CGV – CGU

Chapitre II – Règlements en droit international privé de la famille

Partie II – La circulation internationale de l’acte
Titre 2 – Les fondements et modalités de la circulation internationale
Sous-titre 3 – La circulation de l’acte au sein de l’Union européenne
Chapitre II – Règlements en droit international privé de la famille

2424 L’harmonisation du droit patrimonial européen de la famille qui est en marche aujourd’hui et qu’une partie de la doctrine voit dans les lignes de force des règlements tels que Bruxelles II bis, «Successions», et encore «Régimes matrimoniaux» ou «Partenariats enregistrés»944retient ici l’attention en ce qu’elle permet à l’acte notarié qui circule au sein de l’Union de suivre des modalités uniformes aux États membres.

Les modalités ressortant de Bruxelles II bis seront dans un premier temps détaillées (Section I), puis celles intégrées dans le règlement «Successions» (Section II), avant d’aborder les modalités de circulation des actes notariés en matière de régimes matrimoniaux et partenariats enregistrés (Section III).

Section I – Règlement Bruxelles II bis

2425 Le règlement (CE) n° 2201/2003 du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale est entré en application le 1er mars 2005. Il s’applique à l’ensemble des États membres à l’exception du Danemark, ainsi qu’il a déjà été indiqué pour Bruxelles I bis plus haut (V. supra, n° a2423).

Bien que le champ matériel de Bruxelles II bis semble principalement concerner les décisions de justice, ce qui paraît assez éloigné de l’activité du notaire, ce dernier pourrait toutefois, en matière de responsabilité parentale, recevoir dans un acte notarié un accord sur la garde de l’enfant qui pourrait bénéficier des modalités d’exécution945.

En principe l’acte notarié français portant sur un domaine relevant de la responsabilité parentale que l’activité notariale permet de pratiquer est exécutoire en France, et doit par conséquent pouvoir être mis en exécution dans un autre État membre après avoir été déclaré exécutoire sur requête de toute partie intéressée946.

La requête en déclaration de constatation de la force exécutoire est présentée à la juridiction compétente, en vertu de l’article 29.

La partie qui dépose cette requête sollicite du notaire instrumentaire une expédition de la minute (expédition qui doit réunir «les conditions nécessaires à son authenticité»)947et un certificat établi selon un formulaire dont le modèle figure à l’annexe II (pour les décisions en matière de responsabilité parentale)948.

Selon l’article 39 du règlement, l’autorité habilitée à délivrer ce certificat est «la juridiction ou l’autorité compétente de l’État membre d’origine».

En vertu de l’article 509-1, alinéa 1er du Code de procédure civile, l’autorité compétente est le greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision ou homologué la convention. Selon un auteur, transposée à l’acte notarié, la compétence «devrait être logiquement dévolue au greffier en chef de la juridiction dans le ressort duquel officie le notaire rédacteur de l’acte»949.

Section II – Règlement «Successions»

2426 Le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen prévoit un régime encore différent de ceux déjà évoqués dans Bruxelles I, Bruxelles I bis et Bruxelles II bis : alors que ces trois règlements envisagent une procédure de simplification tendant à recevoir l’exécution de l’acte dans l’État de destination, y compris en cas de recours ou de contestation, le règlement «Successions» érige à nouveau en principe la procédure d’exequatur lorsque la déclaration constatant la force exécutoire est contestée.

Le principe dégagé par le règlement «Successions» est en effet le suivant :

L’article 60 du règlement prévoit qu’un «acte authentique qui est exécutoire dans l’État membre d’origine est déclaré exécutoire dans un autre État membre, à la demande de toute partie intéressée, conformément à la procédure prévue aux articles 45 à 58».

En d’autres termes, en vertu de l’article 509-3, alinéa 2 du Code de procédure civile, issu du décret du 28 décembre 2016, le notaire qui conserve la minute délivre avec la copie authentique, à la partie qui le requiert, l’attestation selon le formulaire II de l’annexe II du règlement d’exécution (UE) n° 1329/2014 de la Commission du 9 décembre 2014, établie en vue de l’acceptation et de l’exécution à l’étranger de l’acte authentique qu’il a reçu950.

Une fois munie de la copie authentique et de l’attestation, la partie diligente pourra alors solliciter de l’autorité compétente de l’État de destination la déclaration constatant la force exécutoire de l’acte notarié établi dans l’État d’origine.

Il est toutefois à noter que contrairement au règlement Bruxelles I bis, un auteur relève que l’ exequatur en cas de recours contre l’attestation de l’annexe II du règlement d’exécution redevient la norme obligatoire pour obtenir l’exécution de l’acte notarié, et remarque «qu’il n’y a aucune raison que la procédure ne soit pas la même selon que l’acte authentique porte sur telle ou telle matière. Soit la procédure d’exequatur est nécessaire, et il ne fallait pas la supprimer dans Bruxelles I [puis Bruxelles I bis]. Soit elle est inutile, et il n’y a aucune raison de la maintenir dans le règlement Successions. Le principe de confiance, sur lequel repose la suppression de l’exequatur, serait-il moins fort en matière successorale que dans les autres matières de droit privé ?»951.

Section III – Règlements «Régimes matrimoniaux» et «Partenariats enregistrés»

2427 Les règlements jumeaux952(respectivement Règl. [UE] n° 2016/1103 du Conseil, 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux [Règl. «Régimes matrimoniaux» – RM –] et Règl. [UE] n° 2016/1104 du Conseil, 24 juin 2016, mettant en œuvre une coopération renforcée dans le domaine de la compétence, de la loi applicable, de la reconnaissance et de l’exécution des décisions en matière d’effets patrimoniaux des partenariats enregistrés [Règl. «Effets patrimoniaux des partenariats enregistrés» – EPPE]) sont entrés simultanément en application le 29 janvier 2019 entre les États membres qui ont décidé de participer à cette coopération953.

Ces règlements ont été adoptés dans le cadre d’une coopération renforcée entre certains États, procédure dont l’objet est de permettre aux États membres qui le souhaitent d’adopter un instrument d’unification des règles de conflit de lois et de conflit de juridictions dans un domaine déterminé954. Cette procédure a déjà été une première fois mise en œuvre par l’adoption du règlement Rome III (V. infra, n° a3297).

Les articles 58 de ces deux instruments identiques prévoient les modalités permettant l’acceptation des actes authentiques entre les États membres participant à cette coopération renforcée955.

L’article 58-1 de ce «paquet patrimoine du couple»956prévoit qu’«un acte authentique établi dans un État membre a la même force probante dans un autre État membre que dans l’État membre d’origine ou y produit les effets les plus comparables, pour autant que cela ne soit pas manifestement contraire à l’ordre public de l’État membre concerné».

Ce paragraphe premier de l’article 58 vise uniquement la force probante particulière attachée à l’acte authentique, ce qui laisse à penser que la circulation de l’acte dans le cadre de ces règlements concerne plus l’effet probatoire de l’acte que son contenu (c’est-à-dire «la situation juridique qu’il abrite»)957.

Cette force probante renforcée de l’acte authentique permet à celui-ci de traverser les frontières entre les États coopérants sans craindre d’atténuation958sauf difficultés résultant d’un recours ou d’une contestation pour atteinte à l’ordre public.

Concernant l’exception d’ordre public pouvant neutraliser l’effet probatoire renforcé de l’acte authentique, des décisions récentes de la Cour de Justice ont permis au juge européen de restreindre encore un peu plus la recevabilité d’une action reposant sur la base de l’exception d’ordre public soulevé dans l’État de destination959.

L’interprétation restrictive renforce ainsi l’effet probatoire de l’acte transfrontière lorsqu’il répond à toutes les conditions de solennité requises pour être authentique.

Les juges ont pu en effet considérer qu’«en ce qui concerne la notion d'”ordre public” (…) que cette disposition doit recevoir une interprétation stricte en ce qu’elle constitue un obstacle à la réalisation de l’un des objectifs fondamentaux et qui ne doit jouer que dans des cas exceptionnels. Si les États membres restent, en principe, libres de déterminer, conformément à leurs conceptions nationales, les exigences de leur ordre public, (…) il lui incombe [à la Cour] néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État membre peut avoir recours à cette notion pour ne pas reconnaître une décision émanant d’un autre État membre»960.

L’effet probatoire déjà renforcé de l’acte authentique est pleinement reconnu par le juge européen qui exige des conditions strictes pour accepter que l’ordre public au sein de l’Union soit invoqué par l’État membre requis.

Ce récent soutien de la Cour témoigne à l’acte authentique une force transfrontière qui lui permet, par ce soutien des juges, d’assurer avec encore plus de sécurité et de faciliter son exécution au sein de l’Union européenne.


944) V. l’ouvrage collectif ss coord. E. Fongaro, Droit patrimonial européen de la famille, LexisNexis, coll. «Actualité», et spéc. l’apport du droit conflictuel à cette harmonisation, p. 3, nos 6 et s. ; V. aussi l’apport du droit matériel, p. 7, nos 16 et s.
945) P. Callé, Acte notarié établi en France : JCl. Notarial Formulaire, V° Acte notarié, fasc. 300, p. 10, n° 65. Cet auteur précise cependant que si un accord sur la garde est possible par acte notarié et relève bien de Bruxelles II bis, il n’en est pas de même en matière de pension alimentaire, dont la matière relève de Bruxelles I bis.
946) Règl. Bruxelles II bis, art. 28, qui vise les décisions rendues sur l’exercice de la responsabilité parentale à l’égard d’un enfant signifiées ou notifiées.
947) Règl. Bruxelles II bis, art. 37-a).
948) Les modèles de formulaires figurant à l’annexe I (pour les décisions en matière matrimoniale) ne peuvent concerner le notariat qui n’a aucun pouvoir pour constater la dissolution du lien matrimonial, même dans le cadre de la récente procédure de divorce déjudiciarisée. En effet, dans celle-ci le rôle du notaire se limite exclusivement à déposer au rang de ses minutes la convention contresignée par avocat.
949) P. Callé, op. cit., fasc. 300, p. 10, n° 68.
950) En vertu du premier alinéa de l’article 509-3 du Code de procédure civile, lorsque l’acte authentique notarié provient de l’étranger, c’est le président de la Chambre des notaires qui continue à délivrer le certificat aux fins de reconnaissance ou de constatation de la force exécutoire visé à l’article 46 du règlement «Successions».
951) P. Callé, L’acceptation et l’exécution des actes authentiques : JCP N 12 avr. 2013, n° 15, 1085, p. 53, n° 4.
952) Ce qualificatif est emprunté à M. Farge dans son commentaire dans l’ouvrage collectif : Le droit européen des régimes patrimoniaux des couples. Commentaire des règlements 2016/1103 et 2016/1104, ss dir. S. Corneloup, V. Égéa, E. Gallant et F. Jault-Seseke, éd. Société de législation comparée, coll. «Trans Europe Experts», vol. 13, 2018, p. 411, n° 2.
953) Le nombre d’États membres peut évoluer en fonction des intérêts et des déclarations d’adhésion pouvant être accomplies par les États non adhérents, conformément aux dispositions de l’article 328, § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), sous réserve de respecter les conditions énoncées dans la décision d’autorisation (UE) n° 2016/954 du Conseil du 9 juin 2016 (Règl. «Régimes matrimoniaux», consid. 13 et Règl. «EPPE», consid. 13).
954) C. Nourissat et M. Revillard, Règlements européens du 26 juin 2016 sur les régimes matrimoniaux et les effets patrimoniaux des partenariats enregistrés : Defrénois 15 sept. 2016, n° 17, p. 879, n° 3.
955) Concernant la terminologie employée entre reconnaissance des jugements et acceptation des actes authentiques, V. supra, n° a2379.
956) Expression utilisée par C. Nourissat et M. Revillard, art. préc., p. 878, n° 1.
957) M. Farge, art. préc., p. 419, n° 21.
958) Concernant les effets de la force probante de l’acte authentique déjà étudiés plus haut, V. supra, nos a2017 et s.
959) CJUE, 1re ch., 25 mai 2016, aff. C-559/14, Meroni. – CJUE, 2e ch., 7 juill. 2016, aff. C-70/15, Lebek.
960) Arrêt Meroni préc., pts 38, 39 et 40.


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