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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 2 – Chapitre I – Les transmissions du patrimoine par voie électronique

PARTIE III – Le patrimoine familial
Titre 2 – Les transmissions du patrimoine numérique familial

Chapitre I – Les transmissions du patrimoine par voie électronique

2758 Le constat du recul du matérialisme tant dans le support que dans les biens nous invite à confronter les moyens de transmission électroniques aux règles de droit en vigueur. Peut-on transmettre en droit tous les éléments matériels et immatériels du patrimoine en utilisant un support numérique ? À une époque où l’écriture manuscrite a pratiquement disparu de notre quotidien, existe-t-il encore des actes de transmission du patrimoine qui imposent l’écrit sur support-papier comme condition de validité ?
2759 – L’acte authentique sur support électronique. – L’écrit électronique a été admis comme mode de preuve par la loi no 2000-230 du 13 mars 2000, et la loi no 2004-575 du 21 juin 2004 a étendu l’équivalence entre l’écrit papier et l’écrit électronique aux écrits exigés comme condition de validité.
Pour le législateur, peu importe le support, l’écrit papier et l’écrit électronique sont juridiquement équivalents.
Ainsi l’article 1366 du Code civil (C. civ., art. 1366) pose le principe de l’égalité entre l’acte électronique et l’acte dressé sur support-papier sous réserve d’utiliser un procédé garantissant à la fois :

l’identification fiable des personnes y intervenant ;

la conservation de l’acte et son intégrité1221.

Ces deux conditions sont indiscutablement remplies par les actes authentiques établis sur support électronique que sont :

l’acte authentique électronique (AAE) ;

l’acte authentique à distance (AAD) ;

l’acte authentique par comparution à distance (AACD) prévu par les décrets no 2020-395 du 3 avril 2020 pour une période temporaire1222 et no 2020-1427 du 20 novembre 20201223.

2760 – Une neutralité absolue du support-papier ou électronique pour l’acte authentique1224. – Tous types d’actes authentiques peuvent donc être établis sur support électronique avec une réserve toutefois pour les testaments authentiques pour des raisons qui tiennent plus à la technique qu’au droit. Le testament authentique est en effet reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins (C. civ., art. 971). La signature des deux notaires ou des deux témoins est essentielle pour la validité du testament. Or il n’existe pas à ce jour de procédé technique permettant à deux notaires de signer le même acte au moyen de leurs clés Real respectives et ainsi reconnaître deux signatures qualifiées sur le même acte1225. La validité en droit du testament authentique établi sur support électronique est toutefois clairement établie1226.
2761 La prudence est également de mise pour les actes de dépôt simple de documents dont l’écrit manuscrit est une condition de validité. C’est le cas du dépôt d’un testament olographe qui doit être « écrit, signé et daté de la main du testateur »1227. Certes, le dépôt de l’acte papier peut faciliter la vérification de l’écrit en cas de contestation1228. On observera toutefois que l’analyse graphologique ne se résume pas à la seule étude de la pression du stylo, de la couleur de l’encre ou du filigrane du papier et que cet obstacle pratique peut sans doute être levé1229.
2762 – L’acte sous seing privé sur support électronique. – Dans le cas d’un acte sous signature privée, l’écrit électronique est admis pour la conclusion des contrats où l’écrit est exigé ad validitatem. En effet, le premier alinéa de l’article 1174 du Code civil prévoit que : « Lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 et, lorsqu’un acte authentique est requis, au deuxième alinéa de l’article 1369 »1230. Cet écrit ne vaudra alors acte juridique que s’il est signé.
Cependant l’admission de l’écrit électronique n’est pas sans limite. L’article 1175 du Code civil exclut de son domaine les actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et des successions1231, ainsi que les actes sous signature privée relatifs aux sûretés, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession.
Il semble cependant que ni les travaux parlementaires de la loi « confiance dans l’économie numérique » du 21 juin 20041232, ni même les débats au Sénat n’aient déterminé avec précision le périmètre des actes relatifs au droit de la famille et des successions.
2763 – L’absence d’équivalence du testament olographe dans l’univers numérique. – Le testament olographe doit être écrit en entier de la main du testateur, ce qui suppose l’exclusion de toute autre rédaction sous forme numérique ou dactylographiée. Il s’agit là sans doute de l’un des derniers « bastions » de l’univers matériel qui résiste à l’équivalence que peut apporter un support numérique. À tel point que cette forme de testament peut paraître désuète pour toute une génération qui s’est totalement affranchie du papier et du stylo ou ne les utilise qu’à de très rares occasions.
Il convient à titre liminaire de souligner que l’expression de « testament numérique » peut porter à confusion, car elle renvoie souvent aux directives anticipées issues de l’article 63 de la loi no 2016-321 du 7 octobre 2016 modifiant l’article 40-1 de la loi no 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés. En vertu de ce texte : « Toute personne peut définir des directives relatives à la conservation, à l’effacement et à la communication de ses données personnelles après son décès ». Ces directives peuvent être enregistrées auprès d’un tiers de confiance numérique certifié par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil). La référence de ces directives et du tiers de confiance choisi peut être inscrite dans un registre (dont les modalités sont fixées par la Cnil). Ces directives sont révocables à tout moment par la personne qui les a édictées.
C’est pourquoi l’appellation de « testament numérique » a pu être adoptée.
Toutefois ces directives ne prennent pas la forme d’un véritable testament puisqu’elles sont délivrées et conservées selon une procédure qui leur est propre1233.
2764 – Vers l’admission d’un testament olographe numérique ? – En l’état actuel du droit, l’article 970 du Code civil (C. civ., art. 970) est resté dans sa rédaction issue de la loi no 1803-05-03 promulguée le 13 mai 1803. Il soumet la validité du testament olographe au respect de trois exigences de forme : le testament doit être écrit en entier de la main du testateur, daté et signé. Ces trois exigences correspondent à des finalités bien précises et parfaitement compréhensibles à une époque caractérisée par la matérialité des actes et des faits.
L’exigence légale d’une rédaction entièrement manuscrite répond ainsi à un triple objectif :

limiter les falsifications ;

prévenir le risque d’erreur dans la rédaction ;

garantir une réflexion approfondie de la part du testateur.

L’écriture permet d’attester de la volonté du testateur, la date de vérifier sa capacité et l’absence de testament postérieur révocatoire, et enfin la signature sert à identifier le testateur et son adhésion au contenu définitif de l’acte et à le valider.
Il est toutefois permis de s’interroger sur la pertinence de ces exigences dans un monde dématérialisé où la plupart n’écrivent plus ou pratiquement plus. Ne peut-on pas définir les contours d’un testament olographe numérique qui s’affranchirait totalement de l’écrit tout en respectant les exigences du législateur de 1804 ?
2765 Dès 1936, la Cour de cassation a condamné le testament écrit à la machine à écrire1234. Cette solution a été réaffirmée en 19611235 et non remise en cause depuis1236.
Un texte obtenu mécaniquement au moyen des caractères impersonnels d’une machine à écrire ne répond pas aux conditions exigées impérativement par l’article 970 du Code civil, tant à titre de précaution contre les falsifications possibles que pour assurer l’expression exacte et fidèle, par le testateur lui-même, de ses volontés1237. Cette position de la jurisprudence est également confortée par le postulat que l’écrit dactylographié ne permet pas de jouer aussi puissamment que l’écriture manuscrite le rôle d’identification du testateur.
La machine à écrire n’est plus guère utilisée aujourd’hui et a laissé place aux ordinateurs ou autres tablettes et smartphones. Il est toutefois permis de penser que la même nullité frapperait pour les mêmes raisons un testament imprimé après avoir été rédigé sur un clavier sous forme électronique à l’aide d’un ordinateur1238.
Et pourtant, la loi admet déjà que le testament établi en la forme mystique1239 ou internationale puisse être dactylographié, apportant ainsi la démonstration que l’attention particulière qui sied à la rédaction d’un testament n’exige pas nécessairement l’écriture manuscrite. On pourrait même objecter qu’écrire ses dernières volontés au moyen d’un logiciel de traitement de texte permet d’éviter les ratures et imperfections d’une écriture illisible qui rendent parfois le testament incompréhensible. Les nouvelles technologies permettent par ailleurs de dater et d’horodater un document numérique de manière plus fiable que le ferait l’être humain. L’apposition d’une signature électronique de niveau qualifié permet enfin de garantir l’identité du signataire et son lien avec le document auquel elle s’attache en vertu de la présomption de fiabilité posée par l’article 1367 du Code civil1240.
2766 – Licéité d’un testament rédigé de la main du testateur sur support numérique. – Ce n’est d’ailleurs pas le support numérique qui questionne mais l’exigence de l’écriture manuscrite, car le testament olographe peut être écrit sur toutes sortes de support. Le support matériel sur lequel le testament est rédigé est indifférent de sa validité1241. Les juges ont même admis la validité d’un testament écrit au dos d’une machine à laver le linge1242.
On pourrait ainsi envisager un testament olographe rédigé à la main sur une tablette électronique munie d’un écran apte à recevoir une écriture manuscrite au moyen d’un stylet.
Il conviendra ensuite de s’assurer de sa conservation qui pourrait se faire de manière totalement dématérialisée en stockant le fichier qui le contient sur une blockchain.
L’accès à cette blockchain, afin de le modifier, le compléter, le retirer ou le révéler au décès, ne pourrait être possible que par l’intermédiaire du notaire qui en a effectué le dépôt ou qui est en charge du règlement de la succession.
2767 La fiabilité de l’identité du testateur pourrait cependant être soulevée si seule la signature manuscrite de ce dernier est apposée sur la tablette numérique à l’aide d’un stylet après le texte des dispositions prises. Notons cependant que la même interrogation n’est jamais écartée en présence d’un testament olographe. Le notaire ne doit vérifier que l’existence matérielle de la signature et non pas sa véracité, le testament olographe étant un acte sous seing privé qui ne fait pas foi de son origine (C. civ., art. 1373).
2768 – Le testament établi sous forme audiovisuelle permet-il d’offrir des garanties équivalentes au testament olographe ? – Dès 1986, la question avait été posée de savoir si un testament pouvait être déposé sous forme audiovisuelle. La réponse ministérielle fut négative et il a été rappelé qu’en l’état du Code civil les seules formes possibles sont celles prévues par l’article 969, les formes olographe, authentique et mystique1243.
La décision récente rendue par le tribunal de grande instance de Metz1244 semble constituer le prolongement de cette réponse ministérielle.
Tout laisse donc à croire qu’en la matière, le parallèle avec les règles issues de la loi du 13 mars 20001245 quant à l’égalité des preuves écrites et électroniques est inopérant.
Toutefois l’évolution de la signature électronique, des certificats de sécurité sur l’identité des internautes, le recours à une chaîne de blocs feront invariablement évoluer la jurisprudence.
Ces innovations technologiques pourraient peut-être un jour permettre une évolution du testament olographe vers une forme orale.
Cependant, même en mettant en avant que l’exigence d’un écrit manuscrit puisse être désuet considérant les moyens actuels, une réponse ministérielle1246 a confirmé l’exclusion de l’utilisation des procédés techniques ou informatiques. À cette occasion, il a été rappelé que le testament mystique offrait la possibilité de rédiger un testament par un procédé mécanique.
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1221) Sur la force probante de la signature électronique : V. supra, nos 3200 et s.
1222) Période du 4 avril 2020 au 10 août 2020.
1223) Sur l’acte authentique par comparution à distance, V. infra, nos 3583 et s.
1224) V. M. Grimaldi, Le testament et le cyber-notaire, Études en l’honneur du Professeur J. Huet, LGDJ, Lextenso, 2017, p. 211 à 218.
1225) V. Rapport du 116e Congrès des notaires de France, Paris, oct. 2020, Protéger les vulnérables, les proches, le logement, les droits, no 2257. Le notaire pourrait également faire appel à deux témoins pour recevoir le testament authentique sur support électronique. Il doit alors être signé par le testateur en présence des deux témoins et du notaire (C. civ., art. 973). Il faudra cependant que les témoins disposent d’une signature sécurisée présumée fiable au sens de l’article 1367 du Code civil ce qui pose, là aussi des difficultés techniques au moment de la réception de l’acte. Sur les obstacles liés à la réception d’un testament authentique sur support numérique, V. M. Grimaldi, Le testament et le cyber-notaire, préc.
1226) V. C. Castets-Renard, Le formalisme du contrat électronique ou la confiance décrétée : Defrénois 2006, 1529. – J. Huet, Encore une modification du Code civil pour adapter le droit des contrats à l’électronique : JCP N 2004, I, 178.
1227) C. civ., art. 970.
1228) V. Rapport du 116e Congrès des notaires de France, préc.
1229) Sur cette question du dépôt numérique du testament olographe : V. infra, no 3655.
1230) Sur les conditions liées aux articles 1366, 1367 et 1369 du Code civil, V. infra, nos 3210 et s.
1231) Notons que les conventions sous signature privée contresignées par avocat dans le cadre d’une procédure de divorce par consentement mutuel peuvent être désormais conclues sur support électronique (V. infra, no 3579).
1232) L. no 2004-575, 21 juin 2004, pour la confiance dans l’économie numérique.
1233) Pour un développement sur les directives anticipées, V. supra, nos 1485 et s.
1234) Cass. civ., 18 mai 1936 : JCP 1936, p. 832 ; Gaz. Pal. 1936, 2, p. 76 ; RTD civ. 1936, p. 720, no 4, obs. Savatier ; Journ. not. 1937, p. 192.
1235) Cass. 1re civ., 1er mars 1961 : JurisData no 1961-700138 ; JCP G 1961, II, 12271, note Tarabeux ; RTD civ. 1961, p. 716, obs. R. Savatier.
1236) Cass. 1re civ., 8 févr. 1978 : JurisData no 1978-000054 ; JCP G 1978, IV, 79. – Cass. 1re civ., 23 oct. 1984, no 83-14.398 : JurisData no 1984-702047 ; JCP N 1985, prat. 9488 ; D. 1985, inf. rap. p. 118 ; Journ. not. 1985, art. 58195-5, p. 820, note E. S. de la Marnierre ; Gaz. Pal. 1985, 2, pan. p. 223, obs. M. Grimaldi. – Cass. 1re civ., 24 févr. 1998, no 95-18.936 : JurisData no 1998-000815. – V. égal. CA Montpellier, 1re ch., sect. A, 20 oct. 2009, no 08/04314 : JurisData no 2009-020190.
1237) Cass. 1re civ., 23 oct. 1984, no 83-14.398 : JurisData no 1984-702047 ; JCP N 1985, prat. 9488 ; D. 1985, inf. rap. p. 118 ; Journ. not. 1985, art. 58195-5, p. 820, note E. S. de la Marnierre ; Gaz. Pal. 1985, 2, pan. p. 223, obs. M. Grimaldi.
1238) Sur le refus de la chambre civile du tribunal de grande instance de Metz de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité suite à la demande faite par une mère attributaire d’une fraction des biens de son fils défunt par SMS de ce dernier avant de se suicider, V. TGI Metz, 17 août 2018. – B. Ancel, SMS et testament : sécurité juridique ou souci de modernité ? : JCP N 2018, no 37, act. 729.
1239) Ainsi que le précise l’alinéa 2 de l’article 976 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi no 50-1513 du 8 décembre 1950, le testament mystique peut être écrit à la main ou mécaniquement.
1240) Sur la signature qualifiée, V. supra, nos 1264 et s.
1241) CA Paris 7 déc. 2006, no 04/10101 : JurisData no 2006-327199.
1242) CA Nancy, 26 juin 1986 : JCP N 1987, II, 96, Verandet.
1243) Rép. min. à QE no 11866 : JOAN Q 1er déc. 1986, p. 4612.
1244) Décision préc., no 91.
1245) V. supra, no 2759.
1246) AN, XIVe Législature, QE no 73270.
1247) Loi sur les successions, 10 avr. 1985, art. 17.
1248) C. civ. suisse, art. 506 et s.


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