CGV – CGU

Introduction générale

Chapitre I – INTRODUCTION GÉNÉRALE

2001

L’internationalisation des échanges et des déplacements des personnes et des familles n’est pas un phénomène nouveau. Cependant, elle connaît ces dernières années une telle ampleur que le droit international privé cherche, fondamentalement, à satisfaire un besoin impérieux de sécurité juridique, si bien connu en droit interne1.

De ce fait, l’acte notarié demeure le meilleur instrument qui garantit dans le domaine international, la sécurité juridique attendue, ce « besoin de tous les peuples »2, valeur universelle et classique du droit3, même si d’aucuns se sont interrogés sur son effet « mode »4.

D’une part, la sécurité juridique assure la prévisibilité de la loi, la clarté et l’accessibilité de la norme, mais aussi et avant tout la stabilité des situations juridiques. Ce principe de sécurité juridique se retrouve également en droit de l’Union européenne, tant dans plusieurs règlements européens5que dans nombre de décisions émanant de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme6.

D’autre part, l’institution du notariat de type latin est connue dans vingt-deux États membres de l’Union européenne ; elle est aujourd’hui implantée dans près de cent vingt pays. Le notariat de type latin représente au final un vecteur de sécurité juridique pour près des deux tiers de la population mondiale7, ce qui fait indéniablement de l’acte notarié le meilleur instrument au service de la sécurité juridique dans un contexte international, malgré les différences de statuts, de fonctions, d’attributions des notariats selon les États (V. infra a2026. Ces notariats, parfois très différents les uns des autres, se trouvent en effet tous réunis par un tronc commun, l’authenticité, au service précisément de la sécurité juridique, fondement et raison d’être du notaire dans la société.

Cette constatation faite, il convient maintenant de s’interroger sur la définition de l’expression « à l’international ».

En effet, parler d’une chose sans pouvoir la définir, « c’est au fond parler sans savoir de quoi l’on parle »8.

Que revêt finalement la notion de « contexte international » ? Pourquoi une procuration signée à l’étranger et devant produire ses effets en France (ou vice versa) relève-t-elle d’une situation « à l’international » ? De même, pour reprendre certains des exemples concrets contenus dans l’ouvrage de Mme Mariel Revillard, et pour ne rien écarter de ses références magistrales qui ont guidé et qui guident encore les travaux du 115e Congrès des notaires de France, pourquoi relèvent de l’« international » les cas suivants : un « contrat de mariage entre une Espagnole et un Français, qui s’installent en Allemagne ; un changement de régime matrimonial entre deux époux japonais installés en France ; une vente amiable à La Baule par un mineur anglais ; une succession d’un Canadien ayant établi un trust testamentaire à New York »9 ?

L’expression « contexte international » pourrait en quelque sorte regrouper toutes les situations sociales, de droit privé, dans lesquelles un élément d’extranéité doit être pris en compte pour l’application d’une règle de droit. Ce ou ces éléments d’extranéité pourraient notamment relever soit de la nationalité des personnes privées (physiques ou morales), de leur domicile, de la situation de leurs biens, ou bien permettraient encore la désignation d’une loi étrangère applicable à une situation nationale.

En d’autres termes, la notion de « contexte international » rejoindrait la définition du droit international privé proposée par Jacques Maury : « Le droit international privé ayant pour objet la réglementation de la vie sociale internationale, c’est essentiellement en fonction des besoins de celle-ci que, une fois sauvegardés les intérêts nationaux essentiels, mais seulement les intérêts essentiels, doivent être jugés les solutions proposées »10. Pour d’autres, le droit international privé est « le droit spécial, applicable aux personnes privées impliquées dans des relations juridiques internationales »11ou encore, « le droit autonome, de chaque État, indépendant des sources internationales de normativité »12.

Dans les développements qui vont suivre, la contribution de l’acte notarié à la sécurité juridique en matière de droit international privé sera démontrée, en s’interrogeant sur la place de l’acte notarié dans un contexte international (ses composantes, ses effets, ses conditions de circulation).

Le point de départ de la présente étude est le droit interne français. Cette méthode s’apparente à celle adoptée par le Comité français de droit international privé, qui prévoit comme objectif : « Se plaçant sur le plan national, préliminaire à toute action internationale, il [le Comité] espère contribuer à dégager à nouveau et petit à petit une véritable doctrine ou École française moderne du droit international privé »…13.

Au moyen de cette méthode, la définition de l’acte notarié comme élément fondateur de la sécurité juridique en droit interne sera analysée et développée : l’acte notarié occupe en effet une « part irremplaçable dans la protection de nos concitoyens, dans la prospérité économique de notre pays, dans l’efficacité de notre système de droit en France et dans le monde car cet acte est aussi un choix de société »14.

La partie préliminaire traitera d’abord de la définition de l’acte notarié et de ses attributs dans le droit positif interne. Cette étape permettra ensuite de mieux cerner la définition de l’acte notarié selon le droit européen. Sera également analysé le statut européen du notaire que le droit de l’Union européenne élabore progressivement, au fil de la jurisprudence des cours, mais aussi des règlements.

Les développements qui suivront tenteront de démontrer toute l’utilité de l’acte authentique notarié sous l’angle international, de comprendre la place qu’il mérite de tenir dans la hiérarchie des normes internationales et de mieux cerner les mécanismes et méthodes nécessaires pour l’établir, le faire circuler, l’accepter et l’exécuter au-delà des frontières.

Pour ce faire, la méthodologie de la deuxième commission se veut foncièrement pratico-pratique, partant du principe simple de l’élaboration, la préparation et la rédaction d’un acte notarié que tous les notaires façonnent au quotidien, en donnant à chacun de ses éléments constitutifs une dimension internationale. Par cette méthode, seront explorées les différentes notions et développés les points de contrôle et de vigilance que le notaire doit avoir à l’esprit lorsqu’il confectionne un acte présentant un ou des éléments d’extranéité.

2002 Penser l’acte notarié dans un contexte international conduit à penser la régionalisation du monde selon une dualité devenue aujourd’hui bien réelle : l’acte notarié transfrontière sera préparé et rédigé au vu d’éléments d’extranéité qui peuvent provenir soit de l’Union européenne, soit d’une « région » autre. Cet acte notarié répondra à des conditions de circulation et d’acceptation différentes, selon qu’il devra circuler et être exécuté au sein de l’Union, ou hors de ses limites. Dans cette dernière hypothèse, seront analysées les subtilités et incidences des conventions internationales ou bilatérales signées par la France en matière d’état civil, de coopération judiciaire, civile, commerciale ou encore fiscale, afin de mieux définir la voie que doit suivre l’acte notarié dans cet entrelacs que constituent le droit européen, le droit des conventions internationales et le droit commun du droit international privé français.

Tels sont les sujets qui seront traités dans les trois premières parties des travaux de cette deuxième commission.

Mais l’acte notarié dans un contexte international impacte bien d’autres domaines que celui exclusivement limité à la technique rédactionnelle nécessaire à sa perfection et à son efficacité : le caractère international d’un dossier amène le notaire à développer des réflexes propres.

Comment prodiguer au client dans un contexte international les meilleurs conseils selon son profil : expatrié, ou en cours de l’être, non-résident, ou en cours d’impatriation ?

Pour ces différentes raisons, il est apparu nécessaire et naturel à la deuxième commission d’aborder dans les quatre dernières parties de ses travaux les aspects inhérents à une clientèle internationale : la protection sociale des expatriés, le traitement fiscal de leur rémunération, mais aussi la protection à l’international contre les événements de la vie qui peuvent impacter les non-résidents en général, et les clients expatriés en particulier ; une étude des trusts, de l’assurance vie et de la fiscalité à l’international viendront conclure ces travaux.

Le Notariat l’a bien compris depuis longtemps : il doit savoir et pouvoir tenir une place prégnante au sein des ordres juridiques mondiaux que se partagent la common law et la civil law.

Le 115e Congrès a été précisément pensé pour cela : aider les notaires de France à évoluer à l’international, y être présents de façon quotidienne, utile et efficace, voire indispensable pour les personnes, les familles, les différents acteurs et opérateurs internationaux qui les sollicitent.

Dans cette perspective, les travaux de la deuxième commission devraient servir à mieux cerner la place du notariat dans l’ordre juridique européen et international, à mieux comprendre l’utilité des actes notariés à l’international, les rendre plus efficaces, tout en ayant à l’esprit les enjeux sociaux, financiers, patrimoniaux et fiscaux au cœur du dossier international que le notaire est amené à instrumenter au sein de son office.


1) 111e Congrès des notaires de France, Strasbourg, mai 2015, La sécurité juridique, un défi authentique, et spéc. 1re commission, Sécurité authentique.
2) J. Carbonnier, Droit civil. Introduction, PUF, coll. « Thémis droit privé », 27e éd. 2002, n° 16, p. 49.
3) T. Gruel et C. Farenc, La sécurité juridique, une valeur universelle : son histoire : JCP N mai 2015, n° 18, 1143, n° 1.
4) F. Pollaud-Dulian, À propos de la sécurité juridique : RTD civ. 2001, p. 503. – A. Cristau, L’exigence de sécurité juridique : D. 2002, p. 2814.
5) Pour quelques exemples : Règl. n° 1259/2010, 20 déc. 2010, sur le choix de loi applicable par les parties en matière de divorce, art. 5. – Règl. n° 650/2012, 4 juill. 2012, sur le choix de la loi par le de cujus applicable à sa succession, art. 22.
6) Rapport public du Conseil d’État 2006, Sécurité juridique et complexité du droit, Doc. fr., 2006, p. 229.
7) Recensement des pays connaissant le notariat latin au 20 octobre 2016, site de l’Union internationale du notariat latin : www.uinl.org/fr/mission, consulté le 14 janv. 2018.
8) A. Kojève, Esquisse d’une phénoménologie juridique, Gallimard, coll. « Tel », 1981, p. 9, n° 1.
9) M. Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, Defrénois, 8e éd. 2014, p. 3, n° 3.
10) Cité par A. Ponsard in Cinquante ans de travaux du Comité français de droit international privé, Droit international privé, Travaux comité fr. DIP, hors série, 1988, Journée du cinquantenaire, p. 33.
11) P. Mayer et V. Heuzé, Droit international privé, LGDJ, 11e éd. 2014, p. 18, n° 2.
12) P. Kinsh, Les fondements de l’autonomie de la volonté en droit national et en droit européen, in L’autonomie de la volonté dans les relations familiales internationales, Bruylant, 2017, p. 13, n° 1.
13) Dans un manifeste publié en tête du premier volume de ses travaux, il est encore indiqué : « Il [le Comité] veut une doctrine du droit international privé qui soit tout d’abord, et en premier lieu, française, c’est-à-dire essentiellement adaptée aux besoins de notre pays, mais qui recherche ensuite, et ensuite seulement, sans rien sacrifier de ses intérêts essentiels, à établir des communications multiples avec les doctrines étrangères… C’est dans la pleine et entière reconnaissance des droits légitimes de chaque État que le droit international privé puisera sa force principale » (cité par A. Ponsard, op. cit., p. 28).
14) Portail Real Intranet du notariat, Direction générale du Conseil supérieur du notariat, Les vœux du président du CSN et de son bureau, mise en ligne le 29 déc. 2017 : www.intra.notaires.fr.


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