CGV – CGU

2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 2 – Chapitre I – Les apports d’actifs numériques

PARTIE I – Le patrimoine entrepreneurial
Titre 2 – L’usage des actifs numériques au sein des entreprises
Sous-titre 1 – Les levées de fonds numériques

Chapitre I – Les apports d’actifs numériques

2113 Nouvelles figures de la scène juridique, nouvelles richesses, les actifs numériques peuvent logiquement être apportés au capital social d’une société (Section I). Par ailleurs, ils peuvent aussi être prêtés par l’associé apporteur, pour aider financièrement l’entreprise : le mécanisme spécifique d’apport en compte courant d’associé doit également être abordé (Section II).

Section I – L’apport en capital de cryptoactifs ou de cryptomonnaies

Sous-section I – Le mécanisme général
2114 – Un nouvel apport « numéraire ». – À l’apport éprouvé de numéraire sous forme d’euros, un associé pourrait préférer apporter des cryptoactifs ou des cryptomonnaies au capital d’une société en formation163. Concrètement, le transfert se ferait par l’ouverture d’un wallet dont les associés fondateurs détiendraient les clés, avant que ce ne soit le dirigeant de la société.
Sous-section II – Les enjeux de l’apport
2115 La qualification de l’apport de cryptoactifs, notamment de cryptomonnaies, soulève des interrogations. On retrouve ici les conséquences de la détermination d’une qualification sur l’objet de l’apport : s’agit-il d’un apport en numéraire si on assimile une cryptomonnaie à une monnaie ? D’un apport sui generis de bien meuble incorporel singulier ?
Aux termes de l’article 1843-3 du Code civil (C. civ., art. 1843-3), les associés sont tenus de réaliser leurs apports en nature, en numéraire ou en industrie. Sauf à reconnaître aux cryptomonnaies la qualification de monnaie ayant cours légal étatique ou supraétatique – ce que la doctrine majoritaire et les autorités nationales bancaires ou financières leur dénient164 – l’apport en numéraire paraît réservé à l’apport de somme d’argent. Pour certains auteurs, il ne pourrait s’agir alors pour le détenteur de bitcoins ou de monnaies virtuelles équivalentes, que d’un apport en nature165, ce qui pose le problème de la fixation de sa valeur, essentielle à la détermination du nombre de parts sociales ou d’actions de l’apporteur.
2116 La pérennité de la valeur de l’actif apporté fait aussi débat. L’évaluation des unités, pseudo devises, apportées est certes possible à un instant donné166, mais cette valorisation peut changer au fil des minutes le même jour. Pour reprendre l’expression de Mme Houin-Bressand, « l’évolution possible du cours de la devise dès le moment de son transfert au profit de la société, rend ce type d’apport extrêmement aléatoire et donc inadapté à la constitution d’un capital social stable, susceptible de conférer une assise financière fiable à la société »167. L’instabilité de la valeur apportée rejaillit au surplus sur la validité même de l’apport, puisque l’on sait que l’apport fictif est prohibé168.

Section II – L’apport en compte courant d’associé

2117 L’apport en compte courant d’associé constitue une forme de prêt à la société. L’associé n’apporte plus un actif en capital, mais le prête à la structure sociale.
Depuis la loi Pacte du 22 mai 2019, le régime du mécanisme a été clarifié et assoupli : l’associé ou actionnaire apporteur-prêteur ne doit plus détenir au moins 5 % du capital social et les mandataires sociaux autorisés à réaliser un tel apport sont plus nombreux169.
Tout associé ou actionnaire d’une société, qu’elle soit une société de personnes ou une société de capitaux, peut donc « prêter en compte courant », quelle que soit la quotité de capital social qu’il détient. Les règles applicables sont traitées à l’article L. 312-2 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. L. 312-2).
2118 En général, il s’agit finalement d’un prêt de trésorerie par l’un des associés, en numéraire. On parle ainsi parfois d’avance en compte courant d’associé. Quid si ce prêt se réalise en cryptomonnaies ? Comment envisager son remboursement à l’associé prêteur ?
Si l’on se réfère aux débats au cœur de l’affaire jugée par le tribunal de commerce de Nanterre en 2020170, le bitcoin étant jugé comme une chose « fongible et consomptible », les prêts en bitcoins doivent recevoir la qualification juridique du prêt de consommation défini à l’article 1892 du Code civil (C. civ., art. 1892). La société – l’emprunteur – est en droit d’en percevoir les fruits, mais est tenue de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu.
Le débat rejaillit donc sur l’évaluation de l’apport en compte courant et le traitement de la volatilité du cours de la cryptomonnaie en cause. Il semble donc indispensable, plus encore que pour les apports en actifs représentés par des valeurs ayant cours légal, d’encadrer les termes et les conditions de cet apport par une convention d’avance en compte courant.
En général, la convention prévoit la rémunération de l’associé apporteur-prêteur par un intérêt, la durée de l’avance, ou encore l’échéancier de remboursement. Dans le cas de compte courant libellé en cryptomonnaies, la fixation de règles d’évaluation s’impose, et surtout de mise en œuvre pratique de la restitution des cryptomonnaies à l’associé apporteur.

163) Bull. Cridon Paris 15 avr.-1er mai 2018, no 8-9, spéc. Autres contrats portant sur la cryptomonnaie : le notaire face aux enjeux et aux risques, II, B, L’apport en société de cryptomonnaie, par C. Houin-Bressand.
164) V. supra, Chapitre II, « Les éléments de réponse » ; ce qui n’est pas l’objet des présents développements.
165) V. G. Bourdeaux, Propos sur les « cryptomonnaies » : RD bancaire et fin. 2016, dossier 39, p. 92, spéc. no 25.
166) V. A. Touati et M. Cabassu, Le traitement comptable des cryptomonnaies dans les bilans comptables : Nouvelles fiscales mars 2018, p. 27.
167) Bull. Cridon Paris, préc.
168) JCl. Sociétés Traité, Synthèse, Fasc. 10-10, 10-20, 10-30, 10-40 et 10-50, Contrat de société : éléments constitutifs, par M. Germain, spéc. IV, « Théorie des apports », A – « Généralités », no 32.
169) A. Reygrobellet, Les aspects de droit des sociétés dans la loi Pacte : JCP N 31 mai 2019, 1205.
170) T. com. Nanterre, 26 févr. 2020, BitSpread c/ Paymium : JurisData no 2020-002798 ; V. supra, Partie I, Sous-titre II, « Les qualifications », Chapitre II, « Les éléments de réponse » nos 2080 et s.


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