CGV – CGU

PARTIE III – Transformer les méthodes
Titre 2 – Protéger l’existant et anticiper son devenir
Sous-titre 1 – Préserver l’existant par le contrôle du changement d’usage

Chapitre II – Un régime juridique perfectible

10528-42 Le régime juridique du changement d’usage est tout aussi complexe que son champ d’application (Section I). Cette complexité n’a d’égal que la dureté des sanctions qu’il comporte (Section II).

Section I – Le mécanisme du changement d’usage

Sous-section I – L’articulation du contrôle de l’usage avec les autres autorisations

10528-44 Répétons-le, la législation relative au changement d’usage obéit à ses propres règles ; elle est, notamment, autonome à l’égard de la législation sur le changement de destination (§ I). Cependant, au fil des réformes, certaines règles communes sont apparues (§ II).

§ I – Le principe d’indépendance

10528-45 Parce qu’il obéit à une finalité sociale de protection du logement qui lui est propre, le dispositif du Code de la construction et de l’habitation est indépendant de toute autre législation de droit privé (droit des copropriétés, lotissements, baux) mais aussi de toute autre législation de droit public et notamment celles issues du Code du tourisme quant à la location meublée, ou, à titre essentiel, du Code de l’urbanisme quant au changement de destination.
10528-46 Rappelons à titre liminaire que la destination d’un bien au sens du Code de l’urbanisme est ce pourquoi il est conçu ou transformé. L’usage au sens de la présente réglementation est ce à quoi il est utilisé945.
Ainsi, le fait de transformer un local autre que d’habitation en un local d’habitation ne nécessite pas d’autorisation préalable au changement de son usage ; en revanche, il requiert la non-opposition à déclaration préalable de travaux ou un permis de construire au titre de son changement de destination, selon qu’il s’accompagne ou non de travaux.
Inversement, la transformation d’un local d’habitation pour un autre usage nécessite toujours une autorisation de changement d’usage. Mais, elle ne devrait pas nécessiter d’autorisation au titre de la réglementation sur le changement de destination. En effet, le changement d’usage étant par principe consenti à titre personnel et donc temporaire, le local devra revenir à un état d’habitation après cessation de l’activité.
Enfin, une autorisation de changement d’usage et une autorisation de changement de destination seront requises cumulativement :

si le changement d’usage autorisé n’est pas simplement personnel, mais est consenti à titre réel et donne lieu alors à compensation946 ;

et/ou si le changement d’usage s’accompagne de travaux nécessitant une déclaration préalable de travaux ou un permis de construire.

Ce principe d’indépendance posé, voyons désormais les imbrications communes de l’une et l’autre des législations.

§ II – Les éléments d’identité

10528-47 Les législations du changement d’usage et du changement de destination se rejoignent quant à l’autorité décisionnaire et quant à la procédure à suivre.
A/ Identité de compétence
10528-48 Depuis le 1er avril 2009, ce sont les maires qui ont compétence pour délivrer l’autorisation de changement d’usage947 ; ils détenaient déjà, depuis 1982, la compétence d’autorisation du changement de destination. Il y a là un facteur de sécurité pour les demandeurs.
B/ Identité de procédure
10528-49 Bien que les deux législations soient indépendantes, deux éléments procéduraux les font se rejoindre.
I/ Selon l’article L. 425-9 du Code de l’urbanisme « lorsque le projet porte sur des travaux ayant pour objet un changement d’usage de locaux destinés à l’habitation, soumis à autorisation préalable en application de l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, ces travaux ne peuvent être exécutés qu’après l’obtention de l’autorisation mentionnée à cet article ».
II/ Selon l’article L. 631-8 du Code de la construction et de l’habitation « Lorsque le changement d’usage fait l’objet de travaux entrant dans le champ d’application du permis de construire, le demande de permis de construire ou la déclaration préalable vaut demande de changement d’usage. Ces travaux ne peuvent être exécutés qu’après l’obtention de l’autorisation mentionnée à l’article L. 631-7 ».
Ainsi, lorsque les deux réglementations s’appliquent, le dépôt simultané des deux dossiers est requis. Ils seront instruits en même temps par la même autorité, mais l’autorisation du changement d’usage devra nécessairement être préalable à celle du changement de destination. Cela signe la prédominance de l’autorisation de changement d’usage sur celle du changement de destination.
Lorsque le pétitionnaire aura obtenu son « sésame », encore faudra-t-il déterminer les droits qu’il lui confère.

Sous-section II – Les régimes de l’autorisation

10528-50 L’objectif de la police du changement d’usage étant la protection du nombre de logements existants, l’autorisation délivrée est par principe personnelle (§ I). Elle peut cependant, sous certaines conditions, se rattacher au local et devenir réelle (§ II).

§ I – L’autorisation de changement d’usage délivrée à titre personnel

10528-51 « L’autorisation de changement d’usage est accordée à titre personnel. Elle cesse de produire effet lorsqu’il est mis fin, à titre définitif, pour quelque raison que ce soit, à l’exercice professionnel du bénéficiaire ».
L’objectif poursuivi par la loi est clairement établi. Si un local doit perdre son « usage d’habitation », ce ne peut l’être qu’à titre temporaire ; le temps de l’exercice du professionnel qui bénéficie de l’autorisation.
10528-52 Notons que la référence du texte au terme « professionnel » provient d’un oubli lors de sa mise à jour en 2005. Une acception large doit être retenue, englobant également les activités libérales, artisanales ou commerciales. De même, bien que cela ne soit pas précisé par le texte, l’autorisation de changement d’usage ne vaut que pour l’activité considérée à la demande. Il ne peut être substitué une activité à une autre sans une nouvelle autorisation. La seule extension possible concerne les activités connexes à l’activité autorisée.
10528-53 Du fait de son caractère personnel, l’autorisation n’est pas transmissible en cas de vente ou de cession du bail. En revanche, le caractère intuitu personae de l’autorisation permet de déjouer son caractère temporaire en constituant une personne morale. Une cession des parts n’entraine pas de changement de propriétaire ou de locataire du local. L’autorisation devient ainsi « intemporelle » dès lors que l’activité considérée ne change pas948.
Ce détournement du dispositif peut être qualifié de fraude au texte dès lors qu’un régime d’autorisation intiutu rei existe.

§ II – L’autorisation de changement d’usage délivrée à titre réel

10528-54 Ce régime d’autorisation réelle résulte de la seconde partie des alinéas 1 et 2 de l’article L. 631-7-1949. L’esprit du dispositif veut qu’il ne soit pas supprimé de logements. Aussi est-il admis qu’un propriétaire voulant définitivement s’affranchir de la notion d’habitation de son local puisse le faire en offrant une compensation950. Celle-ci résultera de la transformation à l’inverse d’un local jusqu’alors hors habitation, en local d’habitation.
La compensation étant requise a minima d’une surface équivalente, il n’y aura jamais de destruction de surface d’habitation. Mieux, la compensation nécessitant parfois une surface d’habitation créée supérieure à la surface d’habitation désaffectée. Ce dispositif permet donc l’augmentation des surfaces affectées au logement951.
10528-55 Cela est d’autant plus vrai que depuis 2005, toute compensation financière est exclue et seule une compensation en nature est autorisée, malgré de nombreuses critiques formulées par les praticiens.
En effet le propriétaire n’est pas toujours en mesure de pouvoir compenser avec d’autres locaux lui appartenant. Il doit alors obtenir de la surface à affecter à un usage d’habitation auprès d’une personne tierce. Cela a créé un onéreux marché de niche dit « marché de la cession de commercialité ».
De plus, la compensation doit nécessairement être concomitante à l’opération projetée, ce qui peut retarder la réalisation du projet.
Enfin, le règlement municipal peut définir des contraintes supplémentaires en application de l’article L. 631-7-1, alinéa 4952.
La conjugaison de tous ces éléments fait de ce régime un parcours du combattant pour le propriétaire et son conseil.
Dès lors qu’une autorisation est délivrée intuitu rei, elle est définitivement attachée au local considéré et sera donc transmissible avec lui. Inversement le local ayant servi à la compensation est définitivement regardé comme étant à usage d’habitation ; toute réversion dans son usage devra faire l’objet d’une nouvelle autorisation. Afin de garantir la traçabilité des autorisations délivrées à titre réel, depuis le 10 juin 2005, celles-ci doivent faire l’objet d’une publicité foncière ou d’une inscription au livre foncier pour chacun des locaux considérés au moyen d’un acte notarié953.

Section II – Les sanctions

10528-56 La police du changement d’usage étant indépendante des autres législations et répondant à un intérêt général, elle comporte un arsenal de sanctions qui lui sont propres (Sous-section II). Au-delà même de ces sanctions, c’est également l’intérêt général de protection du logement qui justifie que l’infraction commise soit imprescriptible (Sous-section I).

Sous-section I – L’imprescriptibilité de l’infraction

10528-57 En application de l’article L. 631-7-1, alinéa 3, « l’usage des locaux définis à l’article L. 631-7 n’est en aucun cas affecté par la prescription trentenaire prévue par l’article 2227 du Code civil »954. La circulaire du 22 mars 2006 précise que « la durée trentenaire de l’occupation ne permet pas au contrevenant d’acquérir par prescription l’autorisation de changement d’usage d’un local. En effet, la personne occupant un local sans autorisation est en situation irrégulière pendant toute la durée de cette occupation, quelle que soit la date à laquelle celle-ci a débuté ». L’usage irrégulier d’un local constitue une infraction caractérisée et continue, insusceptible de prescription, même au-delà de trente ans ; le contrevenant ne peut se prévaloir d’une « prescription acquisitive de l’usage ». De plus, toute nouvelle modification dans les conditions de l’usage irrégulier générera une nouvelle infraction.
10528-58 En revanche, la référence à l’article 2227 du Code civil renvoie aux règles de la prescription extinctive. Ainsi, au-delà de trente ans, l’administration ne peut plus faire prononcer de sanction contre l’auteur de l’infraction.
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Sous-section II – Les sanctions encourues

§ I – L’action en nullité des conventions et accords

10528-60 En application de l’article L. 631-7, alinéa 5, « sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article ». Cette sanction est grave mais justifiée par l’intérêt général gouvernant le dispositif. L’acte matérialisant l’accord ou la convention est le support de l’infraction. Il est nul de plein droit dès lors qu’il permet de la caractériser. Cette nullité est absolue.
10528-61 Elle peut être demandée par l’une ou l’autre des parties, fût-ce par celle à l’origine de l’infraction. Il en est ainsi, par exemple, d’un bail autorisant le locataire à exercer une activité professionnelle ou commerciale dans un local d’habitation en l’absence de l’autorisation requise. La nullité peut être invoquée indifféremment par le bailleur ou le preneur pourvu que l’un ou l’autre y ait intérêt. La seule limite réside dans les stipulations de l’acte contenant les conventions des parties. Ainsi, si un bail est consenti pour un usage d’habitation sur un tel local mais que le locataire y exerce ensuite une activité professionnelle ou commerciale sans en aviser son propriétaire, l’acte n’encourra pas la nullité. Il en serait différemment si le bailleur, sollicité par son locataire après la conclusion du bail, donnait son accord sans le conditionner à l’obtention de l’autorisation requise.
Étant d’ordre public, la nullité pourra également être recherchée par les tiers dès lors qu’ils justifient d’un intérêt suffisant pour agir955. Il en sera ainsi par exemple du syndicat des copropriétaires voulant agir contre une location meublée à des fins touristiques qui n’aurait pas obtenu l’autorisation administrative requise956. Le bail pourra être ainsi annulé sur le fondement de l’article L. 631-7 indépendamment du recours pouvant être exercé sur la violation des dispositions du règlement de copropriété relatives à la destination de l’immeuble.
10528-62 L’action en nullité doit être intentée dans le délai légal de droit commun tel que résultant de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008. La prescription est quinquennale pour une action personnelle ou mobilière (C. civ., art. 2224) ou trentenaire pour une action réelle immobilière (C. civ., art. 2227), à compter du jour où le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Outre les risques de nullité de l’acte, le contrevenant s’expose également à des sanctions pouvant être requises par l’administration.

§ II – Les sanctions civiles et pénales

10528-63 En cas d’infraction avérée, l’administration peut faire prononcer deux sanctions civiles (A) et, en cas de fraude, une sanction pénale (B).
A/ Les sanctions civiles
10528-64 Ces sanctions sont codifiées à l’article L. 651-2 du Code de la construction. Elles consistent en une amende civile (I) et en une obligation de remise en état sous astreinte (II). Elles s’appliquent du simple fait de l’irrégularité de l’usage, indépendamment de la bonne ou de la mauvaise foi du contrevenant.
I/ L’amende civile
10528-65 En application des deux premiers alinéas de l’article L. 651-2, « toute personne qui enfreint les dispositions de l’article L. 631-7 ou qui ne se conforme pas aux conditions ou obligations imposées en application dudit article est condamnée à une amende civile dont le montant ne peut excéder 50 000 € par local irrégulièrement transformé. Cette amende est prononcée par le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, sur assignation de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat. Le produit de l’amende est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé ce local. Le tribunal judiciaire compétent est celui dans le ressort duquel est situé le local ».
Le délai de prescription est de cinq ans à compter du jour où l’administration a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, sans pouvoir dépasser vingt ans à compter du jour où l’infraction a commencé, en application des articles 2224 et 2232 du Code civil.
Le produit de cette amende revenant à la commune, elle ne peut qu’être incitée à faire la chasse aux contrevenants. Cela est d’autant plus vrai que le produit de la seconde sanction civile lui profite également.
II/ La remise en état sous astreinte
10528-66 Les deux derniers alinéas de l’article L. 651-2 prévoient que « sur assignation de la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé ou de l’Agence nationale de l’habitat, le président du tribunal ordonne le retour à l’usage d’habitation du local transformé sans autorisation, dans un délai qu’il fixe. À l’expiration de celui-ci, il prononce une astreinte d’un montant maximal de 1 000 € par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé. Le produit en est intégralement versé à la commune dans laquelle est situé le local irrégulièrement transformé. Passé ce délai, l’administration peut procéder d’office, aux frais du contrevenant, à l’expulsion des occupants et à l’exécution des travaux nécessaires ».
Là encore, la prescription quinquennale s’applique. Rappelons cependant que pour l’une ou l’autre des sanctions civiles, tout élément nouveau dans l’usage irrégulier est constitutif d’une nouvelle infraction qui constitue le point de départ d’un nouveau délai de prescription.
Pour le cas où l’infraction aux règles serait sciemment commise, son auteur s’expose en outre à des sanctions pénales.
B/ La sanction pénale
10528-67 En cas de fraude avérée au dispositif du changement d’usage, son auteur s’expose aux sanctions pénales figurant à l’article L. 651-3 du Code de la construction et de l’habitation. Il s’agit d’une peine d’emprisonnement d’un an et/ou d’une amende de 80 000 euros. Le tribunal correctionnel pourra également prononcer la résiliation du bail et l’expulsion des locataires.
La prescription de l’action est de six ans à compter du jour de l’usage illicite ou, en cas d’infraction occulte ou dissimulée, à compter du jour où l’infraction est apparue ou a pu être constatée ; mais sans que le délai d’action ne puisse être supérieur à douze ans à compter de l’infraction.

945) « De manière un peu réductrice, la destination détermine le « contenant » d’un bâtiment, l’usage en fixant le « contenu » ». V. P. Wallut et G. Daudre, ouvrage préc, no 74.
946) V. infra, nos 10528054 et s.
947) L. no 2008-776, 4 août 2008, [LME], art. 13. Jusqu’alors le contrôle était assuré par les préfets. Pour Paris, Marseille et Lyon, l’avis préalable du maire d’arrondissement reste un préalable nécessaire.
948) Notons cependant qu’à Paris, sauf exceptions particulières, l’autorisation personnelle pour l’exercice en société de certaines professions libérales réglementées n’est délivrée qu’au professionnel en tant que personne physique et non pas à la structure d’exercice. Une nouvelle autorisation est donc nécessaire à chaque changement d’associé. (V. Règlement municipal de Paris, art. 4).
949) « elle (l’autorisation préalable de changement d’usage) peut être subordonnée à une compensation sous la forme de la transformation concomitante en habitation de locaux ayant un autre usage. » (…) « Toutefois, lorsque l’autorisation est subordonnée à une compensation, le titre est attaché au local et non à la personne. Les locaux offerts en compensation sont mentionnés dans l’autorisation qui est publiée au fichier immobilier ou inscrite au livre foncier ».
950) Circ. UHC/DH2 no 2006-19, 22 mars 2006, I.2.4.2. : « L’autorisation est attachée au local concerné s’il y a compensation effective. En effet, l’objectif du régime étant de ne pas « perdre des mètres carrés » utilisés pour l’habitation, cet objectif est atteint de façon pérenne si un changement dans un sens est compensé par un autre en sens inverse ».
951) À Paris, le ratio peut monter à 3 contre 1 dans le cas d’une transformation du logement en location meublée répétée de courte durée pour les arrondissements 1er à 11e et le 18e.
952) « Pour l’application de l’article L. 631-7, une délibération du conseil municipal fixe les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations et déterminées les compensations par quartier et, le cas échéant, par arrondissement, au regard des objectifs de mixité sociale, en fonction notamment des caractéristiques des marchés de locaux d’habitation et de la nécessité de ne pas aggraver la pénurie de logements. Si la commune est membre d’un établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d’urbanisme, la délibération est prise par l’organe délibérant de cet établissement ».
953) CCH, art. L. 631-7-1, al. 2.
954) C. civ., art. 2227 : « Le droit de propriété est imprescriptible. Sous cette réserve, les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
955) Cass. 3e civ., 15 janv. 2003 : Bull. civ. 2003, III, no 8.
956) CA Paris, pôle 4, ch. 2, 7 janv. 2015 : JurisData no 2015-000158.
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