Le repli et les dérogations à la loi Littoral

Le repli et les dérogations à la loi Littoral

– Introduction. – La nécessité de se replier face à l'avancée et la montée des eaux est envisagée depuis plusieurs années, notamment au travers de la politique de gestion intégrée de la mer et du littoral, prévue par la Stratégie nationale pour la mer et le littoral. Celle-ci est définie par la loi no 2010-788 du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement, qui a notamment créé l'article L. 219-3 du Code de l'environnement. Notons cependant que le repli présente pourtant des limites. Ainsi la recomposition spatiale n'appara ît pas toujours possible pour des infrastructures ou ouvrages tels que les ports ou les industries.
En application de cette loi, la Stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte (SNGITC) a été publiée le 1er mars 2012, identifiant quatre voies d'actions pour la période 2012-2015 :
  • axe A, « Développer l'observation du trait de côte et identifier les territoires à risque érosion pour hiérarchiser l'action publique » ;
  • axe B, « élaborer des stratégies partagées entre les acteurs publics et privés » ;
  • axe C, « évoluer vers une doctrine de recomposition spatiale du territoire » ;
  • axe D, « Préciser les modalités d'intervention financière ».
Dans le cadre de l'axe C, le ministère de l'Environnement a lancé un appel à projets. Plus récemment, l'état a lancé un appel à manifestation d'intérêt de projets partenariaux d'aménagement (PPA) sur la recomposition spatiale des littoraux menacés par l'érosion côtière. Les candidatures de la communauté de communes « Médoc Atlantique » pour la ville de Lacanau, de l'agglomération « Pays Basque » pour la ville de Saint-Jean-de-Luz, et celle de la communauté de « Coutances Mer et Bocage » pour la commune de Gouville-sur-Mer ont été retenues. 10 millions d'euros ont été engagés pour les trois PPA pilotes de Coutances, Lacanau et Saint-Jean-de-Luz.

La situation pilote de Lacanau

Le PPA de Lacanau a été signé le 14 décembre 2021, et a pour objectif de tester les premières actions de relocalisation d'activités et de biens. Sont envisagés plusieurs horizons de gestion à court, moyen et long terme . Pour le premier, il s'agit d'intégrer que l'inaction n'est plus une option. Pour le deuxième, à l'horizon 2050, il s'agit de la construction d'un ouvrage de protection, et de quelques relocalisations d'activités. Enfin, pour le troisième horizon, horizon 2100, la stratégie n'est pas encore définie.
L'objectif du PPA est d'expérimenter les premières relocalisations de biens et d'activités, et de réunir les éléments suffisants pour une prise de décision globale à l'horizon de la fin du siècle . L'enjeu n'est pas mince : l'érosion côtière y menace notamment 1 200 logements et une centaine de commerces. Le coût estimé d'une expropriation-relocalisation de tout ce monde est estimé à 600 millions d'euros. Qui plus est, l'ouvrage de protection construit dans les années 1970 a été détruit par les assauts de l'océan (et remplacé par un enrochement d'urgence). Or, les finances de la commune (22 millions de budget annuel) ne lui permettent même pas de supporter, seule, ne serait-ce que le coût des travaux nécessaires à un nouvel ouvrage de protection du front de mer (estimé à 18 millions d'euros). C'est la raison pour laquelle elle a besoin de mettre en place un mécénat.
– La loi Climat et Résilience. – De nouveaux articles ont été introduits dans le Code de l'environnement : les articles L. 321-13 à L. 321-17, regroupés sous une sous-section intitulée « Gestion intégrée du trait de côte ». Ceux-ci traitent de la définition de la SNGITC et de l'élaboration du document y relatif. Ce dernier prendra la forme d'un décret et sera révisé tous les six ans . Des stratégies locales pourront être définies par les collectivités ou leurs groupements compétents en matière de défense contre les inondations et contre la mer.
Le juge administratif estime que ces stratégies, bien que se présentant comme des aides à la réflexion, peuvent constituer des actes faisant grief, au regard de leur contenu, qui peut être impératif .
– L'ordonnance du 6 avril 2022. – Une ordonnance no 2022-489 du 6 avril 2022 a introduit dans le Code de l'urbanisme des dérogations à la loi Littoral en vue de permettre la recomposition des territoires exposés au recul du trait de côte.
Les nouveaux articles L. 312-8 à L. 312-10 visent à faciliter les opérations de relocalisation réalisées dans le cadre des « projets partenariaux d'aménagement » qui délimitent des secteurs de relocalisation délimités (I) où sont notamment admises des dérogations à la loi Littoral (II).

Les secteurs de relocalisation

– Un périmètre circonscrit. – Les dérogations à la loi Littoral sont envisagées dans un secteur géographiquement circonscrit. On comprend donc que le législateur ne se contente pas d'essayer de gérer le risque, mais qu'il s'efforce également de poursuivre la valorisation du territoire par des opérations de recomposition.
Le législateur s'appuie sur les outils contractuels d'aménagement suivants, issus de la loi ELAN, et dont l'objet est d'accélérer la réalisation d'opérations d'aménagements complexes et de renforcer l'efficacité de l'intervention des acteurs publics et privés . Ce dispositif a été renforcé par la loi Climat et Résilience et par la loi dite « 3DS » :
  • le projet partenarial d'aménagement (PPA) :le PPA est un contrat entre l'état, l'intercommunalité et les acteurs locaux (public et/ou privés) afin d'encourager, sur un territoire donné, la réalisation d'une ou plusieurs opérations d'aménagement complexes destinées à répondre aux objectifs de développement durable des territoires. Les projets peuvent concerner aussi bien l'amélioration de l'offre de logements que le déploiement d'activités économiques, ou la réalisation d'équipements publics. Il formalise un partenariat et fixe une feuille de route qui ordonnance les interventions et responsabilités des parties au contrat, ainsi qu'un plan de financement de l'ensemble des actions ;
  • la grande opération d'urbanisme (GOU) : elle est délimitée par un PPA, afin de déterminer un cadre juridique exorbitant de droit commun destiné à faciliter et accélérer l'opération d'aménagement faisant l'objet d'un PPA, mais dont les dimensions ou les caractéristiques dépassent le cadre de droit commun et nécessitent un engagement conjoint spécifique de l'état et de l'un des cocontractants.
L'article L. 312-8 nouveau du Code de l'urbanisme indique que lorsqu'un PPA prévoit une opération d'aménagement ayant pour objet de mettre en œuvre la recomposition spatiale du territoire d'une ou plusieurs communes considérées comme vulnérables, il peut délimiter sur le territoire concerné des secteurs de relocalisation de constructions, d'ouvrages ou d'installations menacés par l'évolution du trait de côte. L'article vise les « communes figurant sur la liste mentionnée à l'article L. 121-22-1 », soit les communes listées par les décrets susvisés des communes « trait de côte ». La délimitation de ces secteurs de relocalisation fait l'objet d'une délibération motivée du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public compétent. Le cas échéant, ces secteurs de relocalisation peuvent être délimités au sein du périmètre d'une GOU, dans les conditions prévues par l'article L. 312-4 du Code de l'urbanisme. La GOU suppose au préalable la signature d'un PPA. On comprend donc que, en toute hypothèse, la signature préalable d'un PPA est requise. L'article L. 312-10 du Code de l'urbanisme prévoit, enfin, qu'en vue de la réalisation d'une opération d'aménagement visée par l'article L. 312-8, les PLU et les SCoT peuvent identifier des secteurs déjà urbanisés qui pourront accueillir les opérations d'aménagement portant sur la recomposition des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte.
– Articuler ZAN et relocalisation. – La loi dite « ZAN » comporte une mesure de souplesse dans l'application de l'objectif de réduction de l'artificialisation nette, notamment sur le recul du trait de côte . Mesure de bon sens portée par les revendications de l'ANEL. Ainsi, l'article L. 321-15-1 du Code de l'environnement précise que les surfaces artificialisées situées dans les zones exposées au recul du trait de côte pourront être considérées comme désartificialisées dès lors qu'elles feront l'objet d'une renaturation dans le cadre d'un projet de recomposition de l'espace du territoire littoral.

Les dérogations autorisées

– Conditions de forme et de fond pour les dérogations. – L'article L. 312-9 du Code de l'urbanisme précise qu'une fois les secteurs de relocalisation mis en place, et à l'intérieur desdits secteurs, il pourra être dérogé à la loi Littoral :
  • dans la mesure nécessaire à la relocalisation de constructions, d'ouvrages ou d'installations menacés par l'évolution du trait de côte ;
  • et sous réserve de l'accord de l'autorité administrative compétente de l'état et après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites (CDNPS). Le refus de cette dernière est possible lorsque les constructions et assimilées sont de nature à porter atteinte à l'environnement ou aux paysages.
C'est en raison de ces deux conditions, à savoir la nécessité d'un PPA et l'accord du représentant de l'état, que le Conseil d'état a pu considérer, dans son arrêt précité du 13 octobre 2023 , que les dérogations à la loi Littoral sont suffisamment encadrées . Le Conseil d'état estime d'ailleurs, à ce sujet, que l'intervention de l'état ne caractérise aucune atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.
– Des dérogations étroitement limitées. – Celles-ci sont prévues par l'article L. 312-9 du Code de l'urbanisme et concernent en effet les trois régimes suivants :
  • Le principe d'urbanisation en continuité : il peut être dérogé à l'obligation de construire en continuité de l'urbanisation existante, prévue par l'alinéa 1er de l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme, dès lors que les biens sont relocalisés en dehors des espaces proches du rivage, des espaces remarquables du littoral définis par l'article L. 121-23 du même code, et d'une bande d'une largeur d'un kilomètre à compter de la limite haute du rivage.
  • Le régime des secteurs déjà urbanisés : il peut être dérogé aux règles de constructibilité imposées par l'article L. 121-8 du Code de l'urbanisme dans les secteurs déjà urbanisés identifiés par le SCoT et délimités par le PLU, et ainsi étendre le périmètre bâti existant dans ces secteurs déjà urbanisés, dès lors que : à titre d'exception, l'article L. 312-9in fine du Code de l'urbanisme prévoit que cette dérogation peut être appliquée dans les espaces proches du rivage, autres que la bande littorale, la zone d'outre-mer des cinquante pas géométriques, les zones d'exposition au risque d'érosion définies par l'article L. 121-22-2 du Code de l'urbanisme, et les espaces remarquables définis par l'article L. 121-23 du même code, sous réserve de l'autorisation du ministre chargé de l'urbanisme et de l'avis conforme de la CDNPS .
  • Le régime des coupures d'urbanisation : il peut être décidé de déroger au principe fixé par l'article L. 121-22 du Code de l'urbanisme de prévoir des coupures d'urbanisation dans les SCoT et dans les PLU, sauf en ce qui concerne les espaces proches du rivage et les espaces et les milieux à préserver mentionnés à l'article L. 121-23 du même code. Pour ces deux derniers espaces (à l'exception de la bande littorale), et pour les zones d'exposition au risque d'érosion définies par l'article L. 121-22-2 du Code de l'urbanisme, il peut toutefois être prévu d'appliquer cette dérogation au principe de coupure d'urbanisation sous réserve de l'autorisation du ministre chargé de l'urbanisme et de l'avis conforme de la CDNPS.