CGV – CGU

Partie II – La circulation internationale de l’acte
Titre 2 – Les fondements et modalités de la circulation internationale
Sous-titre 1 – Reconnaissance ou acceptation ? Question de terminologie
Chapitre II – L’acceptation de l’acte notarié en droit international privé

2380 L’acceptation en droit international privé de l’acte notarié repose sur le principe de présomption de validité (Section I). Ce principe connaît cependant certaines limites (Section II).

Section I – Une présomption de validité

2381 En droit commun, le principe est fondé sur la présomption de validité de l’acte notarié. En d’autres termes, un acte authentique étranger est présumé valable en France825.

La force de ce principe explique qu’aucun texte, même dans le Code de procédure civile, ne vise aucune disposition sur la validité des actes authentiques étrangers826.

L’acte notarié, acte public pour certains827, ou quasi public pour d’autres828, est souvent le support d’un contrat et tout contrat, jusqu’à preuve du contraire, est présumé valable : «L’acte authentique rayonne en tant qu’élément faisant partie de l’ordre juridique de l’État requis»829, auquel il s’intègre naturellement.

Cas pratiques de validité d’actes notariés étrangers en France

Acte néerlandais de notoriété : un acte de notoriété dressé par un notaire néerlandais doit être reconnu de plein droit en France830.

Acte allemand de reconnaissance d’enfant naturel : de même, une reconnaissance volontaire établie en Allemagne avec engagement consécutif de verser une pension alimentaire est pleinement valable en France : «Toute reconnaissance volontaire d’un enfant naturel faite en pays étranger produit de plein droit ses effets sans qu’il y ait lieu de soumettre à exequatur l’acte instrumentaire qui la contient, de la même manière que font foi les actes de l’état civil, tant que son invalidité n’a pas été constatée judiciairement à l’initiative de celui qui y a intérêt»831.

Actes notariés exécutoires allemands : deux actes rendus exécutoires par le notaire allemand en vue de recouvrer sa créance à l’encontre de clients français, revêtus de l’exequatur par la juridiction française. Les clients, qui refusaient de régler, ont invoqué la violation de l’ordre public français, la procédure allemande étant différente de celle française compte tenu du fait que la nature juridictionnelle et le caractère contradictoire qui garantit les droits de la défense en France832n’existent pas en Allemagne, en matière de recouvrement de créance. La cour d’appel de Paris a indiqué que les «dispositions de la loi étrangère ne peuvent pas être considérées en France, comme contraires à l’ordre public dans les relations internationales avec les autres pays, du simple fait qu’elles sont différentes des règles françaises»833.

Testament authentique polonais instituant un legs «par revendication» : la reconnaissance par un État des effets d’un legs «par revendication», inconnu dans sa législation, selon une décision de la Cour de justice de l’Union européenne. Dans le cadre du règlement européen «Successions», la Cour considère qu’en vertu de l’article 1er, § 2, k) et l) et 31 du règlement «Succession» n° 650/2012 du 4 juillet 2012, «un État ne peut refuser de reconnaître les effets réels du legs “par revendication” connu par le droit applicable à la succession, pour lequel un testateur a opté, dès lors que ce refus repose sur le motif que ce legs porte sur le droit de propriété d’un immeuble situé dans cet État, dont la législation ne connaît pas l’institution du legs “par revendication” à la date d’ouverture de la succession»834.

Toutefois, il faudra veiller à conférer à l’acte étranger «ni plus ni moins que la force probante que lui accorde la loi étrangère en vertu de laquelle l’acte a été établi»835.

Cette dernière observation conduit à examiner les limites de cette présomption de validité.

Section II – Les limites de la présomption

2382 Les tempéraments qui viennent apporter une certaine limite à ce principe de validité présumée tiennent essentiellement à deux facteurs : le premier concerne la qualité de l’autorité locale instrumentant l’acte établi à l’étranger (§ I) et le second la contestation de l’acte étranger (§ II).

§ I – La qualité de l’autorité locale qui instrumente dans les pays étrangers

2383 Le caractère authentique de l’acte étranger pourrait ne pas équivaloir à l’authenticité conférée par le notaire français à ses actes.

Ainsi qu’il a déjà été analysé dans la partie consacrée à la procuration devant être reçue en la forme authentique, l’acte établi à l’étranger, comme par exemple en Australie, pourrait ne pas remplir tous les critères de solennité requis pour conférer à l’acte le caractère authentique (V. supra, nos a2219 et s.).

La théorie de l’équivalence qui consiste à rechercher «la substance commune suffisante qui permette l’articulation des systèmes, de porter, au cas par cas, un jugement de valeur afin de déterminer si l’institution étrangère peut être ajustée à la règle française sans provoquer d’altération grave» est incontournable pour apprécier si les critères de l’authenticité sont remplis par l’autorité locale étrangère.

Cette méthode de l’équivalence va surtout s’appliquer lorsque l’autorité locale exerce dans un pays qui ne connaît pas dans son ordre juridique le notariat de «type latin», comme par exemple les pays de common law ou les pays de droit musulman, dont la diversité des statuts conduit à développer ce qui suit.

A/ L’autorité locale dans les pays de common law

2384 La diversité des systèmes de common law conduit à faire des choix quant à la description des caractéristiques de leur activité «notariale».

C’est pour cette raison que la description de ces systèmes sera limitée au seul système anglais. L’Écosse et la Nouvelle-Zélande mériteraient également une étude, mais les limites de l’ouvrage imposent des choix.

2385 Même si le notary public peut illustrer l’adaptation du droit entre la common law et la civil law836, les pouvoirs du juge en la matière sont si importants et si puissants que, d’une part, l’exécution relève exclusivement du pouvoir juridictionnel et, d’autre part, que le contrat peut toujours être révisé, amendé, voire purement privé de tout effet par le juge qui peut juger en equity.

Par ailleurs, dans un certain nombre de cas, les notaries publics se trouvent également exercer en qualité de solicitors, ce qui n’est pas compatible avec le statut d’officier public du notaire de droit latin.

I/ Les scriveners notaries et notaries publics au Royaume-Uni
a) Le scrivener notary

2386 La trentaine de professionnels dénommés scriveners notaries et exerçant essentiellement à Londres dans des entités commerciales de types et de tailles variables a obtenu des examens supplémentaires imposés par la Society of scrivener notaries837.

À la différence du notary public, le scrivener notary de droit anglais, non seulement vérifie l’identité et la capacité des parties, mais dresse également les contrats qu’il authentifie.

Il exerce un office public, et les actes qu’il authentifie dans ce cadre sont destinés à être utilisés en dehors du Royaume-Uni838.

Son obligation professionnelle à l’égard du client l’amène à devoir attirer l’attention des parties sur la gravité de son engagement839.

De ce fait, il pourrait être considéré comme exerçant une fonction proche de celle des notaires de pays latins840.

Pour autant, toutes les réserves sont de mise sur ce point délicat, du fait précisément des différences de statut constatées : le scrivener notary n’est pas officier public nommé par l’État ; il peut en outre exercer la profession de solicitor, activité cumulée avec celle de scrivener notary. De plus, l’ activité du scrivener notary n’est pas tarifée, les modalités de sa rémunération reposent sur des honoraires libres841.

Ce juriste exerce son activité dans un cadre strictement libéral, sans être délégataire de l’autorité publique. Les actes qu’il instrumente n’ont ni la force probante ni la force exécutoire de l’acte notarié établi par un notaire de droit latin.

Dans ces conditions, l’acte établi par un scrivener notary peut-il vraiment équivaloir à un acte authentique français ?

Pour une partie de la doctrine842, confortée par une réponse ministérielle de 1989843, il semblerait que la réponse soit positive844.

Toutefois, si la notion d’équivalence consiste à garantir l’intégration dans l’ordre du for de situations conformées sur des institutions étrangères845, il convient de contrôler si le rapport de droit ainsi qualifié (en l’espèce l’activité du scrivener notary) respecte l’exigence de cohérence de l’ordre du for (en l’espèce la notion d’authenticité conférée par un officier public nommé par l’État, délégataire de l’autorité publique, exerçant de surcroît de façon indépendante et impartiale – regroupant non seulement les critères de solennité, mais aussi le devoir de conseil qui en est le prolongement)846.

Compte tenu de ce qui vient d’être dit, au regard des différences conceptuelles de la notion d’authenticité entre les deux systèmes anglais et français, la qualification semble moins bien résister à l’exigence de cohérence. Faut-il en conclure que les actes reçus par le scrivener notary ne bénéficieraient pas de la présomption de validité ?

b) Le notary public

2387 Dans le système anglais, même si le notary public existe depuis le xiiie siècle847et que les fonctions sont actuellement régies par un règlement professionnel de 2014, les actes authentiques, selon l’acception anglaise de la notion, sont privés de la force probante renforcée et surtout de la force exécutoire, toutes deux inhérentes à l’authenticité de l’acte du notaire de droit latin.

En Angleterre comme au Pays de Galles, les notaries publics sont autorisés, comme les scrivener notaries, à exercer les mêmes activités que les conseillers juridiques (solicitors), portant notamment sur l’administration des successions ou la rédaction d’actes translatifs848.

Leurs obligations professionnelles sont de «s’assurer que les personnes qui paraissent devant eux sont correctement identifiées, leurs capacité et compétence étant vérifiées et leur compréhension et libre arbitre constatés»849.

Mais, en principe, ils ne participent pas à l’élaboration de l’acte. De ce fait, aucune obligation de conseil ne semble leur être imposée850.

Partant, l’équivalence entre l’acte reçu par un notary public et un notaire français s’avère délicate à envisager.

La situation serait-elle différente si le notary public (ou le scrivener notary) remplit également les fonctions de solicitor ? Les avis sont partagés (V. infra , n° a2389).

2388

Les notaries australiens et américains

Bien que le choix ait été de limiter l’étude du modèle de notary public anglais, une évocation des notaries publics australiens et américains reste opportune, compte tenu des nombreux actes et procurations pouvant provenir de ces pays.

Concernant le notary public australien, l’arrêt du 14 avril 2016 relève que ce professionnel ne remplit pas les conditions de solennité requises851.

Concernant le notary public américain, un arrêt du 23 mai 2006 confirme également qu’officiant seul, ce certificateur de signature ne peut être l’équivalent du notaire, officier public authentificateur852.

II/ Les solicitors et barristers
a) Le solicitor

2389 Le solicitor est un professionnel du droit dont l’une des caractéristiques est d’être en relation directe avec le client, de rédiger des actes, sans toutefois certifier l’identité des parties, ni leur signature, ni conférer date certaine aux actes853.

Dans ces conditions, la combinaison des deux professionnels, solicitor d’une part, et notary public (ou scrivener notary) d’autre part, permettrait-elle de respecter l’exigence de cohérence que la notion d’équivalence présuppose ?

En d’autres termes, la méthode selon laquelle le solicitor reçoit les clients, leur lit l’acte et s’enquiert de leur parfaite compréhension avant de recueillir leur signature en présence du notary public qui atteste de l’identité des parties, certifie l’authenticité de leur signature et atteste de la date de signature, peut-elle équivaloir à la réception d’un acte authentique par un notaire français ?

Pour certains auteurs, la réponse est positive854même si la prudence reste de mise. Cette position repose en effet sur la situation inédite d’une authentification «à quatre mains», où la fonction de conseil et de vérification de la qualité du consentement est dissociée de la fonction d’identification. Or, le notariat de type latin repose précisément sur la réunion de ces fonctions entre les mains d’une même personne, un officier public nommé à cet effet. Si l’on peut s’interroger sur l’éventuelle équivalence (sur la notion en droit international privé : V. infra , nos a2402 et s.) de la solution, il ne s’agit certainement pas d’un acte authentique au sens propre.

b) Le barrister

2390 Un autre professionnel du droit exerce au Royaume-Uni : il s’agit du barrister. Cette profession, héritage de l’histoire ancienne du droit anglais, existe toujours à ce jour.

Le monopole historique du barrister est de plaider devant les juges. Actuellement, les barristers collaborent souvent avec les solicitors, même si les dernières réformes ont permis à ces derniers d’avoir accès à la plaidoirie.

Dans l’Angleterre d’aujourd’hui, les affaires portées au contentieux nécessitant de plaider sont relativement faibles en matière d’accidents de la route et de divorces, comparées à celles relatives au monde des affaires et de la finance londonienne855.

Comme ces dernières se résolvent le plus souvent par l’arbitrage, le développement des activités économiques modernes a marginalisé la profession de barrister, «la classe la plus noble du droit» selon certains auteurs (en contact direct avec les juges, qui sont d’ailleurs choisis parmi cette profession), par rapport à «la classe plus riche» des solicitors selon les mêmes auteurs, qui assurent le conseil juridique856.

C’est ainsi que les grands cabinets londoniens sont des associations de solicitors, tandis que les cabinets de barristers (appelés des inns), qui ont leur siège dans le centre de Londres («îlot de paix au cœur d’un océan d’activités et de bruit»)857, occupent essentiellement une fonction éducative et consultative pour l’organisation des professions juridiques et l’enseignement du droit858.

Il résulte de ce qui précède que l’activité des barristers ne peut réussir l’examen de la cohérence qui assure l’équivalence avec l’activité notariale telle qu’exercée par l’officier public français.

2391 La description ainsi faite des professions juridiques anglaises souligne tout à la fois les particularités rencontrées, quand le notaire français doit rechercher l’équivalence pour les actes établis outre-Manche, et leur diversité.

Un autre système de droit est également très diversifié quant aux autorités locales chargées de rédiger ou authentifier les actes, qui peut laisser le notaire en recherche de l’équivalence en proie à plusieurs interrogations : il s’agit des autorités locales qui instrumentent les actes dans les pays de droit musulman, qu’il est proposé d’aborder maintenant.

B/ L’autorité locale dans les pays de droit musulman

2392 De même que la diversité des systèmes de common law a précédemment conduit à faire des choix quant à la description des caractéristiques de leur activité «notariale», l’évocation du droit musulman sera limitée au seul ordre juridique marocain.

Même si l’Algérie, la Tunisie, ou encore pour des raisons nouvelles d’expatriation de Français, le Qatar, l’Arabie saoudite ou les Émirats arabes unis mériteraient d’être abordés dans le périmètre de leurs activités notariales et de leurs autorités locales qui les exercent859, les limites de l’ouvrage imposent des choix.

En effet, les pays musulmans pratiquent différents droits issus de plusieurs grandes écoles de droit qui interprètent et appliquent les règles du Coran860.

Pour cette raison, seul l’exemple du notariat marocain sera évoqué ici, du fait de la coexistence de deux types de notariat dans ce Royaume861.

I/ Le notariat marocain de type confessionnel

2393 Le premier type de notariat qui retiendra ici l’attention est le notariat confessionnel, au regard tant du statut personnel que successoral.

Ce type de notariat comprend trois catégories de notaires, en fonction des confessions :

le notaire adoulaire, institué par la loi coranique, compétent pour les affaires religieuses des musulmans ;

le notaire rabbinique, institué par la loi mosaïque, compétent pour les affaires civiles des personnes de confession israélite ;

le notaire non musulman et non rabbinique, qui correspond au notaire de type latin, compétent pour la rédaction de contrats notariés dispensés d’homologation.

Aux côtés du notariat confessionnel, il existe le notariat de droit civil.

II/ Le notariat marocain de type «droit civil»

2394 Le notariat de droit civil comprend :

l’adoul, compétent pour les transactions immobilières concernant les biens non immatriculés à la conservation foncière et des hypothèques ;

les souffrims, responsables des actes de droit coutumier ;

les notaires non musulmans et non rabbiniques, compétents pour exercer les activités relevant du droit des sociétés, qu’elles soient civiles ou commerciales, ainsi que des sociétés de fait, des transactions immobilières concernant les biens immatriculés à la conservation foncière et des hypothèques, ainsi que des procurations ou des actes solennels.

2395 Par ailleurs, le statut de ces derniers, jusqu’alors dénommés officiellement «notaires modernes» a fait l’objet d’une importante réforme depuis 2013862.

Officier public, le notaire est nommé par arrêté du chef du gouvernement, après avoir été admis au concours d’accès à la profession de notaire, et fait l’objet d’un certain nombre de vérifications (ne pas avoir eu de condamnation ou de sanction dans le cadre de la fonction publique ou des professions libérales, jouir de ses droits civiques et civils, être de bonne moralité et avoir de bonnes mœurs)863.

Si, depuis la réforme du 15 juin 2013, le notaire marocain a perdu son qualificatif de «moderne», il n’en demeure pas moins des plus modernes : l’activité notariale marocaine évolue en effet très rapidement vers l’avènement d’un écosystème notarial digital, de très nombreux applicatifs permettant des connexions et des transferts de données avec les différents sites des administrations (conservation foncière, cadastre…).

Le droit que le notaire marocain pratique est continental, de type «droit latin». La langue utilisée est le français, et son champ de compétence est très étendu : du statut personnel et successoral des non-musulmans, et des non-israélites, quelle que soit leur nationalité, à la vie juridique des sociétés de personnes et de capitaux (de la constitution aux dépôts, de la vie sociale à la dissolution), la vie juridique quotidienne (procurations), du commerce (vente, bail de fonds de commerce) et des commerçants individuels.

Il est possible de déduire de ce qui vient d’être dit que le notaire marocain, soumis au statut professionnel issu de la loi du 15 juin 2013, satisfait le plus de critères assurant la cohérence dans la recherche de l’équivalence.

Cette diversité du notariat dans un même ordre juridique est bien représentative des pays de droit musulman, qui traditionnellement distinguent l’activité des adouls, de celle des cadis.

Distinction traditionnelle adoul/cadi

De façon générale, au-delà du notariat marocain, l’activité «notariale» de droit musulman s’articule entre les adouls à qui les parties exposent leur accord, que les adouls rédigent dans des contrats appelés adlya, et les cadis qui homologuent les actes adoulaires en leur conférant le caractère authentique, par la mention qu’ils apposent, appelée khitab864.

A l’exception du notariat marocain, la combinaison des attributions entre l’adoul et le cadi ne devrait cependant pas être tenue pour équivalente à l’authenticité attachée à un acte notarié français.

En effet, d’une part, les adouls qui rédigent l’acte que les parties souhaitent passer n’ont pas forcément toutes les connaissances juridiques requises et, d’autre part, si le cadi a les connaissances juridiques, il n’est pas le rédacteur de l’acte qu’il ne fait qu’homologuer865.

2396 De tout ce qui précède, que l’acte provienne d’un pays de common law ou d’un pays de droit musulman, l’équivalence qui assure l’acceptation en France d’un acte reçu comme ayant un caractère authentique n’est pas si aisée à déterminer, même si un arrêt récent de la Cour de cassation vient rappeler le principe de présomption de validité étudié ci-dessus, n° a2381866.

La Haute Cour énonce en effet qu’un acte notarié mentionnant que chaque héritier a donné procuration à un mandataire qui avait signé l’acte en leur nom, doit être considéré de la même manière qu’un acte notarié français, les affirmations du notaire portugais ayant la même force probante que son confrère français, sauf aux parties à introduire au Portugal une procédure d’inscription de faux.

De cet arrêt, un auteur retient que le principe qui y est énoncé demeure pleinement d’actualité pour tous les actes authentiques émanant d’État tiers à l’Union européenne867.

À retenir

De tout ce qui précède, il résulte que l’analyse de cohérence au regard du principe d’équivalence doit être effectuée in concreto, au cas par cas. Aucune règle générale ne peut s’appliquer en la matière, compte tenu de la grande diversité de systèmes : l’étude de la fonction de l’organe public étranger détermine en effet si l’acte est équivalent ou pas à l’acte notarié dressé par un notaire français868.

Sous ces seules conditions, le principe de droit commun de validité peut être appliqué.

Cette présomption de validité s’applique sauf dans les cas où l’acte notarié établi à l’étranger est contesté. Ceci sera la deuxième limite au principe de présomption de validité.

§ II – La contestation de l’acte notarié étranger

2397 Le principe de validité présumée qui vient d’être étudié peut être combattu de plusieurs manières, selon que l’objet contesté se trouve être l’instrumentum (le support servant aux parties à exprimer leurs volontés), le negotium (ce que les parties ont voulu) (A), ou encore l’autorité locale ayant instrumenté (B).

A/ Contestation portant sur le negotium ou l’instrumentum
I/ S’agissant du negotium

2398 Si la contestation de l’acte établi porte sur le negotium, l’État d’accueil doit surseoir à l’exécution de l’acte dans l’attente de la décision qui doit être prise dans l’État d’origine dans lequel une juridiction a déjà été saisie869.

II/ S’agissant de l’instrumentum

2399 Pour le cas où il n’existe pas de litispendance, il est admis qu’une personne peut contester devant les tribunaux français un acte authentique établi à l’étranger, sans toutefois que cette action puisse porter sur l’autorité publique étrangère qui l’a établi.

Ainsi, le juge français peut-il annuler une vente effectuée par un non-propriétaire, ou annuler un testament reçu par un notaire étranger si le testateur n’avait plus la capacité de disposer870. Le juge français pourra également annuler l’acte authentique lui-même s’il présente une irrégularité formelle au regard de la loi désignée par la règle de conflit871.

B/ Contestation sur la sincérité de l’officier public étranger ayant instrumenté

2400 En revanche, s’agissant d’une contestation portant sur l’officier ayant établi l’instrumentum, les juridictions françaises sont alors incompétentes pour statuer sur la sincérité de l’autorité publique étrangère qui l’a établi : les énonciations constatées par l’officier public étranger ne peuvent être discutées devant les juridictions françaises, celles-ci se déclarant incompétentes pour statuer sur la sincérité de l’officier public étranger.

Ainsi, dans un arrêt de 2001, la Cour de cassation qui a relevé que le litige ne portait ni sur la régularité formelle de l’acte public, ni sur la légalité de l’acte juridique, «mais sur la sincérité et la réalité même des énonciations qu’il contenait» a reconnu que «le juge français n’a le pouvoir ni d’annuler l’acte public étranger ni de prendre les mesures requises de mention en marge de l’acte faux et d’injonction à l’officier public étranger dépositaire de l’acte litigieux (…) seules les juridictions italiennes étaient compétentes pour prononcer l’annulation sollicitée»872.

Toute procédure tendant à porter devant le juge français un litige concernant la sincérité de l’officier public ne peut prospérer, seules les juridictions du pays dans lequel exerce l’officier public étant compétentes pour le juger. Il s’agit de respecter le principe de la lex auctoris, étudié supra, n° a2051.

Dans ce cas, il ne s’agit pas d’apprécier la validité formelle de l’acte notarié au regard de la loi applicable, mais bien de contester la sincérité du notaire dans l’exercice de ses fonctions. «Or, l’intervention d’une autorité publique reposant sur une délégation partielle de souveraineté, le juge français n’a pas le pouvoir de remettre en cause la présomption de véracité qu’un État étranger accorde à un acte régulièrement dressé par l’un de ses organes»873.

Dans une telle situation, «si le juge français y procédait, il s’ingérerait dans la souveraineté de l’État étranger»874.


825) La présomption de validité est déjà la règle pour les actes d’état civil, ainsi qu’il a été vu supra, n° a2117.
826) R. Crône, La réception d’un acte authentique étranger en France, in Mél. en l’honneur de M. Revillard, Liber amicorum, Defrénois, 2005, p. 80, n° 13.
827) Cass. 1re civ., 20 mars 2001, n° 99-12.364 : Rev. crit. DIP 2001, p. 697, note H. Muir Watt qui reconnaît qu’un testament reçu en la forme notariée est un acte public, même établi par un notaire étranger de droit latin.
828) R. Crône, dans son article précité, reprend la définition de l’acte quasi-public élaboré par M. Pamboukis : «L’acte quasi-public désigne l’ensemble des actes dans lesquels est intervenu un organe public dans le but de l’administration publique de droit privé, mais ne comportant pas l’expression de la volonté de l’organe public« ; définition conforme avec celle de P. Meyer : «Intervention d’un organe étatique, destinée à produire des effets de droit privé, mais ne prenant pas la forme d’une décision au sens strict, c’est-à-dire ne comportant pas l’affirmation expresse, pourvue d’une autorité propre,de l’existence d’un État de droit».
829) M. Goré, L’acte authentique en droit international privé, in Droit international privé, Travaux comité fr. DIP, 14e année, 1998-2000, p. 29. Étant précisé que si le cœur de ses réflexions était l’acte authentique en général, l’auteur a bien reconnu dans son introduction à la page 23, qu’en tout état de cause, «l’acte notarié, c’est l’acte authentique par excellence».
830) La force probante de l’acte de notoriété dans l’État d’accueil est définie à l’article 59.1 du règlement européen «Successions» n° 650/2012, qui énonce : «Les actes authentiques établis dans un État membre ont la même force probante dans un autre État membre que dans l’État membre d’origine ou y produisent les effets les plus comparables, sous réserve que ceci ne soit pas manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre concerné».
831) Cass. 1re civ., 12 janv. 1994, M. Tonon c/ Office cantonal de la jeunesse de Tuttlingen : Rev. crit. DIP 1994, p. 557, note Pamboukis.
832) Le défaut du principe du contradictoire a été déjà évoqué quant à la délivrance des actes exécutoires par le notariat croate : cf. commentaires des arrêts Pula Parking et Ibrica, supra, n° a2048.
833) CA Paris, 15 juin 1976 : Gaz. Pal. 1976, 2, 747.

834) CJUE, 12 oct. 2017, aff. C-218/16 : Defrénois flash 30 oct. 2017, nos 43-44, art. 142 h 2. Dans cette affaire, il s’agissait de faire reconnaître en Allemagne la validité d’un legs possible en Pologne, connu sous le nom de «legs par revendication» inconnu en Allemagne.

L’article 981, § 1 du Code civil polonais permet à un testateur de désigner par acte notarié un légataire qui bénéficie d’un legs qui porte sur un bien qu’il désignera au moment de l’ouverture de la succession. Le bénéfice de ce legs par «revendication» peut notamment consister en une quote-part de propriété sur un immeuble, laquelle de ce fait constitue un droit patrimonial cessible.

835) M. Goré, op. cit., p. 31.
836) M. Lightowler, Les notaires en Angleterre et au Pays de Galles : JCP N 17 nov. 2017, n° 46, 1308, p. 28, n° 2.
837) M. Lightowler, art. préc., p. 28, n° 6.
838) M. Goré, L’acte authentique en droit international privé, Travaux comité fr. DIP, 1998-1999, p. 28.
839) V. Bonnet et D. Vincent, 111e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 2015, 3e commission, p. 643, n° 3332.
840) H. Péroz, La procuration en droit international privé : JCP N 14 mai 2010, n° 19, 1193, n° 11.
841) M. Lightowler, art. préc., p. 28, nos 5 et 7.
842) M. Goré, art. préc., p. 28. – P. Callé, L’acte authentique établi à l’étranger. Validité et exécution en France : Rev. crit. DIP 2005, p. 382 et spéc. p. 395. – P. Callé : JCl. Notarial Formulaire, not. V° Acte notarié, fasc. 310, spéc. n° 37.
843) Rép. min. 18 déc. 1989 : JOAN Q 25 sept. 1989, n° 17784, p. 5586.
844) M. Goré, art. préc., p. 28. – P. Callé, L’acte authentique établi à l’étranger. Validité et exécution en France : Rev. crit. DIP 2005, p. 382 et spéc. p. 395. – P. Callé : JCl. Notarial Formulaire, not. V° Acte notarié, fasc. 310, spéc. n° 38.
845) S. Godechot-Patris, Retour sur la notion d’équivalence au service de la coordination des systèmes : Rev. crit. DIP 2010, p. 271.
846) Ibid.
847) Par la faculté dès 1279 qui a été accordée par le Pape Nicolas III à l’archevêque de Canterbury de nommer trois notaires : M. Lightowler, Les notaires en Angleterre et au Pays de Galles : JCP N 17 nov. 2017, n° 46, 1308, p. 27 et s.
848) Ibid.
849) M. Lightowler, art. préc., n° 15.
850) E. Fongaro, Acte authentique – Signature – Procuration – Acte passé à l’étranger : JDI janv. 2017, n° 1, 3, p. 14.
851) Pour un commentaire détaillé, V. supra, n° a2219.
852) Cass. 1re civ., 23 mai 2006 : Rev. crit. DIP 2006, 841, note M. Revillard ; cet arrêt fait l’objet d’un commentaire de P. Callé, Le notaire, les actes notariés et le droit international privé, in Mél. à la mémoire de P. Courbe, Dalloz, 2012, p. 83.
853) G. Bonnet et D. Vincent, 111e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 2015, p. 645, n° 3332.
854) M. Farge et F. Hébert, Caractère authentique de la procuration reçue par un notary public australien ? : JCP N 1er juill. 2016, n° 26, 1209, p. 24. – A. Meier-Bourdeau, La réception des actes authentiques en France : JCP N 18 juill. 2014, n° 29, 1253, p. 39, n° 9. – P. Callé, Le notaire, les actes notariés et le droit international privé, in Mél. à la mémoire de P. Courbe, Dalloz, 2012, p. 78 et spéc. p. 83.
855) A. Gambaro, R. Sacco et L. Vogel, Le Droit de l’Occident et d’ailleurs, Traité de droit comparé, LGDJ, 2011, p. 114 et s., n° 60.
856) Ibid.
857) Ibid.
858) Ibid.
859) R. Crône et L. Perreau-Saussine, Expatriation : quelle organisation patrimoniale ? : JCP N 1er déc. 2017, n° 48.
860) L. Perreau-Saussine, Rapport de synthèse du colloque sur les difficultés en DIP français de réception des droits musulmans : JCP N 20 juill. 2018, n° 29, 1246, p. 57, n° 3.
861) CSN, Fiche «Partenariat avec le notariat du Maroc», portail Réal : intra.notaires.fr/csn/jcms/mn_Œ11962/partenariat-maroc, mis en ligne le 4 avr. 2012, consulté le 24 nov. 2018.
862) Avant le 15 juin 2013, la profession notariale était représentée par la Chambre nationale du notariat moderne du Maroc, association à but non lucratif, régie par le dahir du 15 novembre 1958. Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 32.09 portant organisation de la profession de notaire, un Ordre national des notaires du Maroc, doté de la personnalité morale, a été créé : www.notaires.org.ma/la-profession/organisation/institution/, date de fraîcheur : 2015, consulté le 24 nov. 2018.
863) Site internet de l’Ordre national des notaires du Royaume du Maroc : www.notaires.org.ma/acces-a-la-profession/devenir-notaire/, consulté le 25 nov. 2018.
864) P. Callé, Acte établi à l’étranger : JCl. Notarial Formulaire, V° Acte notarié, fasc. 310, p. 7, n° 45.
865) L. Milliot et F.-P. Blanc, Introduction à l’étude du droit musulman, Sirey, 2e éd. 1987, p. 537, n° 707, et p. 543, n° 720.
866) Cass. 1re civ., 18 mars 2015, n° 13-28.173 (rejet), inédit : Defrénois flash 4 mai 2015, p. 9 : cet arrêt concerne un acte notarié portugais, qui est soumis au règlement européen «Successions» et à son article 59 depuis son entrée en vigueur le 17 août 2015.
867) P. Callé, Chroniques de droit international privé : Defrénois 2015, 12058, p. 887.
868) Pour une approche doctrinale de la question : G. Bonnet et D. Vincent, 111e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 2015, p. 639, nos 3324 et s.
869) Ce principe de sursis se trouve dans plusieurs instruments européens tels que l’article 59-3 du règlement «Successions», ou encore l’article 58-3 des règlements «Régimes matrimoniaux» et «Partenariats enregistrés».
870) A. Meier-Bourdeau, La réception des actes authentiques étrangers en France : JCP N 18 juill. 2014, n° 29, 1253, p. 40, n° 19.
871) R. Crône, La réception d’un acte authentique étranger en France, in Mél. en l’honneur de M. Revillard, Defrénois, 2007, p. 83, n° 22.
872) Cass. 1re civ., 20 mars 2001, n° 99-12.364 : Bull. civ. 2001, I, n° 77.
873) P. Callé, Acte établi à l’étranger : JCl. Notarial Formualire, V° Acte notarié, fasc. 310, p. 7, n° 23.
874) H. Muir Watt, comm. de l’arrêt du 20 mars 2001 : Rev. crit. DIP 2001, p. 702, n° 6.
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