CGV – CGU

Partie I – Préparation et rédaction de l’acte : enjeux et méthodologie
Titre 4 – La langue utilisée pour la rédaction de l’acte notarié
Sous-titre 3 – À nouvelles contraintes, solutions nouvelles ?
Chapitre I – Réflexions sur la perspective d’un acte bilingue

2111 Le volume des actes publics étrangers (tels que les actes d’état civil constatant l’état des personnes, ou les mandats donnés et signés à l’étranger) établis dans la langue du pays de leur réception est en constante augmentation dans nos dossiers. Ce phénomène ne devrait pas ralentir, au contraire. La tendance lourde sera à une augmentation progressive dans les prochaines années, du fait des règles nouvelles de droit international privé ressortant aussi bien des instruments européens qu’internationaux. Sans parler des différents documents et pièces devant faire l’objet d’annexes à l’acte notarié, ou encore des actes de dépôt au rang des minutes.

Dans ces conditions, comment résoudre les difficultés pour préparer et rédiger l’acte, quand son élaboration dépend de documents établis en langue étrangère ?

Serait-il possible de recevoir en France un acte notarié dans une autre langue que le français ?

Une réponse ministérielle du 3 juillet 1989 confirme qu’il n’est pas prévu d’abroger le décret du 2 thermidor an II : «Les actes de notaires doivent, en tant qu’actes publics, être rédigés en langue française, mais peuvent être accompagnés, le cas échéant, d’une traduction, écrite à mi-marge de la minute française et établie sous la seule responsabilité de l’officier public»254.

Et pourtant la mécanique lourde et procédurière d’établissement de documents ayant fait l’objet d’une traduction jurée, certifiée, légalisée ou apostillée peut être considérée par un grand nombre d’usagers comme chronophage et coûteuse, et par nombre d’officiers publics comme superfétatoire, au point que certains considèrent même pouvoir être en mesure de se dispenser de toute formalité de légalisation ou d’apostille.

Des solutions existent déjà :

en matière d’état civil, la difficulté linguistique a été résolue par la possibilité pour les États adhérents à la Commission internationale de l’état civil (CIEC) de délivrer des actes d’état civil plurilingues, conformément à la signature de la Convention n° 17, relative à la délivrance d’extraits et de certificats plurilingues et codés d’actes d’état civil du 14 mars 2014 ;

en matière de contrat ayant pour objet un droit ou un service d’utilisation de biens à temps partagé (Time Share), ou concernant des produits de vacances à long terme, ou de revente ou d’échange de tels droits ou services, l’article L. 121-63 du Code de la consommation envisage la possibilité de choisir la langue du contrat ;

en matière de testament, la Convention de Washington du 26 octobre 1973, entrée en vigueur en France depuis le 1er décembre 1994, permet au notaire français, dans le cadre d’un testament authentique international, de recevoir un testament pouvant être écrit en langue étrangère, par toute personne pouvant utiliser sa langue et son écriture, même dans un pays d’expression radicalement différente255 ;

en matière fiscale, certains centres des impôts correspondent en langue anglaise avec les contribuables étrangers pour adresser les correspondances officielles, en ce compris les lettres de relance et les mises en demeure ;

en matière de divorce par consentement mutuel, l’article 1146 du Code de procédure civile prévoit que la convention de divorce et ses annexes peuvent être rédigées en langue étrangère256 ;

de même, la réponse ministérielle du 3 juillet 1989 précitée confirme bien que : «Les actes sous seing privé ne nécessitent pas l’usage de la langue française, mais dans la mesure où ils doivent être présentés à l’enregistrement, cette administration est en droit d’exiger une traduction effectuée par un traducteur assermenté»257.

Alors qu’en matière de contrat de prêt par exemple, l’acte notarié reçu par un notaire français exerçant ailleurs qu’en Alsace-Moselle doit obligatoirement être rédigé en français, même si le prêteur est une banque allemande, l’emprunteur un ressortissant allemand, et le notaire français un parfaitement germanophone !

Ainsi que le fait remarquer Me Edmond Jacoby : «Le législateur de 1924, en maintenant cette disposition [permettant aux notaires de la région Alsace-Moselle de recevoir en langue allemande], prenait ainsi bien en compte la difficulté engendrée par la méconnaissance d’une langue, difficulté qui s’est accélérée avec la construction de l’espace juridique intracommunautaire»258.

En doctrine également, comme en pratique, cette question est de plus en plus souvent soulevée : la langue utilisée pour la rédaction de l’acte notarié devrait évoluer, sous certaines conditions naturellement (par ex., contrôler que le notaire maîtrise parfaitement la langue étrangère). Cette évolution assurerait à l’acte notarié à l’international sa place légitime.

Cette question devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie pour permettre au notaire français d’instrumenter son acte international avec la même souplesse que le notaire néerlandais, belge, allemand259, voire le solicitor ou notary public d’Angleterre ou du Pays de Galles260, qui peuvent tous rédiger des actes en une autre langue que la leur.

La situation actuelle place le notariat français en situation de décalage dans un contexte de concurrence internationale. Cette situation a déjà été dénoncée tant par la pratique que la doctrine :

en pratique, lors du 88e Congrès des notaires de France à Grenoble, les travaux de la deuxième commission alertaient déjà sur la difficulté de la langue de l’acte notarié, en évoquant les deux hypothèses selon que le notaire connaît la langue de la partie qui ne comprend pas le français, ou qu’il ne la connaît pas261 ;

en doctrine, une étude sur l’acquisition en France par des personnes de nationalité chinoise reprend cette alerte, en précisant que : «Dans un cadre international, il semble tout à fait inadapté de ne pouvoir rédiger un contrat dans la langue nationale de contractants, bien entendu dans la mesure où le notaire a lui-même une parfaite connaissance de la langue nationale des contractants. À l’image de la pratique notariale déjà en place hors de France, la possibilité de rédaction bilingue du contrat de vente devrait être approuvée par le législateur»262.

Certains auteurs partagent cet avis :

par exemple, l’un d’eux, assurant une veille juridique dans la Semaine Juridique, en résumant les travaux de la troisième commission du 85e Congrès des notaires de France de Strasbourg de 1989, précise que : «Chaque fois que cela s’est avéré nécessaire, il a été proposé de modifier tant la législation que notre propre déontologie ou nos conditions de formation et d’exercice : compétence d’instrumentation, utilisation des langues, formules d’actes plurilingues…»263 ;

un autre pense que : «Le notaire devra pouvoir dresser un acte dans la langue souhaitée par son client. Toutes les législations qui obligent, comme c’est le cas en France, à rédiger les actes notariés dans la langue nationale devront être assouplies. Les dispositions de la Convention de Washington du 26 octobre 1973 sur le testament international montrent l’utilité de bénéficier d’une grande souplesse en ce domaine»264.

Mais conférer au notaire la possibilité de rédiger et de recevoir l’acte dans une autre langue que le français aurait pour conséquence de créer des difficultés tant vis-à-vis des services de l’enregistrement et de la publicité foncière que vis-à-vis des notaires ayant pour obligation de reprendre la chaîne des mutations dans leurs origines de propriété ou la constitution ou le rappel de servitudes.

Cette solution ne serait en outre ni pragmatique, car tous les notaires ne parlent pas toutes les langues étrangères, ni possible, dans la mesure où le notaire est officier public et ministériel, tenu de parler et d’écrire dans la langue de la République.

La solution à cette difficulté serait le recours à un acte bilingue, réunissant la langue choisie par les parties et celle de la République, dont l’usage est nécessaire pour les raisons qui viennent d’être développées. Le cas des actes d’état civil est un précédent intéressant (V. infra, n° a2108).

Ainsi l’acte bilingue265, établi en double colonne permettrait de renforcer considérablement les efforts déjà accomplis par le notariat français (acte authentique électronique à distance [AAED], visioconférence), le rendant plus proche encore de sa clientèle internationale.

En évoluant ainsi, la législation française serait plus conforme à la coutume internationale en matière de documents et normes juridiques.

Elle permettrait surtout de reconnaître à l’acte authentique une modernité complète, faisant rentrer cette norme de sécurité juridique séculaire dans la nouvelle ère mondialisée, l’ère numérique du deuxième millénaire.


254) La réponse ministérielle du 3 juillet 1989 (parue in Defrénois 15 janv. 1990, n° 1, p. 59) utilise l’expression «à mi-marge», qu’il semble devoir comprendre comme étant une traduction contenue dans un renvoi, soit une «double colonne».
255) M. Revillard, Droit international privé et européen : pratique notariale, Defrénois, 8e éd. 2014, p. 474, nos 903-904.

256) L’article 1146 a été modifié par le décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 pris en application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, entrée en vigueur au 1er janvier 2017. Il est vrai qu’il prévoit que lorsque la convention et ses annexes ont été rédigées en langue étrangère, elles sont accompagnées d’une traduction effectuée par un traducteur habilité. Mais il n’empêche, il s’agit quand même encore d’un acte reconnu par la loi comme pouvant être rédigé en France dans une langue étrangère.

V. un article très intéressant sur la reconnaissance de ce type de divorce : L. Galliez, La reconnaissance du divorce par consentement mutuel en DIP : JCP N 1er déc. 2017, n° 48, 1319, p. 26 et s.

257) V. supra.
258) E. Jacoby, L’acte d’affectation hypothécaire et l’espace juridique européen : questions pratiques liées à sa reconnaissance et à son exécution : Dr. et patrimoine 1er juin 2007, n° 160.
259) M. Revillard, op. cit. p. 640, n° 1177. – C. Etien, Le notaire et la vente des immeubles européens : JCP N 29 janv. 2016, n° 4, p. 43, n° 11.
260) M. Lightowler, Les Notaires en Angleterre et au Pays de Galles : JCP N 17 nov. 2017, n° 46, p. 30, n° 17.
261) 88e Congrès des notaires de France, Grenoble, 24-27 mai 1992, Le notaire, le contrat et l’Europe, 2e commission, p. 401, nos 91 et s.
262) D. Pho, Acquisition en France par des personnes de nationalité chinoise : JCP N 15 juill. 2005, n° 28, 1342.
263) R. Crône, 85e Congrès des notaires de France, Strasbourg, 23-26 avr. 1989 : JCP N 3 mars 1989, n° 9, act. 100298.
264) J.-P. Decorps, La circulation de l’acte notarié et son efficience dans le commerce juridique international : JCP N 17 mai 2002, n° 20, 1282, n° 14.
265) L’acte international pourrait être établi soit en double, soit en triple colonne en présence de parties de nationalités différentes, le notaire, délégataire de l’autorité publique devant en tout état de cause rédiger son acte en langue française, langue officielle. Il sera difficilement envisageable d’établir un acte en plus de trois colonnes sans perdre une qualité de lisibilité.
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