CGV – CGU

PARTIE II – L’ingénierie notariale au service de la fonction environnementale de l’immeuble
Titre 1 – L’immeuble, élément central du processus de production de certaines énergies renouvelables
Sous-titre 2 – Le financement des installations de production d’énergie

Chapitre II – Le gage sur meuble immobilisé

10608 – Nouvelle sûreté. – L’alinéa 1 de l’article 2334 nouveau du Code civil issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021 portant réforme des sûretés étend le domaine du gage : « Le gage peut avoir pour objet des meubles immobilisés par destination ». La précédente réforme des sûretés de 2006 avait franchi une première étape en instituant le gage sans dépossession2034, mais sans aller toutefois jusqu’à permettre la constitution d’une sûreté réelle sur les meubles devenus immeubles par destination. Il ne restait donc comme possibilité que le cas des immeubles par destination constituant une amélioration d’un immeuble préalablement hypothéqué. S’agissant d’une innovation portée par la réforme, il nous semble opportun d’en analyser tout d’abord les conditions (Section I), avant d’en étudier le régime (Section II).

Section I – Les conditions du gage sur immeuble par destination

10609 – Une sûreté imaginée pour le financement des énergies renouvelables. – La lecture du Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance de réforme du droit des sûretés2035 évoque très précisément ce point : « L’article 2334 autorise le gage portant sur un immeuble par destination. Il s’agit de biens, souvent d’une valeur importante, qui ont vocation à être intégrés à des immeubles, par exemple des turbines, des transformateurs, des panneaux solaires ou autres équipements des parcs éoliens, des centrales solaires ou des installations industrielles ou minières ». Ce point nous semble essentiel, car il faut en outre le rapprocher des dispositions de la loi Climat et résilience no 2021-1104 du 22 août 2021 qui incitent, voire imposent la rénovation énergétique des bâtiments. À titre d’exemple, citons simplement l’obligation de doter tout nouveau bâtiment professionnel d’une emprise au sol supérieure à 500 mètres carrés d’une toiture végétalisée ou d’un dispositif d’énergie renouvelable2036. Un besoin de financement spécifique va donc naître, et y adapter une garantie existante semblait particulièrement opportun.
10610 – Les conditions nécessaires à la validité du gage. – Il faut tout d’abord que le bien objet du gage constitue bien un immeuble par destination et non un immeuble par nature2037. Il faut également que le bien en question entretienne avec l’immeuble un rapport économique ou de situation2038, et enfin que le meuble devenu immeuble par destination soit détenu par une personne disposant elle-même d’un droit réel sur l’immeuble-support : soit en en étant directement propriétaire, soit en bénéficiant d’un droit réel sur cet immeuble (bail superficiaire, notamment)2039. Concrètement, l’exploitant titulaire d’un simple bail de droit commun ne pourrait offrir ce type de garantie à son prêteur, tandis que celui titulaire d’un bail à construction le pourrait. En matière d’usufruit, la question de l’accession immédiate ou différée se pose2040 : si les constructions édifiées par l’usufruitier ne sont acquises au nu-propriétaire qu’à l’extinction de l’usufruit, il sera alors possible de constituer un gage sur, par exemple, les pales des éoliennes édifiées. En revanche, si l’accession doit jouer immédiatement, il ne saurait alors y avoir d’identité de propriété entre le meuble et l’immeuble. La question a toutefois été tranchée par la Cour de cassation aux termes d’un arrêt de la troisième chambre civile du 19 septembre 2012 : « Mais attendu que la cour d’appel ayant retenu a bon droit qu’il n’existait aucun enrichissement pour le nu-propriétaire qui n’entrera en possession des constructions qu’à l’extinction de l’usufruit, l’accession n’a pas opéré immédiatement au profit du nu-propriétaire du sol »2041. Le report de l’accession à l’extinction de l’usufruit permet donc, selon nous, la constitution du gage, l’identité de propriété du meuble et de l’immeuble étant acquise.
10611 – Indifférence du moment de l’immobilisation. – Le texte de l’article 2334 du Code civil ne précise pas si l’immobilisation doit être antérieure à la prise de garantie, ou si le gage peut être constitué avant même l’immobilisation. C’est le Rapport au Président de la République sur la réforme du droit des sûretés qui apporte une réponse claire : « Ce texte couvre aussi bien les situations dans lesquelles un bien meuble sur lequel un gage a été constitué est par la suite intégré à un immeuble et devient immeuble par destination, que celles où le gage est constitué ab initio sur un bien immobilisé par destination ».
Le gage peut donc être constitué ab initio sur un immeuble par destination, ou sur un meuble non encore immobilisé mais qui le sera postérieurement2042.

Section II – Le régime du gage sur l’immeuble par destination

10612 – La nécessité d’un écrit. – Le gage sur l’immeuble par destination est soumis au régime de droit commun du gage et doit donc être constaté par écrit. Cette solennité est confirmée par le nouvel article 2336 du Code civil : « Le gage est parfait par l’établissement d’un écrit contenant la désignation de la dette garantie, la quantité des biens donnés en gage ainsi que leur espèce ou leur nature ».
10613 – Publication et opposabilité du gage. – Le gage est opposable aux tiers par la publicité qui en est faite2043. La publication se fait sur un registre spécial dont les modalités seront précisées par un décret en Conseil d’État.
10614 – Le possible conflit des créanciers inscrits. – Il convient ici d’attirer l’attention du praticien sur la possibilité de voir naître un conflit entre le créancier hypothécaire et le créancier gagiste. En effet, imaginons le cas d’un exploitant constituant au profit de son créancier un gage sur les pales d’éoliennes qu’il prévoit d’immobiliser pour une durée de trente ans sur le site de production. Imaginons également que le droit réel dont il dispose sur l’unité foncière, siège de l’installation de production, ait fait l’objet d’une affectation hypothécaire au profit d’un autre créancier, par exemple le prêteur des fonds nécessaires à l’acquisition dudit droit réel. Dans un tel cas, une importante difficulté apparaît :
• les pales d’éoliennes devenant immeuble par destination accroissent incontestablement l’assiette de l’hypothèque2044, et cet accroissement bénéficie par principe au créancier hypothécaire.
Dès lors, comment résoudre ce conflit ? La solution a heureusement été prévue par l’ordonnance et le nouvel article 2334, alinéa 2 du Code civil qui renvoie à la règle de conflit établie par le nouvel article 2419 : « L’ordre de préférence entre les créanciers hypothécaires et les créanciers gagistes, dans la mesure où leur gage porte sur des biens réputés immeubles, est déterminé par les dates auxquelles les titres respectifs ont été publiés, nonobstant le droit de rétention des créanciers gagistes ». Par conséquent, la primeur sera donnée à celui qui aura rendu sa sûreté opposable le premier2045.
10615 – Les précautions à prendre. – Le risque de voir deux créanciers titulaires de deux garanties réelles distinctes mais portant en partie sur un même objet n’est donc pas uniquement théorique. En pratique, le notaire en charge de procéder à la régularisation de l’une ou l’autre de ces garanties devra dès lors, et au préalable, vérifier qu’il n’existe pas déjà :

sur l’immeuble destiné à recevoir l’immeuble par destination une inscription hypothécaire antérieurement publiée ;

sur l’immeuble par destination immobilisé sur l’immeuble destiné à être hypothéqué une inscription de gage spécifique de l’article 2334 ayant date plus ancienne. Sur ce point, la vérification s’effectuera sur le registre des gages sans dépossession accessible depuis le site internet www.infogreffe.fr.

Ce travail de vérification sera indispensable afin d’assurer que la garantie souhaitée par le créancier et consentie par le débiteur puisse conserver toute son efficacité. La difficulté résidant dans la dualité des registres regroupant ces inscriptions, la question de leur centralisation se pose aujourd’hui2046. La loi dite « 3DS » récemment votée par le Parlement, autorisant le gouvernement à réformer la publicité foncière par voie d’ordonnance (dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la loi, soit avant le 21 août 2023), pourrait constituer une belle opportunité à cet effet2047.

2034) C. civ., art. 2337.
2035) Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés.
2036) G. Durand-Pasquier, Bâtiments professionnels et loi « Climat et résilience » : JCP N 2021, no 42-43, 1306.
2037) G. Durand-Pasquier, Le gage sur immeuble par destination : une nouvelle sûreté avec laquelle compter en droit immobilier : Constr.-Urb. déc. 2021, no 12, repère 11.
2038) G. Durand-Pasquier, ibid.
2039) G. Durand-Pasquier, ibid.
2040) P. Fernoux et M. Iwanesko, Construction par l’usufruitier : quelles conséquences fiscales aux termes de l’usufruit ? : Dr. fisc. 14 janv. 2016, no 2, 60.
2041) Cass. 3e civ., 19 sept. 2012, no 11-15.460, M. Vincent : JurisData no 2012-020798 ; Dr. fisc. 2012, no 51-52, comm. 568, note B. Travely et F. Collard.
2042) C. Leveneur, La réforme des sûretés et le gage d’immeuble par destination : JCP N 2021, no 47, 1332.
2043) C. civ., art. 2337, al. 1er.
2044) C. civ., art. 2389 nouveau, préc.
2045) C. Albiges et J.-J. Pérez, Réforme du droit des sûretés. L’hypothèque : quelles nouveautés ? : Defrénois 2021, no 48, p. 14.
2046) C. Leveneur, La réforme des sûretés et le gage d’immeuble par destination, op. cit. no 7.
2047) L. no 2022-217, 21 févr. 2022, relative à la différenciation, la décentralisation la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale.
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