application en principe soit du taux effectif dans les conventions fiscales plus anciennes, soit d’une imposition théorique avec la méthode du crédit d’impôt).

En outre, il conviendra de les avertir de la nécessité de remplir une déclaration de revenus spéciale (déclaration no 2048-IMM-SD).
10231 – Proposition du 115e Congrès des notaires de France209 pour éviter les doubles impositions en matière de plus-value. – Une des propositions de l’équipe du 115e Congrès des notaires de France était de modifier le Code général des impôts pour éviter que l’impôt de plus-value immobilière ne soit acquitté à l’étranger et également en France. À ce jour, cette proposition n’a pas encore eu de suite.

§ III – Investissement français à l’étranger et impôt sur la fortune immobilière

10232 – IFI et particularités dans un contexte international. – En matière d’impôt sur la fortune immobilière (IFI), il est nécessaire d’avoir à l’esprit les particularités suivantes pour conseiller et avertir efficacement un client français se portant acquéreur d’un bien immobilier à l’étranger :

quelques États étrangers seulement connaissent un véritable impôt sur la fortune ;

si tel est le cas, une des problématiques sera de déterminer si les parts ou actions de sociétés immobilières doivent ou non être prises en compte pour la taxation ;

en France, il est tenu compte des biens immobiliers situés à l’étranger pour le calcul de l’IFI (avec une évaluation d’après les règles françaises)210. Dans la quasi-totalité des cas, l’investissement immobilier à l’étranger par un résident français sera donc imposable en France au titre de l’IFI ;

le cas échéant, le mécanisme de crédit d’impôt applicable est celui du « vrai » crédit d’impôt ;

il existe de nombreuses conventions fiscales en matière d’impôt sur la fortune, mais la question est de savoir si elles s’appliquent au nouvel IFI français comme à l’ancien impôt de solidarité sur la fortune (ISF) (il conviendra de vérifier au cas par cas, même si en tout état de cause, en cas de réponse positive, le droit d’imposer donné à l’État de situation des biens n’est généralement pas exclusif)211.

Sous-section II – Investissement étranger en France

10233 Par « investissement étranger en France », nous entendons la réalisation d’un investissement par des non-résidents fiscaux français (qu’ils soient de nationalité française ou étrangère) portant sur des biens immobiliers situés en France.
10234 – Plan. – Par le jeu des conventions fiscales bilatérales, c’est la plupart du temps à l’État du lieu de situation de l’immeuble qu’est reconnu le droit d’imposer les revenus provenant de la détention de l’immeuble par des non-résidents. Ceux-ci seront donc majoritairement soumis aux impôts et taxes s’appliquant en France à tous les résidents français. Il n’en demeure pas moins que les particularités liées à la situation internationale devront être prises en compte et expliquées aux clients par le notaire français (§ I), de même que devront bien sûr être anticipés les cas de double imposition (§ II).

§ I – Les particularités de la détention immobilière en France dans un contexte international

10235 Comme pour la fiscalité applicable à l’étranger à un client français, nous évoquerons successivement la fiscalité des revenus (A), celle des plus-values (B), puis celle de l’impôt sur la fortune immobilière (C). Nous ajouterons ici un développement sur la taxe patrimoniale de 3 % quand l’investissement immobilier en France est réalisé par l’intermédiaire d’une société (D).
A/ Imposition en France des revenus immobiliers perçus par les non-résidents
10236 Lorsque nous intervenons dans le cadre d’une acquisition réalisée en France par des clients étrangers avec un objectif de location du bien, il est important d’attirer leur attention sur la fiscalité applicable aux revenus immobiliers perçus. La question de la mise à disposition gratuite au profit d’un associé dans le cas d’une acquisition via une société est traitée ci-après (V. infra, nos 10247 et s.).
10237 – Même taxation que les résidents français mais avec un taux minimum. – Comme pour les résidents français, l’impôt dû au titre des revenus immobiliers (revenus fonciers ou bénéfices industriels et commerciaux) perçus en France par des non-résidents est calculé par application du barème progressif de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP). Toutefois, l’impôt ainsi calculé ne peut être inférieur à 20 % (ou 30 % selon l’importance des revenus) du revenu net imposable, sauf si le contribuable justifie que le taux moyen d’imposition de l’ensemble de ses revenus de source française et étrangère serait inférieur à ce pourcentage s’il était imposé en France212 213.
10238 – Application des prélèvements sociaux. – Les revenus immobiliers perçus en France par des non-résidents sont soumis aux prélèvements sociaux au taux global de 17,2 %214.
10239 – Tableau récapitulatif de la taxation des revenus immobiliers des non-résidents (en cas de détention via une société). – Si le bien immobilier est détenu en France par l’intermédiaire d’une société, les revenus immobiliers des investisseurs particuliers non résidents seront imposés comme suit, en fonction des cas :
Société de personnes
Société de capitaux
Société française
Associés (personnes physiques) résidents français.
Imposition des revenus immobiliers perçus au titre de l’impôt sur le revenu215 (pour les non-résidents, en cas d’imposition dans le pays de résidence, le contribuable peut donc être soumis à une double imposition)216.
IS dû en France217 + impôt de distribution218.
Associés (personnes physiques) résidents étrangers.
IS dû en France au taux de droit commun + retenue à la source au taux de 12,8 % (ou taux inférieur selon la convention).
Société étrangère
Associés (personnes physiques) résidents français.
Imposition des revenus immobiliers perçus au titre de l’impôt sur le revenu.
IS dû en France + impôt de distribution.
Associés (personnes physiques) non résidents français.
Risque de taxation au titre de la profit tax au taux de 12,8 % (CGI, art. 115 quinquies, sauf pour sociétés européennes et sous réserve des conventions internationales).
B/ Imposition en France des plus-values réalisées par des non-résidents
10240 – Principes. – Nous ne rappellerons pas ici les règles applicables en la matière. Nous sommes régulièrement amenés à procéder à la détermination et au calcul de l’impôt sur la plus-value immobilière dû en France par des non-résidents relevant du prélèvement visé à l’article 244 bis A du Code général des impôts (qu’il s’agisse de personnes physiques non fiscalement domiciliées en France ou de personnes morales ou organismes, quels qu’ils soient, dont le siège est situé hors de France ou de sociétés de personnes françaises dont les associés sont non résidents), et il convient de se référer aux ouvrages et instructions administratives dans ce domaine.
10241 – Particularités et points d’attention. – Nous soulignerons qu’en présence de clients étrangers cédant le bien immobilier dont ils sont détenteurs en France (et même en amont lorsqu’ils se porteront acquéreurs dudit bien), il ne faudra pas omettre d’attirer leur attention ou d’être vigilants sur les particularités suivantes :

l’imposition au titre des plus-values immobilières vise la cession des biens immobiliers mais également des droits portant sur ces biens (usufruit, nue-propriété, droit de surélévation, etc.), ainsi que la cession des parts ou actions de sociétés à prépondérance immobilière (hors celles assujetties à l’IS) ;

en cas de cession de parts ou actions de sociétés à prépondérance immobilière, il convient de vérifier si, en fonction de la convention fiscale applicable, il faut appliquer ou non le régime des plus-values immobilières219 ;

les exonérations prévues en faveur des résidents s’appliquent en principe aux non-résidents (sauf naturellement l’exonération de la résidence principale)220.

C/ Imposition des non-résidents au titre de l’impôt sur la fortune immobilière français
10242 – Principe d’assujettissement à l’IFI des non-résidents. – Quand nous intervenons pour une acquisition réalisée en France par des clients étrangers, nous ne devons pas omettre de les avertir sur la fiscalité qui sera liée à cette détention, et notamment en matière d’impôt sur la fortune immobilière. Il résulte de la combinaison des articles 964 et 965 du Code général des impôts que les personnes physiques non résidentes en France sont assujetties à l’IFI (en cas de dépassement du seuil d’imposition) à raison de leurs actifs immobiliers situés en France222.
10243 – Particularités des parts de sociétés. – Sont en principe imposables en France au titre de l’IFI les parts de sociétés françaises ou étrangères détentrices d’immeubles en France (sous réserve le cas échéant de conventions internationales qui pourraient écarter cette imposition).
D/ Investissement en France par une société étrangère et taxe annuelle de 3 %
10244 – Avertir les non-résidents investissant en France. – Lorsqu’un investissement immobilier est réalisé en France par l’intermédiaire d’une société, nous ne devrons pas omettre :

d’avertir nos clients de l’application de la taxe patrimoniale de 3 % sur la valeur vénale des biens immobiliers ou droits réels possédés au 1er janvier ;

de leur expliquer les obligations déclaratives permettant l’exonération de ladite taxe.

10245 – Mais également les clients résidents. – Il convient de garder à l’esprit que cette taxe peut concerner des résidents en France détenant des biens immobiliers par l’intermédiaire de sociétés étrangères et ne pas omettre notre devoir de conseil à cet égard.

§ II – Les risques de double taxation dans un contexte transfrontière. L’exemple des revenus fonciers des sociétés civiles françaises

10246 – Double taxation en Belgique. – Les revenus fonciers des sociétés civiles immobilières françaises sont imposables en France au nom des associés, au prorata de leurs droits dans la société, selon les principes de transparence fiscale. Mais ces revenus fonciers attribués aux associés d’une SCI française sont considérés par la fiscalité de certains États comme des dividendes imposables dans l’État de résidence des associés, entraînant une double taxation. La Cour de cassation belge a ainsi jugé que l’attribution aux associés de sommes tirées de revenus fonciers français par une SCI française à des résidents belges devait s’analyser comme une distribution de dividendes imposables au précompte immobilier belge.
10247 – Vérification de la reconnaissance de la transparence fiscale de la SCI française. – Quand un immeuble est détenu par une société civile française constituée d’associés non-résidents, il conviendra de vérifier la taxation à l’étranger des revenus perçus.

Sous-section III – Investissement international et ingénierie notariale : quelques points de vigilance fiscaux

10248 – Plan. – Dans un contexte fiscal international, il nous est nécessaire d’être particulièrement vigilants et d’attirer l’attention de nos clients sur les sources de contentieux et difficultés. Nous prendrons ici les exemples de la qualification des parts de société civile immobilière selon les pays (§ I et § II), du recours à la technique du démembrement de propriété (§ III), et des donations franco-belges (§ IV), le tout dans un contexte international.
§ I – Parts de société civile, contexte franco-belge et évolution de la jurisprudence
10249 – La qualification des parts de SCI et l’arrêt du Conseil d’État du 24 février 2020. – Dans un arrêt du 24 février 2020, le Conseil d’État a qualifié les titres de sociétés à prépondérance immobilière de biens immobiliers au sens de la convention fiscale franco-belge en matière d’impôt sur les revenus et plus-values229.
Sur le plan civil, les titres de sociétés (même à prépondérance immobilière) constituent des biens meubles. Lesquels actifs mobiliers sont en principe soumis à une imposition exclusivement par l’État du domicile du détenteur desdits biens. Mais sur le plan fiscal, le droit interne français assimile les titres de sociétés (translucides) à prépondérance immobilière à des biens immeubles pour ce qui concerne le calcul des plus-values et en matière de droits de mutation à titre gratuit notamment. Ce qui n’est pas le cas dans d’autres systèmes fiscaux étrangers.
10250 – La renégociation en cours de certaines conventions fiscales. – Plusieurs conventions fiscales sont en cours de renégociation à cet égard, la France souhaitant qu’elles prévoient que les parts de sociétés à prépondérance immobilière soient conventionnellement considérées comme des biens immobiliers.
10251 – Le cas franco-belge. – Les conventions existant entre la France et la Belgique en matière d’impôt sur le revenu (et d’impôt sur les successions) ne prévoyaient pas jusqu’à récemment de définition des sociétés à prépondérance immobilière. La Cour de cassation belge ayant elle-même jugé le 29 septembre 2016 que les dispositions de la convention franco-belge n’empêchent pas la Belgique d’imposer les revenus attribués par les sociétés civiles semi-transparentes au profit de leurs associés résidents belges (que ce versement soit imposable ou non en France).
10252 – Conséquences de la qualification des parts de SCI. – L’assimilation par le Conseil d’État des parts d’une SCI (détenant un bien immobilier en France) à des biens immobiliers entraîne l’imposition en France de leur cession par des résidents belges.
10253 – Nouvelle convention fiscale franco-belge signée le 9 novembre 2021. – Signée le 9 novembre 2021 (avec une entrée en vigueur au plus tôt au 1er janvier 2023), la nouvelle convention fiscale franco-belge en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune introduit la notion de « prépondérance immobilière » et met donc fin à l’incertitude qui existait en France depuis l’arrêt du Conseil d’État du 24 février 2020. C’est donc désormais la France qui aura le pouvoir de taxer les plus-values sur titres de SCI (alors qu’en Belgique cette même plus-value est exonérée d’impôt sous certaines conditions et notamment si l’opération relève de la gestion normale du patrimoine privé).

§ II – Parts de société civile et pays du Golfe

10254 – Une qualification mobilière des parts de SCI évitant toute taxation. – Avec certains pays du Golfe, et notamment les Émirats arabes unis, il existe des conventions fiscales, mais qui ne prennent pas en compte la notion de société à prépondérance immobilière.
10255 – Ingénierie notariale et intérêt d’acquérir via une société pour des résidents de pays du Golfe. – En structurant l’investissement par le biais d’une société et non via une acquisition en direct, on évite ainsi la taxation en France de la cession des parts, puisque s’agissant de la cession de biens mobiliers elle ne sera imposable que dans l’État du domicile du cédant, étant entendu qu’il n’y aura pas non plus de taxation dans ces pays-là.

§ III – Démembrement de propriété et pays de Common Law

10256 – Vigilance lors de la mise en place d’un démembrement de propriété dans un contexte international. – Lorsqu’il sera conseillé à des clients étrangers de recourir à la technique du démembrement de propriété dans le cadre d’un investissement immobilier en France afin d’optimiser la transmission de l’immeuble, il conviendra d’être vigilant pour remplir pleinement notre devoir de conseil et d’anticipation du contentieux.
Cette vigilance devra notamment porter sur deux points :

la vérification des conventions fiscales signées par la France, pour déterminer si une taxation aura lieu dans le pays de résidence du défunt lors de la transmission de l’usufruit, et ainsi bien informer les parties ;

la vérification de la réception de ce démembrement de propriété dans le pays d’origine des clients, et notamment sur un plan fiscal.

En effet, si l’usufruit est connu de la plupart des pays de droit latin (Portugal, Grèce, Suisse, Belgique par exemple), ce n’est pas le cas des pays de Common Law, qui taxeront donc la transmission de l’usufruit au décès.
Nous renvoyons ici aux travaux du 115e Congrès des notaires de France230 :
Nous renvoyons ici aux travaux du 115e Congrès des notaires de France

§ IV – Donations dans un contexte franco-belge

10257 – Donation de somme d’argent en Belgique. – La donation mobilière par don manuel par un résident belge n’est soumise en Belgique à aucune obligation d’enregistrement, et aucun droit de donation n’est alors dû. Toutefois, si la donation n’a pas été enregistrée et que le donateur décède dans les trois ans (cinq ans en Région wallonne depuis le 1er janvier 2022) de la donation, celle-ci doit être mentionnée dans la déclaration de succession, et des droits de succession (plus élevés que les droits de donation) seront dus sur le montant de la donation231.
10258 – La fin de la « route du fromage ». – Depuis le 15 décembre 2020232, les donations faites devant un notaire étranger doivent obligatoirement être enregistrées en Belgique, avec paiement de l’impôt sur les donations dans la région du domicile fiscal du donateur (en Belgique les droits de donation ne sont pas les mêmes dans les trois Régions : Bruxelles-Capitale, Flandre et Wallonie), au taux de 3 à 7 % selon la Région compétente et le lien de parenté entre le donateur et le donataire.
Appelé poétiquement la « route du fromage », ce système permettait aux donateurs belges de procéder à une donation de somme d’argent devant un notaire étranger (souvent néerlandais ou suisse, d’où la référence au fromage…) pour éviter qu’elle ne soit taxée en Belgique.
10259 – Donation en Belgique et acquisition en France. – Lorsqu’une acquisition en France est envisagée par des résidents belges en démembrement de propriété, avec un financement de la nue-propriété au moyen d’une donation consentie par l’usufruitier, il conviendra de combiner la présomption prévue en Belgique à l’article 9 du Code des droits de succession233 et celle de l’article 751 du Code général des impôts français. Il faudra réaliser la donation de somme d’argent en Belgique devant notaire, lui donner date certaine et la porter à la connaissance de l’administration fiscale française (comme expliqué supra, no 10147) en l’enregistrant en France auprès du service des impôts des non-résidents (de Noisy-le-Grand)234. Si la donation a lieu entre non-résidents, elle ne sera pas imposable en France (aucun des critères de taxation de l’article 750 ter du Code général des impôts ne trouvant à s’appliquer). Il sera nécessaire de veiller à relater l’origine des fonds dans l’acte d’acquisition de la nue-propriété en France.
10260 – Donation de parts de SCI française par des résidents belges. – Un acte de donation entre résidents belges portant sur des parts de société civile immobilière française, s’il est reçu par un notaire français, sera obligatoirement imposé en France. Depuis l’entrée en vigueur le 15 décembre 2020 en Belgique de la loi spéciale du 13 décembre 2020 précitée, il devra également être enregistré (et taxé) en Belgique. Le résultat sera identique en cas de réception du même acte de donation par un notaire belge : d’une part, un enregistrement obligatoire (et donc une taxation) en Belgique et, d’autre part, une obligation déclarative en France (au service des impôts des non-résidents), avec taxation en France (la donation portant sur des biens français). À défaut de convention préventive de double imposition conclue entre la France et la Belgique en matière de donation, il y aura taxation cumulative235.

170) M. Cozian, La notion d’abus de droit en matière fiscale : Gaz. Pal. 1993, doctr. p. 50.
171) LPF, art. L. 64 A : « Afin d’en restituer le véritable caractère et sous réserve de l’application de l’article 205 A du code général des impôts, l’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes qui, recherchant le bénéfice d’une application littérale des textes ou de décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ont pour motif principal d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
172) L. no 2018-1317, 28 déc. 2018, art. 109.
173) BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, § 110.
174) CGI, art. 205 A : « Pour l’établissement de l’impôt sur les sociétés, il n’est pas tenu compte d’un montage ou d’une série de montages qui, ayant été mis en place pour obtenir, à titre d’objectif principal ou au titre d’un des objectifs principaux, un avantage fiscal allant à l’encontre de l’objet ou de la finalité du droit fiscal applicable, ne sont pas authentiques compte tenu de l’ensemble des faits et circonstances pertinents.

Un montage peut comprendre plusieurs étapes ou parties.
Aux fins du présent art., un montage ou une série de montages est considéré comme non authentique dans la mesure où ce montage ou cette série de montages n’est pas mis en place pour des motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique.
Ces dispositions s’appliquent sous réserve de celles prévues au III de l’article 210-0 A ».
175) Contrairement à la procédure de l’abus de droit prévue à l’article L. 64 du Livre des procédures fiscales, le dispositif de l’article L. 64 A n’entraîne pas l’application automatique des majorations prévues à l’article 1729, b du Code général des impôts. Seules les majorations de droit commun sont applicables, ce qui renvoie aux pénalités de recouvrement, dont le taux est de 10 ou 20 % selon les cas.
176) L. Guilmois, Le notaire et l’abus de droit fiscal : JCP N 31 août 2018, no 35, 1270.
177) Cass. 1re civ., 10 juill. 1995, no 93-13.672 : JurisData no 1995-002116 ; Bull. civ. 1995, I, no 312 ; JCP N 1995, no 51-52, p. 1822.
178) J. Prieur, Patrimoine professionnel : contractualisation et sécurité juridique. Rapport de synthèse. Journées notariales du patrimoine, 29-30 sept. 2008 : JCP N 2008, no 49, 1352.
179) M. Giray, Le devoir d’optimisation fiscale, in Mél. en l’honneur du Professeur Grimaldi, Defrénois, 2020, p. 451.
180) M. Giray, Le notaire et l’optimisation fiscale : JCP N 14 févr. 2014, no 7, 1095.
181) BOI-CF-IOR-30-20, 31 janv. 2020, § 1.
182) Rép. min. no 73340, Christ : JOAN 10 nov. 2015, p. 8219.
183) CE, 27 juin 1984, no 35030 : JurisData no 1984-601173.
184) Rép. min. no 9965, Procaccia : JO Sénat 13 juin 2019, p. 3070.
185) Communiqué de presse no 568, 19 janv. 2019, Min. Action et Comptes publics : RFP 2019, alerte 21.
186) CE, 30 déc. 2011, no 330940 : JurisData no 2011-031693.
187) CE, 9 avr. 2014, no 353822 : JurisData no 2014-008219.
188) CE, 10 févr. 2017, no 387960, Fillet : Dr. fisc. 2017, no 12, act. 178.
189) Mémento Lefebvre Patrimoine 2021, no 32012.
190) CE, 8 févr. 2019, no 407641 : BPAT 3/2019, inf. 123.
191) Mémento Lefebvre Patrimoine, op. cit., no 32012.
192) Mémento Lefebvre Patrimoine, op. cit., no 32012.
193) Rép. min. no 9965 : JO Sénat 13 juin 2019, p. 3070, Procaccia.
194) Rép. min. no 08670, Malhuret : JO Sénat Q 27 juin 2019.
195) Nous renvoyons ici à l’analyse du 116e Congrès des notaires de France, Paris, 8-10 oct. 2020, Protéger les vulnérables, les proches, le logement, les droits, no 4399.
196) Cass. com., 3 oct. 2006, no 04-14.272, Botherel : JurisData no 2006-035454 ; JCP N 2007, no 28, 1216, note P. Fernoux.
197) Existence d’autres actifs ou flux de revenus, vie sociale (tenue de comptabilité, décisions collectives des associés, etc.).
198) Pour un panorama des principaux régimes fiscaux de faveur sous forme de tableau, V. D. Roche, Défiscalisation immobilière : panorama des principaux régimes de faveur fiscaux : Actes prat. ing. immobilière 2020, no 4, dossier 38.
199) M. Giray, Le notaire et l’optimisation fiscale : JCP N 14 févr. 2014, no 7.
200) Cass. 2e civ., 19 oct. 1994 : D. 1995, jurispr. p. 499, note A.-M. Gavard-Gilles.
201) CA Basse-Terre, 18 avr. 2016, no 14/01211.
202) Cass. 3e civ., 3 févr. 2021, no 19-17.740.
203) CA Montpellier, 22 janv. 2015, no 13/06974.
204) Cass. 1re civ., 22 mars 2012, no 11-10.935, F-P+B+I.
205) Cass. 3e civ., 14 janv. 2021, no 19-24.884. – G. Durand-Pasquier, Vefa et opération de défiscalisation : entre obligation d’information et agissements dolosifs : JCP N 30 avr. 2021, no 17, 1171.
206) Cass. com., 6 mars 2019, no 17-22.668, publié au bulletin.
207) Ce principe est consacré par le modèle de convention fiscale de l’OCDE et s’applique presque systématiquement, même en l’absence de convention fiscale.
208) En l’absence de convention fiscale, les revenus étrangers sont soumis à l’impôt en France sous déduction de l’impôt étranger ; en présence d’une convention fiscale, les revenus étrangers seront généralement exonérés en France mais avec application du mécanisme du taux effectif ou du crédit d’impôt.
209) Rapport du 115e Congrès des notaires de France, Bruxelles, 2-5 juin 2019, L’international : Qualifier, Rattacher, Authentifier.
210) Les conventions type OCDE prévoient un mécanisme de double imposition.
211) Il semble, au vu des premiers commentaires de l’administration fiscale, que les conventions visant l’ancien ISF devraient pouvoir être étendues à l’IFI. Toutefois, faute de doctrine générale, cette solution reste incertaine (B. Gouthière, Les impôts dans les affaires internationales, éd. F. Lefebvre, 15e éd., 2021, no 52760).
212) CGI, art. 197 A : « Les règles du 1 et du 2 du I de l’article 197 sont applicables pour le calcul de l’impôt sur le revenu dû par les personnes qui, n’ayant pas leur domicile fiscal en France :

a. Perçoivent des revenus de source française ; l’impôt ne peut, en ce cas, être inférieur à un montant calculé en appliquant un taux de 20 % à la fraction du revenu net imposable inférieure ou égale à la limite supérieure de la deuxième tranche du barème de l’impôt sur le revenu et un taux de 30 % à la fraction supérieure à cette limite ; ces taux de 20 % et 30 % sont ramenés respectivement à 14,4 % et 20 % pour les revenus ayant leur source dans les départements d’outre-mer ; toutefois, lorsque le contribuable justifie que le taux de l’impôt français sur l’ensemble de ses revenus de source française ou étrangère serait inférieur à ces minima, ce taux est applicable à ses revenus de source française. Dans ce cas, les contribuables qui ont leur domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État avec lequel la France a signé une convention d’assistance administrative de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ou une convention d’assistance mutuelle en matière de recouvrement d’impôt peuvent, dans l’attente de pouvoir produire les pièces justificatives, annexer à leur déclaration de revenus une déclaration sur l’honneur de l’exactitude des informations fournies ; (…) ».
213) BOI-IR-DOMIC-10-20-10, no 390.
214) 7,5 % pour les personnes qui relèvent d’un régime obligatoire de sécurité sociale d’un autre État membre de l’Union européenne, de l’Espace économique européen ou de Suisse et ne sont pas à la charge d’un régime obligatoire français de sécurité sociale.
215) Pour les non-résidents : que ce soit en présence ou en l’absence d’une convention fiscale internationale.
216) Sous réserve des conventions internationales.
217) Sous réserve de très rares conventions de non-double imposition, comme avec le Liban.
218) En cas de distribution de dividendes, application du prélèvement forfaitaire unique (PFU) au taux de 30 %.
219) Nous précisons ici que du fait de l’inquiétude de voir disparaître la fiscalité applicable en cas de cession d’une société à prépondérance immobilière de droit étranger détenant des biens en France, il a été imposé que celle-ci soit constatée par acte authentique (cf. Rapport du 111e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 10-13 mai 2015, La sécurité juridique, un défi authentique, p. 913, no 4361).
220) Et sauf celle de la première cession d’un logement par un cédant non propriétaire de sa résidence principale ou celle de l’ancienne résidence principale des retraités et invalides de condition modeste.
221) E. Pornin, Constitution, détention et transmission des parts de SCI par les non-résidents : RFP sept. 2020, no 9, dossier 4.
222) À savoir les biens et droits immobiliers situés en France et les parts ou actions de sociétés ou organismes français ou étrangers, à hauteur de la fraction de leur valeur représentative de biens et droits immobiliers situés en France.
223) Les Samoa américaines, Anguilla, Dominique (nouveau), les Fidji, Guam, les Palaos, le Panama, le Samoa, Trinité-et-Tobago, les Îles Vierges américaines, le Vanuatu, les Seychelles.
224) Cet assujettissement résulte soit de la forme sociale, soit de la poursuite d’une activité lucrative.
225) CAA Lyon, plén. 25 avr. 1991, no 89-1587 : Dr. fisc. 1991, no 40, comm. 1752.
226) BOI-PAT-TPC-40, § 20.
227) E. Pornin, L’utilisation gratuite d’une résidence en France détenue via une personne morale étrangère : RFP juin 2021, no 6.
228) G. Micolau, Fiscalité de l’investissement immobilier en France par des non-résidents, via une SCI : RFP mai 2018, no 5.
229) CE, 24 févr. 2020, no 436392 : JurisData no 2020-003924.
230) Rapport du 115e Congrès des notaires de France, Bruxelles, 2-5 juin 2019, L’international : Qualifier, Rattacher, Authentifier, nos 4188 à 4190.
231) Code des successions belge, art. 7.
232) Loi belge spéciale, 13 déc. 2020, modifiant le Code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe en vue de rendre obligatoire l’enregistrement d’actes notariés étrangers (entrée en vigueur le 15 déc. 2020) : Mon. belge 15 déc. 2020, p. 88.514.
233) En vertu de l’article 9 du Code belge des droits de succession, les biens meubles ou immeubles qui ont été acquis à titre onéreux par le défunt pour l’usufruit et par un tiers pour la nue-propriété sont considérés, pour la perception des droits de succession et de mutation par décès, comme se trouvant en pleine propriété dans la succession du défunt, à moins qu’il ne soit établi que l’acquisition ne déguise pas une libéralité. Cette présomption est renversée si le nu-propriétaire prouve qu’il a personnellement financé l’acquisition de la nue-propriété au moyen d’une donation soumise aux droits d’enregistrement prévus pour les donations ou qu’il avait la libre disposition des fonds donnés, c’est-à-dire si la donation faite par l’acquéreur de l’usufruit n’était pas spécifiquement destinée au financement de l’acquisition de la nue-propriété.
234) L’enregistrement se fera par le dépôt en double exemplaire de la donation, avec, pour les actes notariés étrangers rédigés dans une langue étrangère, une traduction certifiée par un traducteur juré (BOI-ENR-DMTG-20-10-30, no 10). Il n’existe pas d’imprimé spécifique.
235) M.-H. Lempereur, L’enregistrement obligatoire des actes notariés étrangers : l’effet collatéral inattendu : Revue de planification patrimoniale belge et internationale 2020/4, éd. Larcier.
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