CGV – CGU

PARTIE II – L’ingénierie notariale au service de la fonction environnementale de l’immeuble
Titre 1 – L’immeuble, élément central du processus de production de certaines énergies renouvelables
Sous-titre 2 – Le financement des installations de production d’énergie

Chapitre I – L’hypothèque et le financement des unités de production d’énergie décarbonée

10596 – Principes. – L’idée de ces développements n’est pas de revenir sur les principes fondamentaux définissant la nature et le régime de l’hypothèque. Il s’agira plutôt de prendre en compte la spécificité de la situation de l’exploitant d’une unité de production d’énergie renouvelable qui ne serait pas propriétaire du terrain d’assiette de l’outil de production. Quelles conditions doit-il remplir pour pouvoir offrir une garantie de ce type à la personne finançant l’opération ? Pour y répondre, il nous semble opportun de rappeler quels types de droits peuvent faire l’objet d’une constitution d’hypothèque (Section I), avant de voir comment la sûreté pourrait éventuellement être rendue plus efficiente (Section II).

Section I – La nature des droits permettant la constitution d’hypothèque

10597 – Hypothèque par le locataire. – Si l’on part du principe que l’exploitant n’est pas le propriétaire du terrain, mais qu’il est lié à ce dernier par un contrat lui permettant d’édifier ses installations de production d’électricité, il peut, en vertu du nouvel article 2414 du Code civil, constituer une hypothèque sur les futures constructions2013. Toutefois, il faut ici rappeler l’obligation de publication de l’hypothèque au service de publicité foncière2014, ce qui constitue une condition indispensable à l’opposabilité aux tiers de la sûreté, et donc à l’efficacité de la garantie.

Sous-section I – L’hypothèque et le bail à caractère personnel

10598 – Un gage réduit. – Un bail de droit commun ou un bail commercial pourrait conférer un droit d’édifier un ouvrage à son titulaire, mais ce dernier ne pourrait alors constituer hypothèque sur les constructions futures qu’à la condition que le bail soit publié. Il a en effet été jugé que les constructions édifiées par le locataire lui appartiennent pendant la durée du bail2015.
Cela avait été confirmé par une réponse ministérielle indiquant qu’un droit de superficie « a pu être conféré au locataire du terrain par le bail qui a été consenti à celui-ci, etsa publication s’impose, alors même que le bail aurait une durée inférieure à douze ans et ne serait pas soumis, en tant que tel, à publicité »2016.
Mais dans un tel cas, seules les constructions pourront être grevées, le simple droit de construire conféré par le bail ne pouvant l’être2017. En effet, nous avons vu dans le chapitre précédent (V. supra, nos 1059102 et s.) que ces baux ne pouvaient conférer de droits réels à leurs titulaires, mais simplement un droit personnel. Le gage du créancier sera alors restreint et ne pourra offrir une garantie suffisante. En outre, une résiliation contentieuse du bail entraînera disparition de l’hypothèque.

Sous-section II – L’hypothèque et le droit réel de l’exploitant

10599 – Plan. – Permettre à un exploitant de bénéficier d’un droit réel sur l’immeuble supportant son installation lui permet de disposer d’une assiette étendue (§ I). Toutefois, son droit n’étant pas identique à un droit de propriété, il conviendra de tenir compte de ses spécificités au moment de la prise de garantie afin de ne pas remettre en cause son efficacité (§ II).

§ I – Une assiette étendue

10600 – Une garantie plus solide. – L’intérêt pour l’exploitant de disposer d’un droit réel réside dans la possibilité pour lui d’hypothéquer ce droit (notamment un droit de superficie issu du bail à construction régularisé, un usufruit temporaire, ou encore un droit réel de jouissance spéciale), et par suite, les constructions édifiées seront grevées de plein droit par l’hypothèque2018. La solution est solidement établie depuis longtemps par la jurisprudence de la Cour de cassation2019. Le raisonnement permettant cette extension de garantie est l’interprétation de l’ancien article 2397, alinéa 2 du Code civil prévoyant que l’usufruit et les accessoires des immeubles sont également susceptibles d’hypothèques. Le nouvel article 23882020 du Code civil propose un champ d’application plus général en stipulant que « sont susceptibles d’hypothèques tous les droits réels immobiliers qui sont dans le commerce », et ce champ d’application se voit complété par les dispositions de l’article 2389, lesquelles précisent que « l’hypothèque s’étend aux améliorations qui surviennent à l’immeuble hypothéqué, ainsi qu’aux accessoires réputés immeubles ».
Concernant le droit réel de jouissance spéciale, un doute a pu être émis sur la possibilité de constituer une hypothèque sur une telle assiette2021. Le doute doit être levé aujourd’hui compte tenu des dispositions de l’article 2388 du Code civil précité : le nouveau droit réel créé par les arrêts Maison de la Poésie précités2022 doit, selon nous, être compris comme droit réel étant dans le commerce, pour reprendre les termes de cet article.

§ II – Les spécificités de l’hypothèque portant sur un droit réel distinct du droit de propriété

10601 – Précautions à prendre pour garantir l’efficacité de la sûreté. – L’existence d’un droit de superficie ou d’un droit démembré au profit de l’exploitant soulève, en matière de garantie hypothécaire, deux questions :

l’hypothèque née du chef du propriétaire du fonds : elle ne sera opposable au bénéficiaire du démembrement ou du droit de superficie que si son titulaire a publié son droit antérieurement à celui du bénéficiaire. À défaut, les dispositions de l’article 2389 du Code civil s’appliqueront et les constructions édifiées par le titulaire du droit réel démembré ou de superficie étendront l’assiette de la garantie du créancier du propriétaire du fonds. Le notaire en charge de ce démembrement devra donc veiller tout particulièrement à la situation hypothécaire de l’immeuble grevé, avant de procéder, d’une part, au démembrement et, d’autre part, à la prise de garantie hypothécaire sur le droit réel issu de ce démembrement ;

la durée de l’hypothèque : que ce soit en matière d’usufruit ou de bail superficiaire, l’hypothèque consentie par le titulaire s’éteint avec son droit2023. Il conviendra donc, au moment de la prise de garantie, de s’assurer de la compatibilité de la durée de l’inscription et du droit réel du débiteur. Par ailleurs, en matière d’usufruit, une renonciation volontaire de l’usufruitier avant le terme de celui-ci ne serait pas opposable au créancier. La garantie continuerait donc d’exister entre les mains du propriétaire2024. Une telle renonciation devra donc, selon nous, s’accompagner du remboursement intégral de la créance garantie par l’hypothèque concédée afin de pouvoir obtenir mainlevée de cette dernière, et permettre une consolidation du droit du propriétaire sans préjudice à son égard.

Section II – Les compléments utiles de l’hypothèque

10602 – Faciliter la mise en œuvre de la garantie. – Pour un créancier, le choix d’une garantie est certes guidé par sa solidité, mais il faut également avoir à l’esprit que cette solidité se définit aussi par sa facilité de mise en œuvre. À ce titre, l’hypothèque peut présenter une certaine rigidité, car elle est en principe soumise aux règles strictes de la procédure de saisie immobilière, lesquelles sont d’ordre public2025. Il existe toutefois des mécanismes permettant d’éviter le recours à cette procédure : le pacte commissoire (Sous-section I), et l’attribution judiciaire (Sous-section II), ces deux mécanismes connaissant un régime commun par certains aspects (Sous-section III).

Sous-section I – Le pacte commissoire

10603 – Définition. – Ce pacte désigne la clause qui attache à l’inexécution de l’obligation garantie l’effet radical de rendre le créancier propriétaire du bien engagé sans avoir à le demander en justice2026. Consacré par la réforme des sûretés portée par l’ordonnance no 2006-346 du 23 mars 2006, le pacte commissoire est aujourd’hui confirmé par la nouvelle réforme portée par l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021. Les parties au contrat de financement et d’hypothèque peuvent donc assortir cette dernière d’une telle clause, afin d’éviter le recours à la procédure de saisie immobilière2027. La seule prohibition concerne la nature du bien hypothéqué qui ne peut constituer la résidence principale du débiteur. Cette clause pourrait alors être considérée comme une dation en paiement, ou plus précisément comme une promesse de dation en paiement : le créancier acquiert un droit à la réalisation de la dation sous la condition suspensive de l’inexécution de l’obligation contractée par le débiteur2028.
10604 – Rôle du notaire dans la mise en œuvre du pacte commissoire. – Le pacte commissoire peut être inclus dans la convention d’hypothèque ou faire l’objet d’un avenant postérieur2029. Le rôle du notaire devient ici décisif, puisque la clause devra définir à quelles conditions et selon quelles modalités le pacte commissoire devra être mis en œuvre. En cas de réalisation, il reviendra également au notaire de constater, d’une part, le transfert de propriété au profit du créancier et, d’autre part, la libération du débiteur. En outre, et afin d’assurer son opposabilité aux tiers, le pacte commissoire devra faire l’objet de la formalité de publication auprès du service de publicité foncière compétent. Il est du reste devenu impératif de faire figurer l’existence de cette clause dans les bordereaux d’inscription de l’hypothèque dont le pacte commissoire constitue un accessoire2030.

Sous-section II – L’attribution judiciaire

10605 – Définition. – L’attribution judiciaire du bien grevé d’hypothèque est également une innovation portée par la réforme des sûretés contenue dans l’ordonnance du 23 mars 2006, confirmée par l’ordonnance du 15 septembre 2021.
Le nouvel article 2451 du Code civil prévoit en effet que « le créancier hypothécaire peut aussi demander en justice que l’immeuble, s’il ne constitue pas la résidence principale du constituant, lui demeure en paiement ».
Cette attribution judiciaire offre un domaine plus vaste que le pacte commissoire puisqu’il n’y a pas ici la nécessité de l’avoir prévu dans l’acte de constitution de l’hypothèque, mais simplement de faire constater la défaillance du débiteur. Cet accessoire de la garantie hypothécaire peut également être invoqué en présence d’un pacte commissoire pour le cas où le débiteur contesterait sa mise en œuvre2031. Toutefois, il nous semble que le caractère légal et non conventionnel de cet accessoire doit convaincre les parties que l’inclusion d’un pacte commissoire dans un contrat de financement contenant une garantie hypothécaire présente tout de même un avantage direct. En effet, en contractualisant ainsi le transfert de propriété du bien grevé pour libérer le débiteur, prêteur et emprunteur pourront dès lors organiser d’un commun accord, et selon des conditions unanimement acceptées et rédigées par notaire, la réalisation de la garantie, et en conséquence s’épargner une longue procédure judiciaire à l’issue incertaine.

Sous-section III – Dispositions communes

10606 – L’estimation de la valeur du bien objet de la garantie. – Le pacte commissoire comme l’attribution judiciaire sont soumis, avant toute mise en œuvre, à une expertise de la valeur des biens grevés2032. Si l’expertise peut être amiable ou judiciaire, ses modalités devraient selon nous, dans le cadre d’un pacte commissoire, être définies dans le corps même de l’acte le constatant. Là encore, le rôle du notaire s’avérera déterminant dans la mise en œuvre de ce pacte, en l’ayant au préalable anticipé dans toutes ses modalités. Condition nécessaire de la mise en œuvre du pacte commissoire, l’estimation par expert doit donc être organisée d’un commun accord entre les parties afin d’éviter une expertise judiciaire qui viendrait faire perdre à l’opération son caractère purement conventionnel. Au risque de nous répéter, l’intervention du notaire nous semble ici décisive pour sécuriser le contrat faisant naître la garantie, et l’anticipation du contentieux en matière de financement constitue incontestablement une condition nécessaire du développement économique, et donc dans notre cas de la production alternative d’énergie.
10607 – La réalisation de la garantie sans préjudice pour le débiteur. – Le nouvel article 2453 du Code civil reprend les dispositions de l’ancien article 2460 du même code en imposant, en cas de valorisation supérieure à la dette du débiteur, le versement par le créancier d’une soulte correspondant à la différence de valeur. Cela se comprend aisément, compte tenu du principe général du droit des sûretés prohibant l’enrichissement du créancier2033. L’intervention du notaire dans la rédaction d’un pacte commissoire prévoyant le mode de règlement de la soulte éventuelle, l’époque de son règlement, et y conditionnant le transfert de propriété nous semble là encore décisive dans la bonne exécution de la garantie.

2013) C. civ., art. 2414, al. 1 : « L’hypothèque peut être constituée sur des immeubles présents ou futurs ». Cet art. est une création de la réforme des sûretés contenue dans l’ordonnance no 2021-1192 du 15 septembre 2021. Sous le droit antérieur, la prohibition de l’hypothèque de biens futurs était le principe, sous toutefois quelques exceptions édictées à l’ancien article 2420, dont celle du 3e alinéa : « Celui qui possède un droit actuel lui permettant de construire à son profit sur le fonds d’autrui peut hypothéquer les bâtiments dont la construction est commencée ou simplement projetée ; en cas de destruction de ceux-ci, l’hypothèque est reportée de plein droit sur les nouvelles constructions édifiées au même emplacement ».
2014) C. civ., art. 2421.
2015) Cass. 1re civ., 1er déc. 1964 : JurisData no 1964-700535 ; JCP G 1965, II, 14213, P. Esmein.
2016) JOAN Q 23 mars 1974, p. 1287.
2017) T. de Ravel d’Esclapon : JCl. Civil Code, Art. 2418 à 2420, Fasc. unique, Hypothèques conventionnelles. – Spécialité de l’hypothèque quant à l’assiette. Extension de l’hypothèque quant aux améliorations. Hypothèque de biens à venir.
2018) T. de Ravel d’Esclapon, op. cit., no 63, p. 23.
2019) Cass. req., 2 juill. 1901 : DP 1909, 1, p. 342. – Cass. civ., 1er mai 1906 : DP 1909, 1, p. 45. – Cass. 3e civ., 6 janv. 1972 : D. 1972, jurispr. p. 398, en ce qui concerne les meubles immobilisés par destination postérieurement à la constitution de l’hypothèque.
2020) Tel qu’issu de l’ordonnance du 15 septembre 2021.
2021) Rapport du 114e Congrès des notaires de France, Cannes, 27-30 mai 2018, Demain le territoire, 2e commission, no 2599, p. 445.
2022) Cass. 3e civ., 31 oct. 2012, no 11-16.304 : JurisData no 2012-024285 ; JCP N 2013, no 12, 1262, note F.-X. Testu.
2023) En matière de bail à construction, l’article L. 251-6, alinéa 3 du Code de la construction et de l’habitation prévoit toutefois que si le bail prend fin par résiliation judiciaire ou amiable, les privilèges et hypothèques nés du chef du preneur « et inscrits, suivant le cas, avant la publication de la demande en justice tendant à obtenir cette résiliation ou avant la publication de l’acte ou de la convention la constatant, ne s’éteignent qu’à la date primitivement convenue pour l’expiration du bail ».
2024) JCl. Civil Code, Art. 1488, Fasc. unique, Privilèges et hypothèques – Extinction, par V. Brémond.
2025) C. civ., art. 2458.
2026) G. Cornu (ss dir.), Vocabulaire juridique, Assoc. H. Capitant, PUF, 13e éd., 2020.
2027) C. civ., art. 2452 et 2453 nouveaux.
2028) F. Bicheron, La dation en paiement, éd. Panthéon-Assas, 2006, no 287.
2029) JCl. Civil Code, Art. 2458 à 2460, Fasc. unique, Privilèges et hypothèques. Effets. Pacte commissoire et attribution judiciaire, par P.-F. Cuif.
2030) D. no 55-1350, 14 oct. 1955, art. 55, 3.
2031) P.-F. Cuif, op. cit., no 31.

2032) C. civ., art. 2453 nouveau : « Dans les cas prévus aux deux articles précédents, l’immeuble doit être estimé par expert désigné à l’amiable ou judiciairement.

Si sa valeur excède le montant de la dette garantie, le créancier doit au débiteur une somme égale à la différence ; s’il existe d’autres créanciers hypothécaires, il la consigne ».
2033) P.-F. Cuif, op. cit., no 47 et V. égal. en ce sens, P. Croq, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, no 270.
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