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2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 2 – Partie I – Le patrimoine entrepreneurial – Introduction

PARTIE I – Le patrimoine entrepreneurial

Introduction

2002 Le monde numérique qui nous entoure s’illustre de façon évidente dans tous les pans de l’économie. La digitalisation de la vie de l’entreprise se manifeste à tous les niveaux : fonctionnement interne, relations avec les clients, production, consommation, échange de données, etc. Tout actif matériel tend à être converti en donnée immatérielle1 avec ses propres règles de circulation et de valorisation.
Dans le cadre de la présente partie, les développements seront volontairement resserrés sur les cryptoactifs et les cryptomonnaies, mais il est certain que l’expression « patrimoine numérique » appliquée à l’entreprise peut embrasser toute son activité, puisque celle-ci peut être entièrement dématérialisée (ainsi du fonds de commerce électronique).
Sous l’angle du patrimoine, l’univers numérique dans lequel vivent les entreprises conduit à deux grandes révolutions : de nouveaux actifs voient le jour, et de nouveaux usages économiques sont à l’œuvre.
Avant de traiter ces questions patrimoniales précises, il convient d’en saisir le cadre global : quels sont les éléments essentiels des nouvelles richesses entrepreneuriales et quels sont leurs points de rencontre avec le monde de l’entreprise ?
2003 – Éléments phares de la nouvelle économie numérique. – Par nouvelle économie numérique, on entend ici les champs d’activité et les procédures liés aux pratiques digitales. Les innovations technologiques permettent à des sociétés innovantes de proposer des services dits « disruptifs »2, et de procurer à leurs créateurs et usagers l’accès à des valeurs diverses. Ainsi la valeur de ces activités tient non seulement à la propriété de tel ou tel actif corporel ou incorporel, mais aussi à l’usage du bien ou service : cela rejoint parfaitement l’esprit de toutes les formes d’économie collaborative3.
2004 – Le numérique au service de l’économie partagée ou collaborative. – Dans un monde d’échanges et de plateformes, les mutualisations des compétences, des lieux de travail, le partage d’expériences prennent une dimension importante. Appliqués à l’entreprise, les liens tissés entre membres d’une famille, d’un groupe de professionnels ou d’amis, permettent d’additionner les profils, de partager des frais, de promouvoir l’initiative entrepreneuriale. Une véritable économie du partage4 se construit, puisque les individus, les entreprises, démultiplient leurs capacités à échanger par le truchement d’applications.
2005 – Le numérique au service de l’économie circulaire. – L’économie circulaire désigne un modèle économique dont l’objectif est de produire des biens et des services de manière durable, en limitant la consommation et les gaspillages de ressources (matières premières, eau, énergie) ainsi que la production des déchets. Il s’agit de rompre avec le modèle de l’économie linéaire (extraire, fabriquer, consommer, jeter) pour un modèle économique de réutilisation. Dans le cadre de la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 20155, la France s’est fixé des objectifs ambitieux pour engager la transition vers une économie durable. Publiée le 23 avril 2018, la Feuille de route économie circulaire propose ainsi de passer à l’action en présentant des mesures concrètes afin d’atteindre ces objectifs6. Le numérique constitue une opportunité pour la transition vers une économie circulaire, en permettant notamment la mise en réseau des acteurs concernés, l’accès à l’information et à la donnée pour le citoyen, l’aide à la décision et à la production de nouveaux services, notamment par des méthodes collaboratives. Il faut cependant nuancer ce tableau par des touches plus sombres liées notamment au bilan énergétique critique de tous ces réseaux7.
2006 Examinons à présent quels sont les principaux points de rencontre entre le monde numérique et le monde de l’entreprise. Ils peuvent être abordés sous deux angles : l’activité de l’entreprise d’un côté (Section I), puis le patrimoine entrepreneurial d’un autre (Section II).

Section I – Les points de rencontre quant aux activités de l’entreprise

2007 Sur le plan spatial d’abord, la révolution numérique permet aux entrepreneurs et à leurs salariés de travailler n’importe où, voire n’importe quand, ce qui conduit les entreprises à repenser leurs stratégies géographique, humaine et d’implantation territoriale en termes de performances8.
Sur le plan de l’organisation interne à l’entreprise ensuite, les outils informatiques mis à la disposition de chaque collaborateur peuvent augmenter l’efficacité économique, nonobstant parfois la survenance de problèmes techniques d’interopérabilité.
L’entreprise notariale en est un exemple typique. Mais les gains constatés ici sont à mettre en balance avec des pertes engendrées là, selon les outils ; le courrier électronique et les connexions à tous les interlocuteurs d’un office notarial apportent une rapidité de décision, d’échange d’informations, et donc de performance, mais la submersion d’e-mails sur les postes des collaborateurs, par exemple, peut nuire à la sérénité du travail et donc aussi à la performance.
Par ailleurs, le défi en termes de ressources humaines tient en outre aux conséquences de l’usage de ces outils sur les conditions de travail. L’entreprise doit prendre la mesure du bouleversement que l’ère des objets connectés (Internet of Things [IoT]) apporte aux limites entre sphère professionnelle et sphère privée.

Section II – Les points de rencontre quant au patrimoine de l’entreprise : la digitalisation via la blockchain

2008 – Vertus. – Le modèle d’affaires dominant est celui des plateformes de pair-à-pair, ou peer-to-peer, à savoir un réseau informatique d’égal à égal entre ordinateurs qui distribuent et reçoivent des données ou fichiers, dont l’enrichissement vient de la collecte de données et du statut d’intermédiaire nécessaire procuré aux entreprises qui adoptent ce modèle9. De nombreuses startups lèvent des millions d’euros pour leurs plateformes de mise en relation10.
La mise en relation entre un vendeur et un acheteur, plus généralement un fournisseur d’usage et un consommateur d’usage, sans intermédiaire mais par connexions individuelles via des codes d’accès, irrigue toute l’économie11. Or la blockchain peut en quelque sorte être le complément technologique vertueux de ce processus, par la sécurité de son architecture distribuée, lorsqu’elle est mise au service du patrimoine de l’entreprise. Retenons que la blockchain est un registre transparent, public et partagé, horodaté, non tenu par une autorité centrale ou un tiers de confiance, alimenté et sécurisé par ses utilisateurs à l’aide de la puissance de ses ordinateurs et du processus de cryptographie des données12.
Il n’est pas interdit d’envisager même une absorption – une ubérisation13 – de certaines plateformes par la blockchain et sa logique de suppression des intermédiaires14.
2009 – Critiques. – Les critiques que l’on peut formuler sont essentiellement de deux ordres : la complication apparente et la lourdeur du système, ainsi que la consommation énergétique.
L’écosystème global de la blockchain est perfectible. Les plateformes d’échange ne sont pas toujours en mesure d’absorber le flux de nouveaux entrants, la cryptographie de données pour alimenter un bloc peut prendre plusieurs minutes, et par ailleurs il s’avère parfois compliqué d’utiliser des cryptomonnaies15 pour réaliser des transactions dans le monde réel. Enfin, la détention et le transfert des actifs numériques semblent complexes à mettre en œuvre pour un non-initié. Dans une vision optimiste, nul doute que les progrès des capacités de puissance de calcul des ordinateurs, des réseaux, des mathématiques quantiques, atténueront ces inconvénients, même s’il faudra sans doute faire face à des usages malveillants des calculs quantiques pour « craker » des codes.
2010 L’impact énergétique constitue le second point de critique. Il n’est pas propre à la blockchain ou aux actifs digitaux et s’inscrit dans ce que l’on dénomme « l’empreinte environnementale » du numérique. Les entreprises en sont conscientes et annoncent publiquement leur volonté de réduire leur impact environnemental16 ; les parlementaires se saisissent aussi du sujet17.
Concernant l’extraction de cryptomonnaies, une étude réalisée par Power Compare a montré que la quantité d’énergie utilisée par les ordinateurs pour produire et faire circuler des bitcoins – activité des mineurs, qui sont ceux qui valident, moyennant rémunération, les transactions opérées sur la blockchain18 – sur toute l’année 2017 a été supérieure à la consommation énergétique de cent soixante pays ! Une autre cryptomonnaie moins énergivore, l’Ethereum, aurait consommé en 2018 autant d’électricité que l’Islande19.
2011 Après avoir brossé à grands traits les fondements de la nouvelle économie numérique, quelles sont les conséquences à tirer sur le plan patrimonial ? Les nouveaux actifs numériques issus de cet environnement forment de nouvelles richesses : appréhender leurs usages (Titre II) suppose de les avoir préalablement identifiés (Titre I).

1) V. N. Mathey, Les enjeux juridiques de la digitalisation du secteur bancaire : RD bancaire et fin. 2019, no 6.
2) V. la définition du dictionnaire Larousse : « adj. Se dit d’une entreprise, d’un produit, etc., qui créent une véritable rupture au sein d’un secteur d’activité ». Concrètement, il s’agit de contourner, court-circuiter, les interlocuteurs et tiers de confiance traditionnels.
3) M. Clément-Fontaine, La genèse de l’économie collaborative : le concept de communauté : Dalloz IP/IT mars 2017, 140.
4) Sur la définition et le régime de l’économie collaborative, V. M. Teller et I. Parachkévova (ss dir.), L’économie collaborative, Dalloz, coll. « Actes », 2018.
5) L. no 2015-992, 17 août 2015, relative à la transition énergétique pour la croissance verte : JO 18 août 2015, no 0189.
6) Cette feuille de route est aussi présentée comme le moyen de porter un modèle d’économie 100 % circulaire au niveau européen et international via l’initiative #MakeOurPlanetGreatAgain.
7) V. infra, no 2010.
8) I. Nappi-Choulet, La révolution numérique des espaces de travail, quels impacts sur la performance ? : Opérations immobilières oct. 2018, no 109, art. 35854261.
9) N. Srnicek, Capitalisme de plateforme – L’hégémonie de l’économie numérique, Polity Press Ltd, Cambridge, 2017 (Platform Capitalism) et Lux Éditeur, 2018, pour l’édition française.
10) Par ex. : WeLink lève 1,5 million d’euros pour devenir le « Doctolib » des professions libérales ; EldoTravo lève 3 millions d’euros pour sa plateforme de mise en relation entre artisans et particuliers, in L’Usine digitale 6 nov. 2019.
11) Même le marché de l’art peut se prêter à des applications de la blockchain : V. G. Goffaux Callebaut, Blockchain et marché de l’art : AJC 2019, p. 324.
12) Il sera étudié plus loin son fonctionnement technique précis.
13) Terme issu de Uber, nom d’une entreprise technologique américaine développant et exploitant des applications mobiles de mise en contact d’utilisateurs avec des conducteurs réalisant des services de transport, pour désigner de manière générique la remise en cause d’un secteur d’activité par une nouvelle proposition de services, moins chers, effectués par des indépendants, via des plateformes de réservation sur internet.
14) C. Zolinsky, La blockchain : la fin de l’ubérisation : Dalloz IP/IT 2017, 385.
15) Sur cette notion, V. infra, nos 2055 et s.
16) Microsoft a annoncé début janvier 2020 son souhait d’effacer son empreinte carbone d’ici 2030 avec la création d’un fonds pour développer les « technologies d’émission négative ». V. A. Vitard in L’Usine digitale 30 janv. 2020.
17) Le Sénat a lancé le 29 janvier 2020 une mission d’information sur cette question.
19) Chiffres et études cités par D. Legeais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, coll. « Actualité », 2019, p. 43 et s.


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