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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 2 – Chapitre III – Les incidences sur la gouvernance d’entreprise

PARTIE I – Le patrimoine entrepreneurial
Titre 2 – L’usage des actifs numériques au sein des entreprises
Sous-titre 1 – Les levées de fonds numériques

Chapitre III – Les incidences sur la gouvernance d’entreprise

2170 – Confrontation entre gouvernance d’entreprise et technologie blockchain. – L’impact sur la gouvernance des sociétés des outils numériques subit un changement important par la mise en œuvre de la technologie blockchain.
Les applications concrètes de cet outil sont multiples en entreprise, si l’on décline les trois fonctions principales reconnues à la blockchain : répertorier et stocker, organiser des données de toutes sortes, réaliser des transactions233. Les usages innovants potentiels, en termes de sécurité, de qualité et de rapidité doivent aussi être appréhendés en termes de risques, c’est pourquoi le recours à cette technologie relève d’un vrai choix stratégique234.
La gestion harmonieuse de la société résulte d’une bonne gouvernance. La notion peut se définir comme « tout un ensemble de traits modernes de l’organisation des sociétés au sens général du terme »235.
En pratique, la gouvernance tient souvent au choix d’administrateurs indépendants ou référents : sur ce point, l’apport de la blockchain tiendrait seulement par exemple à la tenue sur un DEEP du registre des actionnaires afin de prévoir leur remplacement automatique dans des hypothèses simples.
2171 – Intérêt social et intérêt de la blockchain. – Plus globalement, tout ce qui touche à l’intérêt social de l’entreprise (dirigeants, actionnaires, mais aussi salariés, clients, fournisseurs…) participe de la gouvernance236, et concrètement concerne des décisions, des options économiques (outre le respect de la législation sur les conventions réglementées par exemple) qui dépassent l’outil technique de la blockchain. De surcroît, pour préserver la défense et la confidentialité de l’intérêt social, une blockchain privée est préférable à celle dite « publique » ; mais dans ce cas, la blockchain elle-même devrait être soumise aux règles de bonne gouvernance237, contrôlées par un expert, dont le statut reste à définir et dont la désignation reste là aussi un choix stratégique.
2172 – Digitalisation du droit des affaires. – Concernant le droit des sociétés proprement dit, l’irruption du numérique dans l’entreprise se manifeste à plusieurs niveaux. Au-delà de l’usage d’un nouveau levier de fonds sur plateforme avec émission de titres numériques, c’est toute la vie « ordinaire » d’une société qui est touchée par les nouvelles compositions du capital social accueillant les actifs numériques. Depuis fin 2018 en effet, les parts de société, précisément les titres financiers de sociétés non cotées, peuvent être inscrites dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP)238, suivant un principe d’équivalence avec l’inscription en compte.
Les conséquences tiennent principalement aux clauses statutaires (Section I) ainsi qu’aux registres d’actionnaires (Section II).
Avant d’aborder ces points, il convient d’identifier les sociétés concernées par l’entrée sur la scène du droit des sociétés des outils blockchain.
2173 – Les entreprises concernées. – La plupart des sociétés peuvent tokeniser leur capital social par le truchement de l’inscription de leurs parts sociales dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé, sauf celles dont la matérialisation de la propriété des parts est incompatible avec une blockchain. En clair, sont exclues du procédé les sociétés cotées, puisque précisément les mouvements de leurs actions s’effectuent sur un marché réglementé avec l’intervention, si ce n’est d’un organe central de contrôle, du moins d’un régulateur public (marché boursier).
Toutes les sociétés non cotées semblent donc a priori sujettes à tokenisation des propriétés et circulation de leur capital social.
Ce cadre général posé, il convient d’analyser les conséquences de la dématérialisation des parts sociales sur la rédaction des statuts de sociétés et la tenue des délibérations sociales.

Section I – L’adaptation des clauses statutaires

2174 Le contrat de société peut envisager les incidences de la tokenisation des parts qui composent le capital social sous plusieurs angles : quant à leur mode de propriété (Sous-section I), quant aux règles de variation du capital social (Sous-section II), quant aux droits des associés titulaires de parts (Sous-section III) ; enfin, au-delà des statuts, la technologie blockchain doit être mise en rapport avec d’autres conventions sociales (Sous-section IV).
Sous-section I – Les dispositions relatives à la propriété des parts
2175 Il faut distinguer les questions statutaires d’inscription des parts en compte ou registre de celles des modalités de leur transmission, ou encore de celles de l’augmentation de leur nombre.
2176 – Modalités d’inscription et de transmission des parts sociales. – Les statuts doivent préciser les modalités de l’inscription des parts sociales dans la blockchain. Le principe de l’inscription dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé doit être prévu dans les stipulations relatives à la forme et la libération des actions. Le cas peut d’ailleurs être présenté comme une option, en concurrence avec le cas de l’inscription des actions dans un compte-titres ; par exemple deux clauses successives prévoient les deux cas, dans un même titre « Inscription des actions ».
La référence aux dispositions légales obligatoires apparaît nécessaire dans les statuts pour rappeler notamment les dispositions de, l’alinéa 2 de l’article L. 211-3 du Code monétaire et financier (C. monét. fin. art. L. 211-3, al. 2) : « L’inscription dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé tient lieu d’inscription en compte ». Les statuts renverront aussi utilement aux conditions réglementaires d’intégralité des inscriptions, d’identification des propriétaires de titres et du nombre de titres détenus, de relevé des opérations devant être mis à la disposition des associés ou de dispositif externe de conservation périodique des données239.
2177 – Encadrement statutaire du DEEP. – Les statuts préciseront aussi les cas de mise en œuvre de cette inscription dans un DEEP : lors de la souscription, lors de la cession, et désigneront la plateforme mandataire pour la tenue et l’inscription des valeurs mobilières émises par la société dans une blockchain.
La transmission des parts, enfin, peut donner lieu à une clause spécifique, en complément du cas des actions inscrites en compte-titres, pour préciser qu’elle s’effectue par la modification de l’inscription dans le DEEP, renvoyant aux dispositions légales et au rôle du mandataire de la plateforme.
2178 – Valorisation des parts, augmentation de capital et droit de retrait. – La tokenisation des parts sociales n’empêche pas la résolution des difficultés classiques de leur valorisation. En cas de société dont l’objet est l’acquisition et la gestion d’actifs immobiliers, doit-elle être essentiellement fondée sur l’évaluation du patrimoine immobilier constituant le seul actif de la société ?…
La question supplémentaire tient à l’intégration dans la blockchain des variables de répartition du capital social (par voie d’augmentation de son capital variable ou pour faire suite à l’exercice par certains actionnaires en place de leur droit de retrait). Elles sont en pratique reprises lors de l’approbation annuelle des comptes. Ce calendrier est plus lent que l’immédiateté du traitement des opérations sur le DEEP. Le mandataire de la plateforme devra veiller à la conservation d’un relevé des opérations aux échéances comptables définies.
Sous-section II – Les questions de seuils
2179 – Détermination des seuils de montant de capital social variable. – On raisonnera ici sur l’hypothèse de capital minimum. On sait qu’aucune reprise d’apports ne pourra avoir pour effet de réduire le capital social à une somme inférieure au montant minimum autorisé. Si cette limite est atteinte, l’associé retrayant perd sa qualité d’associé à compter de la date d’effet de son retrait et deviendra un simple créancier de la société pour le montant de ses actions qui doit lui être remboursé. Comment là encore intégrer ces variables dans la blockchain ? Il y a ici vraisemblablement place pour le smart contract240 dans la mesure où le franchissement du seuil bas du capital social à l’occasion d’un retrait devrait déclencher automatiquement l’impossibilité de la reprise d’apport jusqu’à la survenance de souscriptions nouvelles.
2180 – Franchissement de seuils d’actionnariat. – L’intérêt de la technologie blockchain, dans sa dimension de programme informatique déterminé pour exécuter une obligation – le smart contract – pourrait être envisagé dans le cadre du respect des règles de franchissement de seuils déterminés de titres détenus par un associé241. Si les applications en droit des sociétés sont multiples pour les associés242, la question de l’efficacité de la détection des divers dépassements peut s’envisager aisément dans le cadre de l’inscription des titres sur un DEEP.
En effet, toute une série d’informations peut être intégrée au protocole informatique mis en place, dont celui d’organiser l’automaticité de la déclaration de franchissement de seuil. Le non-respect de l’obligation par son détenteur est potentiellement sanctionné de plusieurs façons : sanction pécuniaire, sanction en termes de droits de vote, voire interdiction du dépassement lui-même. Or, les modalités de déclenchement du smart contract et son effet (if… then), peuvent intégrer ces données. Toutefois, si la sanction financière elle-même ne pose pas trop de difficultés, tout comme la mise en place d’une notification automatique à un organe ou autorité de contrôle, d’autres données semblent plus difficiles à organiser. Certains calculs de détention complexes (actions de concert, articulation des participations financière et politique…), et par ailleurs des sanctions subtiles en termes de limitation de droits politiques des associés, seront peut-être incompatibles avec un calcul arithmétique.
2181 Enfin, la sanction en termes de privation de droit de vote, si elle est automatique, pourrait heurter la dimension spécialement protégée du droit de propriété. Ce dernier figure dans nos textes fondamentaux aux articles 2 et 7 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l’article 1er du premier Protocole additionnel de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. Leur respect est apprécié par nos juridictions suprêmes sous l’angle de l’atteinte à la substance même de l’exercice du droit de propriété qui serait portée par une loi ou, dans notre cas, par le contrat dans le cadre du contrôle de conventionnalité. L’automaticité de la privation d’un droit de vote ne constituerait-elle pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’associé sur ses parts ? La réponse pourrait être affirmative si l’on se réfère à la jurisprudence du Conseil constitutionnel : les Sages de la rue de Montpensier, saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité relative aux alinéas 1 et 2 de l’article L. 233-14 du Code de commerce243, ont jugé que « compte tenu de l’encadrement dans le temps et de la portée limitée de cette privation des droits de vote, l’atteinte à l’exercice de ce droit de propriété de l’actionnaire qui résulte des dispositions contestées ne revêt pas un caractère disproportionné au regard du but poursuivi »244. Or précisément si la privation d’un droit de vote résulte de l’exécution du smart contract, donc empreinte d’automaticité, la réserve relevée par le Conseil constitutionnel (limitation de portée et dans le temps) pour valider le procédé semblerait inopérante. Notons que la question ne s’est pas posée encore au cas précis d’un smart contrat.
Sous-section III – La blockchain et les droits des actionnaires
2182 Les droits abordés ici sont d’ordre financier et de nature politique, ces derniers sous l’angle de leur principe et du droit à l’information ; la question spécifique de l’exercice concret d’un droit de vote sera examinée, avec l’impact du numérique sur la tenue des assemblées, à la section suivante245.
2183 – Droits politiques des actionnaires. – Le droit de vote d’un actionnaire fait partie de ce que l’on appelle ses « droits politiques ». Ces derniers sont liés à sa bonne information. La question se pose donc de savoir si l’outil blockchain, à partir du moment où les parts sociales sont détenues sur un DEEP, renforce la qualité de cette information246. La tenue d’un registre dématérialisé des parts qui résultent de la tokenisation des titres pourrait offrir un meilleur accès aux données périodiques de la société, en termes de sécurisation et de transparence. Toutefois la décentralisation de la certification des documents déposés sur le DEEP participe d’un choix de gouvernance à apprécier, par rapport aux certifications existantes des professionnels tels les commissaires aux comptes : le contenu sera-t-il qualitativement contrôlé ? Quid du respect des règles de consensus inhérentes aux blockchains publiques, pour des documents techniques ? Une blockchain privée serait peut-être alors préférable.
2184 Par ailleurs, l’environnement d’un DEEP peut avoir une influence sur les conventions de vote. À cet égard, on peut souligner que les hypothèses de décisions simples prévues semblent s’intégrer sans difficulté dans la blockchain, l’exercice du droit de vote gagnant en efficacité via la mise en place de voting coins. Cependant les notions incluses dans certaines conventions telles la contrariété à l’intérêt social ou la mauvaise foi semblent compliquées à intégrer247.
2185 – Droits financiers des actionnaires. – La question renvoie aux potentialités de la blockchain quant au versement des bénéfices. Là encore, le protocole informatique pourrait prévoir une automaticité de la distribution des dividendes une fois certaines étapes franchies. Notons que ce modus operandi, au-delà d’une apparente facilité d’exécution dans des cas de détention ordinaires, se heurtera peut-être à des obstacles dans des cas spécifiques comme le démembrement de propriété.
2186 – Droits des actionnaires et vente d’un bien social. – L’application du pacte statutaire doit permettre de sécuriser le droit des porteurs de titres tokenisés lorsque surviendra par exemple la vente de l’immeuble acquis par la société. Il convient de leur assurer la restitution des fonds engagés lors de la souscription des titres ainsi que l’octroi de la plus-value leur revenant sur la vente de l’immeuble. Deux pistes pourraient être explorées. La première consisterait à solliciter du notaire instrumentaire qu’il retienne les fonds en vue de les remettre directement à chaque souscripteur de parts (via une délégation de paiement ?). La seconde consisterait à remettre les fonds revenant à chaque souscripteur via la plateforme concernée, le cas échéant sur ordre du notaire. Cette seconde piste mérite probablement d’être approfondie, car la remise de fonds s’accompagnera a priori du retrait des actionnaires. Cette remise peut s’analyser en un rachat de titres en vue de leur annulation. En d’autres termes, le retrait trouve sa contrepartie dans l’attribution de numéraire dont la valeur correspond à celle des titres rachetés.
Sous-section IV – Un défi : concilier blockchain et pacte d’actionnaires
2187 – Incompatibilité apparente des systèmes. – De premier abord, l’écosystème représenté par la blockchain, uniforme dans son protocole et en quelque sorte « ouvert » pour tous ses détenteurs de clés privée et publique, semble à l’opposé des besoins différenciés, du polymorphisme et du caractère secret d’un pacte d’actionnaires248. Rappelons que ce dernier organise une relation entre ses associés signataires, pour leur reconnaître des droits et obligations, dont le succès réside notamment dans la confidentialité de l’accord.
2188 Cependant, une complémentarité peut s’envisager sous deux angles dans l’hypothèse d’un enregistrement du pacte sur blockchain. D’une part, le recours à un dispositif fermé de DEEP préserverait la confidentialité du pacte, puisque le registre et ses transactions sont ouverts à un nombre fermé d’utilisateurs. Le respect de la règle de l’effet relatif des contrats se traduirait tant par le fait que l’ensemble des parties prenantes à la blockchain ne devient pas un contractant (distinction des contractants et des garants) que par le fait que la violation du contrat serait résolue en manquement délictuel. Pour certains auteurs249, le pacte d’actionnaires se verrait alors conférer un effet utile manifeste tout à fait dans le droit fil des dispositions actuelles du Code civil sur l’effet des contrats à l’égard des tiers250. D’autre part, l’efficacité et l’effectivité perfectibles des pactes d’actionnaires, souvent soulignées, pourraient être jugulées grâce à leur tokenisation. L’exécution du processus informatique garantirait ainsi la mise en œuvre des engagements de vote ou les clauses de sortie de pacte.
Cela ouvre ainsi des perspectives fécondes d’interactivité251 entre pacte d’actionnaires et DEEP, surtout si la force obligatoire du registre n’est pas contestée252.

Section II – La dématérialisation des décisions sociales

2189 Corollaire de la tokenisation des titres sociaux, la pratique des tenues de décisions collectives est aussi bouleversée par le numérique. Les délibérations s’adaptent (Sous-section I), et leur mode de consignation également (Sous-section II).
Sous-section I – L’adaptation des délibérations
2190 La tokenisation du capital social débouche sur la tokenisation de l’exercice du droit de vote par les associés. Il faut replacer cette innovation dans le contexte général de modernisation des pratiques de vote.
2191 – Un mouvement de modernisation des pratiques de vote. – Depuis quelques années, les textes se sont succédé pour organiser et développer la dématérialisation du vote notamment dans les sociétés anonymes. Le décret no 2018-146 du 28 février 2018 a instauré pour les sociétés anonymes non cotées la possibilité de prévoir dans les statuts la tenue des assemblées générales par visioconférence ou par tout autre moyen de télécommunication permettant l’identification des actionnaires.
Le texte précise, comme condition à leur conservation dans un registre dématérialisé, que les actes (procès-verbaux, registre de présence) doivent être signés au moyen d’une signature électronique qui respecte au moins les exigences relatives à une signature électronique avancée prévues par les textes européens253. Les procès-verbaux doivent être datés de façon électronique par un moyen d’horodatage offrant toute garantie de preuve (Règl. eIDAS, art. 41 et 42).
2192 Point culminant obligé en quelque sorte, l’épidémie de la Covid-19 au printemps 2020 a imposé une accélération temporaire spectaculaire de cette dématérialisation. Cet événement sanitaire a peut-être bouleversé pour longtemps certaines pratiques de la vie sociétaire254.
Citons pour mémoire l’ordonnance no 2020-321 du 25 mars 2020 prévoyant une série de mesures d’exception relatives à la tenue des assemblées générales et des conseils d’administration pendant la crise sanitaire, complétée par le décret du 10 avril 2020255. Parmi les mesures adoptées, la plus remarquable dérogation au droit des sociétés a résidé dans la possibilité de tenir une assemblée générale à huis clos, privant ainsi temporairement les associés de leur droit fondamental de participer aux décisions collectives, illustrant la marche vers une dématérialisation plus grande du droit des sociétés256.
2193 – Blockchain et tenue des assemblées. – Indépendamment de ce mouvement, la tokenisation des parts de sociétés non cotées impose de réfléchir à son impact sur les modalités de vote et de tenue des assemblées d’actionnaires dont les parts sont inscrites sur un DEEP. En d’autres termes, la digitalisation des pratiques de vote qui est à l’œuvre gagne-t-elle en fiabilité grâce au protocole blockchain ?
Sur le plan technique, l’exercice du droit de vote semble être amélioré par la tokenisation des droits de vote ou voting coins, pour des décisions simples. Rapidité et efficacité peuvent se conjuguer pour dépasser le lourd formalisme de l’organisation des assemblées générales et les cas trop fréquents d’absentéisme. Puisque la blockchain permet de transférer de la valeur ou des données, il est admis que ces facultés soient utilisées pour réaliser un vote257. Les votes seraient enregistrés directement et instantanément sur le dispositif électronique partagé258 ; de plus, chaque vote donnerait lieu à une transaction identifiée sur la chaîne, sans contestation.
Il convient toutefois de veiller aux problèmes de pseudonymat et de respect des exigences de débat et d’échange de points de vue qui, en principe, doivent être garantis lors d’une assemblée d’associés259.
Sous-section II – La consignation des décisions : procédure de dématérialisation des registres
2194 En parallèle de la dématérialisation des tenues d’assemblée, le registre sur lequel les décisions sont inscrites lui aussi se digitalise. À ce mouvement général s’ajoutent les questions spécifiques de registre tenu via la technologie blockchain.
2195 – Tenue des registres sous forme électronique. – En application de divers textes européens relatifs à la signature électronique260, le droit français autorise aujourd’hui les sociétés et les commerçants à tenir leurs registres sous forme électronique. Le régime est fixé par un décret du 31 octobre 2019261.
Les documents concernés sont le registre des délibérations des associés, le registre des délibérations du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, le registre de présence, le registre des délibérations des assemblées d’actionnaires. Les sociétés concernées par le décret sont les suivantes : sociétés en nom collectif (C. com., art. R. 221-3), sociétés en commandite simple, sociétés à responsabilité limitée, sociétés anonymes, sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (ensemble C. com., art. R. 223-26, R. 225-47, R. 225-49, R. 225-106 et R. 227-1-1), sociétés civiles (D. 3 juill. 1978, art. 45, 46, 47) et enfin les commerçants personnes physiques relevant du régime fiscal de la micro-entreprise pour la tenue de leur livre des recettes et registre des achats (C. com., art. D. 123-205-1).
Le décret régit par ailleurs la certification de certains documents qu’il autorise par signature électronique pour les copies ou procès-verbaux des délibérations des organes sociaux dans les sociétés commerciales. Il s’agit aussi de la certification des copies ou procès-verbaux des délibérations des associés de sociétés civiles262.
2196 – Blockchain et registre des décisions sociétaires. – Sur le plan technique, la blockchain paraît parfaitement remplir son rôle de registre dématérialisé et sécurisé pour la conservation des décisions collectives263. Il faudra veiller à adapter le protocole aux spécificités voulues par les associés quant au contenu des informations déposées et à leur sensibilisation. De même l’accès au registre doit être défini, selon le type de chaîne de blocs choisi, non seulement aux associés, mais aussi via un réseau ouvert exclusivement à certaines autorités compétentes. Demeure enfin la question non résolue de différends ou contestations sur le contenu des documents inscrits sur le registre, que l’algorithme présidant à son fonctionnement ne pourra traiter de manière automatique.
2197 Enfin, le notariat s’est saisi de la question de manière très concrète, notamment par l’initiative dénommée « Registre » développée via le fonds d’innovation de la Chambre des notaires de Paris, pour promouvoir la traçabilité des mouvements des actions des sociétés non cotées. Ce projet a pour vocation d’être relié à la blockchain notariale durant sa phase d’exécution. Ce registre de mouvement de titres destiné aux sociétés non cotées (SNC) permettra l’inscription puis le suivi des titres financiers, compris au sens de l’article R. 211-1 du Code monétaire et financier (C. monét. fin., art. R. 211-1), modifié par le décret no 2018-1226, qui permet l’inscription des titres financiers à travers un DEEP264.

233) Rappelons que « les transactions sont émises et regroupées dans un bloc qui sera validé avec une clé cryptographique unique. Une fois le bloc validé, il est horodaté et ajouté à la chaîne de blocs. La transaction est alors visible pour le récepteur ainsi que pour l’ensemble du réseau. Les transactions ne sont pas anonymes mais pseudonymes. Chaque acteur, émetteur ou récepteur a un identifiant qui permet de le tracer tout en protégeant son identité. Ces identifiants sont les clés privées ou publiques. Chaque membre de la communauté possède une paire de clés électroniques : l’une publique contenant son adresse et l’autre privée qui permet de signer les transactions ». Cf. JCl. commercial, Fasc. 534, Blockchain, spéc. no 7, par D. Legeais.
234) V. Magnier, La blockchain, un choix de gouvernance pertinent ?, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 169.
235) Dossier de M. Germain, Rapport sur la gouvernance des sociétés cotées, pour la Fondation du droit continental : JCP E 2013, 1637.
236) Les codes de gouvernance reprennent souvent la règle comply or explain. Selon cette règle, chaque société concernée doit préciser, parmi les recommandations d’un code de référence, celles qu’elle a choisi d’appliquer (comply) et celles qu’elle a pris l’initiative d’écarter, la mise à l’écart d’une règle contraignant néanmoins la société à s’en expliquer (explain). V. M. Germain, V. Magnier et M.-A. Noury, La gouvernance des sociétés cotées : JCP E 2013, 1638, spéc. no 18.
237) V. Magnier, La blockchain, un choix de gouvernance pertinent ?, préc., spéc. p. 174 et 175.
238) C. monét. fin., art. L. 211-3 et L. 211-4 ; Ord. no 2017-1674, 8 déc. 2017 et son décret d’application no 2018-1226 du 24 décembre 2018. Sur la question, V. not. M. Julienne, L’inscription des titres financiers en blockchain : Bull. Joly Bourse 2019, no 2, p. 58, nos 14 et s. – D. Legeais, L’utilisation de la blockchain pour les titres de sociétés non cotées, Dr. sociétés 2019, étude 2.
239) C. monét. fin., art. R. 211-1 à R. 211-9 ; D. no 2018-1226, 24 déc. 2018 et C. com., art. R. 228-3 à R. 228-6.
240) V. infra, Commission 3, nos 3237 et s.
241) P. Kasparian, Blockchain et franchissement de seuil d’actionnariat, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 97.
242) X. Vamparys, La blockchain : un outil au service des droits des actionnaires ? : Bull. Joly Sociétés 2018, 315.
243) Lesquels disposent : « L’actionnaire qui n’aurait pas procédé régulièrement aux déclarations prévues aux I, II, VI bis et VII de l’article L. 233-7 auxquelles il était tenu est privé des droits de vote attachés aux actions excédant la fraction qui n’a pas été régulièrement déclarée pour toute assemblée d’actionnaires qui se tiendrait jusqu’à l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date de régularisation de la notification ».

« Dans les mêmes conditions, les droits de vote attachés à ces actions et qui n’ont pas été régulièrement déclarés ne peuvent être exercés ou délégués par l’actionnaire défaillant. ».
244) Cons. const., 28 févr. 2014, no 2013-369 QPC.
245) En outre le sujet est ici traité surtout sous l’angle des principes généraux de la blockchain confrontés aux droits des associés, les aspects détaillés du fonctionnement des smart contracts étant étudiés infra, Commission 3, nos 3237 et s.
246) G. Goffaux Callebaut, Blockchain et droits des actionnaires, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 146.
247) G. Goffaux Callebaut, Blockchain et droits des actionnaires, préc., p. 147.
248) Y. Paclot et G. Gaède, La blockchain et le pacte d’actionnaires, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 161.
249) Paclot et G. Gaède, La blockchain et le pacte d’actionnaires, préc., p. 166.
250) C. civ., art. 1200, al. 1 : « Les tiers doivent respecter la situation juridique créée par le contrat ».
251) Y. Paclot et G. Gaède, La blockchain et le pacte d’actionnaires, préc., p. 167.
252) Pour des applications concrètes de smart contract lié à un pacte d’actionnaire, V. infra, commission 3, no 3247.
253) PE et Cons. UE, règl. (UE) no 910/2014, 23 juill. 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, art. 26. – Dir. (UE) no 2017/828, 17 mai 2017. Sur la signature qualifiée : V. supra, nos 1245 et s.
254) Pour citer deux auteurs : « On se demandera probablement si nous avons vécu là un effacement des principes élémentaires du droit des sociétés au nom de l’état d’urgence sanitaire et, partant, dans quelle mesure les droits des actionnaires auront été affectés. Peut-être certaines mesures, au contraire, préfigureront d’un droit des sociétés post-Covid prenant davantage en considération les progrès de la technologie » (L. Jobert et V. Morel, La tenue des assemblées générales et des conseils d’administration à l’épreuve de l’épidémie : RD bancaire et fin. juill. 2020, no 4, comm. 90).
255) D. no 2020-418, 10 avr. 2020, portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de Covid-19.
256) A. Reygrobellet, Le droit des sociétés en période d’état d’urgence sanitaire : Rev. sociétés 2020, p. 275.
257) https://blockchainfrance.net/2016/02/12/democratie-et-blockchain-le-cas-du-vote. La société Orange a aussi mis en place cet outil pour des collectivités ou entreprises.
258) E. Guégan, Blockchain et assemblées d’actionnaires, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 151.
259) G. Goffaux Callebaut, Blockchain et droits des actionnaires, préc., p. 147.
260) Règl. eIDAS no 910/2014 du Parlement européen, 23 juill. 2014, sur l’identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur. V. aussi T. Douville, Le règlement européen sur l’identification électronique et les services de confiance (eIDAS) : JCP E 2017,1005 ; La signature électronique après le règlement européen du 23 juill. 2014 : D. 2016, p. 2124. – M. Grimaldi, La signature électronique, in Le droit civil à l’épreuve du numérique : JCP G déc. 2017, no hors-série, p. 29.
261) D. no 2019-1118, 31 oct. 2019.
262) V. D. Legeais, Tenue dématérialisée des registres des sociétés commerciales et civiles, Aperçu rapide : JCP N 22 nov. 2019, no 47, act. 885. – É. A. Caprioli, Dématérialisation des registres, des procès-verbaux et des décisions des sociétés et des registres comptables de certains commerçants : Comm. com. électr. déc. 2019, no 12, comm. 81.
263) Pour une réflexion sur les registres du bénéficiaire effectif, V. J. Chacornac, Le registre du bénéficiaire effectif, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 119.
264) S. Adler, Création d’une autorité de confiance numérique notariale pour la fourniture de services de blockchain – Lancement de la blockchain notariale par les notaires du Grand Paris, Libres propos : JCP N 24 juill. 2020, no 30, act. 654.


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