CGV – CGU

2021 – Rapport du 117e congrès – Commission 2 – Chapitre II – Le régime des sûretés portant sur des actifs numériques

PARTIE I – Le patrimoine entrepreneurial
Titre 2 – L’usage des actifs numériques au sein des entreprises
Sous-titre 2 – La mise en garantie des actifs numériques

Chapitre II – Le régime des sûretés portant sur des actifs numériques

2225 – Un maître mot doit nous guider en matière de sûretés : efficacité. – Comme des auteurs l’ont montré, l’attrait d’une garantie se mesure à l’aune de son coût de constitution et de réalisation (par souci de ne pas augmenter le coût du crédit et d’éviter les lenteurs et les frais inutiles), de son adéquation à la dette garantie (volonté de proscrire l’abus de sûretés qui gaspille le crédit du débiteur) et enfin par son efficacité évaluée au regard de la certitude plus ou moins grande d’être payé à l’échéance si le débiteur ne s’exécute pas331.
En pratique cette efficacité doit être recherchée dès la constitution des sûretés réelles, en veillant à leur opposabilité aux tiers (Section I). Elle se mesure en outre aux conditions de réalisation des sûretés (Section II).

Section I – Les conditions d’opposabilité aux tiers

2226 Il convient de confronter les actifs numériques aux conditions d’opposabilité des sûretés. Cette opposabilité repose sur l’accomplissement des formalités propres à la garantie considérée (Sous-section I), voire au surplus d’une publication dans un registre dédié (Sous-section II).
Sous-section I – La confrontation des sûretés sur cryptoactifs aux formalités d’opposabilité aux tiers
2227 Pour reprendre les principales garanties mobilières applicables aux cryptoactifs332, on distinguera les conditions d’opposabilité du nantissement (§ I) de celles du droit de rétention (§ II) et enfin celles des garanties utilisant la propriété comme sûreté (§ III).

§ I – L’opposabilité du nantissement

2228 – Présentation générale. – L’opposabilité du gage découle soit de la publicité qui en est faite lorsque le constituant demeure en possession des meubles corporels gagés, soit de la dépossession entre les mains du créancier ou d’un tiers convenu (C. civ., art. 2337). S’agissant des nantissements de meubles incorporels, certains ne produisent effet à l’égard des tiers que moyennant l’accomplissement des mesures de publicité prescrites par la loi333 ; d’autres, plus nombreux, sont opposables aux tiers sans mesure de publicité particulière (tels le nantissement de créance : C. civ., art. 2361 ; le nantissement d’une police d’assurance sur la vie : C. assur., art. L. 132-10 ; le nantissement de compte-titres : C. monét. fin., art. L. 211-20, I).
2229 – Questions propres aux cryptomonnaies : cas de l’opposabilité du nantissement de bitcoin. – Comme cela a été vu précédemment334, le nantissement de biens meubles incorporels autres que des créances et ne faisant l’objet d’aucune disposition spéciale est soumis, selon l’article 2355, alinéa 5 du Code civil, aux règles applicables au gage de biens meubles corporels. C’est le cas pour les bitcoins. Le constituant accorde alors à son créancier un droit de se faire payer en priorité sur la valeur des biens mobiliers affectés en garantie ; ce droit de préférence ne peut être opposable aux tiers que dans les conditions prévues par l’article 2337 du Code civil, variables selon que le nantissement est constitué sans dépossession du constituant ou avec mise en possession du créancier335.
Distinguons donc les hypothèses.
2230 – Confrontation du nantissement de bitcoin sans dépossession aux formalités de publicité détaillées par le décret no 2006-1804 du 23 décembre 2006, complété par un arrêté du 1er février 2007. – Aux termes de ce décret, pris en application de l’ordonnance du 23 mars 2006 et auquel renvoie l’article 2238 du Code civil336, le gage sans dépossession doit être publié au greffe du tribunal de commerce. Cette publicité remplace la remise de la chose337, en termes d’opposabilité aux tiers. Elle doit respecter un double principe de spécialité : quant à la créance garantie et quant à l’assiette de la sûreté338. La mention du montant, appliquée au bitcoin nanti, ne pose pas de difficultés, c’est celui au moment de la constitution de la sûreté, d’où la nécessité de le préciser dans l’acte constitutif, sans doute en annexant la consultation du cours du bitcoin. Quant à sa désignation, on peut penser qu’il convient de faire référence au wallet dans lequel sont détenues les cryptomonnaies.
Les formalités ne s’arrêtent pas cependant à la seule mention au greffe, le décret de 2006 ayant créé un fichier électronique national, tenu par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC). Son objet est de permettre une première information instantanée et surtout gratuite sur le site du CNGTC, en renseignant sur le site le nom du constituant de la garantie et la catégorie du bien gagé. Sur ce dernier point, on conseillera, au titre des catégories préremplies, de saisir la catégorie « autre », ce qui pourra convenir au bitcoin, si l’onglet « monnaie » n’est pas probant. En cas de mention d’une inscription339, le requérant peut utilement requérir un état certifié au greffe compétent, payant.
2231 – Confrontation du nantissement de bitcoin avec dépossession aux exigences jurisprudentielles relatives à la mise en possession du créancier. – Rappelons que la mise en possession du créancier gagiste est une condition uniquement d’opposabilité du gage aux tiers, non de validité du gage340, autrement dit le gage a perdu son caractère réel, et ce depuis l’ordonnance du 23 mars 2006. La réalisation concrète de la mise en possession doit, pour être efficace, se conformer aux solutions dégagées par la jurisprudence avant la réforme de 2006, l’ordonnance n’ayant pas réglementé la question. Ses modalités tiennent à la forme, au destinataire, au moment et enfin aux caractères de la mise en possession du créancier341.
On peut reprendre ces traits en les confrontant au bitcoin.
Sur le plan formel, la dépossession s’opère par tradition ; comment le constituant pourrait-il remettre un bitcoin entre les mains du créancier ? On sait que la jurisprudence a admis, à défaut de remise de la chose elle-même, celle du titre permettant de réclamer l’objet342. Mutatis mutandis, la remise au gagiste de la clé privée du débiteur, permettant de transmettre le bitcoin sur blockchain, utilisée en association avec la clé publique de la chaîne, pourrait s’envisager comme moyen de dépossession suffisant.
Concernant le destinataire de la mise en possession, le législateur autorise son accomplissement à un « tiers convenu » comme au créancier (C. civ., art. 2337). Peut-être qu’une plateforme de transaction de bitcoins ou un magasin général électronique pourrait jouer ce rôle.
S’agissant des caractères de la dépossession du débiteur des biens gagés, la jurisprudence en a imposé trois principaux : effectivité, apparence et permanence. Les spécificités liées à la détention de bitcoins via une plateforme doivent inciter à user de toute la liberté contractuelle permise du moment que la mise en possession n’est pas fictive. Une difficulté plus grande se présente pour s’assurer que la mise en possession soit apparente aux yeux des tiers, car l’on peut douter que la remise d’une clé privée attachée au titulaire du wallet soit efficiente. Quant au caractère continu de la mise en possession, la procédure à la fois infalsifiable d’enregistrement des inscriptions sur blockchain et le mode de détention spécifique d’un compte en bitcoins paraissent respecter cette condition. Par ailleurs, la fongibilité reconnue au bitcoin tant par la doctrine que par les juges du fond343 ne fait pas obstacle à cette pérennité, à la condition que le contrat de constitution de la sûreté le prévoie.
Enfin, le moment de la mise en possession n’appelle pas d’observation particulière lorsque le bien nanti est un bitcoin, la diligence étant toujours recommandée pour le créancier afin d’éviter qu’une saisie opérée par un autre créancier ou l’ouverture d’une procédure collective ne viennent empêcher la remise.
2232 Confrontation du nantissement de bitcoin, avec ou sans dépossession, aux droits concurrents d’autres créanciers du constituant, à l’aune du règlement des conflits prévu par l’article 2340 du Code civil. Il s’agit ici de déterminer le rang des créanciers gagistes, dans l’hypothèse de bitcoins nantis au profit de plusieurs créanciers. L’hypothèse n’est pas d’école lorsque l’on connaît la courbe régulièrement ascendante – quoique possiblement instable par ailleurs – du cours du bitcoin. Les deux alinéas de l’article précité prévoient un règlement selon l’ordre chronologique des inscriptions (la plus ancienne prévaut) et accordent la préférence au premier créancier qui a publié son nantissement sur le second créancier, fût-il mis en possession ; pas de question nouvelle à première vue en présence de bitcoins. En revanche, une difficulté peut se poser dans la situation inverse, de conflit entre un premier créancier mis en possession et un second sans dépossession du débiteur, même ayant accompli les formalités de publicité requises. La doctrine accorde la préférence au créancier rapidement mis en possession avant l’inscription du nouveau gage au profit du second créancier344. Le problème se pose concrètement de manière plus importante si la mise en possession du premier créancier tarde… et n’intervient qu’après l’accomplissement des formalités d’inscription de la seconde garantie. Si la date de mise en possession effective semble à privilégier, puisqu’elle participe de l’opposabilité du nantissement, alors le second créancier l’emporte, sous réserve que la nature du bitcoin soit bien admise par le registre du greffe du tribunal de commerce et le site du fichier électronique du CNGTC.

§ II – L’opposabilité du droit de rétention

2233 – Une large opposabilité aux tiers. – Le droit de rétention ne connaît pas de publicité conditionnant son opposabilité. Pratiquement, il est opposable tant au propriétaire débiteur qu’à ses héritiers et à ses propres créanciers sans qu’aucune formalité soit accomplie. Une difficulté surgit pour déterminer si le droit de rétention est opposable au propriétaire non débiteur345.
Pour raisonner sur le bitcoin, rappelons que la jurisprudence a déposé le principe selon lequel « le droit de rétention est un droit réel, opposable à tous, y compris aux tiers non tenus à la dette »346. Le rétenteur des cryptomonnaies est donc en position de force face à d’autres créanciers, qui devront le désintéresser pour récupérer les actifs et les céder ensuite : certes, mais de quelle manière s’agissant de bitcoins ? Ce droit de rétention est-il efficient lorsque le créancier n’a pas accès au wallet, à la plateforme ? Peut-être que l’usage des clés publique et privée est déterminant. En raisonnant hors de la cryptosphère, sur une voiture par exemple, il a pu être souligné la nécessité de récupérer les documents administratifs se rapportant au véhicule, pour valablement ensuite le faire vendre347. La détention de la clé privée du débiteur serait alors primordiale.

§ III – L’opposabilité des sûretés-propriété

2234 Pour reprendre les sûretés-propriété identifiées au chapitre précédent, on abordera successivement la réserve de propriété puis la fiducie-sûreté.
2235 – Réserve de propriété. – À l’égard des tiers, la clause de réserve de propriété leur est opposable sans aucune publicité particulière en matière mobilière348, donc en l’occurrence en matière de bitcoin. Cette opposabilité est d’autant plus importante que le droit de revendication du créancier resté propriétaire s’exerce quelles que soient la nature et la situation du bien, ce qui inclut une crytomonnaie.
2236 – Fiducie-sûreté. – Si la fiducie-sûreté, contrat solennel, obéit à des règles matérielles de validité strictes, aucune publicité spécifique n’existe aux termes de l’ordonnance du 30 janvier 2009. Il convient donc de s’en remettre au régime général de publicité de la fiducie (C. civ., art. 2020), lequel lui-même n’est pas exempt de critiques349 et au contraire est source d’incertitudes350. En effet, en présence de biens meubles corporels ou incorporels, soit dans ce dernier cas un bitcoin par exemple, l’enregistrement du contrat n’est pas une mesure de publicité pour informer les tiers de la transmission au fiduciaire de la cryptomonnaie.
Le registre des fiducies a surtout pour fonction d’éviter l’évasion fiscale et le financement d’activités illégales. Soulignons que dès la reconnaissance de la fiducie par la loi du 19 février 2007, l’accès au registre des fiducies a été réservé aux autorités judiciaires et de lutte contre le blanchiment et aux services de l’administration fiscale, avant même que ne se pose la question de faire porter le contrat de fiducie sur des cryptomonnaies, lesquelles sont surveillées au titre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT).
C’est un registre à la fonction « limitée » à l’ordre public donc, mais qui ne permet pas d’assurer l’opposabilité de la sûreté aux tiers, hors la fiducie portant sur des biens immobiliers (publicité foncière) ou abritant une cession de créance (notification prévue par l’article 2018-2 du Code civil).
Les auteurs pointent alors le risque pour le bénéficiaire de la fiducie-sûreté portant sur un bien meuble de se trouver sous la menace des ayants cause du constituant qui se prévaudraient de la règle « en fait de meuble, possession vaut titre », lorsque la fiducie est constituée sans dépossession351. Cependant, pour une cryptomonnaie, le problème se déplacera sur le terrain de l’usage de l’actif et donc de la transmission de la clé privée du constituant.
Une amélioration pourrait venir de la modification de la finalité du registre des sûretés. Ce fichier est d’ailleurs, comme d’autres, confronté aux nouvelles technologies.
Sous-section II – L’adaptation des registres légaux aux nouvelles technologies
2237 Quelques adaptations dans des cas spécifiques se sont produites en droit positif, ce qu’un aperçu de l’état des lieux (§ I) nous enseigne. Cela doit nous conduire à réfléchir à d’autres évolutions (§ II).

§ I – L’état des lieux

2238 La situation du droit français (A) doit être mise en regard d’autres systèmes juridiques nationaux (B).
A/ En droit interne
2239 – Une dématérialisation générale croissante. – La publicité des sûretés mobilières s’opère à titre principal auprès du greffe du tribunal de commerce, nonobstant les services assurés par le fichier informatique d’accès gratuit tenu par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce en matière de gages et nantissements, comme vu précédemment352.
L’ensemble des registres officiels relatifs aux entreprises devrait laisser progressivement place à un registre unique dématérialisé353.
Concernant les cryptoactifs, la principale innovation réside dans la prise en compte, par le législateur, du nantissement de titres financiers inscrits sur une blockchain.
2240 – Le nantissement de titres financiers tokenisés. – Le décret no 2018-1226 du 24 décembre 2018 a été pris en application de l’ordonnance du 8 décembre 2017 relative à l’inscription des titres de sociétés non cotées sur un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP). Le titulaire du compte devient le constituant du nantissement ; le teneur du compte devient le gestionnaire du procédé informatique d’identification354, sachant qu’en fait de « compte », il s’agit du DEEP.
Deux points méritent d’être approfondis : les conditions de cette dématérialisation, et le rôle de la blockchain.
2241 – La dématérialisation informatique des titres nantis. – Le Code monétaire et financier précise que « l’inscription dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé tient lieu d’inscription en compte » (C. monét. fin., art. L. 211-3, al. 2). Lorsque les titres sont inscrits en compte, ce procédé consiste à « apposer un signe distinctif sur chaque ligne de titres » ; lorsque ceux-ci figurent dans une blockchain, le marquage pourra être collectif (par ex., transfert sur une adresse unique) aussi bien qu’individuel (par ex., modification des métadonnées associées), mais il n’en sera pas moins effectif. Le décret du 24 décembre 2018 est d’ailleurs venu préciser qu’en l’absence de compte, la déclaration de nantissement doit mentionner les « éléments d’identification » visés par le II de l’article L. 211-20 du Code monétaire et financier, et cet ajout, issu d’un texte adaptant le régime du nantissement à la blockchain, implique de toute évidence une traduction informatique de titres inscrits en compte : les instruments ainsi identifiés seront donc « réputés constituer le compte nanti » (C. monét. fin., art. L. 211-20, II, al. 2), ceux affectés ultérieurement au titre de la même opération étant « considérés comme ayant été remis à la date de déclaration de nantissement initiale » (C. monét. fin., art. L. 211-20, I).
2242 – Blockchain et nantissement : un couple accélérateur de l’efficacité de la sûreté ? – On touche ici à la technique du smart contract inscrit dans la blockchain. Ses spécificités sont examinées plus loin dans le présent rapport355. On s’attachera ici à aborder la question sur le plan de la constitution de la sûreté et de la prise en compte de l’émission de titres supplémentaires sur le compte356.
Les titres inclus dans l’assiette du nantissement doivent faire l’objet d’un « marquage » indiquant l’existence de la sûreté. L’automatisation de cette opération par un smart contract programmé pour ajouter ou retirer des titres en fonction de l’évolution de leur valeur et du montant de la dette couverte présenterait un intérêt évident. La loi évoque un complément de gage intervenant « de quelque manière que ce soit » (C. monét. fin., art. L. 211-20, I), sans exiger une nouvelle déclaration de nantissement signée par le constituant. Le procédé supposerait bien sûr que le constituant dispose de titres supplémentaires susceptibles d’être nantis, mais surtout que la blockchain comporte ou ait accès à des informations, mises à jour en continu, relatives au montant de la dette garantie et à la valeur des titres357 – ce qui ne sera généralement pas le cas en l’absence de cotation…
2243 – Une illustration du topage informatique ou earmarking. – Si une sûreté financière peut être prise en ouvrant un compte spécial, elle peut l’être aussi par un procédé de topage informatique de lignes de titres, procédé qui empêche le débiteur constituant de la sûreté et titulaire de compte de donner des instructions sur ces lignes de titres358. Le décret du 24 décembre 2018 vient en donner une illustration pratique. En effet, le 5o de l’article D. 211-10 modifié du Code monétaire et financier prévoit que seul le topage informatique serait admis pour les constitutions de nantissements sur titres en DEEP.
B/ En droit comparé
2244 On peut mentionner ici deux exemples de sûretés en droit comparé nord-américain pour rechercher si leurs conditions d’opposabilité aux tiers pourraient s’appliquer à des actifs numériques.
2245 – Security interest de droit américain. – L’article 9 de l’Uniform Commercial Code a créé une sûreté mobilière unique. Son assiette est générale et évolutive (biens meubles corporels ou incorporels ; actuels ou acquis dans le futur par le débiteur). L’opposabilité aux tiers est assurée par la perfection, formalité de publicité pouvant revêtir quatre modalités :

la prise de possession (mécanisme connu de notre droit)359 ;

l’enregistrement public d’une déclaration de financement sur un registre local ou central ;

la perfection automatique : opposabilité de plein droit aux tiers lorsque le créancier est titulaire d’un purchase money interest360 (lié au volume très important du type de créances concernées).

Ainsi une sûreté créée en faveur d’un intermédiaire en valeurs mobilières est opposable aux tiers dès sa constitution. Quid en droit interne français si l’on transpose la solution aux prestataires de services sur actifs numériques ? La solution ne saurait, semble-t-il, être transposée puisqu’à ce jour les prestataires de services numériques ne bénéficient d’aucun privilège légal qui pourrait, à l’instar du droit américain, être opposable aux tiers sans formalité de publicité ;

la perfection par le contrôle : pour les cas où le débiteur ne peut transférer le bien donné en garantie sans l’accord du créancier (en pratique, moyen utilisé pour les comptes de dépôt). Un système analogue pour une sûreté sur cryptoactif serait intéressant, par la maîtrise de la clé privée du détenteur du wallet.

2246 – Hypothèque mobilière québécoise. – Il s’agit d’une hypothèque mobilière d’application générale, inscrite dans le Code civil du Québec. Elle confère au créancier le droit de suivre le bien en quelques mains qu’il soit, de le prendre en possession ou en paiement, de le vendre ou de le faire vendre et d’être alors préféré sur le produit de cette vente suivant le rang fixé par la loi (C. civ. Québec, art. 2660)361. On la qualifie d’« ouverte » dans le sens où elle produit ses effets à sa clôture seulement, donc lorsque le débiteur est défaillant.
Elle peut être consentie avec ou sans dépossession. De même qu’en droit français, lorsque la sûreté porte sur un bien mobilier, la dépossession du débiteur vaut opposabilité aux tiers. Intervient la notion de maîtrise du titre. Il existe par ailleurs un registre des droits personnels et réels mobiliers (RDPRM), notamment aux fins de prouver la date de la constitution de la sûreté. Le créancier peut y publier ses droits en tout temps après la constitution du gage, du moment qu’il n’y a pas eu interruption de la détention.

§ II – Les perspectives d’évolution

2247 – L’enjeu : la prise en compte de l’évolution de la valeur donnée en garantie. – La volatilité de la valorisation d’un actif numérique peut-elle être prise en compte lors de l’inscription d’une sûreté sur un registre ?
La technologie blockchain pourrait-elle être d’un utile secours ?
2248 – Hypothèse de bitcoins nantis en faveur de plusieurs créanciers. – Citons le cas où les bitcoins connaissent un accroissement de valeur après la mise en place du nantissement. Le débiteur peut vouloir en tirer un crédit supplémentaire et les nantir en faveur d’un deuxième créancier. En théorie, leurs rangs respectifs de paiement sont arrêtés par leur date d’inscription sur un registre national tenu auprès du greffe des tribunaux de commerce. La blockchain Bitcoin peut jouer ce rôle de registre, non pas comme en matière de fiducie-sûreté puisque le registre en la matière de fiducie n’a pas pour fonction de rendre celle-ci opposable aux tiers, mais plutôt par analogie avec le registre des gages et nantissements.
2249 – Un registre des fiducies dédié aux cryptoactifs ? – La publication de la fiducie est imposée par l’article 2020 du Code civil362. Pourrait-on assimiler la technologie blockchain au registre national des fiducies visé par ce texte ? En termes d’intégrité et de sécurité, un registre basé sur une blockchain pourrait sans doute remplir aussi efficacement les fonctions d’un registre tenu par les greffes. Il lui est même supérieur sur le plan de la célérité. Cependant, il ne peut rendre compte d’une radiation de la sûreté une fois la créance payée, car une transaction réalisée demeure perpétuellement accessible. On peut produire un effet identique en enregistrant une transaction constatant un transfert en sens inverse.

Section II – Les conditions de réalisation

2250 Le droit des procédures collectives vient souvent perturber la mise en œuvre des sûretés prises sur les biens du débiteur soumis à la procédure. La réalisation des sûretés hors procédure collective (Sous-section I) précédera l’examen de celle dictée par le droit des entreprises en difficulté (Sous-section II).
Sous-section I – Les conditions de réalisation hors procédure collective
2251 Beaucoup de questions pratiques se posent en lien surtout avec l’effectivité ou non d’une dépossession. Comment le créancier garanti par des bitcoins peut-il recouvrer sa créance ? Pourra-t-il missionner un huissier de justice ? Qui activera la clé privée ? Distinguons les hypothèses propres au nantissement (§ I) de celles liées au droit de rétention ou à la propriété-sûreté (§ II).

§ I – Le nantissement avec et sans dépossession

2252 – Clause d’arrosage et volatilité. – Un mécanisme ne permettrait-il pas de contrer la volatilité des cryptomonnaies qui risque de menacer l’efficacité de la réalisation de la sûreté constituée sur ces actifs numériques ? On peut penser à la clause dite « d’arrosage »363. La pratique la connaît notamment en matière de gage sur stocks : le mécanisme de la « clause d’arrosage » permet au créancier, en cas de diminution de la valeur des stocks, d’obtenir le rétablissement de la garantie ou le paiement de sa créance, afin de préserver l’équilibre entre la protection du stock, élément d’actif indispensable à la vie de l’entreprise, et l’intérêt du créancier qui a consenti un crédit nécessaire à la poursuite de l’activité professionnelle du débiteur. En ce domaine, la stipulation d’une telle clause est permise et encadrée par la loi364.
Quid en matière de sûreté sur cryptoactifs ? Il n’existe pas à ce jour de texte spécial autorisant la clause d’arrosage en matière d’actifs numériques. Toutefois, le principe de liberté contractuelle (C. civ., art. 1102) milite pour son application, laquelle ne semble pas non plus heurter le principe de spécialité des sûretés réelles – puisque la clause d’arrosage concerne l’évolution en cours de vie de la sûreté des biens grevés spécifiés dans l’acte constitutif. La fragilité de la clause d’arrosage tient sans doute plutôt au déséquilibre contractuel qu’elle peut engendrer, au point d’être considérée parfois comme une clause abusive365.
Concernant le nantissement de compte-titres, il est expressément admis que l’assiette du nantissement soit évolutive dans la mesure où l’article L. 211-20 du Code monétaire et financier prévoit la substitution de titres par d’autres. Il s’accroît des fruits et produits. Et au titre de cette évolution, il est explicitement prévu une augmentation possible de l’assiette du nantissement par le jeu de la clause d’arrosage. Les titres ajoutés sont alors censés figurer dans l’assiette initiale du nantissement366. Peut-être faudrait-il qu’une loi vienne expressément reconnaître l’efficacité de cette clause pour des sûretés prises sur jeton ou cryptomonnaie.
2253 – Absence de dépossession. – Supposons que le débiteur ne se dessaisisse pas de ses bitcoins. La mise en place d’une sûreté sans dépossession est plutôt déconseillée. En effet, le bitcoin se verrait appliquer les modalités de saisie des valeurs mobilières (CPC ex., art. R. 231-1). Si le débiteur recourt aux services d’un intermédiaire détenant ses clés privées, alors ce dernier pourrait être chargé de vendre les actifs saisis ou de les attribuer au saisissant, comme le ferait un teneur de compte classique. Dans le cas d’une gestion par le débiteur lui-même de ses clés, qu’il refuserait de communiquer, il sera en pratique impossible d’appréhender les unités de cryptomonnaie. Au surplus, les outils tels que l’attribution judiciaire ou le pacte commissoire ne seraient pas aidants, puisqu’ils ne permettent pas de transférer la possession des actifs en cause367.
2254 – Nantissement avec dépossession. – La dépossession entre les mains du créancier ou d’un tiers convenu se fera par le transfert des bitcoins à l’adresse publique de l’une ou de l’autre368.
Sur le plan technique, on constituera une adresse à signatures multiples et on générera une nouvelle adresse à chaque nouveau créancier, les créanciers titulaires de la première adresse transférant les bitcoins à l’adresse nouvellement créée qui inclura la signature du nouveau créancier, matérialisant ainsi sa participation.
Le nantissement peut se faire en faveur du créancier nanti ou d’un tiers convenu. Les deux hypothèses seront abordées.
2255 – Dépossession en faveur du créancier nanti. – Distinguons par exemple369 selon que « A (créancier) ait créé une adresse publique ou non pour traiter spécifiquement avec B (débiteur). Dans le premier cas, les bitcoins doivent être considérés comme des corps certains (choses uniques possédant une individualité propre), car ils se trouvent dans une adresse publique utilisée par A uniquement pour réaliser la transaction avec B. Si B s’exécute en temps et heure, A pourra opérer un transfert dans le sens inverse des mêmes bitcoins qu’il a reçus. Dans le second cas, les bitcoins perdent leur caractère certain, parce que le protocole ne vérifie que l’existence d’un montant suffisant de bitcoins pour honorer la transaction, sans individualisation. Il faut donc prévoir une fongibilité conventionnelle dans le contrat de nantissement.
Au stade de la réalisation du nantissement, le créancier A jouit d’une position assez favorable car il a un contrôle total sur les bitcoins reçus par l’usage exclusif qu’il a de la clé privée qui seule autorise une nouvelle utilisation. Ce mécanisme pourrait illustrer la mise en œuvre de son droit de rétention370 qui lui permet de ne pas restituer les unités de cryptomonnaie tant que A ne s’est pas exécuté à son égard, car, à travers le contrôle de la clé privée, le créancier nanti est libre ou non de restituer les bitcoins reçus ».
L’exclusivité dont jouit le créancier peut aussi faire songer au droit de propriété, surtout si l’on admet l’effet translatif de propriété des transferts de cryptoactifs371.
2256 – Attribution par préférence. – La solution est-elle identique (bénéfice du droit de rétention) en cas d’attribution judiciaire ou conventionnelle des bitcoins ? Une réponse négative l’emporte, car en cas d’attribution judiciaire ou d’attribution conventionnelle (pacte commissoire), ce qui est attribué au créancier impayé, c’est la propriété, et non la seule détention des biens affectés en garantie.
Dans l’hypothèse d’une attribution conventionnelle, les textes applicables (C. civ., art. 2348 s’agissant du gage) requièrent une évaluation à dire d’expert ou le recours à une cotation officielle sur un marché organisé. On peut aussi se référer à la notion de système organisé de négociation introduite par la directive MiFID II372. Autant de catégories auxquelles les unités de cryptomonnaie n’appartiennent pas. Dès lors, il semble difficile de faire jouer aux plateformes de change d’unités de cryptomonnaie ce rôle de marché. Tout au plus pourrait-on considérer qu’elles rempliraient le role d’un expert dans la mesure où le texte n’exige pas une personne physique pour remplir cette fonction.
Dans l’hypothèse où d’autres nantissements sous forme de gage sans dépossession suivraient le premier nantissement avec dépossession, A devrait transférer à B le surplus de bitcoins qui seraient alors à disposition des créanciers postérieurs à A ou aux autres créanciers sur instruction de B373.
2257 – Dépossession au profit d’un tiers convenu. – Dans cette situation, le débiteur B peut transférer les bitcoins à une des adresses du tiers convenu, ce dernier restituant les bitcoins une fois qu’il a reçu des instructions en ce sens de la part du créancier nanti. Cette méthode ne se distingue pas des techniques traditionnelles (ordre de transfert) et ne tire pas l’entière mesure des possibilités offertes par la technologie blockchain.
Dès lors, il sera plus probablement recouru à la technique des signatures multiples. Les intervenants créeront une adresse qui requiert la signature d’une ou plusieurs personnes pour exécuter la transaction. Dans cet exemple, si l’on nomme Xcrow le tiers convenu, « B enverra des bitcoins à une des adresses de Xcrow, tiers convenu. Cette adresse ne permet les transferts qu’en présence soit des deux signatures de A et B, soit celle de l’un ou l’autre en compagnie de celle de Xcrow »374.
Si B a rempli son obligation à l’égard de A, les deux signent la transaction et B récupère ses bitcoins. En cas de conflit, le transfert n’aura lieu qu’en la présence de la signature d’Xcrow, qui peut agir comme arbitre s’il est mandaté en ce sens par A et B ou en tant que simple exécutant d’une décision de justice (même s’il a le mérite de réduire à néant les éventuelles manœuvres dilatoires de celui en défaveur duquel le juge a tranché).
Si B n’exécute pas son obligation à l’égard de A, plusieurs options s’offrent à lui. Les prérogatives d’un propriétaire – si le transfert de bitcoins au créancier rend celui-ci propriétaire – peuvent être mises en œuvre, plutôt peut-être qu’un droit de rétention avec les difficultés inhérentes au fait que le créancier gagiste détienne ou non véritablement les bitcoins. La vente en justice semble moins efficace, du fait de sa lenteur et de son coût. L’attribution conventionnelle semble plus satisfaisante et son régime est similaire à celui du nantissement avec dépossession en faveur du créancier nanti.
2258 – Tempérament au caractère satisfaisant l’attribution conventionnelle par pacte commissoire. – Rappelons enfin la nécessité d’une estimation par expert lors de l’attribution au créancier « à défaut de cotation officielle du bien sur un marché organisé au sens du Code monétaire et financier » (C. civ., art. 2348, al. 2)375.
2259 – Exécution forcée. – Les règles encadrant l’exécution forcée paraissent peu adaptées aux cryptomonnaies et jetons, tant que le marché secondaire où ils circulent ne fera pas l’objet d’une organisation officielle.

§ II – La réserve de propriété et la restitution

2260 – Exercice du droit de restitution. – Une difficulté, que l’on retrouve dès qu’un actif numérique intervient dans un schéma de sûretés, tient à la volatilité du bitcoin. Il en va ainsi, dans le cadre d’une réserve de propriété, si, entre la réalisation du transfert de bitcoins et le moment où les bitcoins sont rendus à leur propriétaire, leur valeur a augmenté et la dette a été partiellement payée. Dans ce cas, selon l’article 2371 du Code civil, la valeur du bien est imputée à titre de paiement sur le solde de la créance garantie.
Rappelons l’exemple cité au chapitre précédent376 : A vend à B 0,01 bitcoin pour 100 euros. A et B prévoient par écrit électronique une clause de réserve de propriété au bénéfice de A portant sur les bitcoins transférés à B pour garantir le paiement du prix.
Si l’on suppose un paiement différé, A décide de demander la restitution des bitcoins, B n’ayant payé par exemple que 50 €. Si les bitcoins conservent la même valeur, A doit rendre à B 50 €, car la valeur du bien repris (ici 100 €) excède le montant de la dette garantie encore exigible. En cas d’augmentation, A devra restituer 50 €, et en sus tout surplus de valeur. En revanche, si les bitcoins voient leur cours diminuer, B devra payer à A la différence entre le restant de sa dette et le cours du bitcoin au jour de la restitution.
Sans doute le créancier A pourrait-il aussi invoquer l’article 2372 du Code civil qui protège les intérêts du créancier ayant conservé la propriété du bien transmis dans l’hypothèse d’une cession dudit bien par l’acquéreur-débiteur : « Le droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l’égard du sous-acquéreur ». Cette protection, fondée sur le mécanisme de la subrogation réelle, perdure même lorsque le débiteur fait l’objet d’une procédure collective (C. com., art. L. 624-18), la jurisprudence admettant d’ailleurs que le propriétaire demande paiement au sous-acquéreur, sans que celui-ci puisse lui opposer les exceptions qu’il pourrait faire valoir contre son propre vendeur377.
2261 – Prospective : cryptomonnaies et procédures de distribution, ou comment traiter l’évolution de la valeur de la garantie. – Au moment de la réalisation de la sûreté, la valeur du bitcoin a pu décroître. Comment prévenir ce risque ?
Si les créanciers acceptent de supporter ce risque, il convient de préciser lors de la constitution de la sûreté le nombre de bitcoins à remettre à tel ou tel créancier et à chaque fois que l’on ajoutera un nouveau créancier au pool des créanciers.
Comment l’exécuter techniquement ? Par l’insertion d’un message en ce sens dans la transaction indiquant le nombre de bitcoins « revenant » à chaque créancier378.
Si, au jour de la réalisation de la sûreté, le nombre de bitcoins est insuffisant pour honorer tous les créanciers, le créancier non désintéressé sera celui qui arrivera après le dernier payé. Cela rend compte de la hiérarchie qui existe entre eux.
Si les créanciers ne supportent pas ce risque de volatilité, alors il faudra envisager des techniques de neutralisation comme le surdimensionnement ou les appels de marge par exemple pour se prémunir contre une chute brutale de la valeur du bitcoin. Le nombre final de bitcoins qui restera entre les mains des créanciers sera calculé au jour de la réalisation de la sûreté par référence à leur cours sur une plateforme déterminée, certainement celle qui offre le taux le plus généreux par souci de protection du débiteur. La mécanique de distribution demeure identique. Dans les deux cas, le rôle d’un tiers convenu n’est pas nécessaire, car une fois une adresse à signatures multiples créée, les bitcoins transférés et les signataires connus, aucun transfert ne peut se faire en faveur d’un des créanciers sans l’accord des autres. On peut éviter les situations de blocage en ayant recours à un tiers départiteur dont la seule signature validera la transaction et la répartition qu’il opère entre les différents créanciers379.
Sous-section II – Les conditions de réalisation du droit des entreprises en difficulté
2262 Le droit positif des procédures collectives, dont les enjeux doivent être rappelés380, précédera la présentation des perspectives de réforme.
2263 – Le sort du droit de rétention. – Il a une place privilégiée dans la procédure collective. En premier lieu, le droit de rétention permet au créancier de refuser la restitution de la chose légitimement retenue jusqu’à complet paiement de sa créance. Ainsi le créancier rétenteur peut exiger d’obtenir paiement de sa créance antérieure malgré l’interdiction de principe (C. com., art. L. 622-7, II), dès lors que le juge-commissaire l’aura autorisé au motif que le bien est nécessaire à la poursuite de l’activité. Ce texte ne profite pas au créancier gagiste sans dépossession (C. com., art. L. 622-7, I, al. 2).
En cas de liquidation judiciaire, il résulte de l’article L. 642-20-1, alinéa 2, du Code de commerce que le créancier gagiste, même s’il n’est pas encore admis, peut demander au juge-commissaire, avant la réalisation, l’attribution judiciaire du bien gagé. Cette attribution judiciaire est un droit exceptionnel qui déroge au principe d’égalité des créanciers et au principe de l’interdiction des paiements. Elle ne s’applique pas à l’immeuble hypothéqué381. En matière de cryptoactifs, on pourrait s’inspirer de la conclusion d’un auteur382 au sujet des nantissements : rejet de l’attribution judiciaire. La solution est toutefois contredite par l’admission en jurisprudence de l’attribution judiciaire en matière de nantissement de compte courant, même si les sommes sont saisies et placées sur un compte spécial383.
2264 – Le sort du pacte commissoire. – L’ordonnance du 23 mars 2006 a autorisé le pacte commissoire, qui permet au créancier de se faire consentir le droit de s’approprier la chose affectée en garantie en cas de non-paiement à l’échéance.
Son intérêt paraît remarquable s’il est lié à la technique du smart contract et son automaticité384. Toutefois, outre les observations inhérentes au droit des sûretés concernant l’opposabilité aux tiers, vues précédemment385, le caractère collectif du droit des entreprises en difficulté devrait s’opposer à l’automatisation du pacte, la constitution et la mise en œuvre de celui-ci étant interdites par l’article L. 622-7, I du Code de commerce.
2265 – Le sort de la fiducie. – La fiducie fait en principe échapper les biens qui en font l’objet à la procédure collective386. Son efficacité est assurée par un certain nombre de dispositions. Ainsi le créancier fiduciaire peut-il obtenir le paiement de sa créance autorisé par le juge-commissaire pour éviter le retrait du bien (C. com., art. L. 622-7, II, al. 2). Lorsqu’une convention de mise à disposition des biens a été conclue au profit du constituant (débiteur), la fiducie est paralysée pendant la procédure de sauvegarde ou de redressement. Le débiteur constituant conserve l’usage et la jouissance des biens, la convention de mise à disposition étant soumise au régime des contrats en cours (C. com., art. L. 622-13, VI). Certes, si les biens fiduciés sont des actifs numériques, leurs modalités de détention et de circulation sont à prendre en compte.
Ensuite, aucune cession ou transfert ne peut intervenir au profit du fiduciaire ou d’un tiers du seul fait de l’ouverture de la procédure, de l’arrêté du plan ou d’un défaut de paiement d’une créance antérieure (C. com., art. L. 622-23-1). Une adaptation législative pourrait alors viser le patrimoine fiduciaire constitué d’actifs numériques.
2266 – Perspectives de réforme. – La loi Pacte annonce, à échéance de deux ans à compter de sa publication au Journal officiel (le 23 mai 2019), un bouleversement du droit des entreprises en difficulté comme il n’y en a probablement pas eu depuis la loi du 25 janvier 1985387. Ce bouleversement sera réalisé par deux ordonnances, l’une prévue par l’article 196 de la loi Pacte, devant transposer en droit français la directive 2019/1023 du 20 juin 2019 sur les restructurations préventives ; l’autre énoncée par l’article 60 de la loi Pacte, devant porter réforme du droit des sûretés.
La transposition de la directive 2019/1023 va impliquer un rééquilibrage du droit français des entreprises en difficulté au profit des créanciers en renforçant leur rôle dans l’adoption des plans de restructuration et en introduisant des classes de créanciers ainsi qu’un mécanisme (dit cross-class cram down ou dans sa version française « application forcée interclasse ») ayant vocation à permettre de surmonter les blocages venant des classes de créanciers qui, dans l’hypothèse d’une liquidation, n’auraient de toute façon pas vocation à participer aux répartitions (créanciers out of the money).
Ces modifications substantielles du rôle des créanciers entreront en résonance avec l’ordonnance de réforme des sûretés qui, selon la loi Pacte, doit clarifier la hiérarchie entre créanciers et favoriser l’articulation entre droit des sûretés et procédures collectives. Notamment, doivent être précisées les règles du nantissement de créance, de la réserve de propriété et de la fiducie-sûreté.
On soulignera ici que ces deux réformes devraient s’intéresser au sort du droit de rétention et au sort de la fiducie en cas de procédure collective, si l’on part du principe que les cryptoactifs se prêtent au jeu de ces deux garanties, comme vu au chapitre précédent.

331) A. Aynès, L. Aynès et P. Crocq, Droit des sûretés, LGDJ, 14e éd. 2020, no 8, p. 22. Pour une analyse détaillée de la notion d’efficacité (« objective » et « subjective ») et des facteurs d’efficacité en matière de sûretés, cf. l’introduction et la première partie de la thèse du professeur Bourassin : L’efficacité des garanties personnelles, LGDJ, 2006 (https://hal-univ-paris10.archives-ouvertes.fr/tel-02060142).
332) Sur l’identification de ces garanties et sûretés, V. supra, Chapitre I, « L’identification des sûretés concernées », nos 2199 et s.
333) Par ex., C. com., art. L. 142-3, relatif au nantissement de fonds de commerce.
334) V. supra, nos 2207 et s.
335) V. supra, no 2201 sur l’influence du mode de circulation des cryptomonnaies.
336) C. civ., art. 2338 : « Le gage est publié par une inscription sur un registre spécial, dont les modalités sont réglées par décret en Conseil d’État ».
337) D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, LGDJ-Lextenso, 13e éd. 2019, no 486.
338) M. Bourassin, Droit des sûretés, Sirey, 7e éd. 2020, no 912.
339) En cas d’inscription, apparaîtront sur le fichier national : le nom du constituant, la catégorie du bien gagé, et la référence du greffe où l’inscription a été prise. V. www.cngtc.fr/fr/fichier-national-des-gages-sans-depossession.html
340) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 905.
341) C. civ., art. 2337, al. 1 et 2. V. M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., nos 907 à 910.
342) Cass. com., 26 avr. 2014, no 92-15.173, inédit : JCP E 1995, I, 482, obs. Ph. Delebecque.
344) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 913, in fine.
345) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 842.
346) Cass. 1re civ., 7 janv. 1992 : Bull. civ. 1992, I, no 4. – Cass. com., 3 mai 2006 : JCP G 2006, I, 195, obs. Ph. Delebecque. – Cass. 1re civ., 24 sept. 2009 : Bull. civ. 2009, I, no 4.
347) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 843, note 5.
348) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 731 in fine.
349) D. Legeais, Droit des sûretés et garanties du crédit, préc., no 790.
350) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 784.
351) JCl. Notarial Formulaire, Vo Fiducie, fasc. 10, Fiducie-sûreté, 2017, no 35, par D. Legeais.
352) V. supra, no 2230.
353) V. JCl. Roulois, Fasc. 3235, janv. 2021 : le registre du commerce et des sociétés, le répertoire des métiers, le registre des actifs agricoles, le registre de l’agriculture, le registre spécial des agents commerciaux seront remplacés, à l’horizon 2021, par un registre général dématérialisé des entreprises. Le répertoire national des entreprises n’est pas impacté par la réforme (L. no 2019-486, 22 mai 2109, art. 2. – D. no 2019-699, 3 juill. 2019. – Rép. min. no 20500 : JOAN 16 juill. 2019, p. 6695). Les sept réseaux de centres de formalités des entreprises (CFE) vont être remplacés, dans un souci de simplification, par un guichet unique électronique (L. no 2019-486, 22 mai 2019, art. 1er). L’INPI est désigné en tant qu’opérateur de ce guichet (D. no 2020-946, 30 juill. 2020). L’ouverture du guichet unique est prévue en janv. 2022 avec un calendrier de mise en œuvre progressif.
354) D. Legais, Blockchain et actifs numériques, LexisNexis, 2019, no 201.
355) V. infra, Commission 3, nos 3237 et s.
356) M. Julienne, Le nantissement de titres financiers inscrits en blockchain, in Blockchain et droit des sociétés, ss dir. V. Magnier et P. Barban, Dalloz, 2019, p. 51.
357) D’où l’intérêt de recourir à un oracle ; V. infra, Commission 3, nos 3351 et s.
358) S. Schiller et T. Cremers, Effectivité de la représentation et de la transmission des titres financiers non cotés par une blockchain ainsi que des minibons : JCP G 2019, aperçu rapide 92.
359) V. supra, no 2231.
360) L’expression purchase money interest, que l’on peut traduire par « sûreté en garantie du prix d’achat » désigne une créance légale (sorte de privilège) qui permet à un prêteur soit de reprendre possession d’un bien financé par son prêt, soit d’exiger le remboursement en espèces en cas de défaillance de l’emprunteur. Elle donne au prêteur la priorité sur les créances des autres créanciers.
362) V. supra, no 2236.
363) V. not. M. Julienne, Les gages spéciaux : modèles pour le droit commun ? : D. 2016, p. 1266, no 16. – C. Houin-Bressand, Autres contrats portant sur la cryptomonnaie : le notaire face aux enjeux et aux risques : Bull. Cridon Paris 15 avr. 2018, no spécial, p. 13.
364) C. com., art. L. 527-6, al. 2 à 5.
365) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 1004.
366) JCl. Notarial Formulaire, Synthèse, Fasc 40, Nantissements, mai 2020, no 36, par D. Legeais.
367) M. Julienne, Les cryptomonnaies : régulation et usages : RD bancaire et fin. nov. 2018, no 6, étude 19, spéc. no 16.
368) M. Bali, La prise de sûreté sur cryptomonnaie : le cas du bitcoin : RD bancaire et fin. nov. 2018, étude 21.
369) Donné par M. Bali, art. préc.
372) PE et Cons. UE, dir. 2014/65/UE, 15 mai 2014.
373) Sur les différents types de conflits entre créanciers nantis, V. supra, no 2232.
374) Exemple proposé par M. Bali, La prise de sûreté sur cryptomonnaie, art. préc., étude 21, spéc. no 24.
375) V. M. Julienne, Les cryptomonnaies : régulation et usages : RD bancaire et fin. nov. 2018, no 6, étude 19, spéc. no 17.
376) Donné par M. Bali, art. préc.
377) Cass. com., 5 juin 2007 : Bull. civ. 2007, IV, no 152.
378) V. M. Bali, La prise de sûreté sur cryptomonnaie, art. préc., étude 21, spéc. no 21.
379) Ibid.
380) JCl. Procédures collectives, Synthèse 2020, Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires. Sort des créanciers, spéc. nos 41 et 42, par J. Vallansan.
381) Cass. com., 28 juin 2017, no 16-10.591 : JurisData no 2017-012576 ; Bull. civ. 2017, IV, no 91.
382) M. Bourassin, Droit des sûretés, Sirey, 7e éd. 2020, no 1383.
383) Cass. com., 25 sept. 2019, no 18-16.178.
384) Sur son effectivité, V. infra, nos 3329 et s., Commission 3.
385) V. supra, nos 2226 et s.
386) M. Bourassin, Droit des sûretés, op. cit., no 1371.
387) M. Menjucq, Loi Pacte et procédures collectives. Des ajustements ponctuels dans l’attente du grand bouleversement annoncé ! : Rev. proc. coll. juill. 2019, no 4, dossier 23.


Aller au contenu principal