Compensation directe

Compensation directe

– Compensation par l'opérateur avec ses propres moyens. – Le maître d'ouvrage peut proposer à l'administration de réaliser lui-même les mesures de compensation.
Il lui faut cependant disposer des moyens techniques et humains ainsi que des ressources, notamment foncières. À cet effet, il est des situations où il peut détenir les terrains en pleine propriété, mais lorsque ce n'est pas le cas l'opérateur peut trouver les ressources foncières indispensables à la réalisation de mesures de compensation auprès d'un tiers.
– Compensation par l'opérateur sur le foncier d'un tiers. – L'article L. 163-2 du Code de l'environnement, introduit par la réforme de 2016, précise que : « Lorsque des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité sont mises en œuvre sur un terrain n'appartenant ni à la personne soumise à l'obligation de mettre en œuvre ces mesures, ni à l'opérateur de compensation qu'elle a désigné, un contrat conclu avec le propriétaire et, le cas échéant, le locataire ou l'exploitant définit la nature des mesures de compensation et leurs modalités de mise en œuvre, ainsi que leur durée ».
Le législateur n'ayant pas précisé la nature du contrat conclu avec le tiers propriétaire, la liberté des parties est de mise. Il convient à cet égard de distinguer les contrats conclus avec les personnes privées et ceux conclus avec les personnes publiques, puisque le texte n'empêche pas le porteur de projet de trouver auprès de ces dernières les ressources foncières dont il pourrait avoir besoin.

Contrats conclus avec des personnes de droit privé

Contrats possibles

– Catégories. – Sans entrer dans leur détail, tant ces formes contractuelles sont connues des praticiens, nous pouvons noter cinq grandes catégories de contrats dont il est acquis selon nous qu'ils peuvent être mis en œuvre, leur régime juridique ne présentant pas d'incompatibilité avec les contraintes de la mise en place d'une mesure de compensation : la servitude ; le bail civil ; le prêt à usage ; le contrat de prestation de services ou de gestion ; le bail rural.
Sur ce dernier point, on peut sans doute se demander si le bail rural est de nature à satisfaire à l'obligation prévue par l'article L. 163-2 du Code de l'environnement. Cela est possible selon nous si le débiteur des mesures de compensation a lui-même le statut de fermier, ce qui sera rarement le cas en pratique.
Une autre façon de procéder consisterait à conclure un bail rural tripartite, entre le bailleur propriétaire, le maître d'ouvrage débiteur de l'obligation et le fermier exploitant. Si le terrain sur lequel sont envisagées des mesures de compensation fait déjà l'objet d'un bail rural, il pourrait être envisagé de conclure une convention tripartite adossée au bail rural dont l'objet serait de permettre au maître d'ouvrage de déléguer la mise en œuvre des mesures de compensation à l'exploitant, avec l'accord du propriétaire. Ce bail est à distinguer du bail rural environnemental qui constitue une forme particulière de contrat de compensation qui sera examinée plus loin.
Pour finir, on peut se demander si l'acquisition de l'usufruit temporaire pourrait constituer un outil utile à la compensation. Nous n'avons pas connaissance d'exemple où cela a pu être mis en œuvre, il convient donc de l'envisager avec la prudence qui s'impose à la nouveauté.

Contrats à écarter

– Limites à la liberté contractuelle. – Certaines catégories de contrats apparaissent incompatibles avec l'objet ou les caractères d'une compensation environnementale. Il en va ainsi, selon nous, du bail à construction, de la vente à réméré, ainsi que de la vente sous condition résolutoire.
– Bail à construction. – Si le contrat à conclure entre le porteur de projet et le propriétaire foncier doit définir la nature des mesures de compensation et leurs modalités de mise en œuvre, cela exclut à notre sens de recourir au bail à construction.
Ce type de bail comporte en effet comme obligation essentielle à la charge du preneur celle d'édifier une construction (ou de procéder à la restructuration d'un bâtiment telle qu'elle s'assimile à une construction neuve). Or, il nous semble difficile de concevoir une telle obligation pour mettre en œuvre des mesures de compensation dont l'objet même est de permettre la renaturation d'un site ou sa réhabilitation environnementale. Ce qui constitue l'essence même du bail à construction est incompatible avec l'idée de zéro artificialisation nette. Pour cette raison, il doit selon nous être écarté.
– Vente à réméré. – La vente à réméré, prévue aux articles 1659 et suivants du Code civil, reviendrait à ce que le propriétaire foncier cède son terrain au porteur de projet afin qu'il réalise dessus des mesures de compensation. Ce dernier, une fois les mesures réalisées, serait tenu de restituer le terrain au propriétaire initial si celui-ci décidait de faire jouer la faculté de réméré.
À première vue séduisante, cette solution n'est toutefois pas adaptée en l'état actuel du droit positif :
  • du fait de la durée limitée à cinq ans (C. civ., art. 1660), elle nous semble bien trop courte à l'échelle de certaines mesures de compensation ;
  • du fait que la faculté de réméré n'est pas conditionnée à la bonne fin des mesures de compensation ;
  • du fait de l'obligation pour le vendeur de rembourser non seulement le prix principal, mais encore les frais et loyaux coûts de la vente, les réparations nécessaires et celles qui ont augmenté la valeur du fonds (C. civ., art. 1673). Autrement dit, le vendeur pourrait être amené à rembourser le porteur de projet des dépenses réalisées pour mettre en œuvre les mesures de compensation, ce qui est contraire avec l'idée même de la séquence ERC et du principe « pollueur-payeur ».
Malgré tout, envisager un transfert en pleine propriété au profit du porteur de projet peut s'avérer utile dans certains cas. En particulier si celui-ci bénéficie d'une subvention dont l'une des conditions est d'être propriétaire. Pour cette raison, il nous semblerait intéressant d'explorer la possibilité d'adapter le régime de la vente à réméré pour la rendre compatible avec les mesures de compensation.
– Vente sous condition résolutoire. – La vente sous condition résolutoire nous paraît devoir être également écartée compte tenu des dangers qu'elle présente pour l'acte de vente lui-même et les questions que soulève la restitution du terrain.

Contrats posant question

– Bail emphytéotique. – La question se pose de savoir si le bail emphytéotique peut être utilisé pour permettre à un porteur de projet de justifier de la mise en œuvre de mesures de compensation.
À première vue, cela semble possible. Mais à y regarder de plus près, nous pensons que ce type de contrat n'est en réalité pas totalement adapté.
En effet, le bail emphytéotique est caractérisé par le fait que le preneur dispose d'une grande liberté d'action, le bailleur n'ayant pas le droit de lui imposer une quelconque obligation, que ce soit pour réaliser des travaux, imposer des modalités de gestion d'un site, etc.
Il n'est pas non plus loisible au bailleur d'imposer une destination au preneur, c'est-à-dire de le contraindre à utiliser le bien objet du bail pour un usage précis.
La jurisprudence, constante en la matière, disqualifie ainsi un bail emphytéotique en bail ordinaire celui qui contiendrait de telles obligations, faisant ainsi perdre au preneur son droit réel. Certaines juridictions ont également considéré que de telles clauses sont réputées non écrites.
Compte tenu de ce qui précède, le bail emphytéotique ne permet pas d'imposer au preneur, débiteur de l'obligation de compensation, de mettre en œuvre celles-ci.

Un bail emphytéotique environnemental

Nous regrettons vivement que l'outil du bail emphytéotique soit si peu adapté, tant son caractère se prête à la réalisation de mesures de compensation (ne serait-ce que par sa durée et son caractère constitutif de droits réels immobiliers).
Pour pallier ce défaut, nous serions tentés de souhaiter la création d'une nouvelle catégorie de bail constitutif de droit réel, le « bail réel environnemental ». Néanmoins, face à la multiplication des nouveaux types de contrats constitutifs de droits réels immobiliers, nous appelons de nos vœux que les dispositions des articles L. 451-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime sur le bail emphytéotique puissent être adaptées en vue de permettre la conclusion d'une variante à vocation environnementale.

Contrats conclus avec des personnes de droit public

– Contrats de droit privé des personnes publiques. – Si le foncier convoité par le porteur de projet est une dépendance du domaine privé de la personne publique, les outils contractuels possibles et les questions soulevées sont les mêmes que ceux examinés précédemment pour les personnes privées. Il convient donc de se reporter à ce qui vient d'être développé.
– Contrats de droit administratif des personnes publiques. – Les outils sont en revanche différents s'il s'agit d'une dépendance du domaine public.
Il convient également de réserver le cas des baux emphytéotiques administratifs sur le domaine privé, pour lesquels on se reportera aux développements qui suivent.

Les contrats à écarter sur le domaine public

– Baux emphytéotiques administratifs. – Il résulte des dispositions de l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales qu'un bail emphytéotique administratif, pour être régulier, doit être conclu en vue de la réalisation d'une opération d'intérêt général et relever de la compétence de la collectivité qui le consent.
La première condition posée par ce texte disqualifie à elle seule le recours au bail emphytéotique administratif pour des mesures de compensation. Dans la plupart des cas, en effet, le projet du maître d'ouvrage ne peut pas être qualifié d'intérêt général (mais ce n'est pas exclu notamment si celui-ci est aussi une personne publique ou si le projet revêt en lui-même une dimension d'intérêt général). Les mesures de compensation, en tant qu'elles participent de la protection de l'environnement, pourraient-elles être qualifiées d'activité d'intérêt général au sens de l'article L. 1311-2 du Code général des collectivités territoriales ? Nous émettons des doutes sur ce point, mais il faudra attendre une décision jurisprudentielle pour trancher. Par ailleurs, on peut avoir des doutes sur le point de savoir si la réalisation d'une mesure compensatoire relève de la compétence d'une collectivité territoriale. Cela semble possible mais dans certains cas seulement, lorsque la personne publique profite des mesures réalisées.
Le fait qu'un tel bail ne puisse pas être conclu sur des dépendances domaniales entrant dans le champ d'application de la contravention de voirie (CGCT, art. L. 1311-2) limiterait également fortement le recours à ce type de contrat.
Il convient de rappeler que la contravention de voirie vise les infractions à la police de la conservation de certaines dépendances du domaine public. Les articles L. 2122-1 et L. 2132-2 du Code général de la propriété des personnes publiques opèrent une distinction entre les contraventions de voirie routière et les contraventions de grande voirie.
Sont principalement concernées par ces contraventions les dépendances du domaine public routier, ferroviaire, fluvial et aéroportuaire. Or le domaine fluvial est en particulier le siège de mesures de compensation.
Une réponse ministérielle en date du 26 juin 1989 est venue apporter d'utiles précisions sur la nature des dépendances visées, en rappelant notamment que rentrent également dans le champ d'application des contraventions de voirie les accessoires de la voirie qui contribuent à son exploitation. Notons que le juge administratif a sanctionné à plusieurs reprises des baux emphytéotiques administratifs conclus sur ces dépendances domaniales.
En définitive, le seul cas où le bail emphytéotique administratif serait possible est celui où la réalisation des mesures compensatoires ne constituerait que l'objet annexe du contrat, et où son objet principal respecterait les conditions fixées par les textes, ce qui, force est de le reconnaître, ne devrait pas arriver souvent.
– Autorisations d'occupation temporaire du domaine public des collectivités locales et de leurs groupements constitutives de droits réels immobiliers. – L'article L. 1311-5 du Code général des collectivités territoriales dispose qu'une collectivité locale peut consentir à un tiers une AOT constitutive de droits réels sur son domaine public.
Deux caractéristiques essentielles de ce contrat nous incitent à l'écarter pour réaliser des mesures de compensation :
  • d'une part, l'article L. 1311-8 du Code général des collectivités territoriales précise qu'un tel contrat ne peut pas être conclu sur le domaine public naturel, ce qui limite somme toute assez largement son utilisation compte tenu du fait que l'emprise va nécessairement être du domaine naturel ou le devenir en vertu des mesures de compensation ;
  • d'autre part, ce type de contrat ne peut être conclu que pour autant que son bénéficiaire réalise un ouvrage, une construction ou des installations.
En ce qui concerne cette seconde condition, à l'appui de cette interprétation soutenue par la doctrine, il nous semble possible de s'en référer à celle qui est faite des dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques, en particulier l'article L. 2122-6 permettant à l'État ou à ses établissements publics de consentir des AOT constitutives de droits réels immobiliers, puisque le dispositif mis en place pour les collectivités locales s'en est largement inspiré.
Or, en ce qui concerne les AOT relevant des articles L. 2122-6 et suivants du code précité, plusieurs éléments laissent penser que le titre n'est délivré qu'en vue de l'édification d'un ouvrage. D'une part, les dispositions réglementaires prévoient que les plans des ouvrages à édifier doivent obligatoirement être joints au dossier de demande de l'AOT ainsi qu'au contrat lui-même. D'autre part, l'article L. 2122-19, alinéa 1er, du même code ne rend possible la constitution de droits réels dans le cadre d'une AOT en cours que dès lors que des ouvrages, constructions et installations sont réalisés par leur bénéficiaire. Le Conseil d'État, dans un avis en date du 3 novembre 2009, a retenu la même interprétation du texte, à propos de l'Hôtel de la Marine à Paris. Pour toutes ces raisons, il nous a semblé nécessaire d'écarter l'AOT constitutive de droits réels.
– Autorisations d'occupation temporaire du domaine public de l'État et de ses établissements publics constitutives de droits réels immobiliers. – Pour les mêmes raisons que celles exposées ci-dessus, le recours à l'AOT constitutive de droits réels applicable à l'État et ses établissements publics doit être écarté.

Les contrats possibles

– AOT non constitutive de droits réels. – Le premier des contrats qu'il est possible selon nous de conclure sur le domaine public est celui de l'autorisation d'occupation temporaire (AOT) du domaine public non constitutive de droits réels.
Elle peut être conclue par toute personne publique, sans distinction, et peut porter sur tout type de dépendance domaniale. Son objet n'est pas limité, et permet à l'occupant privatif du domaine public de réaliser de manière certaine des mesures de compensation. L'AOT souffre néanmoins d'un défaut d'importance : elle est précaire et révocable. Cela signifie que même si l'AOT peut être conclue pour une longue durée, la personne publique propriétaire peut y mettre fin à tout moment pour un motif d'intérêt général.
– Servitude du Code général de la propriété des personnes publiques. – Le deuxième des contrats qu'il est possible de conclure sur le domaine public est la servitude conventionnelle de l'article L. 2122-4 du Code général de la propriété des personnes publiques.
Comme pour l'AOT, la servitude peut être constituée par toute personne publique, sans distinction, et peut porter sur tout type de dépendance domaniale. Son objet n'est pas limité, et permet au propriétaire du fonds dominant de réaliser de manière certaine des mesures de compensation. Elle présente toutefois une faiblesse : elle ne se maintient sur le domaine public qu'à la condition d'être compatible avec l'affectation de ce dernier. Autrement dit, elle tombe dès lors qu'elle devient incompatible avec cette affectation.
– Bail emphytéotique administratif, dit « de mise en valeur ». – L'article L. 2341-1 du Code général de la propriété des personnes publiques permet à l'État et certains de ses établissements publics de conclure un bail emphytéotique administratif sur leur domaine public mais aussi sur leur domaine privé en vue de sa restauration, de sa réparation ou de sa mise en valeur.
Si les notions de restauration et de réparation ne soulèvent pas de difficulté particulière quant à leur interprétation, celle de « mise en valeur », moins précise, suscite des interrogations quant à la portée qu'il est possible de lui conférer.
La doctrine estime qu'elle peut revêtir deux formes différentes : « Elle peut tout d'abord consister – c'est ce à quoi l'on pense en premier lieu – à réaliser ou à faire réaliser des travaux de nature à accroître la valeur du bien ; travaux qui (…) ne peuvent pas être des travaux de réparation ou de restauration puisque le législateur les a en quelque sorte mis à part, mais qui peuvent être aussi bien des travaux d'amélioration ou d'extension d'une construction existante que des travaux d'édification de nouvelles constructions. / Elles peuvent également – tout au moins, nous semble-t-il, car la chose peut paraître moins évidente – consister à faire mieux apparaître l'intérêt du bien ou à le faire mieux connaître, par exemple en y installant un musée, en organisant son ouverture au public… ».
En n'employant pas le terme de « valorisation » mais celui de « mise en valeur », le premier étant nous semble-t-il plus large que le second, on peut penser que le législateur a sans doute souhaité éviter qu'une opération n'ait que pour objet d'accroître les revenus de l'exploitation de son patrimoine. Sans en être l'objet exclusif, elle peut néanmoins poursuivre également un tel objectif.
Cette notion de « mise en valeur » recouvre ainsi une dimension à la fois patrimoniale et économique. Or, on peut penser que des mesures compensatoires, du fait de leur rôle pour la biodiversité, peuvent être considérées comme participant à la mise en valeur d'un bien. Pour cette raison, nous ne voyons pas ce qui empêcherait de conclure un tel contrat avec un porteur de projet.

Propos conclusifs

– Verrous. – Les développements qui précèdent constituent un aperçu des outils à la disposition du porteur de projet pour mettre en œuvre ses mesures de compensation. Il existe cependant bien d'autres possibilités de contrat et de variantes de ceux présentés, mais les grandes catégories sont celles qui ont été exposées.
On peut regretter là encore que certains outils doivent être écartés. En particulier certains contrats constitutifs de droits réels, qui présentent comme avantage pour le porteur de projet de lui faire profiter d'un droit plus fort. En particulier, nous avons pu montrer que si le recours au BEA par une collectivité locale nous semble difficilement envisageable, le même contrat relevant d'un régime juridique légèrement différent et ouvert à l'État et certains de ses établissements publics est en revanche possible, une telle différence n'étant pas compréhensible et regrettable.
Sans bouleverser l'ordre établi, quelques adaptations législatives permettraient de débloquer les verrous, comme nous l'avons suggéré ci-dessus.
En toute hypothèse, le notaire doit jouer un rôle déterminant afin de conseiller son client porteur de projet pour qu'il trouve le meilleur outil contractuel qui réponde à la fois aux contraintes inhérentes au site convoité et aux objectifs poursuivis.
Le notaire se doit également de conseiller son client lorsque ce dernier, propriétaire foncier, est sollicité par un porteur de projet, afin de préserver ses intérêts tout en répondant à la demande permettant de mettre en œuvre des mesures de compensation.