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Chapitre IV – La pratique notariale du trust

Partie V – Les trusts
Titre 1 – Le fonctionnement des trusts
Chapitre IV – La pratique notariale du trust

2590 En pratique le notaire rencontre principalement des trusts constitués par des étrangers ou des non-résidents qui deviennent ensuite résidents de France, ou des contribuables français en qualité de bénéficiaires de trusts étrangers créés par des parents non résidents.

Ces trusts sont originaires des États de la common law (Grande-Bretagne, États-Unis, Australie, Canada, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande). Il peut parfois exister des trusts provenant de pays de la civil law. Tel est le cas notamment de l’Égypte et de la Pologne qui connaissent l’équivalent du charitable trust, ou du Venezuela qui a introduit le trust en 19561238, de Panama, du Japon ou encore de Monaco, du Mexique, de la Colombie, d’Israël et de l’Argentine. Par ailleurs, il existe d’autres institutions fonctionnellement proches dans les pays de droit continental, notamment le fidéicommissum (en droit romain), le bewind (en droit néerlandais) ou le wakf (en droit musulman).

Un trust peut être constitué oralement ou par simple remise des biens au trustee, bien qu’un acte écrit soit plutôt la règle. Ainsi que le propose le rapport von Overbeck1239, il paraît raisonnable d’exiger de nos clients au moins une preuve écrite. Celle-ci pourrait consister en un écrit par lequel le trustee rend compte de la volonté exprimée oralement par le constituant. La Convention de La Haye du 1er juillet 1985 relative au trust prévoit cette preuve écrite (cf. art. 3), eu égard à l’importance des intérêts en cause.

Section I – L’appréciation du trust en droit français

2591 Lorsque le trust est valablement constitué à l’étranger, la jurisprudence reconnaît sa validité en France1240. La jurisprudence essaye de définir le trust en respectant son caractère spécifique et original, sans assimilation à une institution juridique du droit français1241. Pour déterminer l’ordre de réduction des libéralités et pour répondre à la question de savoir si le trust doit être considéré à ce titre comme une donation ou un legs, elle a assimilé la mise en trust d’un bien à une donation (au moins en présence d’un trust irrévocable, car le settlor se dépossède alors irrévocablement des biens considérés). Cette position est particulièrement contestée. En effet, et conformément à l’article 932 du Code civil, le donataire doit accepter la donation. Or, dans le cadre d’un trust, le donataire serait le bénéficiaire en capital. Ce dernier ne peut avoir accepté la donation, car il n’est pas signataire de l’acte de trust.

La Cour de cassation considère que la mise en trust inter vivos d’un bien est assimilable à une donation indirecte qui prendrait effet au décès du constituant. À ce moment là, le bénéficiaire reçoit le bien et il est censé l’accepter1242.

Le trust serait une donation affectée par une condition suspensive de temps. La jurisprudence semble fixée sur cette analyse. En effet, elle a confirmé cette assimilation dans un autre arrêt de la Cour de cassation dans le cadre de personnes physiques résidentes de France, bénéficiaires d’un trust américain1243.

La jurisprudence reconnaît également, sous certaines conditions, la validité de trusts constitués à l’étranger, en application du principe de l’autonomie de la volonté. Ce principe permet au constituant de soumettre son acte à une loi connaissant le mécanisme du trust.

Il est désormais admis, sans qu’il ne soit plus nécessaire de rechercher une quelconque assimilation à un cadre juridique français.

Le trust est désormais reconnu comme étant une institution originale du droit anglais.

La validité du trust nécessite toutefois qu’il soit constitué conformément aux lois en vigueur dans le pays de sa création. En outre, il ne doit pas heurter l’ordre public français.

Le fait que la France n’ait pas ratifié la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 est sans impact quant à la validité sur notre territoire des trusts valablement constitués à l’étranger. Rien n’interdit à un contribuable français de constituer un trust à l’étranger1244.

Il devra être soumis à une loi étrangère connaissant cette institution. En revanche, à ce jour, il n’est pas possible de constituer en France un trust, tant que la France n’aura pas ratifié la convention de La Haye.

Dans une réponse ministérielle1245, il a été précisé que la ratification «fera l’objet d’une analyse précise dans les mois qui viennent».

Le ministre de la Justice ne souhaite pas que la ratification puisse avoir pour effet d’échapper aux règles de transparence, et de lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et le blanchiment.

Section II – Le trust et le règlement d’une succession

2592 Dans la pratique notariale, on rencontre deux cas :

premier cas : coïncidence de la loi du trust et de la loi successorale : tel est le cas si le de cujus est résident habituel d’un État qui reconnaît le trust. La succession est alors soumise à la loi de cet État étranger (loi de la résidence habituelle du de cujus). Il peut également exister une coïncidence si une personne choisit, comme loi régissant l’ensemble de sa succession, l’une des lois dont elle possède la nationalité1246.

Exemple

Un Américain, résidant en France, peut désigner sa loi américaine pour l’ensemble de sa succession, ce qui permet de faire correspondre la loi du trust avec la loi successorale.

En cas de désignation de la loi d’un État tiers comme loi applicable à la succession, le renvoi prévu à l’article 34 du règlement ne peut s’appliquer (c’est-à-dire qu’aucun renvoi n’est applicable en cas d’exercice par le de cujus de la professio juris).

La règle de conflit scissionniste américaine ne peut s’appliquer lorsqu’un Américain a choisi sa loi américaine pour le règlement de l’ensemble de sa succession.

En pratique

Il y a lieu de conseiller aux clients britanniques ou américains d’exercer la professio juris de l’article 22 du règlement «Successions» afin d’éviter, par la règle générale de l’article 21, l’application du renvoi de l’article 34. Le Royaume-Uni et les États-Unis étant des États tiers au sens de l’article 34 du règlement.

En pratique, au moment du règlement de la succession :

Les meubles1247situés en France sont administrés par le trustee qui pourra les transférer à l’étranger pour les administrer, les vendre ou les distribuer1248. Le trust développe ses effets en France. La notion de réserve héréditaire n’a pas à s’appliquer sur les biens meubles situés sur notre territoire, sauf si la réserve existe dans le pays dont la loi est applicable à la succession, ce qui ne sera pas le cas dans les pays de common law.

Dans ce cadre, il faut préciser que le notaire doit considérer que le trustee n’est pas un exécuteur testamentaire. En effet, ce dernier n’a que des pouvoirs limités1249. Il détient le legal ownerships et il n’est pas le gardien du respect des volontés du testateur. Il ne faudra pas non plus le considérer comme un légataire universel, car il n’est pas la continuation de la personne du défunt. Il n’est pas non plus le mandataire du constituant ;

second cas : trust soumis à une loi étrangère et loi successorale française : tel serait le cas si la dernière résidence habituelle du défunt, ayant constitué de son vivant un trust britannique, est située en France au moment de son décès : le conflit de lois existe entre la loi successorale et la loi applicable au trust.

Cette situation pose des difficultés aux notaires1250. En effet, la loi française va régir la succession mobilière et la dévolution des immeubles situés en France. Dans ce cas particulier, le trust peut-il s’exécuter ?

Selon la jurisprudence, ce dernier ne peut porter atteinte aux règles d’ordre public relatives à la réserve. Par conséquent, si le trust est contraire à l’ordre public français et que les héritiers réservataires souhaitent leur réserve en nature, il ne pourra s’appliquer, sauf à limiter son application à la quotité disponible (sauf en cas de renonciation anticipée à l’action en réduction). Si les héritiers n’exigent pas leur réserve en nature, on peut appliquer les dispositions contenues dans le trust deed ou dans le trust testamentaire.

Section III – Les documents pouvant être demandés par un notaire français dans le cadre du règlement d’une succession comprenant un trust

2593 Parmi les documents qu’un notaire français peut obtenir dans le cadre de la constitution de son dossier, citons1251 :

la déclaration du trust ; y compris avenants et amendements éventuels ;

certificate of successor trustee (ou affidavit of successor trustee) : confirmation du rôle du trustee ou du successor trustee (document signé devant un notary public) ;

affidavit of death of trustee : acte de décès du trustee et de son remplacement par le successor trustee (signé devant un notary public par le successor trustee) ;

certification of trust : confirmation des dispositions principales de la déclaration de trust par le trustee (signé devant un notary public par le trustee ou successor trustee.

Cette liste n’est pas limitative et a été dressée en présence de trusts américains.

Section IV – Le trust et le divorce

2594 En matière de divorce, l’un des époux peut avoir intérêt à faire entrer dans la masse à partager un maximum de biens. Qu’en est-il des actifs du trust ?

Ces derniers ne sont pas des actifs patrimoniaux de l’époux constituant. Il faut toutefois qu’il prouve qu’il n’en a plus la possession. À défaut, le conjoint peut en récupérer la moitié. La procédure pour démontrer la fictivité d’un trust en matière de divorce au Royaume-Uni est courante. On comprend l’intérêt de créer une lettre de vœux. Si le trustee n’a pas suivi la totalité des vœux exprimés, notamment en refusant d’investir dans des produits à risque, on peut prouver qu’il est indépendant et que le trust est incontestable.

Dans la pratique, après le prononcé du divorce, un trust peut être constitué par l’un des époux divorcés afin de réaliser l’obligation qui lui est imposée de transférer certains biens à son épouse et à ses enfants, ou en vue de remplir une obligation alimentaire.

Section V – Litiges en matière de trust

2595 Le demandeur qui souhaite ouvrir une action judiciaire contre le settlor, le trustee ou le bénéficiaire d’un trust peut, à son choix (en application de l’article 7-6 du règlement Bruxelles I bis) saisir le tribunal du domicile du défendeur.

Il peut également saisir les tribunaux de l’État sur le territoire duquel le trust est domicilié1252.

Section VI – L’existence d’un registre public des trusts

2596 Un registre avait été créé par la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013. Il devait recenser les trusts, le nom des trustees, des constituants, des bénéficiaires et la date de constitution du trust. Ce dernier ne devait être accessible qu’à diverses autorités (Tracfin, certains services judiciaires, les agents de l’administration des douanes).

Ce registre a été abandonné en 20181253.

Il n’existe pas de registre pour les testaments ou les trusts, que ce soit au niveau local (fédéral) ou étatique, ni aux États-Unis, ni au Royaume-Uni, ni au Canada. Les documents y sont conservés par le client ou l’avocat.

Section VII – Faut-il liquider le trust avant de revenir en France ?

2597 Faut-il conseiller aux clients revenant de l’étranger de liquider leur trust avant de revenir sur le territoire français ?

Ainsi qu’il sera étudié infra, n° a2598, l’existence d’un trust astreint à des obligations déclaratives qui peuvent parfois être contraignantes et coûteuses.

Ce formalisme est bien souvent le motif d’une liquidation anticipée, mais uniquement pour des «petits» trusts.

En pratique chaque cas nécessitera une étude avant de prendre une décision.

Au-delà, des raisons fiscales peuvent exister dans les pays étrangers et doivent être prises en considération, notamment la perte d’avantages fiscaux.


1238) Ce pays a introduit cette institution en 1956 même si celle-ci a été rarement utilisée.
1239) Rapport explicatif sur la convention trust de 1985, § 52 ; M. Alfred E. von Overbeck ; document de la 15e session de la Conférence de La Haye en droit international privé.
1240) CA Paris, 10 janv. 1970, Courtois c/ Cts de Gany.
1241) En ce sens, TGI Bayonne, 28 avr. 1975 : JCP G 1975, II, 18168, note R. Bonnais.
1242) Cass. 1re civ., 20 févr. 1996, n° 423, Zieseniss. Le constituant «était dicté par une intention libérale en faveur des bénéficiaires, a réalisé une donation indirecte qui, ayant reçu effet au moment du décès de la donatrice par la réunion de tous ses éléments, a donc pris date à ce jour».
1243) Cass. com., 15 mai 2007, n° 05-18.268, FS-PBIR, Cts Tardieu de Maleissye : RJF 10/2007, n° 1170.
1244) BOI-DJC-TRUST, n° 1.
1245) Rép. min. Grosdier n° 16451 : JO Sénat Q 5 mai 2016, p. 1905.
1246) Règl. «Successions», art. 22.
1247) On ne parlera pas d’immeubles, car un trust ne peut être titré sur un bien immobilier sur le territoire français.
1248) En ce sens Cass. 1re civ., 3 nov. 1983 : Rev. crit. DIP 1984, note M. Revillard.
1249) À titre d’exemple, bien souvent il n’a pas la saisine.
1250) Pour un exemple pratique, lire M. Revillard, Expertise notariale, Defrénois, 9e éd. 2018, n° 1018.
1251) Selon l’ouvrage de P. Tour-Sarkissian et H. Peisse, Trusts américains et pratique notariale française, Defrénois, 2013, note 128.
1252) Pour déterminer si un trust a son domicile sur le territoire de l’État dont les tribunaux sont saisis, le juge applique les règles de son droit international privé (Règl. Bruxelles I bis, art. 63-3).
1253) CE, 10e et 9e ch. réunies, 30 mai 2018, n° 400912 annulant le décret n° 2016-567 du 10 mai 2016, relatif au registre public des trusts.


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