L'obligation de délivrance

L'obligation de délivrance

– Principe et conséquences pratiques. – L'article 1604 du Code civil indique que : « La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur ». Il s'agit pour le vendeur de remettre à son acquéreur un bien conforme à sa description contractuelle, c'est-à-dire conforme à ce dont les parties ont convenu ensemble. Il y a non-conformité dès l'instant où l'immeuble ne correspond pas à ce qui a été promis au contrat.
Cette obligation revêt un aspect particulièrement important dans la matière environnementale qui nous occupe. En effet, prétendre à tort que le bien est non ou peu pollué fera encourir au vendeur une sanction contractuelle, tenant au non-respect de son obligation de délivrance conforme.

L'importance de la description précise du bien vendu

La prudence la plus absolue est de mise, et l'on ne peut que conseiller au rédacteur de faire
état au niveau du descriptif du bien de tout doute, afin d'alerter l'acquéreur. Une information
erronée (tenant à une déclaration d'absence de pollution) ou approximative (faisant état de peu de
pollution par exemple) ferait peser un risque sur l'opération. L'erreur la plus courante, et il
convient d'insister à son propos, est de mentionner erronément qu'une « dépollution » du terrain a
été réalisée, en s'abusant sur la portée des travaux de remise en état après l'arrêt d'une ICPE.

Tout est question de présentation car, en effet, le juge recherchera si la description du bien,
conditionnant sa délivrance, est entrée ou non dans le champ contractuel. En ce sens, et de
nouveau, la description dans l'acte du projet de l'acquéreur revêtira une importance non
négligeable dans l'interprétation du juge.

Ainsi, relève de l'obligation de délivrance la vente d'un terrain décrit au contrat comme « non
pollué » – alors que les travaux d'aménagement ont par la suite mis au jour une pollution
résiduelle

. Même solution dans le cas d'un bien présenté comme peu pollué, alors qu'il l'était lourdement :
la Cour de cassation a ainsi considéré qu'il y avait un manquement à l'obligation de délivrance
conforme

. Dans cette dernière espèce, une commune s'était portée acquéreur d'un bien immobilier afin d'y
réaliser une opération de restructuration urbaine. L'acte de vente indiquait que le terrain ne
présentait pas de « pollution importante, excepté des traces très anciennes de charbon ». Mais la
commune a découvert la présence d'une pollution aux métaux lourds postérieurement à la vente. Elle
a donc assigné le vendeur en paiement de dommages et intérêts correspondant au coût de la
dépollution nécessaire pour réaliser le projet prévu à l'acte. La cour a considéré « que le
terrain vendu était affecté d'une pollution aux métaux lourds, (...) que l'absence de pollution
importante était entrée dans le champ contractuel et que le vendeur connaissait la destination à
usage d'équipements publics des parcelles (...), il existait une différence substantielle entre la
chose livrée et ce qui avait été contractuellement prévu ». Elle a donc jugé que, de ce fait, le
vendeur « avait manqué à son obligation de délivrance des parcelles conforme à la convention des
parties ».

– Le cas de Grézieu-la-Varenne. – La presse généraliste nationale s'est particulièrement fait l'écho d'une hypothèse topique, et hors norme : la médiatique affaire de Grézieu-la-Varenne, commune située dans le département du Rhône.
Comme il va être plusieurs fois fait référence à ce dossier, il convient de le situer rapidement. Pour la première espèce, qui a donné lieu à l'arrêt d'appel mentionné ci-après, il s'agissait d'un couple ayant acheté une maison d'habitation, avec piscine et jardin, en 2010. Les acquéreurs témoignent a posteriori avoir été parfois incommodés par une « infime odeur chimique » durant les années qui suivirent, mais n'investiguèrent pas plus avant. En 2019, ils lancent un chantier pour réaliser des travaux d'extension. Avant même les travaux, le trou creusé pour déplacer un arbre se remplit d'un liquide visqueux. L'expertise, sollicitée en référé, rendue l'année suivante, révèle un site pollué à risque, par des métaux lourds, des dioxines, des furanes, des hydrocarbures, des trichloroéthylènes, des tétrachloroéthylènes, touchant les sols, les gaz de sol et les eaux souterraines. Par arrêté municipal du 25 août 2020, l'utilisation du réseau d'eau est interdite, non seulement pour ladite maison mais pour tout le périmètre alentour.
La maison a été édifiée sur le site d'une ancienne blanchisserie industrielle, relevant de la réglementation des ICPE, ayant exercé son activité de 1959 à 2010. Pour cette seule maison, et pour le seul chef des frais de dépollution, le préjudice a été fixé par les juges d'appel à la somme de 894 840 €. Or, le problème ne concerne pas ce seul logement, mais le quartier du « Tupinier » à Grézieu-la-Varenne, outre une cinquantaine de logements sur la commune voisine de Craponne. Plusieurs instances sont en cours devant les juridictions civiles lyonnaises. Le sinistre est de telle ampleur qu'il donne même lieu à un volet pénal : cette affaire est en effet la première plainte pour écocide, en France, et plus largement au sein de l'Union européenne – celle-ci a été déposée en novembre 2021, quelques mois après l'adoption de la loi Climat et Résilience du 22 août 2021.
– La solution prétorienne. – Dans le contexte de l'affaire précédente, et dans le contexte du rapport entre vendeur et acquéreur, la cour d'appel de Lyon s'est placée sur le terrain de l'article 1604 du Code civil, et donc de l'obligation de délivrance . Et la situation d'espèce étant topique des problèmes qui risquent de survenir à l'avenir, avec la réhabilitation des friches et de leurs abords, il présente un fort intérêt de détailler le raisonnement des juges.
Dans la promesse synallagmatique de vente, figurait un paragraphe intitulé « Protection de l'environnement » qui rappelait les dispositions de l'article L. 514-20 du Code de l'environnement (détaillé ci-après, V. infra, n°). à la suite de ce rappel, une très longue déclaration du vendeur était mentionnée, reprise du logiciel de rédaction d'actes, avec la litanie des déclarations usuelles : « (déclaration) de ne pas avoir personnellement exploité une installation soumise à autorisation sur les lieux objet des présentes ; (déclaration) de ne pas conna ître l'existence de déchets considérés comme abandonnés au sens de l'article 3 de la loi n o 75-633 du 15 juillet 1975 ; (affirmation) que le bien n'est frappé d'aucune pollution susceptible de résulter notamment de l'exploitation actuelle ou passée ou de la proximité d'une installation soumise à autorisation (loi no 92-646 du 13 juillet 1992), et cætera ». Dans cette longue formule, où le lecteur avisé reconna îtra le logiciel de rédaction utilisé, le rédacteur avait néanmoins ajouté que « s'il se révèle que les lieux dont il s'agit figurent sur la liste des installations classées, le vendeur fera son affaire, à ses frais, de les faire sortir de ce répertoire et de les remettre en état au sens de l'article L. 512-17 du code de l'environnement ».
Rien de la clause précédente n'est repris dans l'acte la vente. Mais ce fait est jugé indifférent, en se fondant sur le principe du consensualisme attaché à la promesse. à cela les juges ajoutent toute une série de constats : le vendeur de l'immeuble était le petit-fils du fondateur de la blanchisserie et avait lui-même été associé indirect de la société qui détenait la blanchisserie ; la blanchisserie était une ICPE et répertoriée depuis 1999 au fichier BASIAS ; la blanchisserie avait été condamnée en 1985 pour une pollution qu'elle avait causée alors qu'elle ne possédait aucune autorisation d'exploitation afférente ; les formalités lors de la cessation d'activité ICPE n'avaient pas été respectées,etc.
Tout ce qui précède conduit les juges d'appel à une motivation en deux temps. Tout d'abord, le vendeur ne pouvait affirmer qu'il ne disposait pas d'informations relatives à une ancienne installation classée ou, encore, que le bien n'était frappé d'aucune pollution susceptible de résulter d'une telle exploitation. Mais cette première solution est propre à l'espèce, et, sauf cas particulier, n'a pas vocation à la généralisation. Ensuite, de la clause de la promesse, « s'il se révèle que les lieux dont il s'agit figurent sur la liste des installations classées », les juges déduisent que le vendeur a reconnu implicitement mais nécessairement que l'absence de pollution et la conformité aux informations données sont entrées dans la définition de la chose vendue . Et, là, peu importe l'ignorance ou la bonne foi du vendeur : l'absence de conformité de la chose vendue aux spécifications attendues par les acquéreurs caractérise le défaut de délivrance sur le fondement de l'article 1604 du Code civil et engage la responsabilité du vendeur. La suite est plus sévère encore : l'acquéreur qui engage la responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation de délivrance a le choix de demander la résolution de la vente ou la réparation du préjudice résultant du défaut de conformité qui consiste notamment dans le coût des travaux de mise en conformité qui doit être établi ; peu importe que ce coût soit disproportionné par rapport au prix de vente ou à la valeur du bien.

Conseil

La responsabilité du notaire : un changement de paradigme ?

Cet arrêt alimente également le contentieux de la responsabilité du notaire. Or, étant donné l'importance de l'enjeu et le risque de changement en matière de devoir d'investigation du notaire, le sujet mérite d'être déjà évoqué ici. Dans l'arrêt d'appel, les deux notaires – vendeur ET acquéreur – ont été condamnés in solidum pour faute (et pas seulement à garantie des condamnations à l'encontre du vendeur) à hauteur de 80 % du préjudice. Soit, pour le seul chef des frais de dépollution : 715 872 € !
Les juges notent que le notaire du vendeur était aussi celui de la blanchisserie, et qu'il avait des liens de parenté et d'alliance avec les dirigeants de ladite blanchisserie. Il faut quand même vite le dire : en l'espèce, le mari de la notaire ayant instrumenté était avocat, associé avec un autre avocat, lui-même maire de la commune et époux de la fille de l'industriel. Ce qui fait une preuve de connaissance par présomption tout de même discutable. Mais il s'agit surtout d'un argument qui n'est pas opposable au notaire de l'acquéreur. Or, si le vendeur est débouté de son appel en garantie à l'égard du notaire acquéreur (quand même !), ce dernier est bien condamné in solidum avec le notaire vendeur à la réparation de 80 % du préjudice.
Et la motivation de l'arrêt qui vient justifier cette condamnation in solidum est si éloquente qu'il convient d'en citer au moins l'extrait déterminant, qui fait suite à tout un rappel de solutions bien établies en matière de devoir de conseil :
« En se limitant à rappeler les dispositions de l'article L. 514-20 du code de l'environnement et en l'absence de délivrance aux acquéreurs, d'informations primordiales concernant le passé industriel du site dont faisait partie le bien immobilier acquis par les époux [Z], de tout conseil ou mise en garde visant à éclairer ces derniers sur les inconvénients du bien en les invitant à tout le moins à procéder à une vérification préalable à la vente, de l'état des lieux ensuite de la cessation de l'activité industrielle du site avec changement de destination, les notaires n'ont pas permis à ces derniers d'apprécier les caractéristiques essentielles du bien acheté ; cette absence de diligence constitue manifestement un manquement à leur obligation d'information et de conseil engageant leur responsabilité, directement à l'origine des préjudices subis par les acquéreurs, consistant dans la perte de chance d'une part de ne pas contracter et d'éviter le dommage constitué par l'obligation de dépolluer le bien et d'autre part de ne pas subir les préjudices susvisés retenus par la cour au titre des frais engagés ou à venir et des préjudices moraux, de jouissance et d'anxiété ».
Seulement, quels sont les faits qui permettent de considérer que le comportement des notaires relevait du motif précédent ? Deux choses, quand on lit la décision.
D'une part, les notaires n'avaient pas consulté le fichier BASIAS. Pourtant à l'époque, en l'espèce, la fiche BASIAS était particulièrement laconique : au plus, elle mentionnait une teinturerie dont l'activité avait débuté en 1959, et qui avait cessé d'exister pour être désormais « une friche », avec un historique indiquant seulement « collecte et stockage des déchets non dangereux dont les ordures ménagères ». Rappelons, ce qui sera détaillé par la suite, que BASIAS n'est pas un répertoire de sites pollués, mais une recension des sites ayant pu mettre en œuvre des substances polluantes. La nuance est de taille. L'hôpital de la ville, dès lors qu'il a un service blanchisserie, ressort sur BASIAS. Et, par exemple, pour la seule ville de Saint-étienne – choix à dessein en raison de son passé industriel – il existe pas moins de 2 067 références sur BASIAS ! Pas un arpent du territoire à plus de 500 mètres d'un site référencé. La seule présence sur le fichier est donc un indice un peu mince pour éveiller les soupçons. Et, même si la ville de Saint-étienne a un passé minier, le notaire ne peut décemment conseiller une étude de sol pour chaque vente immobilière sur le secteur.
D'autre part, alors même que la promesse contenait une stipulation sur l'hypothèse d'une ancienne ICPE sur le site, aucune investigation n'avait été menée ensuite par les notaires auprès de l'administration à ce propos. D'ailleurs, les notaires se défendaient, vainement, en arguant qu'une telle consultation n'aurait pas révélé un classement ICPE. L'argument est écarté, mais il ne manquait pas de pertinence. En effet, depuis la découverte du problème, une étude de sol très fouillée a été établie à la diligence de la société venue aux droits de la blanchisserie en liquidation . Or, celle-ci révèle la confusion dans le traitement administratif, d'abord au niveau de la nomenclature ICPE, mais surtout au niveau des sociétés concernées (avec un quiproquo dans les sociétés d'exploitation successives, ainsi qu'une certaine fantaisie dans leur dénomination).
Il n'est donc pas interdit de penser que, sous l'argument du devoir de conseil, les notaires, et surtout le notaire acquéreur, ont ici été érigés en assurance tous risques d'un problème de pollution qui dépasse complètement le notariat. En tout cas, le lecteur est invité à lire avec la plus grande attention les propos qui suivent, et à ne pas être trop anxieux quand il se rendra compte des limites de l'information à sa disposition.